Après 30 ans d'exclusion, les hommes homosexuels pourraient bientôt pouvoir à nouveau donner leur sang. Enfin, peut-être. Dans un rapport remis au Premier ministre, le député PS et neurologue Olivier Véran, recommande de modifier les critères d'exclusion du don du sang pour ne plus écarter des milliers de personnes du simple fait de leur orientation sexuelle. Discrimination pour les uns, juste gestion du risque d'une transmission du VIH pour les autres.
En France, la sélection des candidats au don est justifiée par le risque représenté par la période « silencieuse » d’une dizaine de jours qui suit une contamination. Un virus, présent dans l’organisme, est alors transmissible mais pas détectable car les anticorps pour le combattre n'ont pas encore été produits. L’interrogatoire préalable à tout don permet de faire le tri en écartant les donneurs à risque : condition physique, voyages dans certain pays, séjour prolongé au Royaume-Uni entre 1980 et 1996 (vache folle) et pratiques sexuelles. Une personne ayant eu des partenaires sexuels multiples sur une période donnée peut ainsi être écartée. Voilà en tout cas pour les hétérosexuels.
Les « hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes » se voient, quant à eux, exclus d’emblée du don, étant considérés comme une « population à risque ». Aussi exclus, les hommes qui ne se définissent pas comme homosexuels mais en épousent (ou ont épousé) certaines pratiques.
L'exclusion des hommes homosexuels date de 1983. À l'époque, la transmission du virus par transfusion sanguine n'est encore que suspectée. Faute de test permettant de détecter la maladie chez les donneurs, le directeur général de la santé envoie aux établissements de soin une circulaire recommandant aux médecins d'identifier et d'exclure les personnes « appartenant aux populations à risque ». Précisément, les « personnes homosexuelles ou bisexuelles ayant des partenaires multiples ; des utilisateurs de drogues injectables par voie veineuse ; des partenaires sexuels (femmes ou hommes) de personnes appartenant à ces catégories ; des personnes originaires d'Haïti et d'Afrique équatoriale… ». En 2009, Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, renforce l'interdiction par un arrêté stipulant de manière claire les contre-indications au don. Alors que pour toute personne ayant eu une relation sexuelle sans protection ou de multiples partenaires, le délai à respecter avant de donner son sang est de quatre mois, les hommes ayant eu des relations homosexuelles – ne serait-ce qu'une fois dans leur vie – sont exclus de manière « permanente ».
Si les hommes gays sont considérés comme population à risque, c'est en raison de la prévalence du VIH au sein de ce groupe sociologique. L’établissement français du sang (EFS) s’appuie sur les statistiques fournies par l’institut de veille sanitaire (InVS). Des chiffres à première vue sans appel : « En 2010, en France, le nombre de cas de découverte de séropositivité VIH était de 6 pour 100 000 pour les hétérosexuels. Et de 758 pour 100 000 chez les homosexuels masculins. Le risque d'exposition au VIH était donc 200 fois plus élevé (sic) lors d'une relation sexuelle entre hommes que lors d'une relation hétérosexuelle ou d'une relation sexuelle entre femmes. Dans un contexte de don du sang, cela signifie que si le donneur est exposé à son insu en raison d'un risque pris par son (sa) partenaire sexuel(le), le risque de se situer dans la période silencieuse est 200 fois plus élevé si ce couple est homosexuel masculin. »
Mais on peut s’interroger sur l’échantillonnage des personnes interrogées. L’InVS s’appuie en effet sur quatre sources : « l’enquête Presse-Gays et Lesbiennes », « Net Gay », le « baromètre gay » et « l’enquête Prevagay ». Tandis que les deux première s’appuient sur la presse et les sites internet spécialisés (lus par qui ?), les deux autres sont réalisées dans des « établissements commerciaux de convivialité gay (bar, backrooms, sauna) » (re-sic). La frange de la population gay ayant le comportement le plus risqué y est surreprésentée. Et les études utilisées à titre comparatif et portant sur la population hétérosexuelle n’ont, elles, pas été réalisées à la sortie de clubs échangistes.
