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«Contre-courant» : Alain Badiou face à Laurent Bouvet

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Pour ce deuxième numéro de « Contre-courant », Alain Badiou et Aude Lancelin débattent avec Laurent Bouvet autour d'une question centrale : comment la gauche peut-elle parler au peuple ?  

Cette émission est également disponible en podcast audio ici.

Professeur de sciences politiques à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, membre de la « Gauche populaire », collectif qui s’efforce de réconcilier le parti socialiste avec les classes populaires, celui-ci est également l’inventeur du concept d’« insécurité culturelle », sur lequel il prépare en ce moment un nouveau livre. Qu’est-ce que ce « sens du peuple » dont parlait Michelet et qui manque aujourd’hui à la gauche française, aux dires de la mouvance incarnée par Bouvet ? Peut-on réellement dire que celle-ci a longtemps oublié les ouvriers au profit d’un nouveau prolétariat, notamment constitué des jeunes, des femmes et des minorités ? Quelle est la dernière grande démonstration de force du « peuple de gauche » en France : 1981 ou 1995 ? 

Dans la première partie de l'émission, Alain Badiou et Aude Lancelin s'arrêtent sur la question de l’Ukraine et du référendum en Crimée. Le philosophe y commente au passage la place surprenante retrouvée par Bernard-Henri Lévy au sein de la diplomatie de François Hollande :

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Un ambassadeur évoque les financements libyens de Sarkozy

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Le diplomate s’est montré discret, mais il a laissé une petite bombe à retardement chez les juges d’instruction. François Gouyette, actuel ambassadeur de France en Tunisie, a été entendu le 31 janvier par les juges Emmanuelle Legrand et René Cros, chargés d’instruire la plainte de Nicolas Sarkozy contre Mediapart dans l’affaire libyenne. Ambassadeur de France en Libye de janvier 2008 à février 2011, M. Gouyette a été interrogé sur le document libyen mentionnant un feu vert des autorités en faveur d’un financement de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, document publié par Mediapart en 2012.

Le diplomate a déclaré avoir questionné, en 2011, deux interlocuteurs libyens qui lui ont confirmé l’existence d’un financement en faveur de Sarkozy. Le premier est un dignitaire dont il n’a pas souhaité « mentionner l’identité » pour empêcher que « cela n'ait des conséquences négatives pour lui ». Le second est le traducteur officiel de Mouammar Kadhafi, Moftah Missouri, qui a depuis publiquement confirmé l’authenticité du document révélé par Mediapart.

François Gouyette, ambassadeur de France à Tripoli de 2008 à 2011.François Gouyette, ambassadeur de France à Tripoli de 2008 à 2011. © DR

L’ambassadeur de France a questionné ses contacts « après avoir entendu les déclarations de Saif al-Islam, le 22 février 2011 ». « Avant de quitter la Libye, j’ai eu une conversation avec un contact libyen ayant appartenu au cercle rapproché de Kadhafi, auquel il n’appartenait plus à ce moment-là, a expliqué François Gouyette, et je lui ai donc posé la question de savoir (…) s’il avait entendu parler de ce financement dont faisait état Saif al-Islam, et cette personne m’a dit que c’était une chose connue parmi les proches du pouvoir libyen, et qu’il y avait eu effectivement un financement de la campagne présidentielle de M. Sarkozy. »

La source de l’ambassadeur de France n’a pas donné de précisions « ni sur les montants, ni sur les modalités », a fait savoir aux juges le diplomate. Reste que cette source diplomatique risque d'attirer très vite l'attention des juges Serge Tournaire et René Grouman, chargés d'enquêter sur le fond des faits.

À la fin de l’année 2011, François Gouyette a posé la même question à Moftah Missouri : « Il m’a indiqué qu’à sa connaissance, il y avait bien eu financement, que de l’argent avait été versé par la Libye. » Questionné en 2013 par les journalistes de l’émission Complément d’enquête (France 2), Missouri avait précisé que le régime libyen avait versé « une vingtaine de millions de dollars » à Nicolas Sarkozy, pour sa campagne électorale. « Kadhafi m’a dit à moi verbalement que la Libye avait versé une vingtaine de millions de dollars, a déclaré l’interprète. Normalement, chez nous à la présidence, quand on donne de l’argent à quelqu’un, il n’y a pas un transfert bancaire, il n’y a pas de chèque, c’est de l’argent liquide dans des mallettes. »

M. Missouri avait aussi commenté le document publié par Mediapart, précisant qu’il s’agissait du « document de projet, d’appui ou de soutien financier à la campagne présidentielle du président Sarkozy », en concluant : « C’est un vrai document. »

Le 4 décembre 2013, le réalisateur de Complément d’enquête, Romain Verley, a confirmé aux policiers les dires de Missouri : « Il a authentifié le document, a déclaré M. Verley. Il a confirmé qu’il s’agissait d’un projet de financement. Il nous l’a dit de manière très affirmative. Il a relu le document en arabe, il l’a retraduit et a confirmé la véracité de ce dernier. » Questionné sur les vérifications de France 2 concernant le document, M. Verley a précisé avoir « pris attache avec plusieurs (de nos) sources afin de vérifier si le document était ou non authentique ». « Toutes nos sources ont confirmé l’authenticité du document », a conclu le réalisateur.

