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Les questions auxquelles l’exécutif va devoir répondre

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« Il n’y a pas de risque zéro. » Dès jeudi matin, sur RTL, le premier ministre Manuel Valls avait tenté de déminer par avance la polémique sur d’éventuels défauts de surveillance des frères Kouachi, auteurs de l’attaque à Charlie Hebdo. Pourtant, au fil des événements tragiques, qui se sont terminés vendredi par la mort des frères Kouachi et de leur complice, et un véritable bain de sang parmi les otages de la porte de Vincennes, c’est un véritable réseau, organisé depuis une dizaine d’années, entraîné et surarmé, qui est apparu au grand jour, dans toute sa violence. « Quand il y a 17 morts, c'est qu'il y a eu des failles », a admis le premier ministre vendredi soir.

Comme les frères Kouachi, dont l’un des deux, sinon les deux, sont passés par des camps d’entraînement au Yémen, le preneur d’otages du supermarché casher de la porte de Vincennes, Amedy Coulibaly, 27 ans, qui a également tué une policière à Montrouge, jeudi matin, avait fait partie de la filière des Buttes-Chaumont, un groupe de jeunes gens réunis autour du prédicateur radical Farid Benyettou, dont les membres ont été arrêtés dès 2004 pour avoir tenté de faire le djihad en Irak. Un groupe qui a refait parler de lui récemment par la voix de Boubaker al-Hakim, un militant actuellement en Syrie intégré à l’organisation de l’État islamique qui a revendiqué le 17 décembre au nom de l’EI l’assassinat perpétré en 2013 des deux opposants tunisiens, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

D’ores et déjà, l’opposition a lancé les premières banderilles. Selon l’ex-ministre UMP Roger Karoutchi, proche de Nicolas Sarkozy, le gouvernement a « fait preuve de trop de naïveté » et « n’a pas pris la mesure du risque ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, sera entendu dès mardi matin, jour de la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, dans le cadre de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, justement créée en décembre. « On peut très bien être passé à travers un réseau constitué », admet son rapporteur, le député PS Patrick Mennucci, joint par Mediapart. Le coordinateur national du renseignement, Alain Zabulon, sera entendu le lendemain, à huis clos.

Mediapart dresse la liste des questions très lourdes auxquelles l’exécutif va devoir répondre dans les prochaines heures.

COMMENT LES FRÈRES KOUACHI ONT-ILS PU MENER LEUR PROJET À BIEN ?

Les frères Kouachi, Saïd, 34 ans, et Chérif, 32 ans, ne sont pas des "bleus", fraîchement convertis au djihadisme, tels ces quelques centaines de nouveaux soldats du djihad qui ont franchi le pas en moins d’une année, abandonnant tout pour changer de vie et se rendre en Syrie à partir de la fin de l’année 2012, seuls ou en famille. Ce sont des militants chevronnés, passés par le Yémen au moins pour l’un d’entre eux, issus d’une filière bien connue, sans compter leur radicalisation potentielle en prison.

Parmi les multiples éléments biographiques qui rapprochent les deux frères du milieu djihadiste, il y a le fait que Chérif, qui se faisait appeler "Abou Issen", a été condamné, le 14 mai 2008, à trois ans de prison dont 18 mois avec sursis dans le dossier dit de la « filière des Buttes-Chaumont », qui envoyait des candidats au djihad en Irak entre 2003 et 2006.

Les Kouachi ont peu à peu construit leur « expertise », se rendant au Yémen en 2011 pour se « former » dans le cas de Saïd Kouachi, vraisemblablement au sein d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique.

Sur RTL, le premier ministre avait refusé dans un premier temps d’évoquer la biographie des deux frères. « Toute information sur ces individus balancée sur les ondes peut représenter une information donnée à ces individus pour échapper au travail de la police. » Quelques heures plus tard, le New York Times, citant un officiel du renseignement américain, révélait pourtant qu’ils figuraient « depuis des années » sur la liste américaine des terroristes, ainsi que sur la « no-fly list » (les individus interdits de vol) des compagnies aériennes américaines. Et que l’aîné, Saïd, a été entraîné par Al-Qaïda au Yémen en 2011. Une information que le gouvernement n’avait pas communiqué jusqu'à sa publication par le quotidien américain. Jeudi soir, Bernard Cazeneuve affirmait d'ailleurs que Saïd Kouachi n’avait « jamais été poursuivi ni condamné, mais était apparu en périphérie des affaires judiciaires dans lesquelles son frère Chérif a été impliqué ».

Par ailleurs, la ministre de la justice Christiane Taubira a affirmé sur la chaîne américaine CNN que « l’un des deux frères » s’est rendu au Yémen en 2005.

Christiane Taubira sur CNN, jeudi 8 janvierChristiane Taubira sur CNN, jeudi 8 janvier

Ces éléments restent à compléter mais ils posent déjà question : les autorités françaises ont-elles sous-estimé cette piste yéménite ? Le New York Times, citant des sources du renseignement, suggère que cette filière, plutôt dans le viseur des États-Unis, n'était peut-être pas une priorité pour les Français. Dans ce cas, les échanges d'information entre la France et les États-Unis, d'habitude très bons en matière de renseignement, ont-ils connu des loupés, et pourquoi ? « La coopération entre la France et les États-Unis en matière de renseignements est une constante entre nos deux pays, expliquait il y a quelques mois un ancien diplomate en poste à Washington. Tout ce qu’un pays apprend sur le ressortissant d’un autre en matière de terrorisme est transmis et vice versa. Ce sont des procédures très rapides et pas du tout bureaucratiques. Nous avons des années de pratique. » Le New York Times évoque déjà un possible « très grave dysfonctionnement » de la coopération terroriste franco-américaine.

Jeudi soir, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a simplement affirmé que si les deux hommes « avaient fait l’objet de surveillance » (sans que l’on sache quand, à ce stade), « aucun élément incriminant susceptible d’entraîner l'ouverture d’une enquête judiciaire n’avait été relevé à l’époque à leur encontre ». Une formule sur laquelle il devra s’expliquer, et apporter des précisions.

LES AUTORITÉS SONT-ELLES PASSÉES À CÔTÉ D'UNE CELLULE TERRORISTE ?

Pour le gouvernement, le plus dévastateur est la découverte par la France entière, au fil des heures, de ce qui ressemble à un véritable réseau terroriste sur le sol français, organisé depuis des années, entraîné et bien armé. Le gouvernement s’attendait à un attentat sur le sol français et affirme en avoir déjoué plusieurs. Mais il pariait plutôt sur la radicalisation discrète de jeunes loups solitaires. Là, c’est un groupe de gens se connaissant de longue date, connus pour leurs liens avec les mouvances radicales, qui a frappé.

Ainsi, l’auteur de la prise d’otages de la porte de Vincennes, suspecté d’avoir tué la policière municipale à Montrouge, Amedy Coulibaly, 32 ans, est un proche des Kouachi. Lui et sa compagne Hayet Boumedienne, 26 ans, tous deux qualifiés de « dangereux » par la brigade criminelle, faisaient l’objet depuis ce vendredi d’un avis de recherche. Par ailleurs, aucun élément n'a été communiqué sur la localisation ou non de Hayet Boumedienne ce vendredi soir.

D’après Libération, Coulibaly, ex-braqueur multirécidiviste, « a été condamné à cinq ans de prison en décembre 2013 pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation de l’évasion avec armes" de la centrale pénitentiaire de Clairvaux de Smaïn Aït Ali Belkacem », l’artificier des attentats du Groupe islamique armé (GIA) à Paris en 1995.

Incarcéré en 2010, il a été libéré en 2014, ayant bénéficié de remises de peine. Au moment de son incarcération, Coulibaly avait, selon Le Point, « pour habitude de rendre visite toutes les trois semaines à Djamel Beghal dans le Cantal, auprès duquel il cherchait des conseils "d'ordre religieux" ». Également mentor de Chérif Kouachi, Beghal, alias “Abou Hamza”, purge dix ans de prison pour un projet d’attentat en 2001, contre l’ambassade des États-Unis à Paris. Mais le jeune homme avait plusieurs visages. Quelques mois avant, alors en contrat de professionnalisation chez Coca-Cola, il avait rencontré le chef de l’État Nicolas Sarkozy, comme en témoigne cet article du Parisien.

Dans les archives du Parisien: Amedy Coulibaly, né à Grigny, avait rencontré Nicolas Sarkozy en 2009Dans les archives du Parisien: Amedy Coulibaly, né à Grigny, avait rencontré Nicolas Sarkozy en 2009

LES POUVOIRS PUBLICS AVAIENT-ILS TIRÉ LES LEÇONS DES CAS PRÉCÉDENTS ?

Un an après les tueries perpétrées en mars 2012 par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban, sous Nicolas Sarkozy, le nouveau ministre de l’intérieur socialiste, Manuel Valls, n'hésitait pas à pointer du doigt l’absence de coordination entre le renseignement local et la DCRI (Direction centrale de la sécurité intérieure, devenue DGSI) dans la surveillance du tueur. « Il y a eu des erreurs, des failles, des fautes, il ne s'agit pas d’accuser, il s'agit tout simplement de savoir ce qui s'est passé », déclarait l’actuel premier ministre.

Mohamed Merah avant son passage à l'acteMohamed Merah avant son passage à l'acte © France 2

C’est la perpétuelle question : comment un individu passé sur les écrans radars des services de renseignement a-t-il pu passer tranquillement à l’acte ?

En l’occurrence, deux policiers toulousains du renseignement avaient indiqué sur procès-verbaux avoir envisagé la transmission du dossier Merah au parquet antiterroriste dès juin 2011, sans que leurs supérieurs hiérarchiques de la DCRI n’aient réagi (voir les révélations de Libération). C’est la parfaite illustration des classiques mais aussi de « cloisonnements » entre services, documentés par l'IGPN (Inspection générale de la police nationale) dans un rapport d'octobre 2012.

Les inspecteurs s’y montraient très sévères avec la DCRI, pointant « plusieurs défaillances objectives » dans le suivi de Merah : la « désactivation inopportune de sa fiche “S” entre mars 2010 et janvier 2011 (« S » comme “sûreté de l’État”, une fiche qui permet de signaler tout contrôle de simple police aux services de renseignement) », la légèreté avec laquelle avait été conduit l'entretien de Merah à son retour du Pakistan en novembre 2011, le manque de « rigueur » dans les suites de cet entretien, l’absence de « fluidité des échanges entre le renseignement intérieur et les autres services de police ou de gendarmerie »

La façon dont l’enquête s’est déroulée après les tueries de Toulouse et Montauban a également fait l’objet de vives interrogations sur le délai nécessaire pour identifier et retrouver Merah après son premier assassinat. Une fois le tueur localisé, c’est un autre événement qui avait stupéfait les spécialistes de la police et du renseignement : le fait qu’« en dépit d'un dispositif d'observation lourd, (il ait) pu quitter son domicile et le réintégrer sans que soit observé ni son départ (…) ni son retour » (voir le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur le fonctionnement des services).

Dès la fin 2012, pour tirer des leçons de ces échecs, une réforme du renseignement a été mise en œuvre avec la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). « La neutralisation judiciaire des djihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol sera ainsi plus efficace », promettait alors Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Et pourtant. 

En mai 2013, c’est Alexandre D., un jeune homme connu de la Sous-direction de l'information générale (la SDIG, l’un des services de renseignement chargée du suivi de l’islam), qui s’est jeté sur un militaire à La Défense, blessé à l’arme blanche. Moins grave, mais plus inquiétant.

Alexandre D. sur une image de vidéosurveillanceAlexandre D. sur une image de vidéosurveillance © (Image AP/Sipa)

Car Alexandre D. était apparu sur les radars de la SDIG des Yvelines dès 2009 (refus de travailler avec des femmes, voyages à l’étranger, etc). Au point que le service de terrain avait rédigé une note détaillée sur ce converti, jadis petit délinquant désormais en pleine dérive radicale, adressée notamment au bureau de liaison de la DCRI (chargée elle des djihadistes). Dévoilée par Le Monde, cette note révélait par exemple qu’Alexandre D. avait été contrôlé lors de prières de rue en compagnie d’un homme déjà visé par une fiche « S » (sûreté de l’État) en tant que « membre de la mouvance islamiste fondamentaliste ».

C’était alors à la DCRI de pousser l’enquête sur la vie et l’entourage d’Alexandre D., voire de lancer une surveillance. Mais le service n’a visiblement pas donné suite. « (La note) n’a même pas été traitée », d’après Le Monde.

En mai 2014, cette fois, c’est lors d’un « contrôle inopiné » en gare de Marseille que la douane a interpellé Medhi Nemmouche, suspecté d’avoir perpétré la tuerie du musée juif de Bruxelles. Un coup de chance quoi qu’en dise le ministère de l'intérieur, qui considère que le fichage de Mehdi Nemmouche a été « efficace, puisqu'il a permis de neutraliser très rapidement un djihadiste potentiellement dangereux et qui aurait pu frapper en France ».

Le radicalisme religieux de Nemmouche avait été signalé aux services de renseignement par l’administration pénitentiaire à sa sortie de prison en décembre 2012 (cinq ans derrière les barreaux pour le braquage d’une supérette). Mais son départ quasi immédiat pour l’étranger (trois semaines après tout de même) lui avait permis d’échapper à toute surveillance.

Il avait ensuite passé plusieurs mois en Syrie dans les rangs de l’État islamique, où il gardait des otages occidentaux (notamment français) et torturait. Il n’avait pu être localisé par les services, ni surveillé.

À son retour en Europe, ce sont les douanes allemandes qui l’ont détecté en premier, intriguées par son parcours, en mars 2013. C’est donc grâce au signalement de l’Allemagne que la DGSI lui a finalement collé une fiche « S ». Mais il avait ensuite disparu des écrans radars, jusqu’à son arrestation à Marseille.

Enfin, quatre mois plus tard, nouveau cafouillage. Trois présumés djihadistes français de retour de Syrie (dont un beau-frère de Mohamed Merah), interpellés par les autorités turques et mis dans un avion à destination de la France, ont atterri dans l’Hexagone sans être inquiétés, alors que le ministère de l’intérieur les attendait de pied ferme et avait même annoncé leur arrestation. Faute des bons documents administratifs, les Turcs avaient dû les embarquer sur un autre vol que l’avion initialement prévu.

Peu importe. Puisqu’ils voyageaient avec leurs vrais passeports, ils auraient tout de même dû être repérés à leur arrivée à Marseille. Chahuté, le ministre de la défense a vite reconnu une défaillance technique du système Cheops (Circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés). « Il y a eu une panne à Marseille, je le sais », a dû opiner Jean-Yves Le Drian. Au passage, il déclarait : « Depuis plusieurs jours, on arrête tous les jours des individus suspectés d’être dans ces filières djihadistes, ils sont arrêtés, mis en garde à vue, judiciarisés. » Au-delà des seules questions d’organisation, se pose au bout d’un moment celle des moyens.

Y A-T-IL EU DÉFAILLANCE DANS LE SUIVI JUDICIARO-POLICIER ?

« Ces individus étaient connus des services et parce qu’ils étaient connus des services, ils ont été suivis (...). Aucune piste n’a jamais été négligée, a affirmé Manuel Valls sur RTL, jeudi. Des centaines de personnes sont suivies, des dizaines de personnes ont été interpellées, des dizaines de personnes ont été incarcérées. Le travail de la police, des renseignements a toujours été d’identifier toutes les cibles possibles : ceux qui reviennent d’un certain nombre de théâtres d’opérations en Irak, en Syrie, en Afghanistan, au Yémen, en Afrique du Nord, au Sahel. Aucune piste n’a jamais été négligée (...) mais face à des individus très déterminés, il peut malheureusement y avoir des failles. »

À ce stade, difficile de reconstituer la façon dont la "bande des Buttes-Chaumont" a été suivie ces dernières années. Selon un magistrat parisien, les services spécialisés évaluent à 1 200 environ le nombre de « djihadistes potentiels » en France (66 millions d’habitants), dont 400 sont déjà apparus dans des procédures judiciaires, et donc théoriquement surveillés. Il s’agit souvent d’individus partis ou ayant effectué des séjours dans des pays en guerre (Syrie, Irak, Libye, Afghanistan…) ou dont la trace se perd lors d’une étape (en Turquie notamment). D’autres ont été repérés pour des prises de position radicales, ou la fréquentation de sites internet appelant au djihad.

Les difficultés sont nombreuses pour les services de renseignement s’agissant de ceux qui n’ont jamais été interpellés, et ne peuvent faire l’objet d’aucune mesure judiciaire. Les nouveaux djihadistes, plus nombreux depuis le conflit syrien, se sont parfois autoradicalisés, sont souvent inorganisés, ou fonctionnent en petites cellules autonomes et très cloisonnées.

La surveillance administrative est confiée aux polices de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure). Après les ratés de l’affaire Merah, en 2012, la DGSI a succédé à la DCRI, qui avait été créée par Nicolas Sarkozy en fusionnant les Renseignements généraux (RG), la Direction de la surveillance du territoire (DST) et certains services spécialisés de la police judiciaire.

« Notre problème, aujourd’hui, c’est qu’on est passé de 100 types à surveiller en 1995 à 1 000 aujourd’hui », explique à Mediapart Gilbert Thiel, juge d'instruction antiterroriste jusqu’à 2014. « Il faut entre 12 et 20 fonctionnaires pour surveiller un type 24 heures sur 24, entre les écoutes et les filatures. Mais après, on découvre son entourage, qu’il faut surveiller aussi, et on arrive à saturation. »

Pour Gilbert Thiel, « il faut bien comprendre qu’on ne peut pas embaucher et former 12 000 flics en plus à la DCRI. Donc ils sont obligés de faire des choix, d'établir des priorités. Ils surveillent de près ceux qui risquent de passer à l’acte, et ils font le plus souvent un boulot remarquable ». Cela malgré la tuerie à Charlie Hebdo et ses suites, affaires dans lesquelles les suspects étaient déjà bien connus. « Je rappelle que les auteurs d’attentats sont rapidement identifiés et logés, on a tendance à l’oublier », veut nuancer Gilbert Thiel.

Dans les prochains jours, les appels à un accroissement accru des dispositifs de surveillance devraient se multiplier. Manuel Valls lui-même a d’ores et déjà évoqué vendredi de « nouvelles mesures » pour répondre à la « menace ». Mais selon le juge Thiel, les derniers ajustements législatifs adoptés en septembre dernier à l’Assemblée (lire notre article ici) sont « adaptés au phénomène djihadiste ». Pour Gilbert Thiel, le problème majeur est aujourd’hui celui des moyens humains face à un « changement d’échelle du phénomène ». Mais il doute que de nouvelles lois sécuritaires soient nécessaires, ou plus efficaces. Un autre magistrat déplore, pour sa part, le déficit de renseignements ainsi que la moindre coopération judiciaire avec plusieurs États connaissant des troubles intérieurs ou à leurs frontières (Turquie, Italie) depuis deux ou trois ans. « Beaucoup de travail est déjà fait, mais il faut une surveillance plus appropriée, même si le suivi demande énormément de moyens », explique un membre de la commission d’enquête sur les réseaux djihadistes lancée au Sénat en novembre 2014.

CHARLIE HEBDO ÉTAIT-IL ASSEZ PROTÉGÉ ?

Charb, directeur de la publication de Charlie Hebdo, assassiné mercredi 7 janvierCharb, directeur de la publication de Charlie Hebdo, assassiné mercredi 7 janvier © Reuters

Dernière question, celle de la qualité de la protection qui entourait les dessinateurs de Charlie Hebdo, et en particulier son directeur Stéphane Charbonnier, dit Charb (photo) ? Si le journal était considéré comme une cible et bénéficiait d’une protection policière depuis la publication des caricatures de Mahomet en 2006, Stéphane Charbonnier a été nommément désigné comme « recherché mort ou vif pour crimes contre l’islam » dans le magazine en anglais Inspire, publié par Al-Qaïda au Yémen, et lancé en 2010. Dans son numéro paru début mars 2013, Inspire a publié une liste de personnes avec leur photo et cette légende : « A bullet a day keeps the infidel away » (« une balle par jour tient l’infidèle à distance »). La liste comprenait également, entre autres, deux dessinateurs danois qui ont échappé à des tentatives d’assassinat après avoir publié des caricatures de Mahomet, les rédacteurs en chef du journal Jylland-Posten qui avait publié ces caricatures, ainsi qu’un prêcheur de Floride qui avait brûlé des exemplaires du Coran.

Après l’incendie des locaux de Charlie Hebdo en novembre 2011, une protection personnelle a été ajoutée à celle du siège du journal. Elle était exercée par le SPHP (Service de protection des hautes personnalités), devenu SDLP (Service de la protection). Pierre-François Degand, qui a participé à la protection de Charb et de Renaud Luzier, dit Luz, a décrit cette mission au Courrier des Yvelines : « On assurait leur sécurité tout le temps. On les déposait au journal. On se rendait dans la rédaction. Selon le degré de menace, on pouvait être un, deux ou trois policiers par dessinateur. Deux policiers en piéton, un autre conducteur. Récemment, je crois qu’il ne restait plus que Charb. »

Degand précise qu’il a effectué cette mission il y a « un an et demi ou deux ans ». Depuis, la protection avait été modifiée. Selon le témoignage de Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo, rapporté par Europe 1, « Charb en avait un peu assez de sa protection ». Pelloux dit aussi que Charb était conscient des menaces pesant sur lui : « Je pense qu’il me protégeait beaucoup des risques (en ne me disant pas tout). Il savait que, dans tous les meetings intégristes à travers le monde, Charlie Hebdo revenait tout le temps. »

En août 2014, selon Le Monde, la protection de Charb a été modifiée et les contrôles allégés. Il était toujours protégé en permanence par deux policiers, quatre hommes se relayant autour de lui. L’un de ces quatre hommes, Frank Brinsolaro, a été tué lors de l’attaque contre le journal.

Cependant, le siège du journal (transféré du 20e au 11e arrondissement) ne bénéficiait plus d’une garde statique mais d’une protection dynamique, consistant en des rondes et patrouilles toutes les demi-heures. Le matin de l’attaque, trois patrouilles de policiers ont été effectuées aux abord du journal. « Nous étions en contact régulier avec Charb, indique au Monde Laurent Nunez, directeur de cabinet de la préfecture de police de Paris. Lorsqu’il y avait un numéro sensible, on repassait en garde statique. »

Le changement de la protection a été décidé, d’après Le Monde, en accord avec la rédaction, alors que l’on pensait que la menace avait baissé. Le maintien d’une garde statique aurait-il permis de mieux protéger l’équipe de Charlie Hebdo, ou aurait-il seulement offert une cible de plus aux assaillants, comme le suggère le ministère de l’intérieur ? La question est aujourd’hui sans réponse. Comme beaucoup d’autres.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La peine de mort politique en Egypte


Les politiques ont confisqué la marche, les associations s'indignent

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« Que François Hollande vienne à la marche de dimanche s’il le souhaite, mais il ne sera pas président de la République. Il sera Charlie. » Le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), Alain Jakubowicz, ne cache pas sa colère. « Ce qui se passe est indigne de notre personnel politique, dit-il. C’est honteux pour la mémoire de Charlie. » Avec trois autres associations antiracistes (la Ligue des droits de l’homme (LDH), le MRAP et Touche pas à mon pote), la Licra a cosigné, ce vendredi 9 septembre, un communiqué de presse destiné à mettre fin à la tournure politique que la manifestation de dimanche a prise en l’espace de vingt-quatre heures.

« S’il est bien que les partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique, s’emparent de ce débat, c’est d’abord au citoyen de le mener, écrivent les associations. Avant même de rassembler les institutions et les organisations, c’est d’abord les hommes et les femmes de ce pays qu’il faut rassembler autour non d’une incantation, mais d’une République effective pour tous. » Pourquoi un tel rappel des faits ? Parce que les choses ne semblent visiblement pas assez claires pour tout le monde, à commencer par le Front national et sa présidente, Marine Le Pen, qui s’estime « exclue » et ce, malgré sa rencontre avec François Hollande à l’Élysée, vendredi matin.

François Hollande et Marine Le Pen à l'Élysée, le 9 janvier.François Hollande et Marine Le Pen à l'Élysée, le 9 janvier. © Twitter/@Elysee

« Si on ne m'invite pas, je ne vais pas m'imposer », a fait mine de bouder la présidente du FN, qui continue de dénoncer une « manœuvre politicienne minable » et de réfuter toute forme de récupération personnelle de l'attentat de Charlie Hebdo. Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du parti dirigé par sa fille, ne se donne même pas la peine d'une telle rhétorique, lui qui a posté sur Twitter le message suivant : « Keep calm and vote Le Pen. »

Aucun représentant frontiste n’a été convié aux réunions préparatoires pilotées par François Lamy, conseiller spécial du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui avait dans un premier temps annoncé un rassemblement samedi, avant de finalement se greffer, pour des raisons de sécurité, à celui que les associations et représentants syndicaux avaient prévu dimanche. De fait, le PS et le gouvernement se sont finalement mués en organisateurs, choisissant d'élargir la table des discussions logistiques au centre et à la droite, mais aussi de la fermer au FN. « Il n’y a pas de place pour une formation politique qui, depuis des années, divise les Français, stigmatise les concitoyens en fonction de leur origine ou de leur religion, ou ne se situe pas dans une démarche de rassemblement des Français », a ainsi expliqué François Lamy.

« Chacun peut venir à cette manifestation. Le président de la République l’a dit tout à l’heure », a précisé Manuel Valls lors de sa visite au siège du journal Libération, où s’est installée l’équipe de Charlie Hebdo. Cette marche, « c’est une réaction pour défendre des valeurs et dans ces valeurs, il y a la tolérance, il y a la lutte contre le racisme, contre l’antisémitisme, contre des actes antimusulmans, une certaine idée de la République. Ce n’est pas une manifestation pour la peine de mort », a-t-il tout de même ajouté en référence à la proposition de referendum sur la peine de mort formulée par Marine Le Pen, jeudi sur France 2.

L’UMP, par la voix de bon nombre de ses ténors et notamment de son secrétaire général, Laurent Wauquiez, a quant à elle affirmé qu’« il n’est pas acceptable que le Front national soit exclu pour une manifestation d’unité nationale ». « Je répète depuis le début que cette marche ne devait pas être l’affaire des partis, mais des citoyens », argue de son côté Marielle de Sarnez, la vice-présidente du MoDem, dont le président, François Bayrou, a jugé que c'était « une mauvaise décision d'exclure qui que ce soit » du rassemblement de dimanche.

Contrairement à ce que prétend Marine Le Pen, personne n’est « interdit » de manifestation. En revanche, toutes les personnes présentes aux réunions préparatoires « étaient d’accord pour ne pas associer le FN au texte de défense des valeurs de la République » publié dans la soirée de vendredi, souligne le patron du Front démocrate, Jean-Luc Bennahmias. Ensemble !, le rassemblement d’anciens communistes rénovateurs et d’anciens de la LCR et du NPA, n’a pas souhaité signer ce communiqué commun où figurent notamment l’UMP et l’UDI. « Nous appelons sans aucune réserve à manifester dimanche, mais nous ne signons pas cet appel pour ne pas ajouter de la confusion politique, explique Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !/Front de gauche. Les solutions pour répondre aux problèmes politiques que pose l’attentat de Charlie Hebdo ne peuvent être unanimes. Nous continuerons à avoir des divergences substantielles sur le sujet. »

Clémentine Autain regrette « l’erreur politique » commise, selon elle, par le gouvernement et le PS : « En proposant d’organiser cette marche, ils ont tendu un piège qui ne peut profiter qu’au FN. La présence ou non de Marine Le Pen est devenue le centre de cette organisation, ce n’est pas possible ! Il aurait suffi que les partis politiques appellent sur leur propre base. L’union populaire, oui, l’union des partis politiques, non ! » La fondation Copernic a beau avoir signé le texte, elle partage l’avis de Clémentine Autain : « Le gouvernement n’avait rien à faire dans cette histoire ! », s’agace son coprésident, Pierre Khalfa.

Pour lui, « cette façon de faire est détestable ». « Cela aurait dû rester dans les mains des associations et des représentants syndicaux au lieu d’être préempté comme ça l’a été par le gouvernement et le PS, poursuit-il. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans le pire des scénarios envisageables : celui des grands manœuvres politiciennes. C’est une offense à ceux qui ont été assassinés. » La fondation Copernic, comme les associations antiracistes, ont le sentiment que la situation leur a échappé. « Mais qu’est-ce qu’on pèse face à eux ? Rien... », se désole Alain Jakubowicz de la Licra.

Rassemblement spontané sur la place de la République, le 7 janvier.Rassemblement spontané sur la place de la République, le 7 janvier. © Thomas Haley

Pour finir, une ultime réunion logistique s’est tenue ce vendredi après-midi, à l’heure où les deux assauts étaient simultanément lancés. Des « conditions de sécurité exceptionnelles » vont être mises en place, explique Julien Bayou d’EELV. « On se laisse la possibilité de deux parcours, précise-t-il. L’un passant par Voltaire, l’autre par le Père-Lachaise. Ils vont enlever les voitures sur tout le parcours et fermer la ligne 2 du métro. » Un dispositif d'autant plus renforcé qu'outre François Hollande, plusieurs dirigeants européens (Angela Merkel, Donald Tusk, Jean-Claude Juncker, David Cameron, Matteo Renzi, Mariano Rajoy, Alexander Stubb…) ont annoncé leur présence à Paris. Aucune sonorisation n’est prévue : il s’agira d’une « marche silencieuse ».

