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A Marseille, Cazeneuve à la recherche «des vraies gens»

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Marseille, de notre envoyée spéciale.   À Marseille, les ministres de l’intérieur défilent et le maire demeure. Depuis son premier mandat en 1995, Jean-Claude Gaudin, 74 ans, a déjà vu passer treize occupants de la place Beauvau. À Bernard Cazeneuve, le nouveau ministre de l’intérieur en déplacement à Marseille vendredi 25 avril, le sénateur UMP rappelle donc, l’air de rien, qu’avec ses 36 ans sur les bancs de l’Assemblée nationale puis du Sénat, il est le « doyen des élus du département ».

Bernard Cazeneuve en visite dans une cité marseillaise, le 25 avril 2014.Bernard Cazeneuve en visite dans une cité marseillaise, le 25 avril 2014. © LF

« Un président de la République m’a dit une fois “Mais comment avez-vous fait pour durer aussi longtemps ?”» s’amuse le cumulard, qui a de nouveau remporté la ville au nez de la gauche le 30 mars 2014. Pas de quoi faire prendre la mouche à Bernard Cazeneuve qui évite soigneusement le sujet des municipales et file la comparaison entre sa ville de Cherbourg et celle de Marseille, deux villes portuaires de « grand large » et de « grands espaces ». « Je connais l’esprit de liberté de ceux qui les dirigent », salue l'ancien maire et député de Cherbourg.

Pour le reste, la visite marche comme sur du velours. Les deux hommes s'auto-congratulent des mesures mises en œuvre conjointement depuis deux ans pour améliorer la sécurité marseillaise : investissement massif dans la vidéosurveillance, augmentation des effectifs de la police municipale désormais dotée de Tasers et de Flashball, renforts policiers, création de deux zones de sécurité prioritaires (ZSP) et d’un poste de préfet de police de plein exercice, police judiciaire réorganisée pour cibler les trafics des cités. Selon Bernard Cazeneuve, les violences aux personnes ont baissé de 14 % sur les premiers mois de 2014 par rapport à la même période en 2013 sur les deux zones de sécurité prioritaires marseillaises. Et les atteintes aux biens, notamment les vols à main armée, de 8 %. Le règlement de comptes de la veille, le cinquième depuis début 2014, est en revanche à peine évoqué. 

Bernard Cazeneuve entouré d'élus marseillais, au centre de supervision urbaine.Bernard Cazeneuve entouré d'élus marseillais, au centre de supervision urbaine. © LF

Le ministre de l’intérieur PS a le droit à la visite du centre de supervision urbaine, cofinancé pour moitié par l’État et encore flambant neuf. Gaudin se penche vers l’un des 38 agents qui, sept jours sur sept, scrutent les images des 330 caméras installées dans le centre-ville (l’objectif de la mairie est de passer à 1 000). « Est-ce qu’on n’a pas une prise à montrer à M. Cazeneuve, un voleur, quelque chose de pas trop ancien ? » demande le maire. « On » trouve la vidéo d’un voleur à la tire interpellé par des policiers en civil. Satisfait, Gaudin hoche la tête vers son hôte : « Voyez, l’équipement est superbe ! C’est Manuel Valls qui l’avait inauguré (en février 2013, ndlr). »

Pas de déclarations fracassantes pour le nouveau ministre de l'intérieur.Pas de déclarations fracassantes pour le nouveau ministre de l'intérieur. © LF

Venu « mesurer les résultats de la politique mise en place depuis maintenant 24 mois par le gouvernement », Bernard Cazeneuve n’a pas non plus échappé à la traditionnelle revue des effectifs, dans la cour de l’Évêché, l’hôtel de police marseillais. Avec un message d’«exemplarité» suite à la garde à vue de quatre policiers parisiens soupçonnés de viol sur une touriste étrangère au sein des locaux de la BRI. « Je souhaite que la justice et l'Inspection générale de la police nationale aillent au terme de leurs investigations, que la vérité soit faite, a déclaré le ministre de l’intérieur. Je prendrai toutes les sanctions qui s'imposent si, au terme de l'enquête, les faits étaient établis. » «Il faut que nos forces soient reconnues pour leur exemplarité», a-t'il insisté.

On décroche la carte des caméras après le départ du ministre.On décroche la carte des caméras après le départ du ministre. © LF

Se gardant de toute annonce fracassante, Bernard Cazeneuve a dit vouloir approfondir l'action sécuritaire de son prédécesseur Manuel Valls à Marseille en reprenant les mêmes objectifs : saisie des avoirs criminels, un renseignement mieux articulé, démantèlement des trafics, et lutte contre le djihadisme. Avec une pensée particulière de l'ancien ministre délégué au budget pour la lutte contre la fraude fiscale. Bernard Cazeneuve est venu à Marseille, accompagné du préfet Christian Lambert, qui poursuit son évaluation des 64 ZSP de la première et de la deuxième vague. Après avoir rencontré pendant six jours chefs de service, magistrats et élus marseillais, il reste encore à Christian Lambert une dizaine de ZSP à visiter.