L’ambassadeur François Gouyette a aussi été prié par les juges de livrer son avis sur le document et sa traduction. Au moment de sa publication, son « impression » avait été « qu’il pouvait s’agir d’un document authentique », relate le diplomate, en rappelant qu’un faux document sur la part de pétrole réservée à la France en cas de victoire du CNT avait circulé quelques mois plus tôt.

MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Elysée. MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Elysée. © Reuters

« Lorsqu’on a été amené, comme c’est mon cas pendant trois ans, à voir des documents officiels libyens, cette note à première vue donne les apparences d’un document libyen, en précisant que les en-têtes n’apparaissent pas, ce qui me paraît curieux, a déclaré aux juges M. Gouyette. En ce qui concerne la typographie du document, il n’y a rien de particulier, cela correspond aux documents que l’on voyait circuler provenant par exemple du ministre des affaires étrangères libyen. » 

Parfait arabophone, le diplomate, qui avait déjà occupé le poste de deuxième secrétaire de l’ambassade à Tripoli dans les années 80, a aussi été questionné par les juges sur la rédaction du texte. « Au sujet de la langue, il s’agit à l’évidence d’un texte écrit directement en arabe par un arabophone, il n’y a aucun doute pour moi. Il s’agit d’un texte en arabe littéral, en arabe de caractère administratif », affirmé le diplomate, contredisant une version répandue dans la presse par des proches de Nicolas Sarkozy, selon laquelle le document serait une traduction du français vers l’arabe.

L’ambassadeur a connu plusieurs personnalités officielles mentionnées dans le document : le chef des services de renseignements extérieurs Moussa Koussa, le directeur de cabinet de Kadhafi, Bachir Saleh, considéré comme l’un des trésoriers occultes du régime et Abdallah Senoussi, chef des services de renseignements intérieurs et beau-frère de Kadhafi, condamné à perpétuité par contumace en France dans l’affaire de l’attentat contre le DC-10 UTA.

François Gouyette a indiqué avoir vu M. Senoussi essentiellement dans un cadre protocolaire. « Je n’avais pas de relation avec lui et ne souhaitait pas en avoir, s’agissant d’une personne ayant fait l’objet d’une condamnation en France », a-t-il souligné. À cette époque, l'entourage de Nicolas Sarkozy et son avocat personnel Me Thierry Herzog déployaient tous leurs efforts pour tenter de blanchir judiciairement le dignitaire libyen, comme Mediapart l'a déjà raconté.

« En ce qui concerne M. Saleh, je l’ai vu quelques fois, notamment à deux reprises en accompagnant M. Guéant lorsqu’il a été reçu par M. Kadhafi », a ajouté M. Gouyette.

Le diplomate rappelle au passage la protection française offerte à l’argentier du régime au moment de la chute de Kadhafi. « Bachir Saleh avait été interpellé en Libye et emprisonné en septembre 2011, la France était intervenue auprès de ses nouveaux interlocuteurs à Tripoli pour que Bachir Saleh ne soit pas maltraité, a poursuivi le diplomate, et j’ai su par la suite (…) qu’il avait pu rejoindre la Tunisie où il avait obtenu un visa, et de là la France. Concernant son titre de séjour (ndlr en France), ce que je peux indiquer simplement, c’est que Bachir Saleh avait depuis toujours une relation particulière avec la France, il avait également des relations avec Claude Guéant. »

BOITE NOIREMediapart est à l’origine des révélations sur les soupçons d’un financement occulte libyen sous le règne de Mouammar Kadhafi à l’occasion de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, lesquels soupçons sont aujourd’hui au centre des investigations judiciaires visant le premier cercle de l’ancien président de la République (lire notre dossier).

Après plusieurs mois d’une enquête commencée à l’été 2011 et ayant donné lieu à de nombreux articles sur les relations entre les proches entourages de Nicolas Sarkozy et de Mouammar Kadhafi, Mediapart a ainsi publié, le 28 avril 2012, un document officiel libyen évoquant ce soutien financier du régime de Tripoli au candidat Sarkozy au moment de l’élection présidentielle de 2007.

L’ancien chef de l’État français, qui n’a pas poursuivi une seule fois Mediapart en diffamation, a contourné le droit de la presse en nous attaquant pour « faux et usage de faux » au printemps 2012, tandis que nous ripostions en l’accusant de « dénonciation calomnieuse » (lire ici). L’enquête préliminaire menée par la police judiciaire ne lui ayant évidemment pas donné raison, Nicolas Sarkozy a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’été 2013, procédure qui donne automatiquement lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour « faux et usage de faux ».

Mediapart, à travers son directeur de la publication Edwy Plenel et les deux auteurs de cette enquête, Fabrice Arfi et Karl Laske, a été placé fin 2013 sous le statut de témoin assisté dans ce dossier. Nous n’avons pas manqué de contester une procédure attentatoire au droit de la presse et de faire valoir le sérieux, la consistance et la bonne foi de notre enquête (lire ici et ).