Concernant l’ordre, les représentants de Charlie Hebdo devraient figurer en tête, aux côtés des syndicats de journalistes et de policiers, suivis de diverses personnalités « au sens large » : représentants de la jeunesse, politique, responsables associatifs, etc. Le tout, « dans un mode sobre, indique Bayou, avec plutôt pas de drapeaux ni de banderoles ». Les organisateurs de la marche ont ainsi répondu de façon positive à la demande des syndicats de journalistes.

« Nous ne leur avons pas laissé le choix, assure Vincent Lanier, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ). J’ai été assez étonné que ce soit le PS qui organise tout cela et en même temps, nous étions incapables, après le choc de l’attentat, de l’organiser nous-mêmes. » Plusieurs représentants associatifs et syndicaux ont tout de même confié à Mediapart leur gêne de signer un texte commun avec la droite et en particulier avec l’UMP. « Les valeurs défendues par ce parti ne sont pas celles de Charlie Hebdo, note Pierre Khalfa de la fondation Copernic. Franchement, nous ne sommes pas très satisfaits de la façon dont tout cela s’est passé… »

Nombre de personnes présentes à la réunion de vendredi soir ont semble-t-il “tiqué’ en voyant que Brice Hortefeux était présent autour de la table des discussions. Plusieurs associations ont d’ailleurs demandé une “suspension de séance” afin de réfléchir si oui ou non elles ratifiaient un communiqué commun avec l’UMP, mais aussi le centre. Un débat a eu lieu sur le terme de « laïcité », certains arguant qu’il devait figurer dans le texte quand d’autres ne le souhaitaient pas. Ces derniers ont finalement obtenu gain de cause. Certains responsables associatifs musulmans ou de quartiers sensibles participeront à la manifestation de dimanche, quand bien même ils n'ont pas été conviés aux réunions d'organisation.

« Discuter de tout cela avec Brice Hortefeux, c’est effectivement la limite de l’exercice… », reconnaît Julien Bayou d’EELV. Nul n’a oublié que l’ancien ministre de l’intérieur avait été condamné en juin 2010 pour « injure raciale », avant d’être finalement mis hors de cause par la cour d’appel de Paris sur un fondement juridique. « Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes », avait-il déclaré à un jeune militant UMP d'origine maghrébine.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été contactées par téléphone le vendredi 9 janvier. Ni les représentants de l'UMP ni François Lamy n'ont répondu à nos messages.

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Kouachi-Coulibaly, le réseau terroriste oublié par les services de renseignement

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Les archives ont parlé. Dans les heures qui ont suivi l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, la police a compris qu’elle avait un dossier pour remonter très vite aux assassins. L’oubli – délibéré ou non – de la carte d’identité de Saïd Kouachi, l’un des deux auteurs du massacre avec son frère Chérif, dans une voiture pendant leur fuite, le 7 janvier, a suffi. Le nom des Kouachi a aussitôt fait émerger le dossier de l’enquête antiterroriste ouverte en 2010 sur l’opération visant à faire évader de prison plusieurs chefs islamistes, parmi lesquels Smaïn Aït Ali Belkacem, l’artificier des attentats parisiens de 1995. La police a ainsi rapidement multiplié les perquisitions en région parisienne.

Déjà condamné en 2008 dans le dossier de la filière de recrutement djihadiste dite “des Buttes-Chaumont”, Chérif Kouachi avait été soupçonné, en 2010, d’avoir rejoint ce nouveau réseau chargé de l'évasion de Belkacem. Tout comme Amedy Coulibaly, mis en cause dans les assassinats de Montrouge et de la porte de Vincennes, ces 8 et 9 janvier. Actuellement recherchée pour son implication présumée dans les dernières actions, Hayat Boumeddienne, la compagne de Coulibaly, avait elle aussi été arrêtée, entendue et perquisitionnée dans cette même affaire.

Les frères Kouachi, Chérif et Saïd.Les frères Kouachi, Chérif et Saïd.

Alors que Kouachi a bénéficié d’un non-lieu à l’issue de l’instruction, Coulibaly a été condamné à cinq ans de prison, le 20 décembre 2013. Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a donc induit l’opinion publique en erreur en déclarant, vendredi, que « rien ne témoignait du fait » que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly « pouvaient s'engager dans un acte de ce type. Leur situation n'avait pas été judiciarisée ».

En décembre 2013, huit autres membres du groupe de Kouachi et Coulibaly avaient écopé de peines allant de un à douze ans de prison. Un seul a fait appel : la figure centrale du réseau, Djamel Beghal, condamné en 2005 pour avoir nourri quatre ans plus tôt un projet d’attentat contre l’ambassade américaine à Paris. Il a été écroué puis assigné à résidence dans le Cantal. En décembre dernier, la peine de Beghal dans l’affaire des projets d’évasion a été confirmée par la cour d’appel de Paris. C'était il y a à peine plus d’un mois.

« Pas de preuves, et seules les convictions religieuses sont condamnées », s’est alors plaint Beghal sur son blog. Le dossier d’enquête auquel Mediapart a eu accès dans son intégralité laisse pourtant entrevoir l’existence d’un groupe armé, déjà prêt à envisager, outre des tentatives d’évasion, des « opérations martyres ». Six membres de ce groupe – dont quatre avaient purgé leurs peines – étaient en liberté à la veille de l’attentat contre Charlie Hebdo.

Dès le printemps 2010, les policiers antiterroristes mesurent très vite la dangerosité de ce réseau. Le 18 mai, ils découvrent lors d’une perquisition chez Coulibaly, alias « Doly », à Bagneux (Hauts-de-Seine), un lot de 240 cartouches de calibre 7.62 caché dans un seau de peinture, ainsi qu’un étui de revolver dans un placard. « Elles m’appartiennent, explique le suspect au sujet des balles. Il s’agit de cartouches pour kalach’. Je cherche à les vendre dans la rue. »

Amedy Coulibaly, mort vendredi lors de l’assaut du magasin HyperCacher porte de Vincennes, où quatre otages ont également péri, n’est pas un inconnu des services de police. Alors qu’il est employé chez Manpower, il a déjà été impliqué dans seize affaires de vols à main armée, violences et trafic de stupéfiants. Présenté comme un « islamiste rigoriste » en mai 2010 par la sous-direction antiterroriste (SDAT) de la police judiciaire, il minimise pourtant sa radicalité religieuse devant les enquêteurs lorsqu’il est entendu. « J’essaie d’avancer avec la religion mais je vais doucement », concède-t-il. Amedy Coulibaly présente alors Chérif Kouachi comme « un ami rencontré en prison », poissonnier en intérim.

Questionné sur ses liens avec « des vétérans du djihad », il admet en connaître un, Djamel Beghal. Coulibaly et Kouachi seront d’ailleurs présentés tous deux en juillet 2013 par le parquet antiterroriste comme des « élèves » de ce dernier. « Si vous voulez que je vous dise tous les terroristes que je connais, vous n’avez pas fini, je les connais tous : ceux des filières tchétchènes, des filières afghanes…, se plaît à fanfaronner Coulibaly devant les policiers, sur procès-verbal. Mais ce n’est pas parce que je les connais que ça fait de moi un terroriste. » Il se prétend même « pas d’accord avec les attentats (…) ne serait-ce que parce que je pourrais en être victime ». « Jamais de la vie je ne participerais à un attentat ou à quelque chose de si grave que ça », insiste-t-il devant le juge, quelques jours plus tard.

La réalité de l’enquête, pourtant, est tout autre. Des écoutes téléphoniques effectuées en mars et avril 2010 sur le portable de « Doly » montrent « sans ambiguïté », selon les enquêteurs, « sa foi radicale » et « l’emprise idéologique » exercée sur lui par Djamel Beghal. L’artificier des attentats de 1995, Smaïn Aït Ali Belkacem, le considère pour sa part comme un militant « fiable et déterminé ». « En plus, il est bien dans la religion, il est en dedans. Il est sérieux dans la religion », jugeait le terroriste islamiste durant une conversation téléphonique interceptée sur un portable utilisé clandestinement en prison.

Amedy CoulibalyAmedy Coulibaly © DR
Avec une arbalète.Avec une arbalète.

L’analyse de l’ordinateur portable de Coulibaly fait par ailleurs apparaître des photos de lui posant devant un drapeau noir islamiste ; sur d’autres, on le voit en forêt, armé d’une arbalète, aux côtés de sa femme intégralement voilée. Au milieu de multiples témoignages de foi, les enquêteurs sont également tombés en arrêt devant différents clichés pédopornographiques, qu’ils retrouveront aussi en nombre dans l’ordinateur de Chérif Kouachi.

À cette époque, Kouachi et Coulibaly sont déjà les rouages d’un réseau bien rodé. « Djamel Beghal est le chef d’une cellule opérationnelle d’obédience “takfir” (nom d’une secte salafiste – ndlr) », résume ainsi un commandant de la SDAT dans un rapport de synthèse du 21 mai 2010. « Fédérés autour de donneurs d’ordres appartenant au mouvement takfir, les membres du réseau terroriste mis au jour par les investigations sont, pour la plupart d’entre eux, des malfaiteurs chevronnés, convertis à l’islam lors de séjours en prison », poursuit le policier, qui évoque « l’élaboration d’un projet terroriste dont le but était de procéder à l’évasion des frères incarcérés et dont la finalité était la commission d’une action de plus grande ampleur ».

La première étape consiste à fomenter l’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, « la tête de réseau », et d’un autre militant islamiste, de la prison de Clairvaux (Aube), ainsi qu’à organiser la fuite de Djamel Beghal, alias “Abou Hamza”, alors assigné à résidence à Murat (Cantal). L’objectif final vise, selon la SDAT, « la réalisation d’une action terroriste de grande ampleur ». Cela ressort très clairement d’une conversation téléphonique entre Belkacem et Beghal, interceptée par la police le 22 avril 2010, à 12 h 22. « Moi, j’ai deux choses auxquelles je pense depuis longtemps. Une chose que je prépare pierre par pierre depuis des années pour pouvoir donner un bon coup après, comme on dit “parce qu’un coup avec une pioche vaut mieux que dix coups avec une binette”. Ça demande du temps car ce n’est pas une plaisanterie. Ce n’est pas un jeu », confiait Beghal.

Photo de surveillance policière de 2010 de Chérif Kouachi avec Djamel BeghalPhoto de surveillance policière de 2010 de Chérif Kouachi avec Djamel Beghal © DR

Dans un courrier saisi, un autre membre du réseau, Fouad Bassim, écrit à un complice : « Fais ce qu’il faut pour m’aider à sortir et cette fois-ci, ce sera sans pitié dehors. » Condamné à huit ans de prison fin 2013, Bassim est actuellement en fuite, sous le coup d’un mandat d’arrêt.

Le mystère de ce dossier de 2010 reste la découverte de recettes de poison (du cyanure obtenu à partir de pépins de pomme) dans la cellule de Belkacem. L’expert en toxicologie mandaté par la justice avait confirmé, selon le jugement du tribunal de grande instance de Paris, « l’efficience du mode opératoire décrit dans les recettes ainsi que le caractère potentiellement létal du produit obtenu ». « Le plus redoutable serait de contaminer avec ce liquide un réseau d’adduction d’eau ou un circuit de fabrication alimentaire, ce qui pourrait rendre malades un grand nombre d’individus », pouvait-on encore lire dans le texte de jugement.

Les enquêteurs n’ont cependant pas pu corroborer l’existence d’un projet d’attaque plus concret à l’aide de ce poison. En revanche, le réseau n’a pas ménagé sa peine pour acheter des armes en Belgique et préparer activement les évasions des leaders islamistes. Un mot manuscrit trouvé chez un membre de la cellule, adressé à un complice, signale : « On a besoin de deux kalachs, de deux calibres, dix grenades. Essaye de faire au plus vite car on en a besoin. C’est à toi de parler avec le frère qui vend les armes. Mon frère ne connaît rien, alors négocie un prix bas. »

Même s’il a bénéficié d’un non-lieu, la justice ayant estimé n’avoir « pas assez d’éléments démontrant son implication » dans les projets d’évasion, Chérif Kouachi est cependant apparu au fil de l’enquête comme un membre actif du réseau. Étroitement surveillé par les policiers en avril 2010, il a rejoint Djamel Beghal dans le Cantal pendant une semaine, accompagné de deux autres islamistes déjà condamnés pour des faits de terrorisme.

Lors de ses onze auditions en mai 2010 par les policiers, Kouachi s’est montré obstinément mutique. « L’intéressé garde le silence et fixe le sol », ont noté jusqu’à l’agacement les enquêteurs de la SDAT. « Avez-vous conscience que votre refus à tout dialogue avec nous, y compris sur les choses les plus anodines, le refus d’effectuer une page d’écriture, le refus de regarder les photos qui vous sont présentées, le refus de vous alimenter, relève d’un comportement typique et habituellement constaté chez les individus fortement endoctrinés et appartenant à une organisation structurée ayant bénéficié de consignes à suivre durant une garde à vue ? », ont fait remarquer les policiers au futur auteur du massacre de Charlie Hebdo.

Les archives informatiques de Kouachi, elles, ont été plus bavardes. De nombreux textes – la plupart anonymes –, découverts dans son ordinateur ou sur des clés USB, témoignent d’un enrôlement djihadiste structuré. Il s’agit la plupart du temps de textes sur des opérations martyres et la conduite à tenir. Tous ont été téléchargés en 2009.

ReutersReuters

L’un d’entre eux, baptisé Opérations sacrifices, décrit un modus operandi qui n’est pas sans rappeler l’attentat contre Charlie Hebdo. « Un moudjahid (combattant – ndlr) entre par effraction dans la caserne de l’ennemi ou une zone de groupement et tire à bout portant sans avoir préparé un plan de fuite ni avoir pensé à la fuite. L’objectif est de tuer le plus d’ennemis possibles. L’auteur mourra très probablement », peut-on lire. Puis : « Le mot “attentat-suicide” que certains utilisent n’est pas exact. Ce sont les juifs qui ont choisi ce mot pour dissuader les gens d’y recourir (…). Quant aux effets de ces opérations sur l’ennemi, nous avons constaté au cours de notre expérience qu’aucune autre technique ne produisait autant d’effroi et n’ébranlait autant l’esprit. »

Un autre texte, intitulé Le Prophète de la Terreur, commence par ces mots : « Je suis venu vous apporter le carnage. » Habillé de références religieuses, le texte est en réalité un appel au terrorisme : « Le Coran parle de se préparer le plus que l’on peut à terroriser l’ennemi. » Mieux encore : « horrifier l’ennemi », souhaite-t-il.

Un ouvrage de l’imam salafiste jordanien Abou Mohamed al-Maqdisi développe quant à lui des « séries de conseils sur la sécurité et la prévention » à l’attention des militants radicaux. Exemple : « Il n’est pas indispensable dans la plupart des circonstances, pour un financeur, de savoir quand et où l’opération aura lieu, ni par quelles mains. De même, pour ceux qui vont exécuter le stade final de l’opération (c’est-à-dire le pirate de l’air, le kidnappeur, celui qui se sacrifie, l’assassin, etc.), il n’est pas indispensable pour eux de savoir qui finance la cellule ou le groupe. »

Si aucun document trouvé en 2010 chez Kouachi n’évoque l’affaire des caricatures de Mahomet, un long texte intitulé Déviances et incohérences chez les prêcheurs de la décadence évoque la fatwa « pleinement justifiée » contre l’écrivain Salman Rushdie – « Qu’Allah le maudisse ! », est-il précisé –, ou le Français Michel Houellebecq, désigné comme une « loque humaine », qui « se permet dans un de ses torchons de dire que la religion la plus con, c’est l’islam ». Le texte s’en prend aussi aux « scribouilleurs malhonnêtes (à savoir les journalistes) » et assure que « dans les sociétés mécréantes, le péché est la norme et le blasphème un divertissement sadique ».

L’enquête de 2010 sur la cellule Beghal avait clairement montré que ses membres étaient déterminés à passer à l’attaque. Un proche de Kouachi et Coulibaly, un certain Teddy Valcy, alias “Djamil” (condamné à 9 ans en 2013), avait été arrêté en possession d’une kalachnikov, avec un chargeur engagé contenant vingt-deux cartouches. « Cette arme m’appartient et je n’aurais pas hésité à l’utiliser contre vous si j’en avais eu le temps », avait-il déclaré aux policiers au moment de son interpellation.

Dans une vidéo enregistrée sur son téléphone portable en avril 2010, il apparaît vêtu d’une djellaba, portant son fusil-mitrailleur à l’épaule. Il prononce alors un discours de guerre : « Il est venu le temps où il faut agir. La communauté musulmane est en danger (…). La dignité des musulmans est bafouée. Nous n’avons pas d’autres solutions que de prendre les armes pour défendre notre communauté. Je vous exhorte à prendre les armes le plus vite possible, avec une très grande détermination, et n’oubliez pas la récompense du martyr (…). On nous appelle “terroristes” mais le mot est faible parce qu’on doit vraiment plus les terroriser, les ennemis, les infidèles. Il n’y a pas de discussion avec eux. » Les 7, 8 et 9 janvier 2015, une partie du réseau Beghal a répondu à l’appel.

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A Gennevilliers, le maire et l'imam marchent sur des œufs

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Après avoir vu débarquer les policiers de la brigade de recherche et d'intervention au pied de chez eux, les habitants de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ont reçu les caméras de télévision. Chérif Kouachi, un des deux auteurs de l'attentat de Charlie Hebdo, vivait rue Basly, dans le quartier du métro, et fréquentait « de temps à autre » la grande mosquée.

Un peu avant 13 heures, heure de la grande prière du vendredi, les fidèles pressent le pas sans se retourner aux questions des journalistes. Une femme voilée est interviewée, elle dit sa crainte d'être associée au crime commis contre les journalistes de Charlie Hebdo. À l'intérieur, le président de l'association Ennour, qui gère la mosquée, Mohamed Benali, est occupé à recevoir un à un les journalistes. « J'ai eu des Américains, des Allemands, ils viennent tous à Gennevilliers », déclare-t-il surpris. Tous veulent savoir s'il se souvient des frères Kouachi. Mais avec parfois plus de 2 000 fidèles les vendredis, « c'est difficile de tous les connaître » admet le responsable de la mosquée. 

Les télévisions filment l'arrivée des fidèlesLes télévisions filment l'arrivée des fidèles © Yannick Sanchez

Un événement lui est néanmoins resté en mémoire. « Un peu avant l'élection présidentielle de 2012, déclare Mohamed Benali, l'imam a invité à s'inscrire sur les listes électorales et à participer au vote. Lui (Chérif Kouachi, ndlr) n'a pas apprécié ce discours, il a coupé le sermon et a dit qu'il ne fallait pas que les musulmans aillent voter. Il a quitté la salle et le service d'ordre l'a gentiment accompagné vers la sortie. » 

L'imam Rachid Mouy débute son prêche en mentionnant l'attentat sur la rédaction de Charlie Hebdo. Il affirme s'être questionné le matin même sur le fait de devoir en parler : « Je me suis demandé si je devais parler de l'actualité ou si je devais faire comme si de rien n'était. Mais le fait que nous pensions tous à cela et le climat délétère qui règne actuellement à l'encontre de la communauté musulmane nous impose de parler de la tuerie de Paris. » Comme la plupart des responsables associatifs que nous avons questionnés, ce dernier refuse de s'excuser mais tient à rappeler qu'il condamne les attaques « en tant que musulman, mais surtout en tant qu'homme avec un H majuscule, en tant que citoyen ».


À la sortie de la prière, les journalistes tentent tant bien que mal d'obtenir quelques réponses sur le contenu du message. Au beau milieu de la foule, Malik, la vingtaine, explique sa révolte : « C'est pas l'islam, ça ! C'est des gens qui veulent détruire notre religion. C'est sûr qu'il va y avoir des répercussions », lâche-t-il. Certains mettent en garde contre « le piège tendu par les hommes politiques », d'autres préfèrent y voir un complot. « Comme par hasard ils ont trouvé la carte d'identité d'un des frères, comme au World Trade Center », déclare Malik.   

Alors qu'une dizaine de mosquées ont été vandalisées, Hassan, 40 ans, s'inquiète d'éventuelles représailles sur la communauté musulmane. « Ma sœur a peur de sortir avec le voile », raconte-t-il. « Mais il ne faut pas vivre dans un état de terreur, nuance-t-il, même le président l'a dit. » Quant au parallèle que certains font avec le 11-Septembre et la montée de l'islamophobie, Hassan préfère penser que « contrairement aux États-Unis, les Français ne feront pas l'amalgame ».

Si tous condamnent « les faits inhumains » perpétrés le 7 janvier dernier, ils sont peu à vouloir se rendre à la marche prévue le dimanche 11 janvier à 15 heures en hommage aux victimes. « Si on y va les gens vont se dire que les musulmans s'excusent », déplore Hassan. « Ils attendent tous qu'on s'excuse », déclare Salim, chauffeur de bus à la RATP. « C'est simple, explique-t-il, depuis 24 heures porter une barbe signifie terrorisme. Moi par exemple les gens me regardent vraiment bizarrement quand ils montent dans mon bus. Ça me blesse mais ça on n'en parle pas, on prend sur nous et on fait comme si de rien n'était. »  

« C'est là qu'il y a de l'ambigüité dans le discours », affirme le maire (PCF) Patrice Leclerc (lire aussi son blog sur Mediapart) au sujet des musulmans qui ne veulent pas défiler dimanche « pour ne pas s'excuser ». Dans son bureau, l'édile suit les dernières opérations du GIPN derrière son écran. Depuis qu'il a appris « avec les médias » qu'un des frères Kouachi venait de Gennevilliers, il essaie d'en savoir un maximum sur le personnage. « Ma préoccupation, c'est de savoir comment ça ne stigmatise pas ma ville », déclare-t-il. Malgré son lumbago qui date du matin de l'attentat contre Charlie, le maire ne perd pas une minute. « Je voulais organiser un rassemblement dès le soir des événements, mais dès que j'ai su que ça serait place de la République, j'ai reporté au lendemain. En parallèle, j'ai tenu un discours sur le parvis de la mairie au lendemain des faits, pour avoir une expression collective de la ville et pour que la ville reste unie. » Le soir même, mille Charlie se sont recueillis à Gennevilliers, place de la Résistance. 

Patrice Leclerc, maire de GennevilliersPatrice Leclerc, maire de Gennevilliers © Yannick Sanchez

Malgré ses efforts, le maire sait qu'il doit prendre des pincettes. On lui a rapporté que certains élèves dans les écoles gennevilloises ont dit « Bien fait Charlie »« Il va falloir qu'on organise des rencontres avec des professeurs, des responsables de la mosquée et des éducateurs jeunesse », annonce-t-il. « On va déjà rentrer dans une phase de sondage pour voir comment organiser les choses, avec quels interlocuteurs, pour que le corps éducatif permette de redonner des repères à tout le monde. » Mais chaque chose en son temps. Le drapeau français est en berne, la mairie tient à faire savoir qu'elle est entrée en résistance. 

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Manifester pour un réveil citoyen

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Pourquoi aller manifester dimanche ? Pour les victimes en premier lieu, et pour nous tous ensuite. Pour les victimes, nombreuses, des actes terroristes sans précédent qui se sont déroulés depuis le massacre survenu à Charlie Hebdo mercredi 7 janvier. Pour honorer les mémoires de journalistes et dessinateurs talentueux, participant pour certains depuis des décennies à la vitalité de notre débat démocratique. Pour honorer les quatre personnes tuées lors de l’attentat antisémite contre un magasin casher de la porte de Vincennes. Pour rendre hommage à toutes les victimes, policiers, correcteur, agent d’entretien. Pour ne pas oublier les très nombreux blessés tant lors de l’attaque dans les locaux de l’hebdomadaire satirique que lors des deux prises d’otages qui s’en sont suivies vendredi.

Cabu vu par le dessinateur Damien Glez.Cabu vu par le dessinateur Damien Glez.

Manifester pour nous tous également. Sans reprendre à tout coup l’appellation très officielle de « marche républicaine » voulue par l’Élysée et de nombreux responsables politiques. Mais par la seule volonté de se joindre à un vaste rassemblement citoyen qui se tiendra dimanche à Paris, à 15 heures, de la République à la Nation. Car durant ces journées d’abattement, les meilleures des réponses sont venues de la société. Elles n'ont pas seulement été portées par une immense émotion – nous avons tous grandi avec Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, avec les scandaleux et abrasifs dessins de presse. Plus que cette émotion quasi intime, c’est aussi un énorme sursaut civique qui a donné corps à cette trop abstraite devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.

Liberté et pas seulement liberté de la presse, tant à travers l’équipe de Charlie se jouait aussi la conquête de l’esprit, celle de l’expression jusque dans tous ses excès. Il ne s’agit aucunement là de droits des journalistes, mais bien des libertés fondamentales des citoyens dont la première est la liberté de penser et de dire.

Égalité ensuite, car à l’exception de l’extrême droite et de ses relais rassis (Ivan Rioufol du Figaro, Yves de Kerdrel de Valeurs actuelles, et quelques autres), les amalgames et polémiques nauséabonds sur la question de la « responsabilité » des musulmans nous ont été épargnés, aussitôt endigués par d’innombrables appels venus de toutes parts et que l’on peut résumer en un « Tous égaux, tous citoyens ».

Fraternité enfin car ces jours ont été un exceptionnel moment de solidarité et de mobilisation collective. En France, avec plus de 100 000 personnes qui se sont rassemblées spontanément mercredi soir, des dizaines de milliers qui l’ont encore fait jeudi soir. Et, il faut l’espérer, des centaines de milliers qui le feront dimanche. Solidarité à l’étranger également où les initiatives, les messages, les témoignages ont afflué de toutes parts.

Il est des moments rares dans une République et celui-là en est un. Le 31 décembre, nous vous proposions « les vœux de courage de François Morel » pour 2015. L’humoriste (et plus que ça) avait vu juste. « Mon cher compatriote, même si la connerie prospère en même temps que le racisme, le désespoir et le ricanement, tu résistes, disait-il. Oui, mon cher compatriote, souvent, tu m’épates, tu m’épates, tu m’épates. »

Continuons à « épater » François Morel. Manifestons. Défilons. Et défilons sans cette « union sacrée » soudain réclamée par François Hollande et Manuel Valls qui, ce vendredi, nous a asséné un « Nous sommes en guerre contre la terreur », formule martiale faite pour empêcher de penser, et renvoyant de manière calamiteuse aux déclarations de George Bush et des faucons américains au lendemain du 11-Septembre. Nous venons de célébrer le centenaire de la guerre de 14-18, cette gigantesque boucherie justement conduite sous les auspices de « l’union sacrée ». Nous ne manifesterons pas avec François Hollande, Angela Merkel, David Cameron, Mariano Rajoy, Matteo Renzi, Nicolas Sarkozy ou Brice Hortefeux, dans cette unité confuse qui tient lieu d’unanimisme béat, donc dénuée de sens et, surtout, de projet.

Le sursaut citoyen n’a jamais été l’unité nationale. Heureusement, de nombreux responsables de gauche l’ont compris en refusant déjà de convier le Front national à ce rassemblement. Marine Le Pen dit s’en outrager. Tant mieux. Et tant pis pour François Fillon et Rachida Dati qui ont cru bon de déplorer cette « exclusion », révélant une fois de plus la médiocrité de leurs petits calculs.

Le parti d’extrême droite s’est construit sur la haine de la liberté de la presse. Aujourd’hui encore, outre les nombreux procès intentés à des titres, le FN dit avoir ses « listes noires » de journalistes, a régulièrement interdit Mediapart mais aussi l’équipe du Petit Journal à ses manifestations. Dernière interdiction en date : le congrès du mouvement des Le Pen, qui s’est tenu à Lyon en décembre dernier (lire ici). « Ils ne sont pas des journalistes », a expliqué Marine Le Pen, s’arrogeant ainsi le droit de décréter qui est habilité à informer et qui ne l’est pas. Charlie Hebdo, qui entretenait une aversion militante à l’encontre du FN, a été l’objet de dizaines de plaintes de l’extrême droite. La seule décence interdit à Marine Le Pen de vouloir manifester.

De plus, ce parti, quoi qu’il en dise, n’en a pas fini avec les remugles antisémites qui constituent encore aujourd’hui une lourde part de son héritage comme des raisons de l’engagement de certains de ses militants. Enfin, faisant de la préférence nationale, de la dénonciation incessante de l’immigration son fonds de commerce, le Front national ne cesse de creuser les fractures de la société française. Ses obsessions contre un islam vite assimilé à un radicalisme susceptible de verser dans le terrorisme sont l’un des principaux moteurs des peurs françaises. Comment envisager de défiler auprès d’un parti qui efface la citoyenneté, en renvoyant les individus d’abord à leurs origines et à leur religion pour mieux justifier ses ambitions discriminatoires ?

Dessin de  Damien MacDonald. <a href="http://damienmacdonald.com/%7Calign=center%7Chref=%5D">http://damienmacdonald.com/Dessin de Damien MacDonald. http://damienmacdonald.com/

Depuis l'attaque de Charlie Hebdo, les déclarations de Marine Le Pen, sans parler même de celles d’autres dirigeants d’extrême droite, résonnent comme un avertissement sur les menaces à venir. Car, en marge de ce sursaut civique, les ombres sont là, et pas seulement dans les ignominies énoncées sur les réseaux sociaux.

Depuis mercredi, au moins dix-huit actes antimusulmans ont été répertoriés. Sept mosquées ou lieux de culte ont été attaqués. À Corte, une tête de porc et des viscères ont été découverts accrochés à la porte d’une salle de prière. Quatre coups de feu ont été tirés sur une mosquée de Saint-Juéry (Tarn). Des inscriptions racistes ont été faites sur la mosquée de Bayonne. Des croix gammées ont été dessinées à Liévin. À Béthune, le tag « Dehors les Arabes » était visible sur une palissade du lieu de culte en construction. À Rennes, les inscriptions « Er maez » – « Dehors » en breton – et « Arabes » ont été taguées sur la façade d’un centre cultuel musulman. À Bischwiller, un tag « Ich bin Charlie » a été découvert sur le mur extérieur d’une nouvelle mosquée.

