Pandoravirus (en couleur à gauche) et Megavirus (à droite)© CNRS/Chantal Abergel
C’est un record d’un genre inhabituel : la description des deux plus grands virus jamais identifiés vient d’être publiée dans Science du 19 juillet par les biologistes de l’équipe de Chantal Abergel et Jean-Michel Claverie (laboratoire d’information génomique et structurelle du CNRS, université d’Aix-Marseille). Ces deux géants du monde des micro-organismes ont été désignés par un nouveau nom de genre, Pandoravirus, car ils ne ressemblent à aucun virus connu. Tous deux ont été découverts dans des environnements aquatiques. L’un, Pandoravirus salinus, a été isolé à l’embouchure d’une rivière au centre du Chili ; l’autre, Pandoravirus dulcis, dans une mare d’eau douce près de Melbourne, en Australie.
Du fait de leur taille exceptionnelle, les deux pandoravirus peuvent faire penser à des bactéries. Ils sont visibles au microscope optique et apparaissent comme des particules ovoïdes d’une longueur d’un micromètre, environ 100 fois la taille de nombreux virus communs. Leur génome est aussi beaucoup plus grand que celui des virus ordinaires et même que celui de certaines bactéries : P. salinus a un génome de 2,47 millions de bases, ce qui correspond à plus de 2 000 gènes et le génome de P. dulcis compte 1,91 million de bases. À titre de comparaison, la séquence du VIH compte moins de 10 000 bases pour seulement neuf gènes.
Pour autant, les deux pandoravirus ne sont pas des bactéries d’un genre inhabituel. Les chercheurs marseillais ont vérifié qu’ils avaient bien les propriétés de virus, même s'ils ne s'agit pas de virus classiques. Ce ne sont pas, comme les bactéries, des organismes autonomes, se reproduisant par division et fabriquant par eux-mêmes les protéines nécessaires à leur existence. Pour se reproduire, ils doivent parasiter un protozoaire appelé Acanthamoeba, grâce auquel ils se répliquent sous forme de centaines de particules virales.
Le groupe de Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel n’en est pas à son coup d’essai : en 2003, la même équipe avait déjà identifié un virus de taille record, appelé Mimivirus pour microbe mimicking virus, virus imitant un microbe. Ce mimivirus possédait déjà un génome de 1,18 million de bases, ce qui lui donnait un statut « hors catégorie » par rapport à la classification en vigueur. D'un point de vue quantitatif, mais aussi qualitatif : la complexité du génome du mimivirus remettait en cause la conception en vigueur selon laquelle les virus ne sont pas à proprement parler des êtres vivants.
Claverie et ses collègues ont avancé l’hypothèse que le mimivirus pourrait être issu d’une lignée éteinte d’organismes cellulaires qui auraient perdu une partie de leurs gènes et seraient ainsi devenus des parasites. « Selon ce scénario, chercher des virus encore plus grands, avec des génomes plus importants, était une façon de remonter dans le temps pour tenter de se faire une idée plus précise de l’ancêtre hypothétique », explique Claverie dans Science.
L’équipe marseillaise a donc continué sa chasse aux virus géants. En 2011, elle a isolé, au large de la côte chilienne, un parent éloigné du mimivirus, Megavirus chilensis, doté d’un génome de 1,25 million de bases – le précédent record. C’est en analysant divers échantillons d’eau et de sédiments recueillis au cours de leurs voyages que les chercheurs ont découvert les deux nouveaux virus géants. « Le fait qu’on ait trouvé ces deux virus presque en même temps alors qu’ils viennent de lieux très éloignés peut indiquer, soit que nous avons une chance extraordinaire, soit qu’ils ne sont pas rares », commente Jean-Michel Claverie.
S’il se confirme, comme on peut le penser, que les virus géants sont répandus, il faudra envisager de réviser la classification des micro-organismes dans laquelle les mimivirus et pandoravirus n’ont pas encore trouvé leur place. Le biologiste Didier Raoult, directeur de l'Unité des rickettsies à Marseille, qui a travaillé sur les virus géants avec Jean-Michel Claverie, suggère de créer un nouveau groupe rassemblant tous les microbes complexes. Il propose de l’appeler TRUC, acronyme de Things Resisting Uncomplete Classification (choses résistant à une classification incomplète).
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