De fait, nos révélations sont au cœur de l’information judiciaire ouverte un an plus tard, en avril 2013, pour « corruption » sur le fond des faits de cette affaire franco-libyenne qui inquiète grandement Nicolas Sarkozy et ses proches. C’est dans le cadre de cette instruction que Brice Hortefeux a été placé sur écoute (comme MM. Sarkozy et Guéant) par les juges Serge Tournaire et René Grouman. Le contenu de l’écoute Hortefeux a ensuite été versé dans l’enquête des juges René Cros et Emmanuelle Legrand, chargés d’instruire la plainte pour faux déposée par Nicolas Sarkozy. Placé sous le statut de témoin assisté dans ce dossier, Mediapart a accès au contenu de la procédure.

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Ecoutes Sarkozy, complot des juges : intox, manip et mauvaise foi

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Après l'UMP et l'avocat Thierry Herzog, c'est au tour de BHL de se lancer à corps perdu dans la polémique sur les écoutes téléphoniques de Sarkozy. L'outrance le dispute à la grandiloquence. La magistrature est à nouveau sur le bûcher. Or, rappelons-le à ceux qui auraient la mémoire courte, c’est souvent au niveau de violence des attaques lancées contre les juges que l’on peut mesurer les enjeux d’une affaire.

Lorsqu’il avait été  « inculpé » dans l’affaire Urba pour ses fonctions passées de grand argentier du PS, le président de l’Assemblée nationale, Henri Emmanuelli, recevait des journalistes et lançait des imprécations délirantes contre le juge Renaud Van Ruymbeke, alors soupçonné de régler des comptes personnels avec la gauche.

Ce même magistrat sera vilipendé publiquement par Nicolas Sarkozy, une quinzaine d’années plus tard, pour avoir osé effectuer des vérifications bancaires sur un éventuel compte « Nagy Bocsa » dans l’affaire des frégates de Taïwan, et avoir reçu des listings trafiqués de Jean-Louis Gergorin dans ce qui allait devenir l’affaire Clearstream. Depuis, les faits ont montré que le magistrat n’avait rien à se reprocher dans ces deux affaires, et qu’il se contentait de faire son travail. « Juges rouges » ou « petits juges », qu'ils soient accusés de détester l'argent ou de vouloir renverser les politiques, les juges d'instruction dérangent.

Nicolas Sarkozy à Paris en novembre 2012 © ReutersNicolas Sarkozy à Paris en novembre 2012 © Reuters

Pourtant, les juges d’instruction ne choisissent pas leurs dossiers. Ils ne sont éventuellement désignés par le doyen des juges d’instruction du tribunal qu’une fois une information judiciaire ouverte par le parquet, ce qui n'arrive pas à chaque affaire. D’où l’importance, pour le pouvoir exécutif, de nommer des procureurs de confiance aux postes clés, qui veilleront à ne point trop en faire. Il arrive toutefois que les juges d’instruction soient saisis d’affaires sensibles, souvent après le dépôt de plaintes avec constitution de partie civile.

« Jouer le juge » peut alors devenir une arme, dans une stratégie de diversion ou d'enlisement, pour peu que de puissants intérêts politiques, économiques, diplomatiques ou financiers soient en jeu. Voici vingt ans (en 1994), Éric Halphen avait ainsi failli être la victime d’un traquenard monté par la police judiciaire de Charles Pasqua, cela avec la complicité de son beau-père, le docteur Maréchal, et au moment précis où son enquête sur les fausses factures des HLM de Paris menaçait d’éclabousser le département voisin des Hauts-de-Seine. Le juge Halphen avait bien failli être dessaisi de son dossier, jusqu’à ce que François Mitterrand en appelle avec raison au Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Les juges d'instruction Eva Joly (dans l’affaire Elf) et Isabelle Prévost-Desprez (dans le dossier Sentier/Société générale) ont, pour leur part, subi des procès en incompétence et des attaques sexistes, lancés par des mis en examen (Loïk le Floch-Prigent ou Daniel Bouton notamment) et leurs avocats. Plus récemment, c’est le juge Jean-Michel Gentil qui a été accusé publiquement d’avoir piloté les conclusions d'une expertise médicale de Liliane Bettencourt. À tort.

La raison d’État, elle aussi, pèse d'un poids non négligeable. Le juge Patrick Ramaël, qui était chargé des affaires Kieffer et Ben Barka, et a réussi à fâcher les dirigeants de la Côte d’Ivoire et ceux du Maroc, a ainsi eu droit à des poursuites disciplinaires déclenchées pour de mauvais prétextes, avant d’être blanchi.

Dans ce type d'affaires, en fait, tout est bon pour déstabiliser le juge, qui n’a pas le droit de répondre aux attaques lancées contre lui, étant soumis à la fois au devoir de réserve et au secret de l’instruction. C'est toutefois de ce juge d'instruction, trop indépendant, que Nicolas Sarkozy avait annoncé la suppression en 2009.

Me Thierry HerzogMe Thierry Herzog © Reuters

Ces jours derniers, l'affaire des écoutes judiciaires de Nicolas Sarkozy a réveillé de vieux démons à droite. Rien de très surprenant, dans ces conditions, à ce que l’avocat et ami de Nicolas Sarkozy Thierry Herzog ait cru pouvoir lancer des attaques contre les juges d’instruction, dans une interview accordée voici quelques jours à Nice Matin.