L’enjeu est là : dans la dislocation d’une communauté citoyenne (lire l'article d'Edwy Plenel : L’idéologie meurtrière promue par Zemmour). Que le Front national, qui n’a pas eu un mot pour dénoncer ces attaques, comme il n’a pas eu un mot pour s’inquiéter des manifestations contre l’islam qui, en Allemagne, ont provoqué un tollé, ose prétendre manifester n’est qu’une provocation supplémentaire. L’embarras est qu’une partie de la droite et de rares voix à gauche ne s’en soient pas plus indignées. Car l’« union nationale » demandée par l’exécutif s’accompagne de petites opportunités tout aussi détestables.

« S’il est bien que les partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique, s’emparent de ce débat, c’est d’abord au citoyen de le mener, écrivent les associations (Licra, Mrap, LDH, Touche pas à mon pote) qui avaient initialement annoncé un rassemblement disjoint de celui des partis (lire notre article ici). Voyant leur initiative comme confisquée par l’exécutif et le Parti socialiste, elles se sont exaspérées, vendredi, de ces tentatives de récupération.

Cela doit-il nous dissuader de défiler ? Nullement. Bien au contraire, ce réveil de la société s’accompagnera d’un réveil de notre débat public. Depuis des années, Mediapart n’a cessé de documenter les dangereux égarements d’une politique étrangère et d’une politique sécuritaire ignorant nos nouvelles réalités sociales comme les grands basculements du monde, et tout particulièrement du monde arabe. Les frères Kouachi, Coulibaly, comme Merah, ne sont pas plus musulmans qu’islamistes. Ils sont des Français, passés par la délinquance et la case prison avant de s’enfermer dans une radicalisation terroriste habillée de quelques minables oripeaux idéologiques.

Ce terrorisme est né sur les décombres de dix années de conflit en Irak, d’une « guerre mondiale contre le terrorisme » voulue par George Bush, guerre qui a légitimité la systématisation de la torture, l’espionnage généralisé, la mise à bas de précaires équilibres dans le Moyen-Orient, et des centaines de milliers de morts. Ce terrorisme s’est développé sur les ruines de la Libye, certes débarrassée du dictateur Kadhafi, au terme d'un conflit aveugle mais intéressé engagé par Nicolas Sarkozy, qui a laissé un pays englouti dans les luttes entre factions sans que la communauté internationale ne tente de construire le début d’un processus politique.

Quelques jeunes Français peuvent aujourd’hui commettre l’innommable. En 1995, Khaled Kelkal, actionné par le GIA algérien, était tué par la police après avoir commis plusieurs attentats en France (lire ici notre précédent article, Kelkal, une histoire française). Nous avions alors découvert l’itinéraire d’un jeune immigré de banlieue dont l’histoire résumait à elle seule les impasses des politiques sociales alors à l’œuvre (éducation, intégration, ville, formation professionnelle). Vingt ans plus tard, tous les appels à une « guerre contre le terrorisme », toutes les interventions militaires du Sahel à la Syrie ne répondront en rien à cette question toujours là. À cette question d'abord franco-française : celle de la construction de notre vivre ensemble au travers de projets politiques partagés.

Le terrorisme va mettre durablement notre société à l’épreuve. Et c’est pourquoi, au-delà de sa traque policière, il appelle une mobilisation de celle-ci, une contre-offensive politique et intellectuelle qui réussisse à la mobiliser et à la rassembler, sans exclure quiconque de celles et ceux qui font la France.

Le surgissement meurtrier du réseau Kouachi-Coulibaly, perdu de vue par les services de renseignement après avoir été dans leur ligne de mire (lire notre enquête), annonce sans doute d’autres crimes, d’autres drames, d’autres massacres. Or cette terreur ne menace pas que nos vies, elle menace surtout nos libertés.

Elle est une provocation à sortir de nous-mêmes, de nos gonds et de nos défenses, à perdre confiance dans cela même qu’elle vise : la démocratie, cette force fragile, cette apparente faiblesse qui est ainsi mise au défi de prouver sa force tranquille.

Céder à la politique de la peur, à cet affolement qui maltraite la démocratie elle-même et qui divise le peuple en désignant des boucs émissaires, serait la victoire des assassins, précisément ce qu’ils cherchent, l’engrenage sans fin d’une guerre des civilisations, des religions et des identités.

Nous connaissons ce piège, d’expérience mondiale vécue puisque, aujourd’hui, nous en payons, en partie, le prix. C’est celui dans lequel sont tombés les États-Unis d’Amérique après le 11 septembre 2001, aggravant profondément les désordres du monde plutôt que de réussir à les réduire durablement.

Dès 2003, un ancien conseiller de Bill Clinton, Benjamin Barber, mettait en garde contre ce piège. « Ce n’est pas le terrorisme mais la peur qui est l’ennemi, et au final la peur ne vaincra pas la peur, écrivait-il dans L’Empire de la peur (Fayard, 2003). L’empire de la peur ne fait aucune place à la démocratie, tandis que la démocratie refuse d’en faire une à la peur. »

Un piège, c’est précisément ce mot qu’a employé l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter, dès le lendemain du massacre de Charlie Hebdo. « Les terroristes nous tendent un piège », alertait-il dans Libération tandis que, le même jour, dans Le Monde, l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, aux premières lignes en 2003 face aux néo-conservateurs américains, lui faisait écho en lançant : « Résistons à l’esprit de guerre. »

Exprimées par des personnalités de gauche comme de droite, ces mises en garde sont un appel à ne pas répéter l’erreur fatale de l’après-11-Septembre. Et surtout à ne pas basculer dans la désignation de boucs émissaires. « Ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis, affirme Robert Badinter. Ce serait là un piège que l’Histoire a déjà tendu aux démocraties. Celles qui y ont cédé n’ont rien gagné en efficacité répressive, mais beaucoup perdu en termes de liberté et parfois d’honneur. »

Mais, poursuit-il, le piège tendu par les terroristes, c’est aussi leur espoir « que la colère et l’indignation qui emportent la nation aboutiront chez certains à un rejet et une hostilité à l’égard de tous les musulmans de France. Ainsi se creuserait le fossé qu’ils rêvent d’ouvrir entre les musulmans et les autres citoyens. Allumer la haine entre les Français, susciter par le crime la violence intercommunautaire, voilà leur dessein, au-delà de la pulsion de mort qui entraîne ces fanatiques qui tuent en invoquant Dieu. Refusons ce qui serait leur victoire. Et gardons-nous des amalgames injustes et des passions fratricides ».

Aux terroristes, à la peur, s’ajoute donc ce « troisième ennemi », fait écho Dominique de Villepin : « le rejet ». « Notre pays se crispe de jour en jour, écrit-il dans un propos qui contraste, et c’est peu dire, avec les tentations qui traversent sa famille politique, l’UMP. Ses élites se tournent chaque jour davantage vers des discours de division et d’exclusion permettant tous les amalgames. L’Histoire nous enseigne que lorsque les digues sautent, le pays risque l’effondrement. Si nous aimantons la violence, c’est parce que nous sommes divisés, faibles, repliés sur nous-mêmes ; un pays blessé qui perd son sang. Les polémiques littéraires, les démagogies partisanes, nous montrent que l’enjeu n’est pas tant de nous sauver des autres, d’invasions ou de remplacements supposés, mais de nous sauver de nous-mêmes, de notre renoncement, de notre narcissisme du déclin, de notre tentation occidentaliste et suicidaire. »

Nous manifesterons donc dimanche contre la peur et contre le rejet, contre cette terreur qui est un appel à la peur et au rejet. Nous ne vaincrons pas le défi durable que nous lance ce terrorisme issu de la crise de nos sociétés et nourri des déséquilibres du monde, où le ressentiment social donne la main au fanatisme religieux, sans mobiliser un imaginaire supérieur qui appelle des réponses politiques, inventives et créatrices, dynamiques et audacieuses.

Cet imaginaire, c’est celui des causes communes qui, autour des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, sauront réunir notre peuple dans sa diversité et sa pluralité. Un peuple à l’image des victimes de ces trois journées tragiques qui mêlent origines, cultures, identités, croyances et apparences les plus variées. L’image de la France en somme. Telle qu’elle est, telle qu’elle vit, telle qu’elle travaille. Telle qu’elle résiste. Telle qu’elle nous épate.

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Isolé, le FN fait son « unité nationale » à l’extrême droite

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Marine Le Pen a trouvé sa parade médiatique. La présidente du Front national a appelé samedi ses partisans à défiler dimanche en province et non dans le cortège parisien, qu’elle juge « récupéré » par les autres partis politiques. Durant cette semaine tragique, le Front national n’a en réalité pas joué longtemps le refrain de l’unité nationale et du refus des amalgames.

Renvoyé à sa marginalisation, le parti a repris sa dénonciation d’un supposé « système UMPS » et n’a eu de cesse de lier, plus ou moins explicitement, terrorisme et immigration. Sur les réseaux sociaux, une partie du Front national et l’extrême droite la plus radicale ont relayé les mêmes amalgames et arguments. Récit.

Jouer les victimes du « système » qu’elle dénonce, sans se marginaliser totalement au point de mettre en danger sa stratégie de « dédiabolisation ». C’est ce qu’a tenté de faire Marine Le Pen samedi, en annonçant les consignes à ses troupes pour ce week-end de manifestations en hommage aux victimes des attentats terroristes. « Le rejet de la barbarie appartient à tous les Français. Alors nous, élus de la nation, nous prendrons part au défilé là où l'esprit de tolérance est le plus fort, là où le sectarisme se fait moins violent. Nous irons aux côtés du peuple français, avec le peuple français, un et indivisible », a déclaré la présidente du FN dans une vidéo diffusée sur le site du parti, samedi après-midi.

Les responsables du FN se répartiront donc dans plusieurs villes – essentiellement les municipalités frontistes –, même si certains maires FN ont déjà expliqué qu'ils n'organiseraient aucune marche, comme ceux de Villers-Cotterêts ou du 7e secteur de Marseille. La patronne du Front national défilera elle à Beaucaire (Gard) aux côtés du maire Julien Sanchez et du député Gilbert Collard. Florian Philippot marchera lui à Metz.

Mercredi, après l’attentat à Charlie Hebdo, Marine Le Pen s’était efforcée de parler d’unité, et de rejeter toute confusion entre « nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs » et « ceux qui croient pouvoir tuer au nom de l’islam », tandis que sur Twitter, Florian Philippot, vice-président du FN, défendait l’idée d’une « unité nationale » et d’une « marche d'union entre tous ». Mais cette ligne n'a pas résisté longtemps. L'autre vice-président du parti, Louis Aliot, a remis en cause sur LCI un concept qui « ne veut rien dire ». Jean-Marie Le Pen, le président d’honneur du FN, a lui clairement refusé dans le Figaro « de soutenir l'action gouvernementale impuissante et incohérente », tout en ironisant sur « les limites de cette union nationale ».

S'estimant exclue de la manifestation de dimanche, Marine Le Pen s’est elle aussi mise à dénoncer « une manœuvre politicienne minable » et a expliqué ne pas vouloir « être intégrée à l'union nationale » qui n'est « pas un chantage où l'on peut venir à condition de la fermer ». Samedi, elle a fustigé un cortège parisien « récupéré par des partis qui représentent ce que les Français détestent : l'esprit partisan, l'électoralisme et la polémique indécente »

C’est pourtant le Front national lui-même qui a donné cette semaine l’image d’un parti centré sur ses propres affaires et résultats électoraux, alors que les forces de l’ordre traquaient les terroristes en Seine-et-Marne et à Paris. En pleine prise d’otages vendredi matin, la présidente du FN tweete son intervention à iTélé, dans laquelle elle dénonce son « exclusion » de la marche. « Nous sommes coupables d’être innocents en réalité, c’est-à-dire d’avoir peut-être su avant les autres, parlé avant les autres », « et cela on nous le fait payer très cher ». « Mes électeurs constateront eux-mêmes qu’ils ne sont plus les bienvenus de la part des partis du système », dit-elle à iTélé.

Vendredi après-midi, alors qu’une deuxième prise d’otages a lieu dans le supermarché Hyper Cacher et que certains médias évoquent déjà des victimes, Jean-Marie Le Pen appelle à voter pour sa fille sur Twitter, en postant une affiche qui détourne le celèbre « Keep Calm and Carry On » du gouvernement britannique en 1939 :

Cet appel est diffusé par des membres du parti, comme Antoine Mellies, président d'un des collectifs frontistes, mais plus largement aussi à l’extrême droite, notamment par Serge Ayoub, le leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) dissoutes en 2013.

Vendredi toujours, Louis Aliot relaye sur Twitter cette affiche attribuée au FNJ et postée par un jeune frontiste :

Le Front national n’a pas caché son désir de profiter électoralement de la situation. Jeudi, dans le Parisien, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, évoquait un possible « impact électoral » en faveur de Marine Le Pen, « car nous avons toujours tenu un discours d'extrême fermeté contre les dangers de l'islam radical en France ». Le lendemain, Libération citait un proche collaborateur de la présidente du FN qui expliquait « Les autres formations politiques se sont mises elles-mêmes dans ce piège consistant soit à nous considérer comme un parti comme les autres, soit à nous exclure, sans que cela nous empêche de progresser dans les urnes. »

Parallèlement, plusieurs responsables frontistes ont agité les peurs. « 2 terroristes sont morts. Combien de djihadistes "français" sont encore là, sur notre sol ? Combien les soutiennent en publiant #JeSuisKouachi ? », écrit Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, sur Twitter. « Des tarés qui dans leurs tweets osent se féliciter du carnage à #CharlieHebdo, combien passeront à l'acte demain ? #cinquiemecolonne », interroge Éric Domard, conseiller sports de Marine Le Pen et membre du bureau politique. « 12 Français massacrés en plein Paris et certains pensent encore que ce sont des marches qui arrêteront les fous d'Allah...», tweetait-il déjà mercredi.

L’absence du Front national à la marche de dimanche à Paris a surtout été l’occasion de voir une partie des troupes du Front national échanger sur les réseaux sociaux avec le reste de l'extrême droite, relayer les mêmes amalgames, ou les mêmes slogans. Comme ce tweet et cette photo, largement partagés par frontistes et identitaires :

Un autre slogan des identitaires est apprécié par certains au Front national : « Je suis Charlie Martel » – en référence à Charles Martel et la bataille de Poitiers, devenus des marqueurs de l'extrême droite identitaire. Ces quatre mots sont imprimés sur de nouveaux T-shirts et sweats mis en vente cette semaine par les identitaires dans leur boutique.

Tweet du président du Bloc identitaire, Fabrice Robert.

Jean-Marie Le Pen et Julien Rochedy, l’ancien président du FNJ, font partie des frontistes qui ont clamé haut et fort ce slogan. « Je ne suis pas Charlie du tout, je suis Charlie Martel si vous voyez ce que je veux dire! », a répondu au HuffPost le président d'honneur du FN. Face aux réactions d'indignation, Julien Rochedy assume « Ravi de faire réagir avec mon #JeSuisCharlieMartel tous les pisse-froids qui sont les responsables de la situation. Continuez les autruches. »

De son côté, le chef de cabinet de Marine Le Pen, Philippe Martel, qui avait fait appel au savoir-faire des identitaires pour sa campagne dans le XVIIIe arrondissement de Paris, partage le tweet du leader des identitaires sur des lycéens qui « crient "Allah Akbar" pendant la minute de silence », et plaisante avec l’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », lui aussi proche des identitaires, sur une tribune publiée par Libération :

Ancien responsable des jeunes identitaires devenu chargé de communication du maire FN de Beaucaire, Damien Rieu relaye abondamment depuis plusieurs jours les thèses de Génération identitaire sur l’air du “on vous l’avait bien dit”, dont cette vidéo :

Pendant la prise d’otages visant des juifs porte de Vincennes, plusieurs responsables frontistes affichent les mots-clés « Je suis un policier » ou « Je suis GIGN ». Le souverainiste Paul-Marie Coûteaux, qui fut l’un des porte-parole de Marine Le Pen en 2012, estime que « ce n'est plus #CharlieHebdo, ce sont les policiers et l'État qui sont visés. Ne pas dire #JeSuisCharlie mais #JeSuisUnPolicierFrançais ». « Sept siècles après ses premières agressions, l'Islamisme fait derechef la guerre à notre civilisation – bien au-delà de Charlie. Cette guerre, soit nous la menons et nous la gagnerons soit nous nous dérobons et nous serons broyés », estime-t-il encore sur Twitter.

L’actualité est l'occasion pour l’extrême droite de déployer ses amalgames et arguments anti-immigration. Éric Domard, l'un des conseillers de Marine Le Pen, fustige ainsi le « vivre-ensemble imposé par les talibans du multiculturalisme et de la France pour tous », que symbolise selon lui « le hashtag #JeSuisKouachi ». Fabien Engelmann, maire d’Hayange condamné à un an d'inéligibilité, et proche du collectif anti-islam Riposte laïque, estime que « l'exclusion du FN de la manif est absolument conforme au scénario de Houellebecq. Il s'agit d'un acte inconscient de Soumission à la charia ».

Jean-Marie Le Pen a lui évoqué « un problème qui touche, évidemment de très près, à l'immigration massive subie par notre pays depuis quarante ans »« L’UMPS va faire quoi maintenant ? Bah tout pareil pardi. Immigration massive, guerre contre Bachar (al-Assad), antiracisme, école progressiste, etc. », a aussi ironisé Julien Rochedy.

Quant à Jean-Yves Le Gallou, un ex-FN devenu l’une des figures identitaires, il rejoint les adversaires d'une marche d'unité nationale au FN : « La marche charlie vise à exonérer l'UMPS de ses responsabilités dans l'immigration galopante et la déstabilisation Syrie+Libye. » Il partage aussi l’opinion de Robert Ménard, maire de Béziers soutenu par le FN, qui a expliqué mercredi qu'il fallait « cess(er) la politique de l'autruche : non les assassins de charlie ne sont pas des fous et des marginaux ».

Les identitaires comme les groupuscules islamophobes se sont aussi activés pour tirer profit des événements. Très présent sur Internet, le Bloc identitaire n’a pas manqué de remettre sur la table la « remigration » qu’il réclame. Dans un communiqué, le mouvement s'en prend à « l’union nationale derrière ces dirigeants qui ont failli mille fois » et affirme que « personne ne pourra prétendre lutter contre le djihadisme sans remettre en cause l'immigration massive et l'islamisation ».

L'affiche de la manifestation de Riposte laïque.L'affiche de la manifestation de Riposte laïque.

De son côté, Risposte laïque et son satellite Résistance républicaine ont organisé jeudi soir un rassemblement non autorisé d’une cinquantaine de personnes, place de la Bourse, contre « l’islamisation » de la France. Ces deux collectifs comptent bien profiter d’un autre rassemblement prévu le 18 janvier, et annoncé deux jours avant l’attaque de Charlie Hebdo, sous cet intitulé : « Pegida-Zemmour-Houellebecq-Paris 18 janvier… En avant pour la Reconquista ! »

Riposte laïque se rêve en Pegida français, du nom de ce mouvement allemand qui organise depuis octobre des manifestations hebdomadaires « contre l’islamisation de l’Occident ». Une délégation du groupuscule allemand a d’ailleurs été conviée le 18 janvier. C’est ce qu’ont annoncé samedi les dirigeants de Riposte laïque, dans leur communiqué « Non à l’Union sacrée UOIF-UMPS-UE, oui aux Résistants français aux côtés de Pegida ». Ils expliquent aussi qu’ils prendront la parole le 12 janvier lors d'une manifestation de Pegida à Düsseldorf, « suite aux événements français ».

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Olivier Roy: «La communauté musulmane n'existe pas»

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© Emmanuel Guibert.


Olivier Roy est professeur à l’Institut universitaire européen, où il dirige le Programme méditerranéen. Il est notamment l’auteur de L’Islam mondialisé (Le Seuil, 2002), La Sainte Ignorance (Le Seuil, 2008) et En quête de l’Orient perdu (Seuil 324 p., 21,00 €). Entretien.

Vous refusez la comparaison entre les attentats de Paris et le 11-Septembre 2001 ?

Oui, en termes d'intensité, cela me semble quand même différent. New York, c'est 3 000 morts, une opération minutieusement préparée, dirigée de l'extérieur ; c’est le produit de lancement d'Al-Qaïda qui passe alors à la menace stratégique globale. Ici, en France, on a des crimes commis par trois petits branleurs qui ont appris à manier la kalachnikov au Yémen. L'impact symbolique et émotionnel est considérable, mais en termes de sécurité ou de géostratégie, on n'est pas dans la même dimension.

En outre, je suis un peu surpris de l’intensité de cet impact symbolique et émotionnel, alors qu'il n'y a pas beaucoup de différence avec les tueries perpétrées par Mohamed Merah, qui n'avaient pas eu la même résonance. Il y a là un débordement affectif qui me paraît révélateur d'une angoisse profonde.

La France a connu plusieurs attentats qui n'ont pas déclenché une telle panique, ni cet appel à l'unité nationale qui me semble être le reflet d'une fausse unanimité : s’il y a unité, pourquoi rejeter le FN de la manifestation, et s’il n’y a pas unité, pourquoi faire comme si les clivages ou les différences d’opinion avaient brutalement disparu ? Ces derniers reviendront avec d’autant plus de force qu’ils auront été artificiellement gommés sous le nouveau politiquement correct.  

L'hommage aux victimes est indispensable et la compassion nécessaire, mais je ne comprends pas pourquoi il n'y a quasiment aucun mot sur les victimes de Vincennes au regard d'une telle mobilisation pour Charlie Hebdo, qui était par excellence le journal insolent, contestataire, capable de rire de tout, abhorrant les unanimismes de façade…

Comme si à chaque attentat il y avait les « vraies » victimes et des victimes collatérales ; or, si Charlie Hebdo était bien visé en tant que tel, on peut supposer que Coulibaly n’est pas entré par hasard dans un établissement juif. Et puis, je ne peux m'empêcher de sentir une forme d'auto-apitoiement corporatiste d'une partie des médias qui me semble très éloigné de l'esprit de Charlie

L'antisémitisme est-il constitutif du djihad ?

L'antisémitisme n'est pas constitutif de la stratégie des états-majors du djihad. Ni Ben Laden, ni Baghdadi n'ont fait des juifs leur cible principale. Pour eux, le conflit israélo-palestinien n'est pas la matrice de tous les conflits : l’ennemi c’est l’Occident pour le premier, et les « hérétiques » c’est-à-dire les chi’ites, pour le second. En revanche, chez les jeunes radicaux islamistes mobilisés en Occident, l’antisémitisme est une dimension fondamentale, mais qui fait partie d’une culture partagée avec bien d’autres.

En effet, cet antisémitisme latent n'est pas spécifique aux jeunes Beurs de banlieue. Il suffit de regarder le public de Soral ou Dieudonné. Sans référentiel musulman, ils distillent un antisémitisme qui a un impact sur une jeunesse qui se sent marginalisée, quelles que soient ses références religieuses. On fait de l'islam une ligne de clivage en France, sans voir tout ce qui se partage de part et d’autre, et tout ce qui est transversal dans ces formes de violence et dans cet antisémitisme, qui n'est pas spécifique aux jeunes musulmans. Il suffit de lire les commentaires des lecteurs dans les sites web des journaux et des blogs pour s'en rendre compte…

Chérif Kouachi avait tenté de faire évader l'artificier des attentats de 1995. Existe-t-il un continuum djihadiste depuis les années 1990 ?

Oui, je ne crois pas à ces histoires de djihadistes de première, de deuxième ou de troisième génération. On invente une nouvelle génération dès qu'on ne comprend pas ce qui se passe. Il existe donc une continuité, dans la permanence de personnages comme Beghal ou dans la transmission, qui se fait notamment en prison. C'est comme dans le milieu des gangsters, il y a des figures mythiques, une transmission, une mythologisation des anciens, renforcée par le rôle pédagogique de la prison.

Cette continuité ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'évolution. Je pense que cette évolution se situe moins sur le nombre de convertis qui, selon moi, est une constante que l’on perçoit seulement aujourd’hui – le groupe Beghal comportait déjà environ un tiers de convertis –, mais plutôt sur l'importance croissante prise par les femmes. Par conséquent, le djihad se fait désormais de plus en plus souvent en famille, entre frères, ou avec femmes et enfants, que ce soit en France ou au départ vers la Syrie…

Comment et pourquoi cette idéologie meurtrière séduit-elle de petits Parisiens ?

Ma thèse est que la raison principale de cette radicalisation est le croisement entre un référentiel musulman d’une part et d’autre part une culture de la violence, du ressentiment, de la fascination nihiliste pour un héroïsme malsain, négatif et suicidaire, celui des jeunes tueurs de Columbine qui massacrent les gens de leur école et se mettent en scène dans des vidéos en ligne avant de passer à l’action et de mourir, car la mort est toujours la fin de l’histoire (ce qui fut aussi le cas de la bande à Baader).

Le « djihad mondialisé » est pratiquement la seule idéologie globale disponible sur le marché aujourd'hui, comme la révolution était l'idéologie standard des jeunes en rupture dans les années 1970. En mettant l'accent principalement sur les éventuelles sources coraniques de la violence – un Coran que ces jeunes occidentalisés connaissent souvent d'autant plus mal qu'ils ne parlent pas ou pas bien l'arabe –, on ignore simplement la profonde continuité du terrorisme islamique avec cette culture jeune de la violence et du fantasme de toute-puissance, celle de l’effet Columbine aux États-Unis, celle qui explique le succès de films comme Scarface dans les banlieues, sans parler des jeux vidéo ou de Born to Kill.

KalachnikovKalachnikov

Ce que je vais dire est à prendre avec des pincettes, mais je trouve l'exemple de Marseille intéressant. Marseille n'a jamais été partie prenante des radicalisations politiques. Dans les années 1970, la Gauche prolétarienne puis Action directe n'ont pas été représentées à Marseille. Et aujourd'hui, le radicalisme islamiste n'existe guère non plus. Alors que ces organisations de gauche radicale des années 1970 ou 1980 ont été, comme l'islamisme radical aujourd'hui, surreprésentées à Grenoble, Lyon, Lille ou Paris. Mon hypothèse est que Marseille et sa culture de violence locale et de banditisme offre des débouchés à cette culture de la violence, qui n'a alors pas besoin d'en passer par la radicalisation politique. Les jeunes gangsters de Marseille sont dans la même mise en scène de la violence spectaculaire, dans cette culture du surhomme, mais ne s'arrogent pas le droit de vie et de mort sur n'importe qui.

Mais quand on interroge les mères des gangsters ou les mères des djihadistes, on voit qu'elles sont toutes atterrées par la radicalisation religieuse ou délinquante de leurs enfants, qui ont quelque chose en commun (et d’ailleurs beaucoup de djihadistes sont d’anciens loubards). Elles ne comprennent pas pourquoi, quand elles disent à leurs fils qu'ils vont mourir, cela ne les arrête pas. Mais ces jeunes sont fascinés par la toute-puissance et le culte du surhomme. Ils savent qu'ils vont crever, mais s'en foutent. On est dans la même problématique que Mesrine, même si celui-ci n'était pas un tueur de masse. Et on est passé de la culture du révolver à la culture de la kalachnikov, qui fait plus de dégâts.

Pourquoi ces attentats ont-ils lieu aujourd'hui ?

Il me semble que le phénomène est plus sociologique, structurel, que géostratégique. On aurait pu penser que les tueurs de Charlie Hebdo et de la supérette cacher se réclameraient de l’État islamique, mais ils se réclament d'Al-Qaïda au Yémen, parce que c’est là qu’ils sont allés, parce que c’est leur histoire personnelle. Et leurs complices sont leurs copains, pas des militants qui les rejoindraient par conviction. Ce qui compte pour eux, c'est davantage leur itinéraire personnel que la géopolitique contemporaine.

Chérif Kouachi semble être passé par des groupes religieux fondamentalistes. Cela fragilise-t-il la distinction entre l'islam salafiste, qui peut être quiétiste, et l'islam radical porté vers le djihad ?

Beaucoup des jeunes djihadistes sont passés par des groupes fondamentalistes, tablighis ou surtout salafistes. Mais je crois qu'il faut plutôt comprendre cela comme une trajectoire de jeunes qui se cherchent, qui tâtent de la délinquance, du tabligh, du salafisme, pour enfin trouver leur « voie »…

Dans un vrai groupe tablighi ou salafiste, vous avez une discipline à laquelle ils ont souvent du mal à se plier, avec des levers à 5 heures du matin, de la prédication religieuse, le règlement interne du groupe. Les jeunes djihadistes font souvent des passages par des groupes fondamentalistes, mais n'y restent, la plupart du temps, pas longtemps. S'ils restent dans le groupe, ils vieillissent et se calment. On n'a quasiment pas d'exemples de personnes qui passent dix ans dans un groupe salafiste avant de passer au djihad.

De même, beaucoup de jeunes qui rejoignent un camp d'entraînement en reviennent vite parce qu'ils ne supportent pas la discipline. Il est clair que les frères Chouaki ont bénéficié d'un entraînement militaire, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient fait partie d'une unité armée structurée. La manière dont ils ont pris la fuite et le fait qu'ils abandonnent une pièce d'identité, comme une forme de lapsus freudien, de volonté de signer leur acte personnellement, ressemblent plus aux gestes d'individus radicalisés en vadrouille qu’à celui de militants professionnels et aguerris.

Vous avez récemment écrit que cet acte terroriste transforme un débat intellectuel en question quasi existentielle : s’interroger sur le lien entre islam et violence conduit à s’interroger sur la place des musulmans en France. De quelle manière ?