Un policier en civil et des enfants attendent le ministre à Air Bel, le 25 avril.Un policier en civil et des enfants attendent le ministre à Air Bel, le 25 avril. © LF

Seule vraie rupture de ton, le ministre socialiste ne voulait pas aller dans les cités des quartiers nord faire des déclarations martiales devant les caméras. Mais rencontrer des « vraies gens » et ne pas leur parler que de sécurité. D'où le choix d'Air Bel, une cité de 4 300 habitants dans la zone de sécurité prioritaire sud de Marseille (11e arrondissement). Depuis mi-mars 2013, la police y mène, comme dans une quarantaine d’autres cités marseillaises, une opération de « reconquête ». Mediapart avait raconté les premières semaines de cette opération.

Une heure avant l’arrivée du ministre, la cité HLM fourmille déjà de policiers : CRS aux entrées, brigades VTT qui surgissent des fourrés, patrouilles à chaque coin de bloc, et snipers en haut des tours. Même les badauds qui prennent le soleil sur les coursives ont de furieux airs d’agents en civil. Sur la placette proche de l’école primaire, les deux passages où se déroulait le trafic de stupéfiants ont été récemment murés. « Les gosses ont détruit le mur, puis les policiers l’ont fait reconstruire », explique Sow, l’animateur de « l’espace lecture ».

Le passage entre la place du marché et l'école a été muré.Le passage entre la place du marché et l'école a été muré.

« Dans mon bâtiment aussi, ils ont fermé deux entrées, c’est fait pour nous embêter, indique un chauffagiste de 26 ans. Ils ne pensent pas aux gens malades, aux mamies, aux déménagements, aux courses, et tout ça. » L’initiative a exaspéré. « C’est n’importe quoi ce mur, car les mères de famille passaient par là, lance Friga, vingt ans. Maintenant, les personnes âgées, les mamans avec les courses sont obligées de faire tout le tour. Nous, ça nous a monté les nerfs. »

Le jeune homme a ouvert en septembre 2013 une petite alimentation au coin de la place. Avec la pharmacie, c’est le seul commerce qui existe encore dans la cité. « Je voulais faire snack pour que les petits restent là au lieu de faire des conneries dehors, d’aller voler des motos ou rentrer dans le réseau, explique Friga. Mais le bailleur a refusé. La capitaine de police n’était pas d’accord non plus. Ici, il n’y a rien pour les jeunes. » Derrière la place du marché, le snack associatif a fermé le rideau en mars 2013, après un contrôle de police. En cause : un employé non déclaré et diverses autres infractions liées à la gestion. « C’est bête, avant, les gens y buvaient leur café le matin, on voyait un peu de monde et on se sentait en sécurité », regrette une habitante, fonctionnaire territoriale.

Devant l'alimentation de Friga, le 25 avril.Devant l'alimentation de Friga, le 25 avril. © LF

Un an après le début de l’opération policière, beaucoup d’habitants d’Air Bel se plaignent de la multiplication des contrôles routiers tatillons à l’entrée et à la sortie de la cité, qui sont vécus comme un véritable harcèlement. « Qu’ils regardent le permis, l’assurance et s’il n’y a pas d’arme, c’est normal, dit un jeune homme de 23 ans, qui prépare un diplôme d’accès aux études universitaires. Mais là, ils enlèvent des points à des pères de famille parce que leur contrôle technique n’est pas à jour ! » Tout le monde dans la cité a une anecdote d’amende pour un pneu mal gonflé, un clignotant pas mis sur le rond-point, ou même une rue traversée hors du passage piéton. « On sort chercher quelqu’un, il faut montrer les papiers, on revient, pareil », soupire Sow. « Et pour peu qu’on les oublie, on est verbalisé. » « Ils sont là pour la sécurité ou pour mettre des amendes ? » gronde un adolescent.

Le seul changement visible en un an, c’est le terrain de foot en gazon synthétique qui a surgi en bas de la cité. L’ancien gymnase qui s’y trouvait avait disparu (brûlé ou démoli selon les versions) il y a plus de dix ans. Et le terrain était laissé à l’abandon par la mairie. Mais un terrain de foot benjamin même doublé d’une aire de jeu pour enfants et d’un plateau sportif, « ça reste pas beaucoup pour une grande cité comme ça », remarque Soraya, 30 ans, maman de deux petits garçons.

Le ministre de l'intérieur, bien escorté...Le ministre de l'intérieur, bien escorté... © LF

« Le week-end quand je n’ai pas envie de prendre la voiture, il n’y a rien pour eux ici, même pas des jeux, des bancs pour s’asseoir ou une salle pour organiser des fêtes, c’est mort », dit-elle. « Il y a d'innombrables locaux vides, mais c’est la lutte pour avoir un studio pour faire de la musique, rage Yamine, 18 ans, en terminale littérature, qui s’est planté d'autorité devant les caméras. Ici les enfants n’ont rien à faire, ils ne connaissent rien, on ne leur ouvre pas l’esprit, Molière connaît pas ! »

Ce sont ces habitants que Bernard Cazeneuve était venu rencontrer. Mais ce n’est qu’en fin d’après-midi qu’il a pu prendre le temps de les entendre dans une salle du centre socioculturel réservée à cet effet. A l’écart de la meute des élus locaux, journalistes et chefs de police de tout rang qui l’ont suivi toute la journée...

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