« J'observe que M. Tournaire est un juge qui, depuis un an, a placé sur écoute l'ancien président Sarkozy et deux anciens ministres de l'intérieur », lance Thierry Herzog. « J'observe que l'une des juges, venue perquisitionner à mon cabinet, est membre du Syndicat de la magistrature. Elle en a été vice-présidente. À ce titre, elle doit assumer “le mur des cons” », poursuit l'avocat.

« Et enfin, le juge Daieff qui s'est déplacé à mon domicile niçois est, avec les deux autres, un des magistrats qui, très curieusement, instruisent l'affaire Tapie/Crédit lyonnais. Ce n'est pas tout. Ces juges ont également pris des positions politiques affichées, en signant le manifeste des 80 juges d'instruction qui dénonçaient les dix années de la politique pénale menée sous l'ère de Nicolas Sarkozy. Vous me permettez de dire qu'il y a quelques raisons de s'inquiéter, non ? », s’indigne l’avocat et ami de l’ex-chef d’État. Autant d'amalgames et d'insinuations qui font fi du droit des magistrats à se syndiquer, et du fait que les juges d'instruction sont codésignés pour travailler en collégialité.

Jouer la procédure est également chose courante dans les affaires sensibles. Complexe, la procédure pénale offre plusieurs voies de recours aux avocats de la défense, qui peuvent en faire usage et ne s’en privent pas (demandes auprès du juge d’instruction, du juge des libertés et de la détention, de la chambre de l’instruction et de la Cour de cassation). Là aussi, les moyens mis en œuvre pour contester la procédure par de gros cabinets d’avocats donnent un indice de l’importance du dossier. On l’a vu récemment avec la guérilla procédurale dans l’affaire Bettencourt.

Mais lors de ces grands combats, il faut parfois en appeler aussi aux grands principes. C’est le sens de l’appel lancé par des pénalistes parisiens, indignés par la perquisition effectuée chez leur ami Thierry Herzog, ainsi que par la saisie de son téléphone portable. C’est également le sens de la polémique déclenchée par les écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy.

Au passage, quelques hussards de l’UMP ont fait dans l'intox et la mauvaise foi, sur le thème du « complot anti-Sarko ». Il faut rappeler que l’information judiciaire sur un possible financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye de Kadhafi a été ouverte en avril 2013 par François Molins, ancien directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier au ministère de la justice, et nommé procureur de Paris sous Sarkozy. Il faut aussi redire que cette enquête ne repose pas sur du vent, mais sur plusieurs témoignages sérieux et crédibles (lire notre dossier ici).

Kadhafi et SarkozyKadhafi et Sarkozy © Reuters

Si le téléphone de Nicolas Sarkozy a été écouté, c’est parce que la loi le permet, et que des juges indépendants l’ont estimé nécessaire au vu de leur dossier. Enfin, à ce stade, rien ne permet de dire que Thierry Herzog, lui, a été placé sur écoute. Selon des sources judiciaires, le téléphone de l'avocat n’aurait en effet été écouté que brièvement et par ricochet, lors de ses conversations avec Nicolas Sarkozy, et cette écoute aurait aussitôt été interrompue.

Ces conversations ont, en revanche, révélé des indices assez sérieux pour déclencher l’ouverture d’une nouvelle information judiciaire pour « trafic d’influence et violation du secret de l’instruction », Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog étant soupçonnés d’avoir fait intervenir un haut magistrat de la Cour de cassation, le premier avocat général Gilbert Azibert, dans le cours de l’affaire de ses agendas.

Dans ce concert d’indignations sélectives et de plaidoiries intéressées, il ne manquait que Bernard-Henry Lévy. Qu’on se rassure, l’oubli est réparé. Le penseur a délivré, ce lundi sur son site, une analyse de l’affaire des écoutes, où il reprend à son compte quelques fadaises et clichés véhiculés dans les médias par les amis de Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog.

« Choquante, déjà, la mise sur écoutes d’un ancien président qui était aussi, de fait, le chef de l’opposition républicaine : en surveillant l’un, on surveillait les autres ; en s’immisçant dans les conversations du premier, on se mettait en position, unique dans les annales, de tout savoir des faits et gestes de ce parti adverse dont la liberté de mouvement est, en démocratie, sacrée ; le Watergate n’était pas loin ; un Watergate sans plombiers et avec juges, mais un Watergate quand même », écrit BHL sans crainte du ridicule.

Sarkozy et BHL en Libye, en septembre 2011Sarkozy et BHL en Libye, en septembre 2011 © Reuters

BHL, qui s’était attribué en 2011 le rôle de conseiller de la France et de son président avant le bombardement de la Libye, et en a ensuite tiré un livre et un film à sa propre gloire, fait donc mine de croire à la thèse complotiste d’un espionnage politique de Sarkozy. Comme si François Hollande avait les écouteurs sur les oreilles et s’en délectait. Faut-il le rappeler, les écoutes judiciaires sont décidées par des juges indépendants. Et les policiers ne retranscrivent sur procès-verbal que ce qui intéresse le dossier du juge d’instruction, en l’occurrence le financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy. Mais qu’importent les faits et la réalité des choses, quand on fait profession de s’indigner.