Aujourd'hui, même des intellectuels antiracistes se demandent : est-ce qu'il n'y a pas quelque chose dans l'islam qui mène à ce genre de massacres ? Jusqu'ici, cette interrogation était réservée à certains pôles idéologiques : les populistes anti-immigration, la droite identitaire anti-islam et même une frange de la laïcité militante. Maintenant, cette idée est devenue un cliché et ce genre de parole s'est libéré, notamment depuis le débat sur l'identité nationale lancé par Sarkozy. C'est devenu le nouveau politiquement correct, même si des journaux comme Causeur continuent d'affirmer qu'ils brisent les tabous et le politiquement correct en posant ce type de questions. 

Or, tout ce discours essentialiste n'est fondé sur aucune réalité sociologique, mais valorise une lecture théologique qui n’est que l’addition de quelques clichés sur la nature de l’islam (« en islam il n’y a pas de séparation entre religion et politique ») empruntés justement soit aux fondamentalistes eux-mêmes, soit à un orientalisme désuet. On ne s’intéresse pas à l’islam réel, c’est-à-dire à la religiosité et à la pratique concrète des croyants, dans leur diversité.

Et puis comme d’habitude on mélange constamment « ethnicité » et « religion », tout en étant incapable de définir correctement l’un ou l’autre. La confusion est bien illustrée par le débat sur les « statistiques ethniques ». Au lieu qu’il s’agisse d’un débat disons « scientifique » (ce qu’il est quand même pour de vrais démographes), il est devenu idéologique et normatif. Entre ceux qui accusent les « progressistes » de refuser de voir les faits (par exemple la surreprésentation des jeunes d’origine musulmane dans les prisons), et ces mêmes progressistes qui mettent en garde contre la stigmatisation des populations d’origine immigrée, on a du mal à poser les « vraies » questions : qu’est-ce qui relève du « pur » religieux, du culturel, du social, et, le grand impensé du débat, du politique, ce même politique que nos hommes politiques dissimulent derrière la rhétorique et la fameuse « communication » qui fonctionne à plein dans la gestion du deuil des morts de Charlie Hebdo.

La France est bien plus mixte et bien moins communautarisée qu’on ne le dit. Quand le géographe Christophe Guilluy oppose les banlieues proches, peuplées de jeunes musulmans (les musulmans sont toujours jeunes, et réciproquement), et les « périphéries » pavillonnaires peuplées de petits Blancs, il oublie que ces dernières comptent nombre de familles d’origine musulmane qui ont joué l’ascension sociale et se retrouvent dans le ghetto de la zone pavillonnaire.

Cette cécité vient aussi du fait qu'on refuse de voir la présence des classes moyennes musulmanes dans notre société, en partie parce qu'elles ne veulent pas être vues. Mais la montée de ces classes moyennes est flagrante. On n'a pas besoin de statistiques ethniques pour prendre un annuaire et voir le nombre de médecins avec un nom arabe dans une ville moyenne, consulter la liste des professeurs d'un collège de province ou le nom des conseillers financiers d'une agence bancaire de la banlieue ouest parisienne.

Ces gens-là ne veulent pas être communautarisés et ne veulent pas parler au nom d’une communauté. Pourtant, on ne cesse de les renvoyer aux quartiers difficiles. Dans une ville comme Dreux, que je connais bien, les maires, de droite ou de gauche, ont longtemps systématiquement mis le conseiller municipal d'origine arabe adjoint aux sports ou aux quartiers (cela a changé) !

La machine à communautariser vient de la manière dont la République réduit ces classes moyennes musulmanes à des rôles de « grand frère », tout en maintenant à bout de bras des institutions soi-disant représentatives de l'islam de France, qui viennent de l'étranger et ne représentent pas cette classe moyenne intégrée et en ascension.

On va pêcher ici et là des « imams modérés » pour détourner les jeunes du djihad, lesquels imams parlent à peine le français, comme Hassen Chalghoumi, l'imam de Drancy. Alors que les jeunes djihadistes radicalisés qui parlent, eux, un meilleur français, sont peu susceptibles de suivre ce genre de sermons. On ignore aussi les « vrais » modérés qui vivent tranquillement sans chercher le micro inquisiteur qu’on tend à longueur de pseudo-reportages dans les banlieues.

Mais il n'existe pas de travail sérieux, ni politique, ni journalistique, ni sociologique sur les classes moyennes musulmanes. Les seuls représentants de ces classes moyennes qu'on aperçoit sont des femmes politiques, comme Vallaud-Belkacem, Bougrab ou Dati, dont on ne cesse de souligner qu'il s'agirait d'exceptions, parce que femmes.

Pourquoi écrivez-vous qu'il n'existe pas de « communauté musulmane » en France ?

C'est un fait. Il n'existe pas de communauté religieuse fondée sur l'islam, ni au niveau institutionnel, ni au niveau des écoles, ni en ce qui concerne les associations, et c'est plutôt une bonne nouvelle. Pourtant le gouvernement et les médias n'ont que ce mot à la bouche, tout en voulant lutter contre le communautarisme.

Or, si 30 % des enfants juifs seraient scolarisés dans des écoles confessionnelles (selon L’Arche n° 555, mai 2004), le chiffre concernant les musulmans ne doit pas dépasser les 0,1 % vu qu’il n’existe pas plus de 10 écoles confessionnelles musulmanes en France, les parents préférant d’ailleurs envoyer leurs enfants dans les écoles catholiques.

Il n'y a pas, chez l'immense majorité des musulmans, de désir de communautarisation, et si le ramadan est le rite le plus respecté c’est parce qu’il remplit aussi une fonction conviviale dans des espaces en crise de convivialité ; dire que le ramadan est une pratique communautaire, c’est comme si on disait que Noël pour les chrétiens ou les festnoz pour les Bretons sont du communautarisme (il y en a qui le disent).

On ne sait même plus faire la fête, comme aurait dit Charlie

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Enorme manifestation à Paris après les attentats

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Tout au long de la journée, les informations, les réactions, les éclairages sur la mobilisation citoyenne après la série d'attentats à Paris.


Nation. Place de la Nation, à Paris, encore beaucoup de monde vers 18 h 30.

© Marine Turchi



Gros chiffres. De deux à trois millions de personnes ont défilé ce dimanche, à Paris (où le ministère de l'intérieur juge impossible de faire un comptage précis, et parle d'un rassemblement « sans précédent ») et dans le reste de la France, où beaucoup de grandes, moyennes et petites villes ont connu d'importants cortèges. Plus de 50 000 personnes à Brest, 20 000 à Quimper et 20 000 à Vannes, 70 000 à Clermont-Ferrand, 35 000 à Tours, 11 000 à Châteauroux, 4 000 à Compiègne, 15 000 à Poitiers, 30 000 à La Rochelle, 15 000 à Périgueux, 20 000 à Angoulême, 10 000 à Libourne.


 

Porte de Vincennes. Beaucoup de monde au rassemblement à l'appel de Ligue de défense juive notamment devant l'Hyper Cacher cible d'un attentat vendredi qui a fait quatre morts. Plusieurs milliers de personnes selon notre journaliste sur place. On chante l'hymne israélien, on crie « Israël vivra, Israël vaincra ».



Irréductibles. Place de la République à Paris, point de départ du cortège, certains sont partis pour rester...



Failles. « Pourquoi la France a-t-elle échoué à déjouer les attaques terroristes ? » Le quotidien israélien Haaretz s’interroge aujourd’hui en Une du journal et de son site internet sur les raisons qui ont conduit à l’incapacité des services du ministère de l’intérieur à prévenir les attentats de Paris, et identifie « sept failles » dans le système sécuritaire français.



États-Unis. Le ministre de la justice américain, Eric Holder, a précisé, lors d’une interview à ABC, qu’il n’y avait pas, pour l’instant, « d’information crédible » prouvant qu’Al-Qaïda serait derrière les attentats de Paris. « À ce stade, nous n’avons pas d’information crédible qui puisse nous permettre de déterminer quelle organisation est responsable », a-t-il déclaré depuis Paris. Eric Holder a toutefois estimé qu’Al-Qaïda au Yémen et l’État islamique « posaient clairement une menace aux États-Unis ainsi qu’à leurs alliés »Dans une autre interview, enregistrée au préalable et diffusée dimanche matin par CBS, le ministre de la justice a par ailleurs exprimé sa crainte d’attaques sur le sol américain. « La possibilité de telles attaques existe », a-t-il déclaré. « Franchement, c’est quelques chose qui m’empêche de dormir, un loup solitaire ou un petit groupe de gens qui décideraient de prendre les armes et de faire ce qu’on a vu en France cette semaine ».


 

Un peu d'humour. Dans le défilé parisien :

 


Un million en province. Selon une estimation à 16 heures, il y aurait ce dimanche 230 manifestations dans toute la France, et près d'un million de manifestants sur tout le territoire, sans même compter l'affluence parisienne. Dont 80 000 personnes rassemblées sur le Vieux-Port à Marseille, et 70.000 rassemblés à Grenoble.


 

Matignon. Le premier ministre Manuel Valls intervient sur France 2 : « C'est au peuple aujourd'hui de s'exprimer. Ce sont des symboles forts. Paris est aujourd'hui la capitale du monde, de la liberté, de la démocratie. Ce qui est impressionnant, c'est le silence, les Marseillaise, la dignité. C'est la plus belle réponse à ce que nous avons subi. »



Chiffre. Les organisateurs avancent le chiffre de 1,5 million de manifestants. La préfecture de police fait savoir que, de son côté, il lui est impossible de donner un chiffre pour l'instant en raison de l'ampleur des mouvements.


 « Crayon ». Boulevard des Filles du Calvaire, vers 16 heures, une pancarte bien dans l'esprit de Charlie Hebdo...

© D.I.

Chanteur. Patrick Bruel, parmi la foule des manifestants, au coin de la rue Jean-Pierre Timbaud et du boulevard Voltaire.

© D.I.

CCIF. Le collectif contre l'islamophobie en France diffuse un communiqué dans lequel il explique pourquoi il ne défilera pas. « L'attaque contre Charlie Hebdo a eu lieu mercredi dernier entre 11h et 12h et dès que nous avons appris la nouvelle et bien qu'on ne connaissait pas encore l'identité des criminels, nous avons appelé à prendre l'initiative d'un rassemblement », explique d'abord le CCIF. « Mais ce qui devait être une manifestation d'union nationale devient peu à peu une tribune pour les idées islamophobes et la haine des musulmans. La présence de Netanyahou et de Libermann représente ce que la manifestation d'aujourd'hui est censée dénoncer. Ils sont racistes contre les Arabes, les Noirs, les musulmans et tout le reste mais surtout responsables de la mort de dizaines de milliers de Palestiniens. On a exclu Marine Le Pen parce qu'elle a tenu des propos controversés et la ligne politique xénophobe du FN n'est pas un secret. Pourquoi en serait-il autrement de ces deux criminels ? », s'interroge le collectif. Lire le communiqué ici.



Boulevard Beaumarchais. Dans le cortège, de notre journaliste Marine Turchi :

© Marine Turchi


Du monde à Lyon. Selon la presse locale, les rassemblements en province sont aussi d'une ampleur inédite. 150 000 personnes à Lyon, 60 000 à Saint-Étienne, 15 000 à Blois, 50 000 à Montpellier. Plus de 60 000 personnes à Rennes, près de 100 000 personnes à Bordeaux, sur la place des Quinconces. 10 000 personnes à Colmar, 15 000 à Mulhouse, plus de 20 000 à Strasbourg…


 

Humour. Vu dans le défilé et rapporté sur Twitter, à propos du comportement de Marine Le Pen ces derniers jours :



Saturation. De notre journaliste Yannick Sanchez sur place :



Chefs d’État et de gouvernement. Les chefs d’État et de gouvernement ont défilé en silence pendant quelques minutes. À la suite, François Hollande a rejoint plus avant la tête du cortège où se trouvaient les familles et proches des victimes, des anciens de Charlie Hebdo comme des membres de la communauté juive. Le chef de l’État y a passé quelques minutes, s'entretenant avec chacune des personnes présentes.

Le défilé des chefs d’État :



Mélenchon. Interrogé par Mediapart sur la récupération politique de la marche et la présence de chefs d’État étrangers très critiqués pour leurs entorses aux droits de l'homme, Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche, répond : « Il faut bien se mettre au diapason de ce qu'il se passe là. Les gens s'en foutent, ce qui compte pour eux c'est la démonstration de fraternité qu'ils font. C'est extraordinaire ce qu'il se passe là. Dans notre malheur, on est frappés à un endroit qui permet de donner le meilleur de nous-mêmes. Vous avez des personnages qui viennent se greffer là pour tenter de redorer leur blason, ce sont des chefs d’État et de gouvernement étrangers, on a un devoir je dirais de courtoisie hein bon... mais on n'est pas dupes, on sait bien qui ils sont, et tout ce que nous pensons d'eux n'a pas changé parce qu'ils sont là. » « Il faut bien choisir les mots, insiste encore Mélenchon, il n'y a pas de guerre, soyons vigilants, il ne faut pas perdre son sang-froid. »


En province. Ce dimanche matin, plusieurs rassemblements de province ont déjà réuni très largement, montrant à chaque fois des affluences rarement vues jusqu'ici. À Tarbes, 14 000 personnes ont défilé, 25 000 à Toulon, 7 000 à Orthez, 2 000 à Tourcoing, 7 000 à Manosque… À Perpignan, ils étaient 40 0000, soit plus d'un quart de la population de la ville. Louis Aliot, vice-président du FN a été aperçu dans la foule, sans signe distinctif, tout comme l'ensemble des élus locaux présents.



Place de la République. Vue d'en haut de notre journaliste Yannick Sanchez :



Espagne. Le ministre de l’intérieur espagnol Jorge Fernandez Diaz a annoncé, dans une interview publiée dimanche 11 janvier par El Pais, que l’Espagne proposerait une révision du traité de Schengen afin de remettre en cause la libre circulation entre les pays membres. « Nous allons défendre l’établissement de contrôles aux frontières et il est possible qu’en conséquence il faille modifier le traité de Schengen », a affirmé Fernandez Diaz, précisant qu’il défendrait cette proposition lors de sa venue à Paris. Le traité de Schengen prévoit, notamment, la libre circulation au sein de son espace qui comprend 26 États européens, dont 22 de l’Union européenne.



UMP. Au croisement de la rue Oberkampf et du boulevard Voltaire, le carré de tête des élus UMP. Avec Nathalie Kosciusko-Morizet notamment et... Patrick Balkany (au second rang avec des lunettes).

© François Bonnet



Boko Haram. Alors que des dirigeants du monde entier convergent sur Paris pour le rassemblement en hommage aux victimes des attentats de Paris, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’inaction de la communauté internationale face aux exactions de la secte Boko Haram au Nigeria. « Je sens que beaucoup d’autres problèmes vont arriver », a notamment averti l’archevêque Ignatius Kaigama, président de la conférence des évêques du Niger, dans des propos rapportés par The Independent. « Ça ne va pas être confiné à cette région. Ça va s’étendre. Ça va arriver en Europe et partout à ailleurs », a-t-il prévenu alors que, ces derniers jours, se sont multipliées les informations sur de nouveaux massacres. Entre les 6 et 8 janvier, Boko Haram a en effet lancé une vaste offensive dans la région de la ville de Baga, détruisant seize villages, et tuant 2 000 personnes. Selon Amnesty International, cette attaque « pourrait être la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe ». Samedi, ce sont 19 personnes qui ont été tuées sur un marché de Maiduguri, dans le nord-est du pays, lors de l’explosion d’une bombe attachée à une petite fille de 10 ans. Cette dernière attaque n’a pour l’instant pas été revendiquée. Face à cette escalade dans la barbarie, Ignatius Kaigama reproche à la communauté internationale de ne pas assez s’impliquer. « Ils expriment leur solidarité mais il n’y a pas vraiment d’aide concrète. (…) Il doit y avoir une collaboration concrète entre l’Europe et l’Amérique pour mettre fin à ça », a-t-il poursuivi, ajoutant : « Comparez qu’il s’est passé à Paris avec ce qui arrive ici. Il y a une grande différence. »



Boulevard des Filles-du-Calvaire. Photo envoyée par notre journaliste Yannick Sanchez sur l'itinéraire de la manifestation parisienne :

© Yannick Sanchez



Front de gauche. Au Cirque d'hiver, non loin de la place de la République, le Front de gauche avait donné rendez-vous à ses militants. La place de la République n'est d'ores et déjà plus accessible.

© François Bonnet
© François Bonnet

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Proches.



En Irlande. 



Extrême droite. Les antifas de La Horde font le point sur l'infiltration par l'extrême droite de certains rassemblements. A lire ici.


 

Dessins. 



De Bruxelles à Paris. Photo postée sur Twitter par la RTBF, le service public audiovisuel belge :



Place de la République. Le lieu de départ des cortèges parisiens est d'ores et déjà noir de monde. 


Photo trouvée sur twitter signée Cagil M. KasapogluPhoto trouvée sur twitter signée Cagil M. Kasapoglu



Boulevard Voltaire. Un tweet de notre journaliste Mathieu Magnaudeix :



Périphérique. Photo prise sur le périphérique parisien :

© Dan Israel



Intérieur. Depuis le ministère de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, qui recevait onze ministres de l'intérieur européens mais aussi son homologue américain, déclare : « L'épreuve à laquelle la France est confrontée concerne non seulement l'Europe mais aussi toutes les démocraties. (...) Toute la France est dans le recueillement et dans le deuil. (...) C'est aux valeurs de la démocratie que les terroristes ont voulu s'attaquer. (...) Nous sommes résolus à lutter ensemble contre le terrorisme. Sur les plans européen et international, nous disposons déjà d'un certain nombre de textes importants (...) ces textes constituent les cadres européens et international dans lesquels notre action doit se construire mais ils ne suffisent pas (...). Nous avons identifé deux champs sur lesquels nous devons travailler : les moyens destinés à contrecarrer les déplacements, la lutte contre les facteurs de rédicalisation, notamment sur Internet. »



Récupération. Interrogé par Le Monde sur la récupération politique de la marche républicaine, Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, répond : « Je me doute qu'il y en aura. On va voir tous les politiques se montrer, alors qu'il n'étaient pas là avant, quand on avait besoin de leur soutien. Mais le bon sens de l'opinion publique les jugera. On s'en fout un peu. On dit que 1,5 million de personnes sont attendues. Toutes ne sont pas d'accord, évidemment. Il y aura des gens qui défileront avec nous avec lesquels nous ne serons pas d'accord. Mais moi, je marche pour mes collègues morts. Je ne m'occupe pas du reste. »



Charlie Hebdo, rue Nicolas-Appert à Paris. Dominique Bry vient de publier cette photo prise devant le siège de Charlie Hebdo :

Charlie Hebdo 10 rue Nicolas Appert 75011 Paris S’abonnerCharlie Hebdo 10 rue Nicolas Appert 75011 Paris S’abonner © Dominique Bry



Élysée. Les représentants de la communauté juive reçus à l’Élysée. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, et le président du Consistoire israélite de France, Joël Mergui, sont reçus par le chef de l’État, accompagné du premier ministre, Manuel Valls, ainsi que des ministres de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et de la justice, Christiane Taubira.


 

Prédateurs. Reporters sans frontières (RSF) se félicite de la présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement étrangers lors du rassemblement, mais s’indigne de la présence de représentants de pays répressifs de la liberté de l’information. Dans un communiqué, l'ONG écrit : « Au nom de quoi les représentants de régimes prédateurs de la liberté de la presse viennent-ils défiler à Paris en hommage à un journal qui a toujours défendu la conception la plus haute de la liberté d’expression ? Reporters sans frontières (RSF) s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Égypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Émirats arabes unis. Au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180. »

L'Elysée a répondu à RSF, selon le Monde : « Compte tenu du mal mondial que représente le terrorisme, tout le monde est bienvenu, tous ceux qui sont prêts à nous aider à combattre ce fléau. Ces terroristes se sont attaqués à la liberté de la presse, à des policiers et ont commis des crimes antisémites. Nous ne pouvons pas nous permettre de distinctions entre les pays. »


 

Cortège. Le rendez-vous du rassemblement à Paris partira à 15 heures de la place de la République et se déroulera le long de deux itinéraires entre les places de la République et de la Nation.


 

Revendication. Amedy Coulibaly, auteur de la fusillade qui a fait un mort à Montrouge jeudi et de la prise d'otages antisémite qui a fait quatre morts dans une supermarché casher vendredi, a été formellement identifié dans une vidéo de revendication des attentats. Dans cette vidéo, dont le parquet de Paris a requis le retrait, Coulibaly se revendique de l’État islamique et affirme s'être coordonné avec les frères Kouachi, auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo.


 

Papiers. Un dessin envoyé par Nicoby.

© Nicoby

 

Personnalités. Ouest-France fait le tour des personnalités politiques qui se rendront à la manifestation ce dimanche à Paris. Parmi elles, on note au niveau international : la chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique David Cameron, le président du Conseil italien Matteo Renzi, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Parlement européen Martin Schulz et le président du Conseil européen Donald Tusk entoureront le président François Hollande. Seront aussi présents les chefs de gouvernement danois Helle Thorning-Schmidt, belge Charles Michel, néerlandais Mark Rutt, grec Antonis Samaras, portugais Pedro Passos Coelho, tchèque Bohuslav Sobotka, hongrois Viktor Orban, letton Laimdota Straujuma, bulgare Boïko Borisov, croate Zoran Milanovic, ainsi que le président roumain, Klaus Iohannis.


 

Presse. Les Unes du jour :


Allemagne. Le quotidien Hamburger Morgenpost, qui avait publié des caricatures de Charlie Hebdo après l’attaque du journal, a été partiellement incendié cette nuit. Deux personnes ont été arrêtées, et une enquête a été ouverte, selon la police. Dimanche matin, vers 1 h 20, des pierres et un engin incendiaire ont été lancés à travers une fenêtre du journal, déclenchant un début d’incendie. « Deux pièces ont été endommagées mais le feu a été éteint rapidement », selon un porte parole de la police. L’étendue exacte des dégâts n’était pas encore connue dimanche matin mais une partie des archives du journal auraient été détruites. Après l’attaque contre Charlie Hebdo, le Hamburger Morgenpost avait publié, à sa une, trois caricatures du magazine avec le titre suivant : « Autant de liberté doit être possible ».

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3,7 millions de manifestants dans toute la France

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Tout au long de la journée, les informations, les réactions, les éclairages sur la mobilisation citoyenne après la série d'attentats à Paris.


LE chiffre. Le ministère de l'intérieur annonce la plus grande mobilisation connue en France. 3,7 millions de personnes ont défilé en France, dont plus de 2 millions en province.


 

Front national. Marine Le Pen avait appelé ses partisans à défiler en province dimanche et non dans le cortège parisien dont elle estime avoir été « exclue » par les « partis du système ». Elle-même a défilé à Beaucaire, aux côtés du maire frontiste Julien Sanchez et du député Gilbert Collard. « Si être Charlie, c'est défendre la liberté d'expression et la défendre tout le temps, y compris pour ceux qui sont en désaccord avec vous, alors je suis Charlie », a-t-elle déclaré. Lors de ce discours, elle a été très applaudie, mais aussi sifflée, comme on le voit sur cette vidéo de FranceTV Info :

Quant à Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du parti, après avoir appelé à voter pour sa fille en pleine prise d’otages vendredi, puis avoir expliqué qu'il était « Charlie Martel » et non « Charlie », il a choisi cette journée de manifestations pour annoncer sa candidature pour les élections régionales de décembre prochain, en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

La mobilisation en Europe. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont participé, dimanche 11 janvier, à divers rassemblements organisés en Europe en hommage aux victimes des attentats de Paris.

Ils étaient environ 20 000 dans la capitale belge, selon un « comptage officiel » annoncé sur Twitter par la police bruxelloise. Le cortège, dans lequel on a pu voir des responsables religieux, de nombreuses personnalités politiques ou encore le dessinateur Philippe Geluck, est parti du centre de la ville pour arriver, deux heures plus tard, à la gare du Midi.

À Berlin, 18 000 manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade de France vers 15 h 00. Des fleurs et des bougies ont été déposées devant le bâtiment sur lequel était projeté le slogan « Je suis Charlie ».

Plusieurs centaines de personnes ont défilé à Madrid, à Puerta del Sol dans le centre historique de la capitale espagnole. Après avoir observé une minute de silence, les manifestants ont rejoint la gare d’Atocha, lieu des attentats du 11 mars 2004 qui avaient fait 191 victimes.

En Autriche, le gouvernement et les responsables religieux du pays avaient appelé à un rassemblement « contre le terrorisme » devant le siège du gouvernement qui a mobilisé environ 12 000 personnes.

D’autres manifestations ont rassemblé 3 000 personnes à Stockholm en Suède, 1 500 à Athènes en Grèce et environ un millier à Londres en Grande-Bretagne. Le site du Monde a publié un portfolio des principaux rassemblements dans le monde.



Nation. Place de la Nation, à Paris, encore beaucoup de monde vers 18 h 30.

© Marine Turchi



Gros chiffres. De deux à trois millions de personnes ont défilé ce dimanche, à Paris (où le ministère de l'intérieur juge impossible de faire un comptage précis, et parle d'un rassemblement « sans précédent ») et dans le reste de la France, où beaucoup de grandes, moyennes et petites villes ont connu d'importants cortèges. Plus de 50 000 personnes à Brest, 20 000 à Quimper et 20 000 à Vannes, 70 000 à Clermont-Ferrand, 35 000 à Tours, 11 000 à Châteauroux, 4 000 à Compiègne, 15 000 à Poitiers, 30 000 à La Rochelle, 15 000 à Périgueux, 20 000 à Angoulême, 10 000 à Libourne.


 

Porte de Vincennes. 

La Ligue de défense juive avait appelé à se rassembler à 18 heures devant l’HyperCacher, cible de l’attentat qui a fait quatre morts vendredi. Au moins 2 000 personnes étaient au rendez-vous de l’organisation radicale juive. Sur place, on chante l'hymne israélien, on crie « Israël vivra, Israël vaincra », on récite les premiers versets du chema, la prière qui détaille le socle de la loi juive. Un orateur se réclamant du Betar France appelle « les Juifs de France à lever la tête et à s’autodéfendre ». Il regrette ensuite que Mahmoud Abbas ait eu « le toupet de manifester à Paris » et dénonce le « terrorisme » palestinien. Acclamations, qui redoublent lorsque l’UOIF est qualifiée de « réservoir de djihadistes ». Au bout d’une heure, la LDJ et le Betar replient leurs drapeaux, mais une grande partie de la foule reste sur place.

Samy, une homme d’une cinquantaine d’années interpelle le journaliste et dit « profondément regretter » l’amalgame fait quelques instants plus tôt entre la France et la situation au Proche-Orient. « Je suis là pour me recueillir à la mémoire des quatre juifs tués ici, pas pour parler d’Israël », dit-il. Il est interrompu par un autre participant qui estime, lui que la LDJ « a raison » et que si « ces gars n’étaient pas là pour nous défendre, les synagogues brûleraient déjà en France ». C’est cette dernière position qui semble la plus largement partagée au sein de l’assistance, où on dénonce volontiers l’« extrême gauche de merde », les « intellectuels » et « ceux qui détestent les juifs ».

© D.I.


Irréductibles. Place de la République à Paris, point de départ du cortège, certains sont partis pour rester...



Failles. « Pourquoi la France a-t-elle échoué à déjouer les attaques terroristes ? » Le quotidien israélien Haaretz s’interroge aujourd’hui en Une du journal et de son site internet sur les raisons qui ont conduit à l’incapacité des services du ministère de l’intérieur à prévenir les attentats de Paris, et identifie « sept failles » dans le système sécuritaire français.



États-Unis. Le ministre de la justice américain, Eric Holder, a précisé, lors d’une interview à ABC, qu’il n’y avait pas, pour l’instant, « d’information crédible » prouvant qu’Al-Qaïda serait derrière les attentats de Paris. « À ce stade, nous n’avons pas d’information crédible qui puisse nous permettre de déterminer quelle organisation est responsable », a-t-il déclaré depuis Paris. Eric Holder a toutefois estimé qu’Al-Qaïda au Yémen et l’État islamique « posaient clairement une menace aux États-Unis ainsi qu’à leurs alliés »Dans une autre interview, enregistrée au préalable et diffusée dimanche matin par CBS, le ministre de la justice a par ailleurs exprimé sa crainte d’attaques sur le sol américain. « La possibilité de telles attaques existe », a-t-il déclaré. « Franchement, c’est quelques chose qui m’empêche de dormir, un loup solitaire ou un petit groupe de gens qui décideraient de prendre les armes et de faire ce qu’on a vu en France cette semaine ».


 

Un peu d'humour. Dans le défilé parisien :

 


Un million en province. Selon une estimation à 16 heures, il y aurait ce dimanche 230 manifestations dans toute la France, et près d'un million de manifestants sur tout le territoire, sans même compter l'affluence parisienne. Dont 80 000 personnes rassemblées sur le Vieux-Port à Marseille, et 70 000 rassemblés à Grenoble.


 

Matignon. Le premier ministre Manuel Valls intervient sur France 2 : « C'est au peuple aujourd'hui de s'exprimer. Ce sont des symboles forts. Paris est aujourd'hui la capitale du monde, de la liberté, de la démocratie. Ce qui est impressionnant, c'est le silence, les Marseillaise, la dignité. C'est la plus belle réponse à ce que nous avons subi. »



Chiffre. Les organisateurs avancent le chiffre de 1,5 million de manifestants. La préfecture de police fait savoir que, de son côté, il lui est impossible de donner un chiffre pour l'instant en raison de l'ampleur des mouvements.