La communauté gay, courtisée avant chaque élection, s'est fait promettre à plusieurs reprises déjà, l'ouverture du don du sang. Roselyne Bachelot, Xavier Bertrand, Nora Berra… Systématiquement, les hommes et femmes politiques, une fois au pouvoir, ont reculé sur la question. Interrogée sur la levée de l'interdiction par Mediapart en avril 2012, Marisol Touraine, elle-même, affirmait : « Nous le ferons. C’est une question d’égalité des droits, puisque rien ne permet de considérer qu’il y a un risque sanitaire particulier. » Avant de faire machine arrière six mois plus tard dans un délicat numéro d'équilibriste : « Je ne trouve pas normal qu'il y ait un élément de discrimination, pour autant je ne peux lever l'interdiction qui existe que si on me donne une garantie absolue que cela n'apportera pas plus de risques pour les transfusés. (...) Aujourd'hui, je ne peux pas lever cette interdiction. »
La question ne fait pas non plus l'unanimité dans le milieu associatif. Si Act Up et les associations LGBT dénoncent une forme de discrimination et demandent un changement des textes, pour Bruno Spire, le président de l'association Aides, interrogé par le Nouvel Observateur : « Le don de sang n'est pas fait pour démontrer l'égalité des droits. Sur le principe nous ne sommes pas farouchement contre mais aujourd'hui nous nous y opposons toujours car le risque résiduel de transmettre le VIH chez une personne ayant un test négatif, reste plus élevé dans la population homosexuelle masculine. Le combat actuel, c'est celui de la prévention des risques et de la protection des personnes homosexuelles. » Comme le relève un médecin dans un billet de blog sur le site gay queerasfist.com : si certes 76 % de la population est favorable à l'ouverture du don du sang aux homosexuels, « attendons que les media se jettent sur le premier accident transfusionnel impliquant un donneur homo pour voir à combien tomberait ce pourcentage. Rien n'est plus versatile que l'opinion publique. »
Avec son rapport, Olivier Véran souhaite infléchir la procédure d'interrogatoire actuelle afin qu'elle “discrime” les donneurs homosexuels en fonction de leur comportement sexuel et non plus de leur simple orientation. « Je le sais, le don n’est pas un droit, mais il ne doit pas être pour autant une source d’exclusion ou de stigmatisation, développe le député dans une interview donnée au journal Libération, il y a des homosexuels qui n’ont aucune pratique à risque, et je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas donner leur sang. » Son rapport reste en revanche très elliptique quant à sa mise en application.
De nombreux pays laissent les hommes homosexuels donner leur sang, mais ces autorisations sont souvent accompagnées de conditions dissuasives, que seuls les hommes homosexuels doivent justifier, de sorte que cette ouverture est plutôt d'ordre symbolique (voir page 2).
La question du don de sang par les homosexuels agite les cinq continents. Certains pays (pas la majorité) l’autorisent, mais selon leurs conditions propres, qui sont parfois très restrictives.
Afficher Les pays autorisant les hommes homosexuels à donner leur sang sur une carte plus grande
- 5 ans d’inactivité homosexuelle exigée
Le Québec, tout comme le Canada, autorise les homosexuels à donner leur sang depuis le 22 mai dernier. « Un tel changement est scientifiquement justifié et ne mettra aucunement en péril le très haut niveau de sécurité des produits sanguins », rassurait, il y a peu, Marc Germain, vice-président aux affaires médicales de Hema Québec (organisme de don du sang). La récente régulation autorise les homosexuels canadiens à donner leur sang, mais suivant des conditions très restrictives : les hommes peuvent donner leur sang uniquement s’ils n’ont pas eu de relations homosexuelles au cours des cinq dernières années. Cette restriction s’inscrit dans une logique de prudence préconisée par le gouvernement canadien, en souvenir du scandale du sang contaminé. Dans les années 1980-1990, des centaines de personnes ont été infectées par le sida ou l’hépatite C. À l’issue de cette affaire, ce n’est plus la Croix Rouge, jugée responsable de la crise sanitaire, mais Hema qui récupère la gestion du don du sang au Canada.