« Choquant, aussi, le style de ces écoutes – cette stratégie de pêcheur à la ligne où ce n’est pas le soupçon qui motive l’écoute, mais l’écoute qui crée le soupçon et où, même si on ne sait pas bien ce que l’on cherche, on ne doute pas qu’en laissant traîner l’hameçon le temps qu’il faut on finira par trouver quelque chose : cette forme d’écoute aléatoire, ce renversement du classique "Surveiller et punir" en un "Surveiller et prévenir" qui relève de la loi des suspects plus que du droit, ce style d’écoute paresseuse qui dispense de l’enquête à l’ancienne avec recueil et recoupement d’indices autour d’une présomption sérieuse et dûment fondée, est, même pour les grands délinquants, un détournement de procédure et de moyens publics ; que dire alors lorsqu’il s’agit d’un homme d’État qui n’a jamais été condamné, que l’on sache, dans la moindre affaire d’emplois fictifs, d’appartement au prix sous-évalué ou de délinquance barbouzarde à la "Rainbow Warrior"? », s’indigne encore notre philosophe médiatique, la main sur le cœur.

Tout est bon pour défendre Nicolas Sarkozy contre les juges, malgré les affaires sérieuses qui le menacent. Quitte à se lancer dans des tirades qui rappellent les obsessions d’un Alain Finkielkraut contre la pseudo « dictature de la transparence », ou d’un Éric Zemmour sur un hypothétique « coup d’État des juges ». Ne serait-il plus sain de s’en tenir aux principes de la séparation des pouvoirs et de l’égalité des citoyens devant la loi, et de laisser les juges faire leur travail ? À moins que l’émergence d’un vrai pouvoir judiciaire indépendant ne constitue une menace pour certaines situations acquises.

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Pollution : derrière le «cache-misère» de la circulation alternée, l'échec français

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Effets immédiats mais temporaires. Le plan de circulation alternée mis en place à Paris et dans 22 communes de la petite couronne lundi 17 mars a amélioré la qualité de l’air et réduit les bouchons, deux conséquences saluées par le ministère de l’écologie lundi après-midi, notant « une amélioration globale de la situation notamment en Ile-de-France ». Airparif, l’organisme chargé de la surveillance de la qualité de l’air, prévoit « une nette amélioration » en Ile-de-France pour mardi. Et « les premières tendances disponibles pour la fin de la semaine laissent entrevoir une amélioration sensible en raison de l'arrivée d'un épisode pluvieux qui dissiperait en grande partie les polluants », a précisé Philippe Martin. Matignon a donc décidé de lever le dispositif de circulation alternée dès lundi soir à minuit, heure à laquelle les transports en commun redeviendront payants.

Philippe Martin présentant le dispositif de circulation alternée.Philippe Martin présentant le dispositif de circulation alternée.

Impact indirect, la congestion des axes routiers en Ile-de-France s’est réduite de 62 %, selon le ministère de l'écologie. Le Centre national d'information routière comptait 90 km de bouchons dans la région à 8 h lundi matin, deux fois moins que d’habitude. À midi, la préfecture de police de Paris annonçait avoir distribué 4 000 contraventions pour non-respect de la circulation alternée et de la réglementation par les poids lourds en transit.

Mais pour Michel Dubromel, pilote du réseau transports et mobilités durables à France Nature Environnement (FNE), la circulation alternée n’était  qu’« une mesure d’urgence, un cache-misère ». Une fois levée, quelles suites lui donner pour réduire la pollution de l’air aux particules fines, jugée responsable de 42 000 morts par an en France par l’ONG, impliquée dans une campagne de mobilisation « Le diesel tue » ? 

Pour Dubromel, c’est l’usage de l’automobile qu’il faut repenser, pas seulement le parc de véhicules qu’il s’agit de réduire. Sinon « tout le monde se sent coupable ». En plus de la mise en œuvre de l’écotaxe, réclamée par l’ensemble du mouvement écologiste, il cite d’autres exemples de politiques structurantes, à l’état encore balbutiant en France : les plans de déplacement d’entreprises, par lesquels des employeurs organisent l’acheminement de leur personnel depuis leur logement et jusqu’à leur lieu de travail. Ou encore du « transport à la demande » : grâce à un système d’abonnement, un particulier est assuré de trouver un bus ou un taxi pour le transporter à l’heure souhaitée pour la destination voulue. La gratuité des transports en commun ne crée pas les lignes inexistantes et n’aide en rien les personnes travaillant en horaires décalés, insiste-t-il. Ces politiques sont moins coûteuses et plus rapides à mettre en œuvre que les investissements dans les transports publics, selon l’ONG. 