 « Crayon ». Boulevard des Filles-du-Calvaire, vers 16 heures, une pancarte bien dans l'esprit de Charlie Hebdo...

© D.I.

Chanteur. Patrick Bruel, parmi la foule des manifestants, au coin de la rue Jean-Pierre-Timbaud et du boulevard Voltaire.

© D.I.

CCIF. Le collectif contre l'islamophobie en France diffuse un communiqué dans lequel il explique pourquoi il ne défilera pas. « L'attaque contre Charlie Hebdo a eu lieu mercredi dernier entre 11 h et 12 h et dès que nous avons appris la nouvelle et bien qu'on ne connaissait pas encore l'identité des criminels, nous avons appelé à prendre l'initiative d'un rassemblement », explique d'abord le CCIF. « Mais ce qui devait être une manifestation d'union nationale devient peu à peu une tribune pour les idées islamophobes et la haine des musulmans. La présence de Netanyahou et de Libermann représente ce que la manifestation d'aujourd'hui est censée dénoncer. Ils sont racistes contre les Arabes, les Noirs, les musulmans et tout le reste mais surtout responsables de la mort de dizaines de milliers de Palestiniens. On a exclu Marine Le Pen parce qu'elle a tenu des propos controversés et la ligne politique xénophobe du FN n'est pas un secret. Pourquoi en serait-il autrement de ces deux criminels ? », s'interroge le collectif. Lire le communiqué ici.



Boulevard Beaumarchais. Dans le cortège, de notre journaliste Marine Turchi :

© Marine Turchi


Du monde à Lyon. Selon la presse locale, les rassemblements en province sont aussi d'une ampleur inédite. 150 000 personnes à Lyon, 60 000 à Saint-Étienne, 15 000 à Blois, 50 000 à Montpellier. Plus de 60 000 personnes à Rennes, près de 100 000 personnes à Bordeaux, sur la place des Quinconces. 10 000 personnes à Colmar, 15 000 à Mulhouse, plus de 20 000 à Strasbourg…


 

Humour. Vu dans le défilé et rapporté sur Twitter, à propos du comportement de Marine Le Pen ces derniers jours :



Saturation. De notre journaliste Yannick Sanchez sur place :



Chefs d’État et de gouvernement. Les chefs d’État et de gouvernement ont défilé en silence pendant quelques minutes. À la suite, François Hollande a rejoint plus avant la tête du cortège où se trouvaient les familles et proches des victimes, des anciens de Charlie Hebdo comme des membres de la communauté juive. Le chef de l’État y a passé quelques minutes, s'entretenant avec chacune des personnes présentes.

Le défilé des chefs d’État :



Mélenchon. Interrogé par Mediapart sur la récupération politique de la marche et la présence de chefs d’État étrangers très critiqués pour leurs entorses aux droits de l'homme, Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche, répond : « Il faut bien se mettre au diapason de ce qu'il se passe là. Les gens s'en foutent, ce qui compte pour eux c'est la démonstration de fraternité qu'ils font. C'est extraordinaire ce qu'il se passe là. Dans notre malheur, on est frappés à un endroit qui permet de donner le meilleur de nous-mêmes. Vous avez des personnages qui viennent se greffer là pour tenter de redorer leur blason, ce sont des chefs d’État et de gouvernement étrangers, on a un devoir je dirais de courtoisie hein bon... mais on n'est pas dupes, on sait bien qui ils sont, et tout ce que nous pensons d'eux n'a pas changé parce qu'ils sont là. » « Il faut bien choisir les mots, insiste encore Mélenchon, il n'y a pas de guerre, soyons vigilants, il ne faut pas perdre son sang-froid. »


En province. Ce dimanche matin, plusieurs rassemblements de province ont déjà réuni très largement, montrant à chaque fois des affluences rarement vues jusqu'ici. À Tarbes, 14 000 personnes ont défilé, 25 000 à Toulon, 7 000 à Orthez, 2 000 à Tourcoing, 7 000 à Manosque… À Perpignan, ils étaient 40 0000, soit plus d'un quart de la population de la ville. Louis Aliot, vice-président du FN a été aperçu dans la foule, sans signe distinctif, tout comme l'ensemble des élus locaux présents.



Place de la République. Vue d'en haut de notre journaliste Yannick Sanchez :



Espagne. Le ministre de l’intérieur espagnol Jorge Fernandez Diaz a annoncé, dans une interview publiée dimanche 11 janvier par El Pais, que l’Espagne proposerait une révision du traité de Schengen afin de remettre en cause la libre circulation entre les pays membres. « Nous allons défendre l’établissement de contrôles aux frontières et il est possible qu’en conséquence il faille modifier le traité de Schengen », a affirmé Fernandez Diaz, précisant qu’il défendrait cette proposition lors de sa venue à Paris. Le traité de Schengen prévoit, notamment, la libre circulation au sein de son espace qui comprend 26 États européens, dont 22 de l’Union européenne.



UMP. Au croisement de la rue Oberkampf et du boulevard Voltaire, le carré de tête des élus UMP. Avec Nathalie Kosciusko-Morizet notamment et... Patrick Balkany (au second rang avec des lunettes).

© François Bonnet



Boko Haram. Alors que des dirigeants du monde entier convergent sur Paris pour le rassemblement en hommage aux victimes des attentats de Paris, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’inaction de la communauté internationale face aux exactions de la secte Boko Haram au Nigeria. « Je sens que beaucoup d’autres problèmes vont arriver », a notamment averti l’archevêque Ignatius Kaigama, président de la conférence des évêques du Niger, dans des propos rapportés par The Independent. « Ça ne va pas être confiné à cette région. Ça va s’étendre. Ça va arriver en Europe et partout à ailleurs », a-t-il prévenu alors que, ces derniers jours, se sont multipliées les informations sur de nouveaux massacres. Entre les 6 et 8 janvier, Boko Haram a en effet lancé une vaste offensive dans la région de la ville de Baga, détruisant seize villages, et tuant 2 000 personnes. Selon Amnesty International, cette attaque « pourrait être la plus meurtrière à ce jour d’une série d’actions de plus en plus haineuses menées par le groupe ». Samedi, ce sont 19 personnes qui ont été tuées sur un marché de Maiduguri, dans le nord-est du pays, lors de l’explosion d’une bombe attachée à une petite fille de 10 ans. Cette dernière attaque n’a pour l’instant pas été revendiquée. Face à cette escalade dans la barbarie, Ignatius Kaigama reproche à la communauté internationale de ne pas assez s’impliquer. « Ils expriment leur solidarité mais il n’y a pas vraiment d’aide concrète. (…) Il doit y avoir une collaboration concrète entre l’Europe et l’Amérique pour mettre fin à ça », a-t-il poursuivi, ajoutant : « Comparez qu’il s’est passé à Paris avec ce qui arrive ici. Il y a une grande différence. »



Boulevard des Filles-du-Calvaire. Photo envoyée par notre journaliste Yannick Sanchez sur l'itinéraire de la manifestation parisienne :

© Yannick Sanchez



Front de gauche. Au Cirque d'hiver, non loin de la place de la République, le Front de gauche avait donné rendez-vous à ses militants. La place de la République n'est d'ores et déjà plus accessible.

© François Bonnet
© François Bonnet

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Proches.



En Irlande. 



Extrême droite. Les antifas de La Horde font le point sur l'infiltration par l'extrême droite de certains rassemblements. A lire ici.


 

Dessins. 



De Bruxelles à Paris. Photo postée sur Twitter par la RTBF, le service public audiovisuel belge :



Place de la République. Le lieu de départ des cortèges parisiens est d'ores et déjà noir de monde. 


Photo trouvée sur twitter signée Cagil M. KasapogluPhoto trouvée sur twitter signée Cagil M. Kasapoglu



Boulevard Voltaire. Un tweet de notre journaliste Mathieu Magnaudeix :



Périphérique. Photo prise sur le périphérique parisien :

© Dan Israel



Intérieur. Depuis le ministère de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, qui recevait onze ministres de l'intérieur européens mais aussi son homologue américain, déclare : « L'épreuve à laquelle la France est confrontée concerne non seulement l'Europe mais aussi toutes les démocraties. (...) Toute la France est dans le recueillement et dans le deuil. (...) C'est aux valeurs de la démocratie que les terroristes ont voulu s'attaquer. (...) Nous sommes résolus à lutter ensemble contre le terrorisme. Sur les plans européen et international, nous disposons déjà d'un certain nombre de textes importants (...) ces textes constituent les cadres européens et international dans lesquels notre action doit se construire mais ils ne suffisent pas (...). Nous avons identifé deux champs sur lesquels nous devons travailler : les moyens destinés à contrecarrer les déplacements, la lutte contre les facteurs de rédicalisation, notamment sur Internet. »



Récupération. Interrogé par Le Monde sur la récupération politique de la marche républicaine, Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, répond : « Je me doute qu'il y en aura. On va voir tous les politiques se montrer, alors qu'ils n'étaient pas là avant, quand on avait besoin de leur soutien. Mais le bon sens de l'opinion publique les jugera. On s'en fout un peu. On dit que 1,5 million de personnes sont attendues. Toutes ne sont pas d'accord, évidemment. Il y aura des gens qui défileront avec nous avec lesquels nous ne serons pas d'accord. Mais moi, je marche pour mes collègues morts. Je ne m'occupe pas du reste. »



Charlie Hebdo, rue Nicolas-Appert à Paris. Dominique Bry vient de publier cette photo prise devant le siège de Charlie Hebdo :

Charlie Hebdo 10 rue Nicolas Appert 75011 Paris S’abonnerCharlie Hebdo 10 rue Nicolas Appert 75011 Paris S’abonner © Dominique Bry



Élysée. Les représentants de la communauté juive reçus à l’Élysée. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, et le président du Consistoire israélite de France, Joël Mergui, sont reçus par le chef de l’État, accompagné du premier ministre, Manuel Valls, ainsi que des ministres de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et de la justice, Christiane Taubira.


 

Prédateurs. Reporters sans frontières (RSF) se félicite de la présence de nombreux chefs d’État et de gouvernement étrangers lors du rassemblement, mais s’indigne de la présence de représentants de pays répressifs de la liberté de l’information. Dans un communiqué, l'ONG écrit : « Au nom de quoi les représentants de régimes prédateurs de la liberté de la presse viennent-ils défiler à Paris en hommage à un journal qui a toujours défendu la conception la plus haute de la liberté d’expression ? Reporters sans frontières (RSF) s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Égypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Émirats arabes unis. Au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180. »

L'Elysée a répondu à RSF, selon le Monde : « Compte tenu du mal mondial que représente le terrorisme, tout le monde est bienvenu, tous ceux qui sont prêts à nous aider à combattre ce fléau. Ces terroristes se sont attaqués à la liberté de la presse, à des policiers et ont commis des crimes antisémites. Nous ne pouvons pas nous permettre de distinctions entre les pays. »


 

Cortège. Le rendez-vous du rassemblement à Paris partira à 15 heures de la place de la République et se déroulera le long de deux itinéraires entre les places de la République et de la Nation.


 

Revendication. Amedy Coulibaly, auteur de la fusillade qui a fait un mort à Montrouge jeudi et de la prise d'otages antisémite qui a fait quatre morts dans une supermarché casher vendredi, a été formellement identifié dans une vidéo de revendication des attentats. Dans cette vidéo, dont le parquet de Paris a requis le retrait, Coulibaly se revendique de l’État islamique et affirme s'être coordonné avec les frères Kouachi, auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo.


 

Papiers. Un dessin envoyé par Nicoby.

© Nicoby

 

Personnalités. Ouest-France fait le tour des personnalités politiques qui se rendront à la manifestation ce dimanche à Paris. Parmi elles, on note au niveau international : la chancelière allemande Angela Merkel, le premier ministre britannique David Cameron, le président du Conseil italien Matteo Renzi, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le président du Parlement européen Martin Schulz et le président du Conseil européen Donald Tusk entoureront le président François Hollande. Seront aussi présents les chefs de gouvernement danois Helle Thorning-Schmidt, belge Charles Michel, néerlandais Mark Rutt, grec Antonis Samaras, portugais Pedro Passos Coelho, tchèque Bohuslav Sobotka, hongrois Viktor Orban, letton Laimdota Straujuma, bulgare Boïko Borisov, croate Zoran Milanovic, ainsi que le président roumain, Klaus Iohannis.


 

Presse. Les Unes du jour :


Allemagne. Le quotidien Hamburger Morgenpost, qui avait publié des caricatures de Charlie Hebdo après l’attaque du journal, a été partiellement incendié cette nuit. Deux personnes ont été arrêtées, et une enquête a été ouverte, selon la police. Dimanche matin, vers 1 h 20, des pierres et un engin incendiaire ont été lancés à travers une fenêtre du journal, déclenchant un début d’incendie. « Deux pièces ont été endommagées mais le feu a été éteint rapidement », selon un porte parole de la police. L’étendue exacte des dégâts n’était pas encore connue dimanche matin mais une partie des archives du journal auraient été détruites. Après l’attaque contre Charlie Hebdo, le Hamburger Morgenpost avait publié, à sa une, trois caricatures du magazine avec le titre suivant : « Autant de liberté doit être possible ».

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Hollande se fait maître de cérémonie d'un bal des affreux

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Gouverner, c’est choisir. En acceptant la participation à la manifestation en mémoire des victimes des attentats de Paris d’une joyeuse galerie d’affreux en tous genres, ennemis de la liberté de la presse, dictateurs et embastilleurs d’opposants issus des quatre coins de la planète, le gouvernement Hollande-Valls a une fois de plus fait la démonstration de sa lâcheté.

Viktor Orban, Ali Bongo, le premier ministre turc, des ministres russes, algériens, égyptiens ou des Émirats arabes unis… Cette liste ressemble à la dernière page d’un Charlie Hebdo : les satrapes auxquels vous avez échappé. Sauf qu’ils étaient bel et bien présents dimanche 11 janvier, qui plus est dans le « carré VIP », pour défiler aux côtés du chef d’État français et de ses homologues.

Quant à certaines autres personnalités étrangères un peu plus fréquentables, tels Netanyahou, Junker ou le roi de Jordanie, leur présence sous la bannière « Je suis Charlie » aurait, en temps normal, légitimement conduit les dessinateurs et rédacteurs de Charlie à vomir illico

Un ministre du gouvernement Valls a déclaré en off  à Mediapart : « On ne pouvait pas prendre le risque de déclencher, en une journée, des incidents diplomatiques en série. » Piètre excuse. Un refus poli aurait suffi. Ou quelque chose de très diplomatique du genre : « Vous savez, cela va être compliqué d’organiser votre sécurité, et puis il n’est pas sûr que vous soyez bien accueillis par les manifestants. Mais passez nous voir dans quelques jours… »

Mais non, Hollande et Valls, qui sont devenus les organisateurs de facto de cette journée, ont préféré tirer la couverture à eux. Ils ont préféré jouer les grands leaders internationaux capables de mobiliser l’attention de leurs collègues et de la planète entière pendant quelques heures. L’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières (RSF) a eu mille fois raison de s’indigner de cette « récupération indigne ».

L’exécutif français a tout fait pour brouiller le message d’une émotion nationale et internationale sincère et digne.

Au nom de quelles valeurs communes ont défilé dimanche Luz et Viktor Orban ? Que pouvaient se trouver en commun des défenseurs de la liberté d’expression et le membre d’un gouvernement (égyptien, pas exemple) qui jette en prison des militants de tous bords parce qu’ils ouvrent leur bouche ? Qu'est-ce qui peut rassembler des gens qui disent non à la violence et des dirigeants qui en ont fait l’arme de préservation de leur pouvoir ?

Le tweet de Garry Gasparov, opposant de Poutine, après la manifestation dimancheLe tweet de Garry Gasparov, opposant de Poutine, après la manifestation dimanche

C’est une évidence d’écrire que les morts de Charlie Hebdo doivent se retourner dans leur tombe, eux qui ont toujours assumé l'affrontement politique et qui haïssaient l’unanimisme bêlant. Si l’on voulait nier la spécificité et la violence de ce qui s’est déroulé cette semaine en France en le transformant en vaste « Kumbaya » sans contenu politique, on ne s’y serait pas pris autrement.

En recevant sur le même plan et avec autant d’égards les victimes d’un incendie, les pompiers et les pyromanes, Hollande montre qu’il n’a, une fois de plus, aucun cap politique, aucun sens de ce qui est juste dans un tel moment national.

© Julien Solé.

Ou plutôt si, tel l’éternel secrétaire national du parti socialiste, il joue la seule carte qu’il sait jouer : celle de sa préservation politique. À la question de la présence à Paris dimanche d’autant d’ennemis des libertés fondamentales, voici ce qu’a répondu l’Élysée : « Compte tenu du mal mondial que représente le terrorisme, tout le monde est bienvenu, tous ceux qui sont prêts à nous aider à combattre ce fléau. Ces terroristes ont une démarche totale. Ils se sont attaqués à la liberté de la presse à des policiers et ont commis des crimes antisémites. Nous ne pouvons pas nous permettre des distinctions entre les pays et des stigmatisations. »

En lisant cette déclaration, on comprend : la lutte contre le terrorisme est devenue l’alpha et l’oméga de la réponse gouvernementale. Comme si le terrorisme n’avait pas des racines et des causes, des financiers et des facilitateurs, dans les politiques et les alliances de la galerie d’affreux qui sont venus manifester à Paris. « Tous ceux qui sont avec nous sont les bienvenus, les autres sont contre nous », pourrait-on paraphraser. Ça ne vous rappelle rien ? À nous, si…

© DR

Place de la République, une poignée de manifestants ont brandi les noms de journalistes gabonais visés par des arrestations arbitraires dans leur pays. Lors d’une manifestation organisée par l’opposition en décembre, interdite par le pouvoir, un étudiant a été tué et une vingtaine de personnes interpellées, dont des journalistes. Quelques jours plus tôt, un « observateur » de France 24 avait été arrêté. En septembre, deux hebdomadaires avaient aussi annoncé l’arrêt temporaire de leur publication à cause d’un piratage qu’ils attribuaient au gouvernement (illico démenti par le pouvoir).

Ces jours-ci, Ali Bongo use d’une main de fer pour répondre au regain de contestation provoqué par le livre de Pierre Péan (Nouvelles Affaires africaines), dont s'est emparé l'opposition, et qui l’accuse d’avoir falsifié ses diplômes et son acte de naissance.

Dans un entretien diffusé ce dimanche par RFI, le fils Bongo (déjà cinq ans de règne, 42 ans pour son père) justifie ainsi l’interdiction des rassemblements d’opposants dans son pays : « Comment voulez-vous laisser manifester des gens qui ne veulent pas reconnaître les institutions et la loi ? » Et il lâche cette phrase qui fait froid dans le dos : « Je n’ai pas envie de me débarrasser de tout le monde. » De quelques-uns seulement.  

  • Ahmet Davutoglu, premier ministre de Turquie (154e au classement)

Le président Erdogan le crie sur tous les toits : « Nulle part ailleurs dans le monde, la presse n'est plus libre qu'en Turquie. Je suis absolument certain de ce que j'avance. » Il n’allait donc pas laisser filer l’opportunité d’apporter son soutien à Charlie. Son premier ministre a pris part au défilé alors même qu’une trentaine de journalistes viennent d’être arrêtés en Turquie, dont quatre écroués, sous prétexte qu’ils formaient « un gang pour attenter à la souveraineté de l’État ». Parmi eux : le rédacteur en chef de l’un des principaux quotidiens du pays, Zaman, réputé proche du mouvement islamiste Güllen, principal rival du président Erdogan. Suspectés de soi-disant visées terroristes, ces journalistes risquent la perpétuité.

À Istanbul, même un tweet peut coûter cher. Il y a quelques jours, une présentatrice de télé, Sedef Kabas, a été placée en garde à vue à cause d’un message qui critiquait le magistrat ayant enterré le scandale de corruption qui a fait vaciller le pouvoir islamo-conservateur d’Erdogan à l’hiver dernier. D’après son juge, elle aurait « présenté comme des cibles les personnes chargées de lutter contre le terrorisme »… Son appartement a été perquisitionné, son ordinateur placé sous scellés. Voici le dessin (représentant Erdogan) qu’elle a posté samedi sur Twitter :

Dans un entretien à Paris Match dimanche, l’écrivain Nedim Gürsel rappelle cette évidence : « Monsieur Erdogan n'aime pas les caricaturistes. À chaque occasion, il porte plainte pour qu'ils soient poursuivis en justice. » Lui-même jugé pour avoir exercé sa liberté d'expression (puis acquitté), l’auteur rappelle cet épisode symptomatique : « Erdogan a reconnu qu'il avait (un jour) décroché le téléphone pour demander au patron d'une chaîne de suspendre une émission en direct qui ne lui convenait pas. Et il continue de le faire. »

  • Viktor Orban, premier ministre de Hongrie (64e au classement RSF)

Plébiscité aux législatives d’avril dernier, Viktor Orban affirme aujourd’hui sans complexe sa préférence pour la démocratie « non libérale », comme en témoigne cette citation alambiquée mais glaçante : « Le thème à succès aujourd'hui dans la réflexion politique est de comprendre les systèmes qui ne sont pas occidentaux, pas libéraux, pas des démocraties libérales, peut-être même pas des démocraties, et qui apportent quand même le succès à leurs nations (…) : Singapour, la Chine, l'Inde, la Russie, la Turquie. » En Hongrie, il a enchaîné les réformes préjudiciables aux libertés de la presse.

Sa loi de 2011 sur l’information, qui a placé les médias sous tutelle d’un conseil proche du pouvoir, lui a valu un long bras de fer avec Bruxelles – l’obligeant à quelques concessions. Des amendes menacent désormais les médias qui ne produisent pas une « information équilibrée »… Il aura également fallu la pression de l’UE pour congeler un projet de taxe internet liberticide, qui devait voir le jour cet automne.

La liberté d’expression n’est vraiment pas le fort du premier ministre. La Hongrie vient ainsi d’être condamnée par la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) pour avoir violé celle des parlementaires. Sept élus d’opposition avaient écopé d’amendes après avoir brandi des pancartes accusant le parti au pouvoir de « voler, tricher et mentir », ou après avoir vidé une brouette de terre sous le nez de Viktor Orban.

  • Le cheikh Abdallah ben Zayed Al-Nahyane, ministre des affaires étrangères des Émirats arabes unis (118e au classement RSF)
Le cheikh Abdallah ben Zayed Al-NahyaneLe cheikh Abdallah ben Zayed Al-Nahyane © Reuters

Dans un contexte de chasse aux Frères musulmans et à leurs partisans, accusés de vouloir renverser le régime, les autorités des Émirats ne rechignent pas devant les détentions arbitraires de journalistes. L’Égyptien Anas Fouda, responsable éditorial du groupe MBC, a ainsi été retenu plus d’un mois sans qu’aucune charge n’ait été officiellement formulée contre lui. Pas d’avocat, pas de parloir avec sa famille. À sa libération en août 2013, il a été expulsé vers l'Égypte le soir même.

Lors d’un énorme procès à Abu Dhabi le même été (68 condamnés jusqu’à quinze ans de prison pour des liens supposés avec les Frères musulmans), Reporters sans frontières avait dénoncé le black-out total. Aucun média étranger, aucune organisation des droits de l’homme n’avait pu y mettre un pied.

  • Abdallah II et Rania, couple royal de Jordanie (141e au classement RSF)

Après les « printemps arabes », les autorités jordaniennes ont renforcé leur contrôle sur les médias et Internet. En juin 2013, quelque 300 sites d’information ont été bloqués d’un coup, puis neuf autres un mois plus tard. Des dispositions liberticides sur la presse avaient été adoptées par décret royal en septembre 2012.

La Jordanie aide même les autres pays à museler leurs journalistes : en juin dernier, une chaîne irakienne basée à Amman, critique du premier ministre, a été fermée après un raid déclenché par une plainte du gouvernement irakien, et qui s’est soldé par l’arrestation de toute l’équipe (soit 14 journalistes syriens, irakiens et jordaniens, d’après RSF).

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La levée en masse, et après ?

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Jamais depuis la Libération, le pays ne s’était ainsi levé. Durant quarante-huit heures, la société française, dans son infinie diversité, a occupé la rue, et pris symboliquement le pouvoir. Trois millions au moins, peut-être trois millions et demi voire quatre millions de personnes ont manifesté dimanche, à Paris mais aussi dans tout le pays. La veille, plus de 800 000 manifestants avaient déjà défilé.

Ce réveil citoyen presque sans précédent, cette gigantesque vague démocratique venant déferler sur toutes les villes ne sauraient être l’objet de quelques conclusions hâtives. Oui, des gens ont aussi manifesté pour des raisons très éloignées, voire opposées. Oui, être ensemble n’a nullement signifié être d’accord. Oui, cette apparente unité nationale n’a aucunement signifié l’« union sacrée ». Toute tentative de récupération, toute volonté de réduire à une poignée de messages ce sursaut civique sera vouée à l’échec et au ridicule.

© Hervé Bourhis.

Sans banderole ni revendication partisane, l’immense rassemblement parisien a été à l’image de nombreuses manifestations en régions. Et il est apparu tout de même quelques constantes : le rejet du terrorisme bien sûr, de la haine et de l’antisémitisme à coup sûr ; l’affirmation de valeurs universelles et de principes républicains fondamentaux, sans aucun doute ; l’expression digne d’un refus de nous laisser entraîner dans des débats nauséabonds aggravant les fractures françaises, certainement. Des constantes résumées par les seules pancartes largement présentes dans le cortège parisien : « Je suis Charlie, je suis juif, je suis policier, je suis la République ».

Qu’il semblait loin, très loin, ce dimanche, le temps où France 2 et France Inter (c’était il y a moins d’une semaine) pouvaient inviter Michel Houellebecq dans leurs prime time respectifs pour touiller encore une fois la potion infâme des fantasmes antimusulmans… La vague citoyenne de ce week-end, dans la diversité de ses mobilisations et de ses raisons, aura finalement montré une exigence principale : élever ce pays, élever la politique, élever un débat public trop souvent confisqué par les médiocres incendiaires.

Et cette exigence exprimée est à elle seule une considérable victoire. Elle invalide d’abord largement l’argumentaire de tous ceux ayant appelé à ne pas manifester en dénonçant par avance une récupération et une unité nationale faite pour servir les pouvoirs. C’est oublier que le réveil de la société s’est toujours produit contre les unions sacrées et unités de façade. C’est négliger le fait que les manifestants de ce week-end, pas dupes des petits et grands calculs de nos politiciens, n’ont pas manifesté avec les politiques – ne parlons pas même de quelques apprentis dictateurs type Ali Bongo (lire notre article) – mais à des années-lumière de ces derniers.

Cette levée en masse citoyenne ne s’est pas seulement faite sans eux. Elle peut aussi sonner comme un avertissement à des responsables politiques presque toujours en retard d’une évolution sociale parce que paralysés dans des calculs d’opportunités, sans même évoquer les médiocres jeux d’alliances et les petites courses électorales. Élever ce pays, prendre la mesure des demandes, certes exprimées de manière brouillonne mais affirmées avec force, c’est le défi lancé aux responsables politiques et, en premier lieu, au pouvoir.

François Hollande et Manuel Valls camperont-ils dans une vision héritée des néoconservateurs américains post 11-Septembre, comme ils l’ont fait avec constance depuis 2012 ? Placeront-ils le pays à l’heure de la « guerre globale contre le terrorisme », ce qui fut le message porté par le défilé d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement ? Une guerre déjà engagée depuis des années et systématiquement perdue. Et une guerre qui s’illustre par ce qui ressemble à un énorme fiasco des services policiers et de renseignement dans leur incapacité à avoir pu prévenir les attentats de Paris et ses dix-sept morts, dans leur nouvel échec à avoir pu arrêter vivants les trois terroristes.

Il est un chemin autre pour reconstruire pas seulement notre sécurité, mais pour prévenir de nouvelles fractures, entretenir cette mobilisation citoyenne et revitaliser notre démocratie. Le défricher signifie prendre des risques, tout ce que la présidence Hollande s’est refusée à faire depuis mai 2012. Il signifie de laisser de côté cette « union sacrée », dont la seule utilité est généralement de déposséder les citoyens, pour rebâtir un projet politique qui parle à la société plutôt qu’aux « marchés », aux agences de notation et aux acteurs économiques.

Il est de construire une véritable politique de lutte contre l’antisémitisme qui ne doive rien à un soutien ou non au gouvernement israélien. Il est d’inventer de nouveaux mécanismes d’inclusion quand des populations entières – et pas seulement les musulmans – sont aujourd’hui rejetées dans les marges, victimes de discriminations massives ou le ressentant comme tel. Il est de donner et la responsabilité et la visibilité à des minorités aujourd’hui reléguées et toujours sommées de prouver leur appartenance à la nation.

« Nous ne nous en sortirons que par une révolution politique », explique la philosophe Marie-José Mondzain dans un entretien à Mediapart (à lire ici), qui ajoute : « En France, il y a une défaillance fondamentale dans la distribution du savoir et de l’égalité des chances. » C’est l’enjeu des semaines à venir pour François Hollande. Ou considérer que cette levée citoyenne n’est qu’un moment, semblable à la bouffée d’unanimisme national qui avait suivi la victoire de 1998 à la Coupe du monde de football. Ou s’en servir comme d’un levier pour réinventer un projet politique. La probabilité est certes des plus minces… Ne pas le faire n’est pas seulement obérer les chances de survie d’un pouvoir faible. Ce serait aussi faire grandir le risque de divisions accrues et donner la main un peu plus encore aux marchands de peurs et aux extrémistes.

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Jour de concorde entre République et Nation

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© Jean Paul Krassinsky.