De même, depuis 2009, à la question « puis-je donner mon sang si je suis gay ? » le site internet de NZBlood, organisme de don de sang en Nouvelle Zélande, répond : « Vous ne devez pas donner votre sang pendant CINQ ANS suivant une relation orale ou anale, avec ou sans préservatif, avec un autre homme. »
- Un an d’inactivité sexuelle exigé
En septembre 2011, l’Angleterre, l’Écosse, et le Pays de Galles (soit le Royaume-Uni excepté l’Irlande du Nord) autorisent les hommes homosexuels à donner leur sang « seulement s’ils n’ont pas eu de relations homosexuelles (anales ou orales) depuis un an », précise le département de Santé. Cette autorisation limitée classe les hommes homosexuels “sexuellement actifs” dans la catégorie des personnes ayant eu des infections découlant de comportements à risque. Ce qui inclut les femmes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes qui ont eu des relations homosexuelles, les personnes qui ont fréquenté des prostituées et tous ceux qui ont eu des rapports avec des personnes s’étant injecté des drogues.
Cette restriction d’un an d’abstinence homosexuelle s’applique aussi en Argentine, au Brésil, en République Tchèque, en Hongrie et en Suède.
- 6 mois d’inactivité homosexuelle exigés
En juin 2012, la Croix Rouge australienne réduit d’un an à six mois le délai exigé entre une relation homosexuelle entre hommes et un don de sang. De même, en Afrique du Sud (depuis novembre 2006) et au Japon, les six mois d’abstinence sont requis.
- Pas d’exigence d’inactivité homosexuelle
En Italie, depuis un décret du ministère de la santé datant du 26 janvier 2001, la régulation qui interdisait le don de sang de « ceux qui sont engagés dans des rapports homosexuels » est abolie.
En Espagne, depuis mai 2004, un délai de 6 mois est obligatoire pour donner son sang, non pas pour la communauté homosexuelle, mais pour les hommes et femmes à comportement sexuel à risque. Les homosexuels ayant des comportements sans risque sont, depuis cette même date, autorisés à donner leur sang.
Au Chili, avec l’avènement de lois antidiscriminatoires envers les homosexuels, les homosexuels sexuellement “actifs” ont la possibilité de donner leur sang. Le combat de Rolando Jimenez, président du mouvement pour l'intégration et la libération des homosexuels (MOVILH), aura duré trois ans. En février 2009, le ministre de la santé de l'époque, Alvaro Erazo, soutient la demande de Rolando Jimenez, d'autoriser le don de sang par les homosexuels. En mai 2012, face à la pénurie de donneurs de sang, le nouveau ministre de la santé fait passer la loi et statue : « Poser la question de l'orientation sexuelle n'a aucun sens d'un point de vue scientifique, et encore moins lorsque l'on prend en compte la question de la discrimination. » Dans un objectif double de répondre à la pénurie de donneurs de sang et de contrer l'homophobie, la seule question discriminatoire qui sera posée au donneur de sang concernera le nombre de ses partenaires à l'année. S'il y en a plus d'un, alors on ne peut donner son sang, quelque soit son orientation sexuelle.
De même, le Mexique, le Portugal, la Pologne et l’Uruguay n'imposent pas de conditions spécifiques au don de sang des homosexuels. Le Parlement européen abonde en ce sens : « Les donneurs interdits sont ceux dont le comportement sexuel les met en danger d'être contaminés par des maladies infectieuses graves, qui peuvent être transmises par le sang. La commission note, de ce point de vue, qu'il faut faire la dictinction entre “comportement sexuel” et “orientation sexuelle”. »
- L'interdiction malgré les débats
Malgré de nombreux débats, la communauté homosexuelle américaine s’est vue renouveler son « interdiction à vie » de donner son sang. En juin 2013, The American Medical Association (AMA) a demandé à la Food and Drug Administration (FDA), organisme responsable des dons de sang, à ce que la stigmatisation cesse. Depuis 1983, en réponse à la crise du sida, la FDA interdit formellement à tout homme ayant eu des relations avec un autre homme depuis 1977, de donner son sang. Pour cet organisme américain, la question reste sans appel car, comme elle le soutient sur son site, les hommes homosexuels représentent 61 % des nouveaux cas de HIV ou sida, chaque année.
En Chine, les gays et les lesbiennes ont interdiction de donner leur sang depuis 1998, mais en juillet 2012, tandis que l’interdiction se poursuit pour les hommes, les femmes homosexuelles sont autorisées à le donner. Une décision tardive dans un pays où l’homosexualité est toujours taboue.
Comme la France, Israël et Hong Kong s'interrogent sur la nécessité et la manière de changer les régulations en vigueur.
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