© Reuters

Abandon des projets de zones d’action prioritaire pour l’air (les « Zapa »), maintien de l’avantage fiscal du diesel, flou sur la future écotaxe : le gouvernement s’est montré jusqu’ici incapable de prendre des mesures de fond pour protéger l’air des villes et réduire le trafic automobile. La France échoue à sortir du « tout voiture », alors qu’en Europe les politiques alternatives foisonnent. Selon les décomptes des ONG européennes regroupées dans la campagne pour des villes sans carbone suie, contenu dans les particules fines (voir ici), les villes championnes de la réduction des émissions de PM 10 (des microparticules de 10 micromètres ou moins) sont : Berlin, Zurich, Vienne et Glasgow. Passage en revue des mesures les plus exemplaires. 

  • À Berlin : une « low emission zone »

Une  zone de faible émission (« low emission zone » en anglais, soit « LEZ ») a été mise en place en 2008. Elle couvre Berlin intra-muros, sur une superficie de 88 km2. Plus un véhicule est polluant, moins il peut entrer dans la ville. À la différence du péage urbain (instauré à Londres, par exemple), il obéit à des critères environnementaux. Et il fait l’objet de contrôles policiers. Les émissions de microparticules (PM 10 et PM 2,5) ont baissé de 58 % depuis 2008 et celles d’oxyde d’azote d’un cinquième, selon l'organisation environnementale Deutsche Umwelthilfe. Le nombre de jours de dépassement des seuils européens de surveillance s’est aussi réduit. Et le parc automobile a changé : à 90 %, les véhicules circulant dans Berlin portent une étiquette verte, au meilleur niveau environnemental. Le transport de marchandises s’est aussi transformé : les poids lourds de plus de 3,5 tonnes déchargent désormais leurs marchandises à l’entrée de la zone, où elles sont réparties et transportées par des véhicules plus légers et moins émetteurs (voir ici et là concernant la LEZ de Berlin).

Carte des "zones de basse émission" en Europe (source : www.lowemissionzone.eu).Carte des "zones de basse émission" en Europe (source : www.lowemissionzone.eu).

De nombreuses villes européennes ont adopté des formes de « low emission zones » : Düsseldorf en 2009, Stuttgart en 2008. Amsterdam impose une zone de faible émission aux poids lourds et véhicules commerciaux depuis 2008, pour son centre et le quartier du port. Vienne interdit les camions fabriqués avant 1992. Stockholm interdit les poids lourds de son centre depuis 1996. Milan et Rome limitent l’accès de leur centre-ville aux véhicules. Et Londres a banni les plus de 3,5 tonnes de son périmètre, en plus de son système de péage urbain. 

 

  • À Zurich : une « zone trente »

Zurich limite la vitesse de circulation à 30 km/h dans toutes ses rues secondaires. C’est une mesure de sécurité routière, de réduction d’émissions automobiles mais aussi de confort pour les cyclistes et les piétons. La ville s’est fixé un objectif de réduction du transport motorisé individuel (27 % au lieu de 35 % en 2005), sans échéance temporelle. Elle veut tripler la place du vélo à 12 % contre 4 % des transports en 2005. Par ailleurs, elle doit réduire de 2 % chaque année sa consommation en carburant, afin de diminuer ses rejets de CO2.  Le stationnement en parking coûte cher, et le nombre de places est en constante diminution. En Autriche, Vienne a aussi limité la vitesse à 30 km/h sur ses voies secondaires.

 

  • À Copenhague : plus de vélos

Copenhague réserve de plus en plus d’espaces de sa voirie aux transports doux : vélos et piétons. En 2009, elle disposait de 35 000 places de stationnement pour vélos (pour 2 millions d’habitants) et de 360 kilomètres de pistes cyclables. Des autoroutes de vélo sont en projet. Les cyclistes traversent en priorité à de nombreux carrefours, et ils peuvent transporter leur monture dans tous les trains et dans le métro (avec quelques restrictions pendant les heures de pointe). Un système de partage de bicyclettes fonctionne depuis 1995. Depuis 2006, le trafic automobile s’est réduit, et la part des usagers de transports en commun a augmenté (voir plus ici).

  • À Stockholm : un péage urbain

Stockholm a introduit une forme de péage urbain en 2006 : pour entrer en ville, les automobilistes doivent acquitter un droit d’accès. À la suite de cette mesure, le trafic a diminué de 18 %. Le stationnement dans la rue coûte cher. Par ailleurs, une zone de basse émission s’applique aux poids lourds depuis 1996 dans tout le centre de la ville. Entre 2004 et 2010, 14 % des habitants ont abandonné leur mode de transport motorisé au profit du vélo et des transports en commun.

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SFR-Numericable : petits arrangements entre amis

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Commencée par une crise au sein du conseil de Vivendi Universal et le renvoi de Jean-Marie Messier en 2002, la présidence de Jean-René Fourtou pourrait se terminer par une crise identique. Car le choix de la candidature de Numericable pour la reprise de SFR est en train de provoquer de nombreux remous dans le monde des affaires, qui soutenait massivement l’option Bouygues. Beaucoup se demandent comment a été prise cette décision et les promesses qui ont été avancées pour emporter l’adhésion.

Une nouvelle fois, le fonctionnement du conseil de Vivendi se retrouve au centre des discussions. Au fur et à mesure que les détails émergent, la question de la responsabilité du conseil, de l’indépendance des administrateurs, est posée.