Ils voulaient tous marcher contre le terrorisme. Ce dimanche après-midi, quelque 1,5 million de Parisiens ont surtout piétiné tant la foule était immense, compacte, groupée à perte de vue. Des manifestants hantés par l’angoisse née des attentats survenus mercredi à Charlie Hebdo et vendredi à Hyper Cacher, mais presque rassurés par la capacité de mobilisation et d’indignation des Français.

Dans le cortège, une adolescente, tout sourires, brandit sa pancarte en carton comme on soulève un trophée : « Ils voulaient mettre la France à genoux, ils l’ont mise debout. »

L’enthousiasme de la jeunesse masque cependant mal les bouffées d’anxiété qui traversent le cortège. Faut-il y croire ? Est-ce le début de quelque chose ? Le signe d’un réveil ? Ou l’illusion d’un défilé où un premier ministre israélien défile à quelques mètres d’un président palestinien, où Jean-Luc Mélenchon et Patrick Balkany marchent dans la même direction, où aucun incident n’est à déplorer ? Le temps d’un après-midi, Paris a vécu une nouvelle journée irréelle, à peine plus croyable que celles, dramatiques, de mercredi et de vendredi.


© Yannick Sanchez

Dans la foule, et comme depuis mercredi, un slogan fédérateur domine tout :  « Je suis Charlie. » Et ses déclinaisons : « Je suis un policier » (certains ont été ovationnés au moment de leur passage devant le cortège – ultime pied de nez adressé aux dessinateurs de Charlie), ou encore « Je suis juif ». Dans la foule, aucun chant hormis La Marseillaise. On tape dans ses mains. Parfois on scande « Charlie ! Charlie! ». L’heure est encore à l’hommage, au recueillement.  

© MH
Place de la Bastille, dimanche à 17h.Place de la Bastille, dimanche à 17h. © M.T. / Mediapart

Plus rarement à l’éclat de rire, mais cela arrive : « On est à peu près une cinquantaine ! » crie un homme d’une trentaine d’années juché sur un arbre boulevard du Temple, alors que des milliers de personnes se pressent sur quelques mètres carrés. Boulevard des Filles-du-Calvaire, au 5e étage d’un immeuble haussmannien, de grands draps ont été étalés : « Liberté, liberté chérie ! ». Fenêtre ouverte, l’habitant diffuse à pleins tubes Ma liberté de Georges Moustaki. Il salue, ému, la foule qui l’applaudit. Plus tard, il brandit un grand crayon, et c'est le chœur des esclaves de Nabucco qui s'échappe de ses fenêtres. Le cortège s'arrête et applaudit longuement. 

Un peu partout, des gens brandissent des crayons. Des vrais, des dessinés, des fabriqués. L’un, immense, fait son entrée à 14 heures sur la place de la République sous les applaudissements. Il passe de main en main pour être hissé jusqu’à la statue.

« Tu vois, cette journée sera plus tard dans les livres d’histoire », glisse Vincent à sa fille. Il n’imaginait pas ne pas être là. Charlie, c’est ses combats de jeunesse, les grèves de 1973 avec Debré et son entonnoir sur la tête. « Jamais je n’aurais imaginé que cela puisse se passer chez moi, que l’on tue Cabu ou Wolinski pour leurs dessins. C’est insupportable », dit-il.

Dans la foule, boulevard Beaumarchais.Dans la foule, boulevard Beaumarchais. © M.T. / Mediapart

Non loin de là, rue Oberkampf, Alain, principal dans un collège de l’Est parisien, est collé à son drapeau français en berne, enroulé d’un ruban noir : « Je ressens de la tristesse, de la colère, de la peur. Et maintenant dans ce défilé, un peu de fierté et d’espoir. Car je crois que tout le monde est venu ici défendre les valeurs de la République, qui sont en danger. On est là pour les journalistes, les juifs, les policiers, et pour la paix avec les musulmans. »

Dans la foule, dimanche 11 janvier.Dans la foule, dimanche 11 janvier. © M.H. / Mediapart

Dans son collège, quelques élèves ont bien protesté contre l’hommage rendu aux journalistes de Charlie, accusés d’avoir insulté leur religion. « On en a parlé avec les professeurs. Des échanges ont eu lieu. Il faut prendre le temps d’expliquer. »

C’est également ce qu’a tenté de faire Hélène, 24 ans, éducatrice spécialisée dans le XXe arrondissement, qui a pris peur en voyant les réactions de ses « amis » sur Facebook. « Sur les réseaux sociaux, on est friends avec des gens qu’on ne côtoie pas trop ou plus trop. Et là, j’ai vu les messages de haine : “Les musulmans hors d’Europe !” ; “La prochaine fois, on écoutera peut-être plus Éric Zemmour”. J’ai essayé de répondre, mais c’est difficile. » Effrayée, elle est donc venue avec une pancarte « Je suis en deuil, non aux amalgames. »

Dans la foule, dimanche 11 janvier.Dans la foule, dimanche 11 janvier. © D.I. / Mediapart

À 77 ans, Viviane et son mari, bien que présents, témoignent a minima de cette France divisée. Viviane n’a manifesté qu’une seule fois dans sa vie, le 24 juin 1984, le jour où la droite a défendu « l’école libre ». Catholique pas très pratiquante, de droite, elle se repose sur un banc et tente d'obtenir des informations sur sa radio portative. Son mari, en fauteuil roulant, contemple la marée humaine. Lui est de gauche, fan de Charlie Hebdo qu’il achète très souvent. Ils sont venus sans pancarte ni banderole.

Viviane n’est pas dupe : « C’est une France très divisée sur de nombreuses questions politiques, économiques, sociales, sociétales qui défile aujourd’hui dans l’émotion mais il fallait s’unir. » Elle regrette que Marine Le Pen et son parti ne soient pas dans le défilé. Elle n’a jamais voté pour le Front national, pense « ne jamais le faire » mais depuis qu’elle a été dans un camping à Fréjus où elle a rencontré des sympathisants FN, elle trouve que ce parti « dit de nombreuses vérités notamment sur ces djihadistes qui veulent nous convertir à l’islam ». Puis elle change précipitamment de sujet : « Si mon mari m’entend »

Il pourrait. Malgré le nombre, la foule est souvent silencieuse. On échange un peu. On réfléchit surtout, aux jours d’après. Michel, 64 ans, muséologue, s’est collé un autocollant « Résistance » dans le dos. Car il anticipe déjà « les lois liberticides » qui pourraient être mises en œuvre. « C’est une manifestation d’émotion et c’est très bien. Mais quand j’entends le mot “guerre”, je suis inquiet. L’émotion, ce n’est pas la décision. »

Boulevard des Filles du Calvaire. À proximité du cortège du Front de gauche.Boulevard des Filles du Calvaire. À proximité du cortège du Front de gauche. © M.T. / Mediapart

Même message chez Norredine, jeune communiste, qui a choisi comme message : « Cœur chaud, tête froide. » Lui aussi craint des lois liberticides, et une instrumentalisation incarnée par la présence de chefs d’État plus enclins à parler de libertés qu’à les respecter.

Sur la place de la République, un petit groupe scande « Liberté d’expression ». « Ce qui se passe en France est décisif. Mais il faut aussi parler des deux journalistes enlevés en Tunisie », dit une femme qui agite une bannière rouge. Dans la foule, plusieurs Gabonais défilent avec des pancartes pour rappeler que des journalistes sont emprisonnés au Gabon et qu’ils sont aussi des Charlie. La présence d’Omar Bongo en tête du défilé les écœure.

Devant Charlie Hebdo, à quelques pas du parcours de la manifestation, dimanche après-midi.Devant Charlie Hebdo, à quelques pas du parcours de la manifestation, dimanche après-midi. © M.T. / Mediapart

Tous marchent cependant. À la différence de Camille. Militant anarchiste, il porte une pancarte « Je suis Rémi Fraisse. Je suis Charlie ». Avec une dizaine de militants autonomes, il a choisi de ne pas défiler parmi ce « bal des hypocrites » et se tient en bordure du cortège au niveau de la place Voltaire pour rappeler la mémoire du militant écologiste tué par la police fin octobre. « À ce moment-là, la police a interdit nos manifestations », tient-il à souligner. « Charlie Hebdo, c’est l’antichauvinisme, toute cette récupération politique me fait mal. » Yann, jeune militant anar qui se dit « écœuré par le slogan "Je suis Charlie, je suis flic" », s’agace : « Quinze personnes sont tuées par an dans des bavures policières, autant que les attentats qui viennent d’avoir lieu, alors ce slogan me fait gerber. »

Boulevard Beaumarchais.Boulevard Beaumarchais. © M.T. / Mediapart

Une telle radicalité ne se retrouve pas dans les rangs des manifestants, où l’on tient surtout à démontrer la force du nombre, l’absence de peur : « Ils sont tout seuls, nous sommes des millions », nous explique Antoine, 69 ans, qui a dessiné une statue de la liberté brandissant un crayon en lieu et place d’une torche. « Plus de mal que de peur », a écrit un père de famille sur son carton. Un gardien d’immeuble de logements sociaux à Boissy-Saint-Léger, venu avec plusieurs locataires, va dans le même sens : « Ils ne nous font pas peur. Mais il faut que quelque chose change. On doit être solidaires les uns les autres sans qu’il y ait besoin d’attentats. »

© MH

Chez les juifs, qui se sont déplacés en nombre, l’angoisse est nettement plus perceptible. Laurent, 58 ans, a inscrit « Trop tard ? » sur son carton, où il a collé un crayon, une étoile jaune (dont il ne veut pas dire la provenance – « c’est trop d’émotion »), et un emblème de la police. « C’est dommage que les gens ne se mobilisent que maintenant, regrette-t-il. Après la tuerie de Merah, nous n’étions pas beaucoup dans la rue. Idem après le meurtre d’Ilan Halimi, ou plus récemment après l’agression antisémite de Créteil. C’est très beau, ce sursaut. Mais il aura donc fallu tout ça pour en arriver là. C’est une faillite du politique comme de la société civile. »

Dans la foule, quelques porteurs de kippa, et de nombreux groupes qui pleurent les morts de la porte de Vincennes, parlent de la présence de Benyamin Netanyahou, ou évoquent une ambiance « un peu comme en Israël » après les attentats. Boulevard des Filles-du-Calvaire, le magazine Actualité juive a distribué des affiches « Je suis juif. Je suis Charlie ». Plusieurs groupes les arborent. Cinq amis, 40 à 50 ans, les ont placardées sur eux. « Nous manifestons en tant que juifs, en tant que Français intégrés, déclare Sandra. Nous avions déjà prévu de venir dès jeudi soir, mais évidemment, avec les morts de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, nous n’avions plus le choix. »

Place de la Bastille, dimanche à 17h.Place de la Bastille, dimanche à 17h. © M.T. / Mediapart

Parmi les manifestants, boulevard Beaumarchais.Parmi les manifestants, boulevard Beaumarchais. © M.T. / Mediapart

Ceux qui acceptent de parler en tant que juifs sont d’une humeur sombre. « Y aurait-il autant de monde s’il n’y avait que les morts de la place de Vincennes ? » interroge Sandra. Yaël, conseillère d’éducation dans une école juive du XIe arrondissement de Paris, raconte que « de nombreux parents ne mettront pas leurs enfants à l’école lundi ». Parce qu’ils « sont inquiets », certes, mais qu’ils ont aussi des soucis logistiques, puisque l’établissement leur demande impérativement de venir chercher leurs enfants, au lieu de les laisser rentrer tout seuls chez eux.

Une manifestante, boulevard des Filles du Calvaire.Une manifestante, boulevard des Filles du Calvaire. © M.T. / Mediapart

À ses côtés, Dan, la cinquantaine, qui juge que « les juifs français se sentent en insécurité : en toile de fond, ce sont toujours des juifs qui sont pris pour cible ». En écho à ce discours, un trentenaire s’épanche en direction d’un ami en marchant : « Mon père m’a appelé de Jérusalem vendredi. D’habitude, c’est moi qui l’appelle toutes les semaines, pour savoir s’il va bien, s’il n’y a pas eu d’attentat. Aujourd’hui, c’est eux qui ont peur pour nous. Et tu veux savoir la vérité ? En tant que père de cinq enfants, je suis mort de peur quand ils prennent le métro. »

Une peur dans le métro qui n’épargne pas les musulmans, comme Dounia, 23 ans, responsable de vente dans un magasin, qui, depuis le carnage de Charlie Hebdo, a « peur de sortir de chez elle, d’être agressée ». Elle porte un blouson en faux cuir par-dessus son hijab gris qui la couvre jusqu’aux pieds. Elle raconte comment la veille dans une rame, un type a voulu lui verser une bouteille de bière sur la tête « parce qu’elle était voilée ».

À ce moment-là de son récit, un laïcard d’une quarantaine d’années passe dans le cortège et pointe son voile, furibard : « C’est à cause des femmes qui se voilent comme vous que notre pays devient fou. Pas besoin de s’habiller de la sorte pour être musulmane. Elle est belle la liberté d’expression sous le voile ? » Sans s’énerver et alors qu’un groupe de badauds se forme en quelques secondes, Dounia réplique par un « discutons-en » mais l’homme ne veut « pas parler à une femme voilée ».

« Je suis Charlie. Je suis Ahmed. Je suis Yoav ». Pancarte affichée sur un immeuble, derrière la Place de la Nation.« Je suis Charlie. Je suis Ahmed. Je suis Yoav ». Pancarte affichée sur un immeuble, derrière la Place de la Nation. © M.T. / Mediapart

Dounia et ses copines viennent du nord de Paris, sont toutes voilées sauf Nadia, 43 ans, auxiliaire de vie, qui brandit une feuille de papier où elle a écrit avec une faute d’orthographe : « Je suis française, musulmane, je suis contre toute forme de terrorisme. Medias français ditent la vérité. » La plus timide porte un drapeau palestinien noué sur ses épaules. Elles sont « là en tant que citoyennes françaises et musulmanes pratiquantes », « pour condamner le terrorisme, pas pour se justifier ou se désolidariser d’un type qui était cinglé et qui n’était pas un musulman ». Elles ne crient pas Charlie : « On ne peut pas oublier l’offense faite à notre prophète qu’ils ont caricaturé comme à toutes les autres religions. »

Fatiha et Anissa, la cinquantaine, toutes deux voilées, tiennent elles aussi à expliquer que les auteurs des attentats « sont des délinquants. Pas des musulmans ». Anissa assure ne pas craindre une quelconque stigmatisation : « Ils veulent nous diviser mais ça ne marchera pas. Ma fille est mariée avec un Français, mes petits-enfants sont français. On est mélangés », poursuit-elle.

C’est aussi ce qu’a voulu montrer Florian, qui brandit une pancarte « Je suis Ahmed ». Entrepreneur de 27 ans, il intrigue, au milieu de la marée de pancartes « Je suis Charlie ». « C’est un hommage au policier qui s’est fait tuer. Il était musulman, il a défendu la République. Avec ma tête de bon Français, je trouve important de porter ce message de fraternité. »

Pancarte en hommage à Frédéric Boisseau, l'une des victimes de l'attentat à Charlie Hebdo.Pancarte en hommage à Frédéric Boisseau, l'une des victimes de l'attentat à Charlie Hebdo. © M.T. / Mediapart

À 18 heures, boulevard Charonne. Nation semble inatteignable. Tout est bloqué. Sébastien a renoncé à rejoindre la place. Il rentre. « C’est bien qu’il y ait eu autant de monde. Mais tout cela n’est pas sans ambiguïté. Avons-nous tous défilé pour les mêmes choses ? Je ne le crois pas. Il fallait sans doute cela pour faire réunir tout le monde. Mais cela m’étonnerait que cela dure », dit-il. « Que fait-on maintenant ? » est-il écrit sur une pancarte.

Place de la Nation, à 18h30.Place de la Nation, à 18h30. © M.T. / Mediapart

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L'UMP se divise sur «le jour d'après»

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Ils se sont donné rendez-vous au métro Oberkampf (Paris XIe) pour défiler tous ensemble. Pour faire bloc. Et participer, « comme des citoyens ordinaires », à une marche qu’ils souhaitent « digne » et « silencieuse », selon les mots de Frédéric Péchenard, l’ancien grand flic devenu directeur général de l’UMP. Chacun des ténors de la droite interrogés ce dimanche 11 janvier par Mediapart en marge du cortège parisien tient à insister sur la nécessité de rester unis pour « faire face » à ce que Nathalie Kosciusko-Morizet, la numéro 2 du parti, décrit comme une « ère de nouveaux dangers ».

Nathalie Kosciusko-Morizet dans le cortège parisien des élus UMP, le 11 janvier.Nathalie Kosciusko-Morizet dans le cortège parisien des élus UMP, le 11 janvier. © ES

La plupart d’entre eux portent une écharpe tricolore à l’épaule, mais quelques-uns ont choisi de la laisser chez eux. « Parce que les politiques, aujourd’hui, c’est le peuple français », souligne Bruno Le Maire. Quelques centaines de mètres plus haut, une vingtaine de responsables de l’UMP prennent place dans un carré melting pot composé d’élus de tous bords. Il y a là Jean-François Copé, Christian Jacob, François Baroin, Valérie Pécresse, mais aussi les sarkozystes Brice Hortefeux, Nadine Morano, Christian Estrosi et Henri Guaino.

Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet étaient prévus dans ce “cortège VIP”, mais ils ont finalement rejoint le groupe d’Oberkampf. Tout en tête de manifestation, on retrouve enfin une poignée d’anciens premiers ministres – François Fillon, Alain Juppé, Édouard Balladur… – et quelques mètres devant encore, le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, qui après avoir marché légèrement derrière François Hollande, a finalement réussi à jouer des coudes pour s’incruster sur la première ligne avec sa femme, Carla Bruni-Sarkozy.

Nicolas Sarkozy aux côtés de François Hollande, en tête du cortège parisien, le 11 janvier.Nicolas Sarkozy aux côtés de François Hollande, en tête du cortège parisien, le 11 janvier. © MM

Une fois le décor planté, les sourires affichés, la photo de groupe prise et les odes à l’unité nationale lancées, surgissent de nouvelles questions et de nouvelles dissonances. Car tous les responsables de l’opposition ne sont pas d’accord sur le scénario du “jour d’après”. La communion politique peut-elle survivre à cette journée de manifestation ? Le député de Paris Pierre Lellouche n’en est pas franchement certain. « Le dispositif actuel a montré ses limites, dit-il. Aujourd’hui, c’était une journée de deuil, mais demain il faudra passer à l’action. Si on reste tel quel, juste dans un discours de paix, ça ne marchera pas. »

Lui souhaiterait que François Hollande « dise ce qu’il se passe vraiment », qu’il « prononce les mots qui fâchent », à commencer par celui de « guerre ». Une expression que le président de la République s’est pour l’heure bien gardé d’employer, contrairement à son premier ministre qui a lui parlé de « guerre contre le terrorisme ». « Pas une guerre contre une religion, contre l’islam », mais « une guerre pour nos valeurs », a précisé Manuel Valls lors d’une visite au siège de Libération, comme pour mieux répondre à Nicolas Sarkozy qui avait pour sa part évoqué une « guerre déclarée à la civilisation ». Une expression qui gêne jusque dans les propres rangs de l'UMP. « Ça n'est pas une guerre de civilisation, a ainsi déclaré Rachida Dati sur France Info. De quelle civilisation parle-t-on ? Daech, c'est une civilisation ? Le nazisme était une civilisation ? Non ! »

Le député de la Marne, Benoist Apparu, explique de son côté qu’« il faut assumer le mot guerre dans une logique de débat ». Plus largement, s’il envisage le fait que « la droite et la gauche ne soient pas d’accord sur les solutions à apporter », l’ancien ministre du logement espère toutefois que « les débats sur l’identité nationale ou l’intégration » pourront désormais « s’ouvrir de façon plus sereine ». Le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier, veut pour sa part croire aux lendemains de l’unité nationale, y compris sur la question des réponses à apporter. 

« La ligne de crête ne sera pas facile, mais je sens une mobilisation », assure ce proche de François Fillon. Le député et maire juppéiste du Havre, Édouard Philippe, est moins optimiste que son collègue parlementaire. « On ne sera pas d’accord sur tout, c’est évident, tranche-t-il. L’unanimisme n’est pas une solution. C’est très sain d’avoir des désaccords dans un débat démocratique. Surtout lorsqu’on se retrouve sur l’essentiel : la liberté. »

La liberté. C’est précisément le sujet qui risque d’animer les futurs débats politiques. Invité de RTL ce lundi 12 janvier, Nicolas Sarkozy a appelé à revoir « l'équilibre » entre liberté et sécurité. Son ancien ministre de l'intérieur, Claude Guéant, a pour sa part estimé sur France 2 « qu'il y a aussi des libertés qui peuvent être facilement abandonnées ». « Il y a un débat inévitable que nous devrons avoir, glisse le député de Paris, Claude Goasguen. C’est celui que les États-Unis ont eu après le 11-Septembre, celui du Patriot Act. » Cette loi américaine, votée dans l'urgence après les attentats de 2001 pour lutter contre le terrorisme, a été vivement dénoncée par les défenseurs des libertés civiles. « Il ne faudra pas tomber dans les mêmes dérives, poursuit Goasguen. On ne fera pas de Guantanamo en France ! »

Valérie Pécresse veut également son Patriot Act made in France. « Il faudra bien entendu un Patriot Act à la française, a-t-elle indiqué ce dimanche. Il faut une réponse ferme et globale. » François Baroin, lui, se dit opposé à « un décalque du Patriot Act US en France ». « Il faut trouver le bon dosage entre plus de sécurité et le respect de nos libertés », a-t-il indiqué au Monde. Alors que 3,7 millions de personnes ont manifesté dimanche pour défendre le principe de « liberté », l’immersion d’une loi liberticide dans le débat public peut paraître étrange. C’est sans compter l’embarras dans lequel la droite se retrouve après les attentats de Paris.

« L’UMP est emmerdée sur les questions de sécurité, souligne un membre du gouvernement sous couvert de “off”. C’est eux qui ont baissé les effectifs de la police. Aujourd’hui, ils risquent de se lancer dans une course à l’échalote contre le FN… » Une analyse qui va dans le sens de la position adoptée par les différents ténors de l'UMP interrogés dimanche par Mediapart sur la question des responsabilités. « Vu les responsabilités que j’occupais avant (directeur général de la police nationale – ndlr), je ne me vois pas pointer du doigt nos services de renseignements », explique Frédéric Péchenard. « Chacun fera en sorte de ne pas se renvoyer la responsabilité », ajoute le député de la Drôme, Hervé Mariton.

Le député de Paris Philippe Goujon reconnaît volontiers que « la droite aurait pu prendre davantage de mesures », mais tient toutefois à souligner que « l’UMP a voté les deux lois antiterroristes adoptées sous Hollande, alors que la gauche ne l’avait pas fait sous Sarkozy ». Nathalie Kosciusko-Morizet estime quant à elle qu’il y a « un bilan à faire sur ce qu’il s’est passé », mais insiste sur le fait que « tout cela doit se faire dans un esprit de responsabilités, entre adultes ». Pas de ping-pong de recherche de responsables, donc. « Nous n’avons pas le temps », affirme le député du Val-d’Oise, Jérôme Chartier.

© Soulcié

« Les Français ne veulent pas de polémiques sur ces sujets », renchérit son collègue de Seine-et-Marne, Franck Riester, rejoint sur ce point par Bruno Le Maire. « Les Français nous ont donné une leçon d’unité et courage, dit-il. Nos débats politiques devront être à la hauteur de cet esprit national. Les questions que nous devrons nous poser ne sont pas seulement des questions de sécurité. Le mal est plus profond : c’est l'ensemble de notre système éducatif, économique, politique qu’il faut revoir. Nos valeurs aussi. »

Sur RTL, Nicolas Sarkozy a pris soin de donner le “la” à ses troupes, en insistant sur la nécessité de prolonger l’union nationale. « Il faut essayer de surmonter les clivages partisans sans détruire la nécessité du débat démocratique », a-t-il indiqué, avant de dérouler un certain nombre de propositions : empêcher le retour au pays des djihadistes français, isoler les détenus islamistes radicaux en prison, former les imams et expulser ceux qui tiennent des propos extrémistes, associer les responsables religieux au débat, donner plus de moyens pour les services de renseignement et les policiers, surveiller internet…

Proposant la mise en place d’« une commission d’experts parlementaire » ou « un groupe de travail bipartisan », le patron de l’UMP souhaite aller « au fond des choses », « sans esprit polémique, sans esprit partisan » : « N’ajoutons pas à la tragédie nationale le sectarisme et les donneurs de leçons, a-t-il encore affirmé. Je dois mesurer mes propos pour éviter que nous basculions de l’union nationale à l’affrontement national. »

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées dans le cortège parisien du 11 janvier.

Mise à jour : ce papier a été actualisé lundi 12 janvier, à 13h, après les déclarations de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy.

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Hollande, le moment de vérité

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François Hollande s'est un peu attardé. Pour saluer les familles des victimes des attentats de Paris, les plus meurtriers en France depuis 1962. Pour prendre dans ses bras, devant les caméras, l'urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo, que le chef de l’État connaît bien.

Quelques minutes avant, le président de la République et une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement solidaires avaient manifesté, silencieux, le long d'un boulevard parisien désert et hypersécurisé, avec CRS à chaque porte, habitants interdits de sortir de leur immeuble, et journalistes rangés comme des petits pois dans des tribunes de la presse. Pendant ce temps, dans les rues adjacentes, des dizaines de milliers de manifestants attendaient le signal du départ. Parmi les invités d'honneur, Angela Merkel (Allemagne), Matteo Renzi (Italie) ou le Britannique David Cameron. Mais aussi quelques présidents ou premiers ministres aux pedigrees chargés (lire notre article), « dont la conception de l'antiterrorisme passe souvent par la réduction de la liberté d'expression », admet un officiel français qui souhaite rester anonyme.

Le cortège des chefs d'Etat et de gouvernementLe cortège des chefs d'Etat et de gouvernement © MM

En attendant l'arrivée des bus transportant depuis l’Élysée ce gratin mondial, un homme a veillé à tout : Stéphane Ruet, photographe de métier chargé de l'image présidentielle. Tout devait être parfait. Ce dimanche, François Hollande jouait gros.

Lundi dernier, le 5 janvier, le chef de l’État avait fait sa rentrée. Radiophonique (sur France Inter), et plutôt poussive, sur fond d'échec de sa politique en matière économique et sociale, dans l'attente de résultats qui ne viennent toujours pas. Le président impopulaire amorçait une difficile séquence de vœux. La majorité s'étripait sur la loi Macron, qui doit être débattue fin janvier à l'Assemblée nationale, sur fond de déprime généralisée parmi ses troupes.

La tuerie à Charlie Hebdo, le meurtre d'une policière municipale à Montrouge (Hauts-de-Seine) puis la prise d'otages antisémite de la porte de Vincennes, et les immenses cortèges de ce week-end dans toutes les villes de France, ont chamboulé cet agenda, aussi paisible que désespérant.

Le président, chef des armées selon la Constitution, s'est mué en l'espace de trois jours en chef d'une gigantesque opération mobilisant des milliers de policiers. Sitôt prévenu de l'assassinat d'une grande partie de la rédaction de Charlie Hebdo, il a filé sur place pour évoquer un « attentat terroriste ». On l'aura vu deux fois en trois jours à la télévision. Il a décrété une journée de deuil national. Il s'est fait photographier dans la “situation room” du ministère de l'intérieur, façon Obama lors de la traque de Ben Laden, ou sur le pont avec ses ministres dans son bureau. François Hollande a dirigé les opérations et s'est plu à le faire savoir. Et pour la première fois depuis la profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, un chef de l’État a manifesté avec ses concitoyens. La plus grande manifestation de l'histoire de France.

Sur le site de l'ElyséeSur le site de l'Elysée © capture d'écran, elysee.fr

Et maintenant? Le chef de l’État est réputé optimiste, mais pas au point de penser que les Français sont massivement descendus dans la rue pour lui, ni d'ailleurs pour les chefs d’État et les élus qui l'ont accompagné en tête des cortèges.

Difficile en revanche de ne pas voir que cette vague d'attentats, et le sursaut qui a suivi, ouvrent une période nouvelle. Porteuse d'espoirs, si l'on en juge par l'ampleur de la mobilisation. Mais aussi d'interrogations, car ce sont de jeunes Français, étant nés et ayant grandi en France, qui sont les auteurs de ces attentats. Moment d'incertitude, aussi, car tout le monde n'a sans doute pas manifesté pour les mêmes raisons, et de dangers : à cause de la folie de quelques fondamentalistes, les musulmans, que certains somment de se désolidariser, craignent d'être pris pour cibles – ils le sont déjà, par endroits. Les juifs s'inquiètent pour leur part de ces actes antisémites. Quant à la droite, elle réclame déjà de nouvelles lois sécuritaires. La députée UMP Valérie Pécresse réclame un « Patriot Act » à la française, train de mesures sécuritaires comme aux États-Unis après le 11-Septembre (lire notre article sur les échecs de cette politique). Nicolas Sarkozy, lui, évoque même une « guerre déclarée à la civilisation ».

Dans ce contexte, François Hollande saura-t-il se garder de partir en guerre, lui aussi ? Pour l'instant, le président a évité de prononcer ce terme. Depuis trois jours, il a su éviter de mettre de l'huile sur le feu, en lançant des appels au « rassemblement », à l'« unité », au refus de l'antisémitisme et des « amalgames ». Quant à ses ministres Cazeneuve (intérieur) et Taubira (justice), ils ont exclu toute mesure d'exception en marge du droit.