Jean-René FourtouJean-René Fourtou © Reuters

La direction de SFR a travaillé depuis plusieurs mois avec Numericable en vue d’un rapprochement et les équipes ont fini par être convaincues de l’intérêt de cette opération, qui limiterait la casse sociale. Mais il semble que le choix du conseil de Vivendi n’ait pas été dicté par ces seules considérations. D’autres intérêts paraissent avoir pesé.

Jean-René Fourtou, à la différence de son vieil ami Claude Bébéar, a toujours été en faveur de la solution Numericable. Il a mené personnellement les discussions avec Patrick Drahi, le propriétaire de Numericable, pour la reprise de SFR. Selon nos informations, il a conduit le processus jusqu’au bout, y compris devant le conseil. « Jean-René Fourtou a bâti un conseil à sa main. Il l’a amené là où il voulait, en organisant un passage en force », raconte un connaisseur du dossier. 

Jeudi soir dernier, le comité exécutif, qui réunit Vincent Bolloré, Daniel Camus, directeur financier du groupe, Pascal Cagni, Aliza Jabès et Alexandre de Juniac, administrateurs indépendants, et est présidé par Jean-René Fourtou, s’est retrouvé au siège de Vivendi pour examiner les candidatures des repreneurs de SFR. Jean-René Fourtou, qui veut Numericable, emporte selon nos informations assez vite la décision. Le lendemain, le conseil se range à l’avis du comité exécutif.

Si la décision de choisir Numericable n’a pas été votée « à l’unanimité » comme l’a assuré Vivendi, elle n’a guère rencontré de résistance. Seul Pascal Cagni, administrateur indépendant, a voté contre. Claude Bébéar, qui soutenait la candidature de Bouygues, n’a pu peser sur les discussions. Hospitalisé, il a participé au conseil par téléphone. On le dit furieux.

Quant à Vincent Bolloré, il s’est tu. « Vincent Bolloré était aussi favorable à la candidature de Bouygues. Mais il n’a pas voulu s’opposer à Jean-René Fourtou. Il aurait été marginalisé », explique un connaisseur du dossier.

Poussé vers la sortie par Vincent Bolloré, à l’issue d’un putsch qui a eu lieu l’automne dernier, Jean-René Fourtou n’a jamais caché qu’il voulait quitter la présidence de Vivendi en beauté lors de l’assemblée générale du groupe prévue le 24 juin. Dans ce contexte, l’opération Numericable lui semble de loin préférable, pour être en accord avec ce calendrier, car elle ne pose pas, à ses yeux, de grands problèmes de concurrence et donc pourrait s’achever rapidement.   

De plus, Numericable a fait une offre d’achat de SFR, payée essentiellement en numéraire, même si Vivendi conservera une participation dans le nouvel ensemble. Ce montage permettra au groupe d’empocher très vite le produit de la vente. M. Fourtou tiendrait beaucoup, lors de sa dernière assemblée, à pouvoir annoncer la vente de SFR et surtout la gratification qui va avec, soit sous forme de dividendes soit sous forme de rachat d’actions. Une façon de faire oublier aux actionnaires qu’après douze années de présidence, ils n’ont jamais retrouvé les cours d’antan. L’action n’a jamais dépassé les 30 euros depuis 2002. Cela lui permettrait aussi d’en profiter : Fourtou détient encore quelque 800 000 actions du groupe.

Le camp Bouygues comme les banquiers ont toutefois été étonnés par l’opacité qui entourait l’offre de Numericable. Son actionnaire Patrick Drahi n’a jamais présenté toutes les modalités de son offre. Et ce n’est qu’au dernier moment mercredi soir, à la clôture des offres, que le groupe a fait savoir discrètement qu’il avait renchéri sur sa proposition, après avoir pris connaissance de celle de son concurrent Bouygues. De l’avis des observateurs, Numericable a été nettement favorisé durant tout le processus par la direction de Vivendi.

Depuis le choix de Vivendi, des rumeurs insistantes circulent sur l’intérêt personnel que pourrait avoir la direction dans cette affaire. Jean-René Fourtou, Jean-François Dubos, président du directoire après avoir été pendant plus de vingt ans secrétaire général du groupe, et enfin Alexandre de Juniac, P-DG d’Air-France-KLM qui siège au conseil de Vivendi comme administrateur indépendant du groupe, se seraient vu promettre un poste d’administrateur dans la nouvelle entité SFR-Numericable.

Interrogé sur cette éventualité lors de la présentation de son projet devant la presse lundi, Patrick Drahi a refusé de se prononcer. Vivendi, de son côté, dément toute décision à ce stade. « Ce n’est pas encore totalement décidé. Mais c’est possible voire probable », explique un des administrateurs de Vivendi à Mediapart. « Avec la vente de SFR, le conseil de Vivendi va éclater. Une partie des administrateurs va rejoindre l’entité télécom. L’autre partie du conseil, qui devrait être en grande partie renouvelée, va rester dans Mediaco (nom de code du nouveau Vivendi recentré sur les médias). »

Patrick DrahiPatrick Drahi © Reuters

 

Selon nos informations, Jean-René Fourtou devrait non seulement être nommé comme administrateur mais aussi reprendre une présidence. Celle de la nouvelle entité lui aurait été promise. Mais Patrick Drahi a affirmé ce lundi qu’il assurerait lui-même la présidence du nouveau groupe, au moins un certain temps. En attendant, M. Fourtou pourrait récupérer la présidence d’un quelconque comité stratégique ou autre. La perte de sa présidence chez Vivendi serait ainsi en partie compensée, d’autant que dans le même temps, selon nos informations, Vincent Bolloré a accepté de lui céder sa place au conseil de l’assureur italien Generali. À 74 ans, Jean-René Fourtou a décidément du mal à renoncer au pouvoir.