Dans le même temps pourtant, son premier ministre Manuel Valls, celui-là même qui désignait dès l'automne 2012 un « ennemi intérieur », a bien parlé, lui, ce vendredi, de « guerre au terrorisme ». Le premier ministre, dont l’Élysée assure qu'il est d'une loyauté absolue, a lui-même annoncé dès vendredi de « nouvelles mesures » pour répondre à la « menace » terroriste. Tout comme le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, qui parlait d'ores et déjà ce dimanche sur Europe 1 de « mesures supplémentaires à prendre pour mieux lutter contre le terrorisme », malgré deux textes votés depuis 2012.

Cette rhétorique belliciste, Hollande, le président de plusieurs guerres, le plus interventionniste de la Cinquième République, l'a d'ailleurs déjà lui-même utilisée, pour désigner les cibles de l'armée française au Mali, en Centrafrique, en Irak, et demain, peut-être en Libye, comme le souhaite le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian (lire notre article).

Dans quelle mesure François Hollande restera-t-il prisonnier de cet imaginaire ? Parviendra-t-il, souhaitera-t-il seulement formuler un autre discours, ouvert, généreux, inclusif, parler enfin aux quartiers populaires, prendre à bras-le-corps les crises de la société française ? En tirant les leçons des ratés évidents des services de renseignement dans la surveillance des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly, sans pour autant céder aux argumentaires de la division ?

Interrogés en off depuis jeudi – les ministres non directement concernés par l'attentat ont reçu la consigne expresse de se taire ces jours-ci –, des membres du gouvernement veulent y croire. « Il faut une analyse globale de tout ça, sans concession, y compris sur certains échecs collectifs, en matière d'intégration, de politique urbaine, de tout ce qui peut produire le fait que des jeunes Français font ça. Et sans tomber dans la rhétorique de l'ennemi intérieur », dit l'un d'eux. « En fait, tout ça peut tourner en magnifique mouvement citoyen, ou alors vriller chez beaucoup de gens en mode "faut un bon coup de balai". Et cela va se jouer dans les jours à venir. »

Un autre espère qu'au vu des questions posées par la radicalisation de ces jeunes Français, « nous allons sortir de l'agenda politique du "tout-économie" dans lequel le pouvoir s'est enfermé jusqu'ici, sans avoir de résultats ». « Nous devons reparler de la laïcité, nous engager encore plus pour l'éducation républicaine, tenir un discours en direction de l'islam : le débat politique ne peut se résumer à se protéger des barbus. Tomber dans ce piège serait du pain bénit pour le Front national. » François Hollande a désormais toutes les cartes en main. S'il décide de les jouer, sans doute peut-il espérer sauver quelque chose de son quinquennat. Dans le cas contraire, il aura tout raté, et trahi les promesses de ce 11 janvier 2015.

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Mediaporte : « Tous des charlots ! »


Comment les services ont raté les terroristes avant les attentats

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La surveillance s’était interrompue six mois avant le massacre. Saïd et Chérif Kouachi, les deux auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, ont fait l’objet entre 2011 et 2014 de quinze mois d’écoutes et quatre mois de surveillance physique (pour Saïd) et deux ans de surveillance téléphonique (pour Chérif), selon des informations obtenues par Mediapart. Les services de renseignements français ont mis fin aux interceptions à l’été 2014 faute d’éléments probants permettant de raccrocher la fratrie à un groupe terroriste identifié ou à un projet d’attentat précis.

Doublement connu des services, de la justice et de la police pour avoir été condamné en 2008 dans l’affaire des filières de djihadistes dite des « Buttes-Chaumont », puis impliqué deux ans plus tard dans la tentative d’évasion de l’artificier des attentats parisiens de 1995 (sans avoir été condamné), Chérif Kouachi s’est retrouvé, avec son frère aîné Saïd, dans les radars de l’anti-terrorisme français dès l’automne 2011.

Les frères Kouachi, lors du braquage d'une station-service dans l'Aisne, le 8 janvier 2015.Les frères Kouachi, lors du braquage d'une station-service dans l'Aisne, le 8 janvier 2015. © Vidéo-surveillance

Tout est parti d’une première information des services de renseignements américains datant d’octobre 2011, selon laquelle un membre d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), mouvement terroriste rapatrié au Yémen depuis 2006, est entré informatiquement en relation avec une personne située dans un cyber-café de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). C’est-à-dire non loin du domicile de Chérif Kouachi, qui réside au 17 de la rue Basly. Il n’y a alors – et à ce jour non plus – aucune certitude sur le fait que Chérif Kouachi ait été le correspondant français d’AQPA repéré par les États-Unis, même s’il est tentant de le penser.

Un mois plus tard, en novembre 2011, les services américains transmettent à leurs homologues français de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue depuis DGSI) une nouvelle information stipulant cette fois que Saïd Kouachi s’est rendu à l’étranger, entre les 25 juillet et 15 août 2011, en compagnie d’une seconde personne. Les Américains sont formels dans leur note de transmission sur un séjour des intéressés dans le sultanat d’Oman et évoquent une suspicion d’un passage clandestin au Yémen. « Ces renseignements n’étaient alors corroborés ni par des sources humaines ou techniques », nuance aujourd’hui une source proche de l’enquête concernant le Yémen.

L’information attire toutefois l’attention de la DCRI, qui lance alors une opération de surveillance administrative – c’est-à-dire non confiée à l’autorité judiciaire. À partir de décembre 2011, Chérif Kouachi est l’objet de filatures et d’écoutes téléphoniques. Elles dureront jusqu’au mois de décembre 2013. Les services secrets français découvrent un homme qui, s’il continue de frayer avec certaines connaissances bien ancrées dans des groupes radicaux, semble petit à petit s’éloigner de la mouvance terroriste. Du moins, en façade.

Chérif Kouachi paraît alors plutôt se reconvertir dans une délinquance beaucoup moins dangereuse, à savoir un business de contrefaçon de vêtements et de chaussures avec la Chine. Il en parle imprudemment au téléphone, bien qu’il s’inquiète d’être pisté par les douanes. Mais pas par l’anti-terrorisme, qui enregistre tout.

Son grand frère, Saïd, qui est pour sa part toujours parvenu à passer entre les filets de la justice, n’ayant été cité à chaque fois que très à la marge des dossiers ayant impliqué Chérif, est lui aussi dans le viseur de la DCRI.

Selon les informations recueillies par Mediapart, il a fait l’objet, en 2012, de huit mois d’écoutes téléphoniques, couplées à quatre mois de surveillance physique, puis de deux mois d’écoutes en 2013, qui s'arrêtent. Le butin était trop maigre. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité qui encadre l’exécution des écoutes, dément aujourd'hui dans un communiqué avoir préconisé une première fois l’arrêt de la surveillance.

Mais en février 2014, les services français ont du nouveau. Ils obtiennent un témoignage qui vient confirmer le voyage à Oman de Saïd Kouachi, sans certitude toujours sur un passage – et encore moins d’un entraînement – au Yémen. Ce témoignage provoquera cinq nouveaux mois d’écoutes, finalement interrompus en juin 2014. Certaines sources liées à l'enquête affirment que cette nouvelle interruption a eu lieu en accord avec la CNCIS (ce qu'elle conteste), les interceptions ne laissant apparaître ni projet d’attentat ni activité terroriste manifestes.

À cet instant, les frères Kouachi disparaissent des radars de l’anti-terrorisme français, qui estime ne pas avoir assez d’éléments pour réclamer l’ouverture d’une enquête judiciaire aux services compétents. C’est cette situation qui fera dire au ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, vendredi 9 janvier, au sujet des frères Kouachi, que « rien ne témoignait du fait (qu’ils) pouvaient s'engager dans un acte de ce type. Leur situation n'avait pas été judiciarisée ».

Les questions, nombreuses, se posent aujourd’hui. Les frères Kouachi ont-ils si bien caché leur jeu que les services de renseignements sont passés complètement à côté de leur cible ? Avaient-ils trouvé un moyen sûr de communication, via Internet par exemple ? Ou avaient-ils vraiment coupé les ponts avec les réseaux opérationnels de leur passé avant de sombrer à nouveau dans un dessein terroriste à l’origine de la plus meurtrière campagne d’attentats en France depuis cinquante ans ?

Il est certain que, des deux frères Kouachi, Saïd apparaît aujourd’hui comme le plus dissimulateur. Et depuis longtemps. Alors que c’est lui qui avait introduit son frère auprès de l’entourage du prédicateur Farid Benyettou, figure centrale de la filière irakienne des Buttes-Chaumont de 2005, il dit à l'époque lors d’une audition condamner la dérive de Chérif, se rappelle une source judiciaire.

Le cas du troisième terroriste, Amedy Coulibaly, auteur des meurtres d’une policière à Montrouge et de quatre otages juifs à l’Hyper Cacher porte de Vincennes, est potentiellement le plus problématique pour le monde du renseignement français. Car contrairement aux frères Kouachi, Coulibaly est resté dans l’angle mort des services, qui n’ont rien vu venir.

Condamné à cinq ans de prison le 20 décembre 2013 dans l’affaire de la tentative d’évasion de l’artificier des attentats de 1995, Amedy Coulibaly est sorti de détention en mars 2014, grâce au jeu des remises de peines et de la détention provisoire déjà effectuée (trois ans dans son cas). Il a été placé sous bracelet électronique jusqu’en mai. Puis plus rien. Pas d’écoutes, pas de filatures. Les services anti-terroristes, qui avaient beaucoup travaillé sur lui en 2010, ont-ils seulement été informés de sa sortie de prison ?

Amedy Coulibaly, en 2010.Amedy Coulibaly, en 2010. © DR

Dans une vidéo de revendication postée sur Internet après les attentats de la semaine dernière, Coulibaly affirme avoir « beaucoup bougé » depuis la fin de sa détention et « avoir sillonné les mosquées de France, un petit peu, et beaucoup de la région parisienne ».

L’enquête de 2010 avait pourtant dessiné le portrait d’un homme dangereux, passé des vols à mains armées – il a été impliqué dans une quinzaine de dossiers –  à la radicalité islamiste au contact de plusieurs vétérans du djihad en prison. En mai 2010, la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la police judiciaire le présentait déjà comme un « islamiste rigoriste ». Des écoutes téléphoniques opérées à cette période avaient même montré un homme totalement sous l’emprise idéologique de Djamel Beghal, terroriste condamné dans le cadre d’un projet d’attentat en 2001 contre l’ambassade américaine de Paris et chef d’une cellule opérationnelle d’obédience « takfir », un mouvement sectaire salafiste.

Les écoutes avaient notamment permis de constater que Beghal régissait la vie de Coulibaly dans ses moindres détails au point de l’empêcher d’aller voter à des élections, une action jugée alors comme un « grand, grand péché, pire que les péchés majeurs ». Beghal l'avait aussi convaincu de verser de l’argent à un « ancien qui a combattu en Afghanistan, qui a fait pas mal de djihad et tout ce qui s’ensuit ».

Surtout, le 18 mai 2010, les enquêteurs de la SDAT découvraient chez Coulibaly, à Bagneux, cachées dans un pot de peinture, un lot de 240 cartouches de calibre 7.62 compatibles avec une kalachnikov, ainsi qu’un étui de revolver.

Les derniers développements de l’enquête sur les attentats parisiens de la semaine passée confirment l’appétence de Coulibaly, alias “Doly”, pour les armes. Dans un appartement qui devait être loué jusqu’au 11 janvier à Gentilly (Val-de-Marne), tout un arsenal a été découvert (armes automatiques, détonateurs…). Et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, Coulibaly avait disposé dans le magasin un système d’explosifs et de grenades, qu’il n’a heureusement pas déclenché au moment de l’assaut du RAID et de la BRI.

Chérif Kouachi, lance-roquettes en bandoulière, le 8 janvier. Chérif Kouachi, lance-roquettes en bandoulière, le 8 janvier. © Vidéo-surveillance

Les frères Kouachi, eux, avaient réussi pour leur part à se procurer un lance-roquettes de type M80 d’origine yougoslave, en plus de leurs kalachnikovs qui ont fait couler le sang à Charlie Hebdo et dans les rues de Paris. C’est cette arme de guerre que l’on voit dans le dos de Chérif Kouachi, jeudi 8 janvier, sur une vidéo de surveillance de la station-service Avia, située au sud de Villers-Cotterêts (Aisne), qu’il a dévalisée avec son frère.

Dans la première voiture (volée) qu’ils ont utilisée dans leur fuite, mercredi 7 janvier, avant de l’abandonner dans le XIXe arrondissement de Paris, les enquêteurs ont également retrouvé de quoi fabriquer une dizaine de cocktails Molotov, des menottes, des drapeaux djihadistes et une Go-Pro, petite caméra portative dont s’était notamment servi Mohamed Merah pour filmer l’attentat de l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse.

À ce stade de l’enquête, aucun téléphone portable n’a été retrouvé sur les terroristes ; on ne sait donc pas s’ils ont communiqué entre eux entre le 7 janvier, jour de la tuerie à Charlie Hebdo, et le 9 janvier, jour de leur mort sous les balles des forces de l’ordre.

BOITE NOIRECet article a été actualisé après le démenti de la CNCIS concernant son rôle dans l'interruption – ou non – des écoutes des frères Kouachi.

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Les acteurs de la lutte contre l'islamophobie redoutent les pires des régressions

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Le temps du recueillement dans l’« unité nationale » et du refus des amalgames a peu duré, malgré l'émotion palpable partout en France à la suite des attentats qui ont causé la mort de dix-sept personnes. Les révélations factuelles sur les agissements des auteurs du massacre perpétré à Charlie Hebdo mercredi 7 janvier ont vite été concurrencées par la recherche des autres responsabilités, celles supposées imputables à l’organisation de la société française et à certains de ses membres. Dès le lendemain du drame, avant même l'attentat antisémite commis dans le supermarché casher à Paris vendredi 9 janvier, l’espace public a vu émerger des discours ciblant implicitement les musulmans quels qu’ils soient, pratiquants ou non – en tout cas perçus comme tels.

Injonction leur a été faite soit de s’excuser, soit de se démarquer de l’horreur commise au nom de l’islam. Plusieurs lieux de culte ont été attaqués – des coups de feu ont été tirés contre une salle de prière à Port-la-Nouvelle dans l’Aude et à Saint-Juéry dans le Tarn, des grenades ont été lancées dans la cour de la mosquée des Sablons au Mans. Une explosion a eu lieu dans un snack près d’une mosquée à Villefranche-sur-Saône dans le Rhône. D'autres incidents ont été signalés, mais ces actes n'ont pas fait de morts ni ne blessés, les médias les ont à peine évoqués. 

Face à la tragédie, la plupart des responsables politiques et associatifs s'inquiètent des dérapages et mettent en garde contre les raccourcis. Mais derrière cette unanimité de façade pointent des paroles établissant des passerelles entre islam et islam radical. Ces tueries font resurgir des haines entretenues par les dits et écrits de polémistes et intellectuels comme Éric Zemmour, Renaud Camus ou Michel Houellebecq, qui sous une forme ou une autre font du grand remplacement, c'est-à-dire une France submergée par une immigration arabo-musulmane, une réalité. Elles renforcent les islamophobes notoires, qui clament depuis des années que l'islam est dangereux, et qui trouvent, dans un renversement paradoxal, des alliés dans les islamistes anonymes qui sévissent sur les réseaux sociaux et ailleurs, et qui, au nom du « ils sont allés trop loin » (les journalistes de Charlie Hebdo) et « ils l'ont bien cherché », justifient le pire.

Que visaient les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ? Le journal qui a publié les caricatures de Mahomet, la police et les juifs, les crimes sont signés. Mais pour le reste ? La liberté d'expression était-elle en cause ? La laïcité ? L'Occident ? L'ordre établi ? La grivoiserie revendiquée d’ex-soixante-huitards se moquant des « gros cons » en tout genre ? Leurs intentions restent mal élucidées. Pourtant déjà leurs actes produisent des victimes collatérales. Pris comme un tout qu’ils ne sont pas, les musulmans sont priés de rendre des comptes – et avec eux les personnes qui font de la lutte contre l'islamophobie un combat.

Les instances représentatives de cette communauté sont prises à partie, alors même qu'elles n'ont pas tardé à réagir – et dans leur pluralité. Individuellement aussi, les musulmans sont interpellés. À l'offensive : toute une gamme d'experts, éditorialistes et essayistes, allant de la droite néo-conservatrice à la gauche souverainiste. 

Le dernier livre de l'éditorialiste Ivan Rioufol.Le dernier livre de l'éditorialiste Ivan Rioufol.

Quelques heures à peine après le drame, sur RTL, l’éditorialiste Ivan Rioufol « somme » la journaliste Rokhaya Diallo de se « désolidariser » des actes des terroristes « en tant que musulmane ». En parallèle, il accuse « la gauche » d'avoir « parrainé (...) ce communautarisme qui s'est développé dans l'aveuglement très général ». Les appels à rejeter l'action des djihadistes se répandent avec en filigrane l'idée que les musulmans auraient une part de reponsabilité dans ce qu'il s'est passé. 

Où commence l'islamophobie ? Rappelons la définition qu'en a récemment donnée la sociologue Houda Asal dans Mediapart s'appuyant sur l'acception retenue à la fois par les organisations internationales et les sciences sociales dans le monde. L'islamophobie n'est pas entendue comme la critique d'une religion, mais comme « une idéologie construisant et perpétuant des représentations négatives de l'islam et des musulmans » et « donnant lieu à des pratiques discriminatoires et d'exclusion ».

Le livre des sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed.Le livre des sociologues Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed.

Pour Marwan Mohammed, sociologue et auteur avec Abdellali Hajjat de Islamophobie – Comment les élites françaises fabriquent le “problème musulman” (La Découverte, 2013), l'injonction faite aux musulmans de se désolidariser des actes commis est de nature islamophobe en ce qu'elle se fonde sur une « présomption de complicité ». « Demander aux musulmans de se manifester en tant que musulman, indique-t-il, c'est établir un lien entre l'islam, perçu comme une essence, les musulmans, considérés comme un tout, et les atrocités commises en son/leur nom. Le hashtag #NotInMyName part d'une bonne intention, mais il porte en lui un soupçon, une accusation. Il est basé sur l'idée que les musulmans ont quelque chose à se reprocher. S'ils n'étaient pas perçus comme complices, personne ne leur demanderait de prendre leur distance. »

La frontière est parfois ténue et mouvante. Sur France Inter, l'éditorialiste Thomas Legrand, marqué à gauche, n'exige pas des musulmans une attitude particulière, à la différence de Philippe Val, ancien patron de Charlie Hebdo auquel Charb avait succédé. En revanche, il critique frontalement ces anti-islamophobes qui, estime-t-il, « assimilent les vrais racistes aux libertaires anti-racistes et anti-intégristes » et « empêchent bien souvent de voir la réalité de certains extrémismes et nous empêchent de les prévenir et de les combattre ».

L'économiste Christophe Ramaux.L'économiste Christophe Ramaux.

Le procès en responsabilité de la « gauche radicale » le plus virulent vient d'un membre du collectif d'animation des Économistes atterrés, Christophe Ramaux, maître de conférences à l'université Paris-1, qui est passé par le MRC de Jean-Pierre Chevènement, avant de rejoindre puis de quitter le Parti de gauche en 2011. Dans une tribune au Monde, il dénonce les tenants de la mobilisation contre l'islamophobie qu'il juge coupables.

Estimant que « la mouvance antilibérale doit en finir avec la critique de la laïcité et l'aveuglement idéologique que peut susciter parfois la lutte contre le rejet de l'islam », il accuse ceux qui, selon lui, « ne conçoivent pas que des musulmans, des immigrés ou enfants d'immigrés puissent être totalement réactionnaires, et même fascistes, au même titre que certains catholiques, protestants, juifs ou agnostiques ». « Plus de mille départs en Syrie, cela devrait alerter ceux qui n'ont pu envoyer que quelques dizaines de guérilleros en Amérique latine ou ailleurs », ironise-t-il. À force de dénégations, estime-t-il, à force de chercher des excuses dans le « capitalisme néolibéral », l'« austérité », le « chômage » ou la « désespérance sociale », cette gauche alimente le « fascisme vert » des djihadistes, martèle-t-il.

L'essayiste Pascal Bruckner.L'essayiste Pascal Bruckner.

Tout aussi vindicatif, l'essayiste Pascal Bruckner, contributeur à la revue néo-conservatrice Le Meilleur des mondes, est le premier, au lendemain du massacre à Charlie Hebdo, à ouvrir les hostilités contre « les collabos de tout poil » qui « plaideront pour une limitation de la liberté d’expression ». Selon lui, l'islamophobie n'existe pas. C'est une construction des « barbus » iraniens et une vue de l'esprit des « anti-racistes », mettant en danger à la fois la liberté de la presse et la laïcité. « Ici, l’ennemi est invisible », insiste-t-il dans Le Figaro, exigeant l’extension du pouvoir de la police.

Le déroulé de son entretien est éloquent : il commence en affirmant qu’il faut combattre l’islam radical et conclut que l’islam en général pose un problème. « Beaucoup ont conclu un peu vite avec François Hollande que "l’islam est soluble dans la démocratie" », regrette-t-il, en terminant avec une supplique : « Cette tragédie doit nous ouvrir les yeux. »

Ces personnalités aux interventions récurrentes dans l'espace public ne mènent pas seules la bataille idéologique. Aveuglement, déni, angélisme: c’est ce même lexique que reprend Marine Le Pen lorsqu’elle appelle à « libérer la parole ». Elle ne dérape pas puisqu’elle précise viser le « fondamentalisme islamique ». Mais, selon une technique rhétorique rodée, elle laisse le soin à son public de faire l’amalgame. « Le temps du déni, de l’hypocrisie, n’est plus possible », insiste-t-elle. Professeur de sciences politiques et chercheur à l'université de Middlebury dans le Vermont aux États-Unis, Erik Bleich, auteur de The Freedom to Be Racist (Oxford University Press, 2011), souligne que Marine Le Pen « joue sur des ressorts islamophobes et fait appel à un réflexe pavlovien qui lui permet de ne pas dire mais de se faire comprendre sans être condamnée ».

L'UMP emprunte un autre chemin, celui de la guerre des civilisations, pour aboutir au même résultat. « Il s'agit d'une guerre déclarée non seulement à la République et à la démocratie mais à la civilisation », indique ce parti dans une déclaration « solennelle » écrite au nom de Nicolas Sarkozy, oubliant par là même que l'immense majorité des victimes des djihadistes vivent au sud et à l'est de la Méditerranée. « Il faut que tous ceux qui sont attachés aux valeurs de notre civilisation s'unissent face à la barbarie », ajoute-t-il.

« Al-Qaïda et l'organisation “État islamique” partagent avec les islamophobes néo-conservateurs l'idée d'un choc des civilisations », remarque Abdellali Hajjat. « Ils pourraient signer un texte opposant la “civilisation musulmane” à la “civilisation chrétienne” dans une guerre qui devrait se résoudre par les armes », poursuit-il. Inventé par l'orientaliste Bernard Lewis aux États-Unis en 1956, en pleine guerre froide, ce concept reformulé par le politologue Samuel Huntington dans les années 1990 a servi de clef de lecture à l'ensemble des néo-conservateurs américains et français qui ont cherché à trouver les racines de la violence aux marges de l'empire plutôt qu'en son centre. « Le 11-septembre a légitimé leurs positions aux yeux du grand public. En France, les discours d'extrême droite de Finkielkraut, Zemmour, Bruckner et Rioufol sont hégémoniques dans l'espace médiatique. Cet attentat sans précédent les renforce comme il renforce les opinions islamophobes en général », indique le chercheur.

Coups de feu tirés contre un lieu de culte à Saint-Juéry (Tarn) dans la nuit du 8 au 9 janvier. © Ch. Chassaigne/France 3 TarnCoups de feu tirés contre un lieu de culte à Saint-Juéry (Tarn) dans la nuit du 8 au 9 janvier. © Ch. Chassaigne/France 3 Tarn

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le philosophe Edgar Morin regrette que « la pensée réductrice triomphe ». Il anticipe ces glissements qui risquent de pourrir le débat public dans les jours qui viennent et s'efforce de tenir les deux bouts en rejetant à la fois l'islam radical et la haine de l'islam qui, sous couvert de critiquer une religion, dénie à une population sa place dans la société. « Non seulement les fanatiques meurtriers croient combattre les croisés et leurs alliés les juifs (que les croisés massacraient), écrit-il, mais les islamophobes réduisent l'Arabe à sa supposée croyance, l'islam, réduisent l'islamique en islamiste, l'islamiste en intégriste, l'intégriste en terroriste. Cet anti-islamisme devient de plus en plus radical et obsessionnel et tend à stigmatiser toute une population encore plus importante en nombre que la population juive qui fut stigmatisée par l'antisémitisme d'avant-guerre et de Vichy. »

L'inquiétude se diffuse dans la communauté musulmane. Certains croyants ont préféré ne pas se rendre à la mosquée vendredi dernier, d'autres ont hésité à participer à la manifestation de dimanche. Ils s'interrogent sur le regard porté sur eux, sur leur place dans la société, sur la possibilité qu'ils en soient mis au ban. « À l'heure actuelle, il est important de laisser passer du temps, de ne pas polémiquer pour respecter le deuil des victimes, note Sihame Assbague, la porte-parole de Stop contrôle au faciès. Être responsable, contrairement à d'autres. Mais il est clair qu'il y a de quoi être inquiet dans les jours et semaines qui viennent pour les “musulmans visibles”, ceux avec une barbe trop longue ou un voile. On sent déjà la société s'effriter, on a des récits d'insultes et d'agressions qui remontent. Sans parler de l'arsenal de mesures qui va inévitablement suivre et cibler toujours la même partie de la population. » 

Même constat du côté de Marwan Mohammed. La peur de l'amalgame est présente dans toutes les têtes. « Je suis submergé de messages de musulmans témoignant de leur sentiment d'être dévisagés dans la rue, dit-il. Ils ont l'impression qu'on les regarde avec défiance après ce qu'il s'est passé. Ils ont, comme tout le monde, peur d'être confrontés à la violence terroriste qui s'est exprimée à Charlie Hebdo ou à Porte de Vincennes, tout comme ils s'inquiètent de celle qui les vise spécifiquement. »

« La peur du backlash est énorme dans la population supposée musulmane », confirme Abdellali Hajjat. « La question qui se pose est nouvelle, poursuit-il. Les gens se demandent s'ils vont pouvoir rester sur le territoire français. Si, après 2017, ils vont devoir partir, s'ils vont être expulsés. »

Les musulmans américains et britanniques ont vécu cette situation. Quelles leçons en tirer ? « En Grande-Bretagne, après les attentats à Londres en 2005, affirme Erik Bleich, les autorités politiques ont tenu un discours modéré évitant de stigmatiser les communautés. Elles se sont efforcées de dissocier les criminels de l'islam. Mais cela n'a pas empêché des femmes voilées de se faire cracher dessus, ou des musulmans d'être attaqués dans les rues. Certains ont aussi considéré que la surveillance des mosquées qui a en résulté n'était pas justifiée. Aux États-Unis, le Patriot Act a considérablement accru le pouvoir des forces de l'ordre. La surveillance des terroristes est allée de pair avec plus de contrôle des citoyens. Nous constatons aujourd'hui que c'est difficile voire impossible de faire machine arrière. »

Panneaux conçus en écho au slogan Je Suis Charlie.Panneaux conçus en écho au slogan Je Suis Charlie.

Déjà peu représentée dans les médias français, la parole des musulmans risque de l'être moins encore. La critique de l'islamophobie, ainsi soupçonnée de fragiliser la liberté d'expression et la laïcité, est mise en difficulté à un moment où son audience en France commençait à croître. Pendant des années, cette lutte a été mal perçue à gauche, y compris dans les associations antiracistes.

Marqués par plusieurs décennies de mobilisation anticléricale, notamment dans les écoles, de nombreux militants ont longtemps refusé de reconnaître que des personnes pouvaient être victimes de discriminations en raison de leur lien, réel ou supposé, avec une religion. S'appuyant sur une vision extensive de la laïcité, ils ont estimé que le racisme suffisait à décrire l'ensemble des situations. Dans cette logique, à Charlie Hebdo, la plupart des dessinateurs se définissent comme des anti-racistes « bouffeurs de curé », de tous les curés. Faisant abstraction du rapport de domination actuel qui confine les musulmans dans une position subalterne, certaines caricatures ont pu se voir reprocher de faire circuler les préjugés.  

Le contexte international marqué par la « guerre contre le terrorisme » et la multiplication des agressions islamophobes ont fait bouger les lignes ces dernières années. Au Mrap, par exemple, le débat a eu lieu. À la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) aussi.

Dans son dernier rapport annuel, cette institution indépendante composée de représentants de la société civile a conclu qu'il était devenu indispensable de recourir à la notion d'islamophobie et de faire de ce combat une priorité (lire l'article de Mediapart consacré à ce revirement). « La cause de la lutte contre l'islamophobie commençait à gagner en légitimité dans l'espace public, dans les journaux, dans les institutions ou dans les partis politiques », indique Abdellali Hajjat. « Il n'est pas improbable, ajoute-t-il, que cette dynamique s'inverse. Certaines personnalités publiques ont déjà accusé les critiques de l'islamophobie d'être “responsables” du massacre de Charlie Hebdo. » 

Il est plus que probable que la gauche, poussée par les néo-conservateurs, ne parvienne pas à éteindre le feu et s'entre-déchire sur ces sujets latents toujours pas réglés. Et cela, à un moment où les violences contre les musulmans s'intensifient. À un moment où, comme l'affirme l'écrivain Tahar Ben Jelloun dans une tribune au Monde, « quelque chose de mauvais » sature l'air de France. Le piège est là, sous les yeux : qu'il se referme sur les musulmans désignés en ennemis de l'intérieur. À charge aux responsables de cette communauté et à la société tout entière de n'exclure aucune question – Al-Qaïda ou l'État islamique sont-ils une négation de l'islam ou une monstrueuse déviance, mais néanmoins une de ses multiples facettes ? – et de reprendre le flambeau de la lutte contre les discriminations et le respect des droits.

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Comment les services ont raté les terroristes

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La surveillance s’était interrompue six mois avant le massacre. Saïd et Chérif Kouachi, les deux auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, ont fait l’objet entre 2011 et 2014 de quinze mois d’écoutes et quatre mois de surveillance physique (pour Saïd) et deux ans de surveillance téléphonique (pour Chérif), selon des informations obtenues par Mediapart. Les services de renseignements français ont mis fin aux interceptions à l’été 2014 faute d’éléments probants permettant de raccrocher la fratrie à un groupe terroriste identifié ou à un projet d’attentat précis.

Doublement connu des services, de la justice et de la police pour avoir été condamné en 2008 dans l’affaire des filières de djihadistes dite des « Buttes-Chaumont », puis impliqué deux ans plus tard dans la tentative d’évasion de l’artificier des attentats parisiens de 1995 (sans avoir été condamné), Chérif Kouachi s’est retrouvé, avec son frère aîné Saïd, dans les radars de l’anti-terrorisme français dès l’automne 2011.

Les frères Kouachi, lors du braquage d'une station-service dans l'Aisne, le 8 janvier 2015.Les frères Kouachi, lors du braquage d'une station-service dans l'Aisne, le 8 janvier 2015. © Vidéo-surveillance

Tout est parti d’une première information des services de renseignements américains datant d’octobre 2011, selon laquelle un membre d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), mouvement terroriste rapatrié au Yémen depuis 2006, est entré informatiquement en relation avec une personne située dans un cyber-café de Gennevilliers (Hauts-de-Seine). C’est-à-dire non loin du domicile de Chérif Kouachi, qui réside au 17 de la rue Basly. Il n’y a alors – et à ce jour non plus – aucune certitude sur le fait que Chérif Kouachi ait été le correspondant français d’AQPA repéré par les États-Unis, même s’il est tentant de le penser.

Un mois plus tard, en novembre 2011, les services américains transmettent à leurs homologues français de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue depuis DGSI) une nouvelle information stipulant cette fois que Saïd Kouachi s’est rendu à l’étranger, entre les 25 juillet et 15 août 2011, en compagnie d’une seconde personne. Les Américains sont formels dans leur note de transmission sur un séjour des intéressés dans le sultanat d’Oman et évoquent une suspicion d’un passage clandestin au Yémen. « Ces renseignements n’étaient alors corroborés ni par des sources humaines ou techniques », nuance aujourd’hui une source proche de l’enquête concernant le Yémen.

L’information attire toutefois l’attention de la DCRI, qui lance alors une opération de surveillance administrative – c’est-à-dire non confiée à l’autorité judiciaire. À partir de décembre 2011, Chérif Kouachi est l’objet de filatures et d’écoutes téléphoniques. Elles dureront jusqu’au mois de décembre 2013. Les services secrets français découvrent un homme qui, s’il continue de frayer avec certaines connaissances bien ancrées dans des groupes radicaux, semble petit à petit s’éloigner de la mouvance terroriste. Du moins, en façade.

Chérif Kouachi paraît alors plutôt se reconvertir dans une délinquance beaucoup moins dangereuse, à savoir un business de contrefaçon de vêtements et de chaussures avec la Chine. Il en parle imprudemment au téléphone, bien qu’il s’inquiète d’être pisté par les douanes. Mais pas par l’anti-terrorisme, qui enregistre tout.

Son grand frère, Saïd, qui est pour sa part toujours parvenu à passer entre les filets de la justice, n’ayant été cité à chaque fois que très à la marge des dossiers ayant impliqué Chérif, est lui aussi dans le viseur de la DCRI.

Selon les informations recueillies par Mediapart, il a fait l’objet, en 2012, de huit mois d’écoutes téléphoniques, couplées à quatre mois de surveillance physique, puis de deux mois d’écoutes en 2013, qui s'arrêtent. Le butin était trop maigre. La Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité qui encadre l’exécution des écoutes, dément aujourd'hui dans un communiqué avoir préconisé une première fois l’arrêt de la surveillance.

Mais en février 2014, les services français ont du nouveau. Ils obtiennent un témoignage qui vient confirmer le voyage à Oman de Saïd Kouachi, sans certitude toujours sur un passage – et encore moins d’un entraînement – au Yémen. Ce témoignage provoquera cinq nouveaux mois d’écoutes, finalement interrompus en juin 2014. Certaines sources liées à l'enquête affirment que cette nouvelle interruption a eu lieu en accord avec la CNCIS (ce qu'elle conteste), les interceptions ne laissant apparaître ni projet d’attentat ni activité terroriste manifestes.

À cet instant, les frères Kouachi disparaissent des radars de l’anti-terrorisme français, qui estime ne pas avoir assez d’éléments pour réclamer l’ouverture d’une enquête judiciaire aux services compétents. C’est cette situation qui fera dire au ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, vendredi 9 janvier, au sujet des frères Kouachi, que « rien ne témoignait du fait (qu’ils) pouvaient s'engager dans un acte de ce type. Leur situation n'avait pas été judiciarisée ».

Les questions, nombreuses, se posent aujourd’hui. Les frères Kouachi ont-ils si bien caché leur jeu que les services de renseignements sont passés complètement à côté de leur cible ? Avaient-ils trouvé un moyen sûr de communication, via Internet par exemple ? Ou avaient-ils vraiment coupé les ponts avec les réseaux opérationnels de leur passé avant de sombrer à nouveau dans un dessein terroriste à l’origine de la plus meurtrière campagne d’attentats en France depuis cinquante ans ?

Il est certain que, des deux frères Kouachi, Saïd apparaît aujourd’hui comme le plus dissimulateur. Et depuis longtemps. Alors que c’est lui qui avait introduit son frère auprès de l’entourage du prédicateur Farid Benyettou, figure centrale de la filière irakienne des Buttes-Chaumont de 2005, il dit à l'époque lors d’une audition condamner la dérive de Chérif, se rappelle une source judiciaire.

Le cas du troisième terroriste, Amedy Coulibaly, auteur des meurtres d’une policière à Montrouge et de quatre otages juifs à l’Hyper Cacher porte de Vincennes, est potentiellement le plus problématique pour le monde du renseignement français. Car contrairement aux frères Kouachi, Coulibaly est resté dans l’angle mort des services, qui n’ont rien vu venir.

Condamné à cinq ans de prison le 20 décembre 2013 dans l’affaire de la tentative d’évasion de l’artificier des attentats de 1995, Amedy Coulibaly est sorti de détention en mars 2014, grâce au jeu des remises de peines et de la détention provisoire déjà effectuée (trois ans dans son cas). Il a été placé sous bracelet électronique jusqu’en mai. Puis plus rien. Pas d’écoutes, pas de filatures. Les services anti-terroristes, qui avaient beaucoup travaillé sur lui en 2010, ont-ils seulement été informés de sa sortie de prison ?

Amedy Coulibaly, en 2010.Amedy Coulibaly, en 2010. © DR

Dans une vidéo de revendication postée sur Internet après les attentats de la semaine dernière, Coulibaly affirme avoir « beaucoup bougé » depuis la fin de sa détention et « avoir sillonné les mosquées de France, un petit peu, et beaucoup de la région parisienne ».

L’enquête de 2010 avait pourtant dessiné le portrait d’un homme dangereux, passé des vols à mains armées – il a été impliqué dans une quinzaine de dossiers –  à la radicalité islamiste au contact de plusieurs vétérans du djihad en prison. En mai 2010, la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la police judiciaire le présentait déjà comme un « islamiste rigoriste ». Des écoutes téléphoniques opérées à cette période avaient même montré un homme totalement sous l’emprise idéologique de Djamel Beghal, terroriste condamné dans le cadre d’un projet d’attentat en 2001 contre l’ambassade américaine de Paris et chef d’une cellule opérationnelle d’obédience « takfir », un mouvement sectaire salafiste.

Les écoutes avaient notamment permis de constater que Beghal régissait la vie de Coulibaly dans ses moindres détails au point de l’empêcher d’aller voter à des élections, une action jugée alors comme un « grand, grand péché, pire que les péchés majeurs ». Beghal l'avait aussi convaincu de verser de l’argent à un « ancien qui a combattu en Afghanistan, qui a fait pas mal de djihad et tout ce qui s’ensuit ».

Surtout, le 18 mai 2010, les enquêteurs de la SDAT découvraient chez Coulibaly, à Bagneux, cachées dans un pot de peinture, un lot de 240 cartouches de calibre 7.62 compatibles avec une kalachnikov, ainsi qu’un étui de revolver.

Les derniers développements de l’enquête sur les attentats parisiens de la semaine passée confirment l’appétence de Coulibaly, alias “Doly”, pour les armes. Dans un appartement qui devait être loué jusqu’au 11 janvier à Gentilly (Val-de-Marne), tout un arsenal a été découvert (armes automatiques, détonateurs…). Et à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, Coulibaly avait disposé dans le magasin un système d’explosifs et de grenades, qu’il n’a heureusement pas déclenché au moment de l’assaut du RAID et de la BRI.

Chérif Kouachi, lance-roquettes en bandoulière, le 8 janvier. Chérif Kouachi, lance-roquettes en bandoulière, le 8 janvier. © Vidéo-surveillance

Les frères Kouachi, eux, avaient réussi à se procurer un lance-roquettes de type M80 d’origine yougoslave, en plus de leurs kalachnikovs qui ont fait couler le sang à Charlie Hebdo et dans les rues de Paris. C’est cette arme de guerre que l’on voit dans le dos de Chérif Kouachi, jeudi 8 janvier, sur une vidéo de surveillance de la station-service Avia, située au sud de Villers-Cotterêts (Aisne), qu’il a dévalisée avec son frère.

Dans la première voiture (volée) qu’ils ont utilisée dans leur fuite, mercredi 7 janvier, avant de l’abandonner dans le XIXe arrondissement de Paris, les enquêteurs ont également retrouvé de quoi fabriquer une dizaine de cocktails Molotov, des menottes, des drapeaux djihadistes et une Go-Pro, petite caméra portative dont s’était notamment servi Mohamed Merah pour filmer l’attentat de l’école juive Ozar-Hatorah de Toulouse.

À ce stade de l’enquête, aucun téléphone portable n’a été retrouvé sur les terroristes ; on ne sait donc pas s’ils ont communiqué entre eux entre le 7 janvier, jour de la tuerie à Charlie Hebdo, et le 9 janvier, jour de leur mort sous les balles des forces de l’ordre.

BOITE NOIRECet article a été actualisé après le démenti de la CNCIS concernant son rôle dans l'interruption – ou non – des écoutes des frères Kouachi.

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Le gouvernement avance ses premières mesures antiterroristes, Internet dans le viseur

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Après l'immense manifestation de dimanche, le gouvernement a déjà annoncé une série de mesures sécuritaires. Et évoqué des dispositifs qui pourraient être adoptés pour renforcer la lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, les présidents des groupes parlementaires de l'UMP et PS ont réclamé ce lundi 12 janvier la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'attentat à Charlie Hebdo, le meurtre d'une policière municipale à Montrouge et la prise d'otages antisémite meurtrière dans un supermarché casher de la Porte de Vincennes. Une série d'actes sanglants qui a fait 17 morts, et 11 blessés. Sur BFM TV, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, s'est dit lundi 12 janvier favorable à une commission d'enquête sur les attentats de Paris commune à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Ce lundi matin, le gouvernement, après une nouvelle réunion sur la sécurité intérieure présidée par François Hollande, a annoncé plusieurs mesures destinées à renforcer la sécurité. Le plan Vigipirate "attentat" est maintenu à son niveau maximal. 10 000 militaires supplémentaires vont être déployés pour assurer la sécurité des « points sensibles du territoire », a annoncé le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian. Près de 5 000 policiers sont mobilisés pour protéger les synagogues et écoles juives, a annoncé le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve lors d'une visite à l'école juive Yaguel-Yaacov de Montrouge.

Lundi, le premier ministre a confirmé un train de mesures à venir contre le terrorisme. Tout en affirmant que le débat devrait se faire au Parlement, dans un cadre « bi-partisan ». « Attention aux mesures d'exception, même s'il faut une réponse d'une très grande fermeté à ces actes terroristes et donc une réponse exceptionnelle, qui doit reposer sur le débat », a assuré Manuel Valls. Lequel a déclaré ne pas avoir envie de faire voter des « mesures d'exception », comme ce fut le cas aux États-Unis après le 11 septembre 2001.

« Il faut absolument agir, dit un conseiller de François Hollande cité par Le Monde. Les Français ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas de nouveaux dispositifs et de nouveaux moyens. Mais il ne faut pas se précipiter. Le Patriot Act a mené à la guerre en Irak et au fiasco que l’on connaît. » À l'UMP, Nicolas Sarkozy met la pression sur l'exécutif. L'ancien président de la République a proposé sur RTL plusieurs mesures : l'interdiction du territoire des djihadistes français partis combattre à l'étranger, la mise en place d'un programme américain, PNR (programme de transferts des données passagers) actuellement bloqué au Parlement européen, l'isolement des islamistes en prison, la formation des imams, ou une surveillance accrue d'Internet. « Il y a des libertés qui peuvent être facilement abandonnées », a estimé son ancien collaborateur à l'Élysée, Claude Guéant. Plus modéré, Alain Juppé a appelé lors de ses vœux à « renforcer tous les moyens législatifs réglementaires et humains dont nous disposons pour détecter, prévenir, démanteler, punir les réseaux islamistes qui prospèrent sur le sol européen », et de « resserrer les liens avec les agences de renseignement ». « Après ce qui s’est passé, les petites "chicayas" politiciennes ne seront plus supportées par nos concitoyens », a-t-il dit.

Lundi, des tractations étaient en cours entre les groupes parlementaires de l'Assemblée pour donner forme à une future commission d''enquête parlementaire sur les attentats de Paris, qui pourrait aborder des questions plus larges, « par exemple autour de l'éducation », explique-t-on au Palais-Bourbon. Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui garde un mauvais souvenir des lois « dictées sous l'émotion » de la période Sarkozy, est favorable à un débat qui ne soit pas précipité. Deux lois contre le terrorisme ont été votées depuis 2012, et les décrets d'application de la seconde ne sont même pas encore publiés.

À l'Assemblée, une commission d'enquête sur les filières djihadistes tout juste créée en décembre aurait dû tenir sa première séance mardi. Pour cette première, le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, devait d'ailleurs être auditionné devant la presse, alors que ce genre de débats sur le renseignement sont traditionnellement réalisés à huis clos... Mais lundi, cette audition a été annulée, en accord avec le président de la commission, l'UMP Éric Ciotti. « Pour l'instant, la traque de complices (des auteurs des attentats, ndlr) continue, et le ministre est accaparé par cela, dit-on à l'Intérieur. Par ailleurs, une enquête judiciaire est en cours et nous devons respecter le secret de l'instruction. Elle devra déterminer ce qui s'est passé, ce qui a été raté. Nous n'avons pas de visibilité là-dessus pour l'instant, et c'est un processus va prendre plusieurs semaines. » Mardi, jour de la rentrée parlementaire, les traditionnelles questions au gouvernement seront remplacées, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, par un discours des présidents, puis par une prise de parole des groupes politiques, avant une réponse de Manuel Valls (Assemblée) et Bernard Cazeneuve (Sénat).

À la télévision, Manuel Valls a déjà annoncé quelques pistes : « améliorer » le système des écoutes pour le rendre « plus performant », ou encore généraliser l'isolement en prison des islamistes radicaux. Le gouvernement planche par ailleurs sur une loi sur le renseignement, qui devrait être présentée au printemps au Parlement.

Par ailleurs, même si, à l’heure actuelle, rien ne montre que les auteurs des attentats de Paris fassent partie de ces djihadistes radicalisés sur internet, le web est d'ores et déjà dans la ligne de mire.

« Je ne veux plus qu’il puisse y avoir, sur internet, ces mots effrayants, ces mots de haine que j’ai combattus », a affirmé lundi matin Manuel Valls. « C’est là où une partie de la radicalisation se forme. » « Mais pour cela, il faut des moyens (…) Nous créons des postes supplémentaires. S’il faut en créer davantage, on le fera parce que la sécurité des Français ne peut pas se discuter », a promis le premier ministre.

Reçu dimanche par François Hollande, le président du Crif, Roger Cukierman, avait lui aussi fustigé « les réseaux sociaux où des messages antisémites sont diffusés et pour lesquels il faudrait prendre des mesures qui relèvent du pénal »« Au plan de l’internet, il y a à mettre au point des formules de régulation, parce qu’on sent bien qu’il y a là des choses qui ne vont pas du tout », a également estimé lundi matin sur France Inter le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius.

Réunis dimanche place Beauvau pour un sommet international sur la sécurité, les ministres de l'intérieur de l’UE, le ministre américain de la justice Eric Holder, le commissaire européen aux affaires intérieures Dimitris Avramopoulos et le coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme Gilles de Kerchove se sont d'ores et déjà engagés à lutter « contre les facteurs et les vecteurs de radicalisation notamment sur internet ». Dans le texte publié à l’issue de la réunion, les signataires se disent « déterminés à faire en sorte » qu’internet « demeure un espace de libre expression, mais dans le respect rigoureux des lois ». Afin de lutter « contre l’usage dévoyé que font d’internet toutes les organisations terroristes », ils appellent à « une plus grande coopération avec les entreprises de l’internet, pour garantir le signalement et le retrait, quand il est possible, des contenus illicites ».

Le gouvernement n’a en tout cas pas attendu la mobilisation internationale pour renforcer son dispositif. Dès le lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo, il donnait un coup d’accélérateur à la mise en œuvre de la loi antiterrorisme votée le 13 novembre 2014 en notifiant à la commission européenne son projet de décret de blocage des sites internet terroristes. Une notification, obligatoire pour les textes touchant à la société de l’information, effectuée selon une « procédure d’urgence » justifiée par « l’accélération des phénomènes de radicalisation de l’usage d’internet ». Cette disposition, fortement critiquée au moment du vote du texte, permet au gouvernement d’étendre le dispositif de blocage administratif, c’est-à-dire en l’absence d’une décision judiciaire, déjà en place pour les sites pédopornographiques à ceux « provoquant des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».

Face à cette vague sécuritaire annoncée, les quelques voix appelant à la prudence sont difficilement audibles. « Répondre à la terreur par la restriction des libertés et de l’État de droit est un piège sans fin », écrit ainsi l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du net dans un communiqué intitulé « Non à l’instrumentalisation sécuritaire ».

« On a défilé en France, et on peut en être fiers je crois, par millions hier pour défendre la liberté d’expression », a de son côté rappelé sur BFMTV le président du conseil national du numérique (CNNum), Benoît Thieulin. « Il faut que l’on se pose les bonnes questions de manière que ça ne soit pas au nom de cette liberté d’expression qu’on en remette en cause les fondamentaux. Sachant qu'internet, aujourd’hui, est probablement l’espace où cette liberté d’expression s’exprime et se déploie le plus », a-t-il rappelé.

En attendant les nouvelles lois, celles récemment votées s’appliquent déjà. Dans les jours qui ont suivi les attentats, plusieurs internautes ont été poursuivis pour des contenues accusés de faire « l’apologie du terrorisme ». Parmi ceux-ci, Dieudonné pour un post sur Facebook signé « Charlie Coulibaly ». Dans une autre affaire, un jeune homme de 29 ans qui avait posté, selon ses termes, une « mauvaise blague » postée sur Facebook a été maintenu en détention en attendant son procès prévu pour le 27 janvier. « Ça vous évitera de partir en Syrie », a commenté le président du tribunal correctionnel de Strasbourg en rendant sa décision.

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La France, entre force et fractures

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Ce pays est incroyable. Si incroyable qu’il ne croit pas en lui-même. Il se prend pour un mirage, un bobard, une nostalgie, un délire, une illusion… Il a le moral dans les chaussettes. Il rumine son déclin derrière un bateleur qui décrit son « suicide » national, ou à l’écoute d’un écrivain qui met en scène sa « soumission » collective.

Et tout d’un coup, parce qu’on le frappe, il se réveille. Il descend dans la rue pour devenir la capitale du monde. Il redresse la tête qu’il avait dans les épaules. Il se met à vibrer en répétant des mots qui paraissaient d’une autre époque : Liberté, Égalité, Fraternité.

Dans cette France, ce qui s’est passé ce dimanche est historique, mais en même temps habituel. Quatre millions de personnes dans les rues, des silences, des applaudissements, des Marseillaise chantées sans esprit de vengeance, le refus des divisions, une atmosphère de paix en réponse à des actes de haine et de guerre, on se pinçait pour y croire. Pourtant, l’histoire de France n’est faite que de ces abandons, et de ces renaissances.

Prenez Zemmour et son discours sur « tout fout le camp » et sur la belle époque où papa en avait. On parle de lui comme s’il avait inventé le fil à couper le beurre, sous prétexte qu’il est vu à la télé, que son livre s’est bien vendu, et que les discours de peur provoquent des attroupements, c’est-à-dire de l’audimat. Mais Zemmour n’a rien inventé. Il est seulement le dernier rejeton d’une lignée vieille comme la République. La « France moisie » décrite par Philippe Sollers en 1999 n’a pas attendu le péril islamiste, ou féministe, pour dénoncer sa décadence. Une décadence ancienne comme la cadence.

En 1986, dans Le Figaro Magazine, Louis Pauwels diagnostiquait déjà une forme de « sida mental » chez les étudiants qui manifestaient contre la loi Devaquet. Et Drieu La Rochelle, passé à la collaboration en 1940, dénonçait dans son journal « la décadence des sociétés modernes », en redoutant que la victoire des alliés ne conduise au « triomphe définitif de la pourriture ».

C’est un fait. La France entretient avec l’idée de « décadence », d’« abandon », ou de « soumission » une idylle obsédante. Il arrive même qu’elle se soumette pour de bon, et qu’on la croit abandonnée. C’est alors qu’elle se ressource. En France, la Roche maréchaliste est proche du Capitole gaulliste, le rappeler ne renvoie pas à la guerre de 40, mais à sa permanence.

Ce dimanche, la France s’est rallumée, et elle rejette la foule des faux devins qui prédisaient son extinction. Mieux encore, elle s’est replacée au centre du monde. La France des Lumières, de Montesquieu, de Voltaire, des droits de l’homme, « et patati et patata », soupiraient les déclinistes et les moqueurs, bien au-delà du petit Hexagone…

Combien d’articles ironiques ou ravageurs n’a-t-on pas lus dans la presse internationale, et traduits dans les colonnes françaises, combien de « Déjeuners sur l’herbe » où la France était accusée par The Economist de « vivre dans le déni », ou d’être « une bombe à retardement au cœur de l’Europe ».

La bombe a explosé, mais pas celle qu’on annonçait. Voilà que « la bombe » impressionne le monde entier. La France des citoyens n’a pas attendu que son gouvernement indique la marche à suivre. Dès le soir du massacre de Charlie Hebdo, à Paris, et dans toute la France, des centaines de rassemblements silencieux se sont installés, avec ce message tout simple : « Je suis Charlie ». Le slogan le plus répercuté de l’histoire de Twitter.

Les États-Unis ont subi le 11 Septembre, l’Espagne a souffert d’attentats effrayants, notamment à la gare de Madrid, Londres aussi, et tant d’autres, mais personne n’a déclenché le mouvement de ce dimanche. Non pas une exigence de « guerre de civilisation », comme en 2001, non pas les roulements de tambour de Tony Blair, ou les accusations primaires de José Maria Aznar, mais des applaudissements, des larmes, et le rappel d’une Déclaration écrite par la France en 1789, et devenue universelle en 1948. La liberté de vivre, de penser, de dessiner, de dire…

Ce lundi matin, le contraste entre « la France moisie » et la France universelle sautait aux yeux dans la presse internationale, avec cette photo extraordinaire, à la une d’un quotidien anglais, The Times. Un tel hommage à l’esprit frondeur du peuple français, dans un journal anglo-saxon, est aussi inédit que les manifs de la veille. Depuis trente ans, nous y sommes décrits comme gréviculteurs, hermétiques aux réformes, bornés, arc-boutés sur les acquis des siècles anciens, coincés dans nos monômes…

Et d’un seul coup retournement : oui, il nous arrive de faire la grève et de bloquer les carrefours, oui nous avons voté Non au référendum sur la Constitution européenne, oui nous râlons, non nous ne lâchons pas la proie pour l’ombre, oui nous sommes ingouvernables avec nos trois-cent-soixante fromages, comme disait Charles de Gaulle, oui certains des mangeurs de baguette que nous sommes peuvent s’égarer de temps en temps, en suivant des Boulanger de passage, ou des PME Le Pen, mais si les Français n’étaient pas comme ils sont, le monde serait différent.

Dès lors, que la France soit la cinquième ou la sixième puissance mondiale, ou la septième, que son déficit embête ou pas Mme Merkel, que la commission européenne fronce ou pas les sourcils, ne change rien à l’affaire : en dépit de l’arithmétique et des économistes, cette nation originale existe encore. Il arrive même qu’elle serve de référence. 

Des voix s’élèvent déjà, qui pointent le risque d’une illusion lyrique. Elles ont raison, ce risque existe et il est grand. Nul ne pourra contester la charge historique de ce qui s’est passé samedi et dimanche en France, en réponse au terrorisme, mais ce constat ne suffira pas. S’en tenir à une mobilisation, même bouleversante, et même montée des profondeurs du pays, n’éludera pas les problèmes immenses posés par les crimes des frères Kouachi et les meurtres d’Amedy Coulibaly.

« Je suis juif, je suis musulman, je suis flic, je suis athée », disaient les banderoles ou les voix, tandis que les gros plans de la télévision montraient des hommes et des femmes de toutes les origines. De même, les autorités religieuses défilaient bras dessus bras dessous, et d’anciens soixante-huitards embrassaient les policiers…

Ce spectacle était touchant, poignant parfois, mais comment s’en tenir là ? Comment ne pas voir que ce fleuve, dans sa masse, ne ressemblait pas, par exemple, au peuple des Champs-Élysées, ou de Marseille, en 1998, quand la France black-blanc-beur avait gagné la coupe du monde. Comment ignorer que les cortèges étaient d’abord blanc-blanc-blanc, que les jeunes y étaient majoritaires, mais qu’on ne voyait pas, ou peu, ceux des banlieues ? Comment faire l’impasse sur le hashtag “je-ne-suis-pas-charlie”, insistant sur les réseaux sociaux, ou pire encore, sur les milliers de “je-suis-kouachi” ? Comment ne pas réfléchir aux établissements scolaires, peu nombreux mais réels, dont les élèves ont refusé d’observer une minute de silence ?

Ces questions se posent au chef de l’État. Ce malheur offre une seconde chance paradoxale et dramatique à son quinquennat. Pendant ces jours terribles, hormis l’étrange présence de quelques dictateurs dans le carré VIP, François Hollande a plutôt bien géré les événements. Il est enfin entré dans le costume de président. Même impopulaire, il dispose aujourd’hui d’une légitimité qu’il n’avait pas la semaine dernière. Les mots choisis lors de sa première intervention (« Nous ne devons faire aucun amalgame ») ont structuré l’espace public. Essayez d’imaginer la catastrophe qu’aurait provoquée, dans un tel contexte, un discours de Grenoble...

Reste qu’une fois le pire évité, et le meilleur exprimé dans la rue, des millions de Français d’origine étrangère ne se reconnaissent pas dans une France qu’ils ont espérée (sans quoi pourquoi seraient-ils venus ?) mais qui les tient à l’écart. Ils vivent dans des dizaines de territoires abandonnés, au chômage, à la survie, à l’absence d’horizon, au rejet, aux petits trafics, aux lois de la jungle, au fanatisme religieux, ou simplement aux charlatans qui vous guérissent à distance moyennant dix euros.

Il était vain d’espérer que ces foules, même choquées par les dix-sept morts de la semaine dernière, viennent s’intégrer à des cortèges de Français si elles se sentent étrangères à leur pays...

Face à cet immense défi, on entend déjà des différences au lendemain des manifestations dites « d’union nationale ». Christian Estrosi dès dimanche soir, ou Nicolas Sarkozy lundi matin sur RTL, réclamaient un « patriot act », sans le dire encore tout haut, c’est-à-dire une réponse à l’américaine, qui mise sur les contrôles, serait-ce au prix d’une réduction des libertés publiques, ou sur la mise en quarantaine des terroristes potentiels à l’intérieur même des prisons. À gauche, sans écarter la répression immédiate, on soutient l’idée qu’on ne viendra pas à bout des dérives, tant que le terreau ne sera pas traité, c’est-à-dire tant que la république ne sera pas capable de donner à ses enfants venus d’ailleurs des perspectives plus séduisantes, et plus accessibles, que la délinquance ou le djihad.

L’union nationale ne passera pas la semaine. Comme dit le proverbe, après la crue les fleuves retrouvent leur lit. François Hollande devra choisir. Tout miser sur la répression en cédant à la droite, comme il l’a fait sur le plan économique. Ou se lancer dans la politique promise quand il était en campagne : non pas l’union au sommet, non pas la confusion, mais l’union du pays profond, celle qui marchait dans les cortèges.

Puisque le président apprécie les « pactes de responsabilité », quitte à trouver quarante milliards, pourquoi ne pas en proposer un autre à cette France trop étrangère ? Le prix serait élevé, mais pas plus que le premier, pour un objectif sans commune mesure.

Il ne s’agirait pas du déficit ou de la croissance, mais de la fracture ou de l’unité de la France.

Rien que ça.

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