Mais le pouvoir pourrait se doubler de quelques intérêts financiers, en plus des jetons de présence. Depuis vendredi, des rumeurs récurrentes circulent sur un plan de stock-options qui devrait être mis en place dès la formation de la nouvelle entité. Les chiffres sont même précis : le plan correspondrait à 1,35 % du capital de la nouvelle entité, évaluée autour de 10 milliards d’euros. Le management pourrait donc se partager autour de 135 millions d’euros. Jean-René Fourtou, qui a déjà amassé une fortune de plusieurs dizaines de millions d’euros à la tête d’Aventis (devenu Sanofi-Aventis) et de Vivendi, en serait un possible bénéficiaire.  

Interrogé dès vendredi par Mediapart, Vivendi dément cette information, qui relève selon lui d’une campagne. Patrick Drahi a lui aussi démenti tout projet en ce sens. « Nous n’avons eu aucune information sur un éventuel plan de stock-options », soutient un administrateur. « Il n’y a pas de plan pour l’instant. Mais il paraît évident qu’il y en aura un à un moment ou à un autre », dit un autre. Altice, la société mère de Numéricable, a déjà créé des structures d’intéressement pour ses dirigeants au Luxembourg, Altice Management par exemple.

Tout cela porte une sérieuse ombre sur le fonctionnement du conseil de Vivendi. Les administrateurs étaient-ils au courant de ces possibles arrangements entre la direction du groupe et Numericable ? Si oui, comment ont-ils pu cautionner une opération qui pourrait se traduire par un enrichissement personnel pour le président du groupe ? Le rôle d’Alexandre de Juniac est particulièrement pointé. « Comment un administrateur indépendant, président d’une société publique de surcroît, peut-il accepter de voter en faveur d’une opération où il pourrait être personnellement intéressé ?, se demande un membre éminent du monde des affaires. Cela crée un certain problème. » Alexandre de Juniac n’a pas répondu aux questions que nous lui avons envoyées.

Toutes ces rumeurs et ces soupçons commencent à créer une certaine tension chez Vivendi et Numericable. Il y aurait beaucoup trop d’interférences dans le projet, à leur goût. Selon nos informations, les deux groupes trouveraient dangereux dans ce contexte d’attendre trois semaines et voudraient presser le pas pour rendre le rapprochement irréversible. Ils aimeraient boucler le financement bancaire, préalable au choix définitif, d’ici deux à trois jours. 

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La «Guerre invisible» au grand jour

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Il n’y a aucune étude disponible sur le sujet en France, et pourtant, l’armée française est l’une des plus féminisées du monde, avec près de 15 % de femmes sur 230 000 engagés. Dans leur ouvrage, La Guerre invisible – révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, les journalistes Leila Minano et Julia Pascual s’attaquent à un tabou bien français. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, cela fait des années que les relations hommes-femmes dans l’armée, et plus particulièrement les dérives sexistes, abus sexuels voire pire, sont fréquemment auscultés. Pas en France. 

C’est d’ailleurs la lecture d’un article sur le sujet aux États-Unis qui a poussé Leila Minano et Julia Pascual à chercher s’il y avait un équivalent en France. Aucun.

Le livre s’intéresse plus particulièrement à une cinquantaine d’agressions sexuelles au sein de la grande muette, dont la plupart ont débouché sur des décisions de justice. Surtout, il insiste sur les difficultés que rencontrent les victimes : la honte à dénoncer, peut-être plus forte encore que dans le civil, les répercussions sur les carrières, les sanctions disciplinaires et autres changements d’affectation. Quand les auteurs, eux, sont parfois toujours en poste. 

Plus loin encore, l’enquête montre que ce quotidien de brimades, d’humiliations, d’injustice, qui se déroule en milieu par définition confiné, a lieu devant une hiérarchie qui pousse à dissimuler les faits, au nom sans doute d'une certaine image de l'armée...

 

 

La Guerre invisible – révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française de Leila Minano et Julia Pascual, éd. Les Arènes et Causette, 2014 (19,80 euros).

À retrouver dans la Bibliothèque de Mediapart

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Frais d'inscription dans l'enseignement supérieur: l'offensive est lancée

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La scène se passe le 3 février dernier à la maison des polytechniciens, à Paris. Dans un cénacle restreint d’anciens de l'école, l’association X-Sursaut a invité à débattre le directeur de Polytechnique Jacques Biot, celui de Télécom Paris Tech, Yves Poilane, et l’ancien président de Paris IV, Jean-Robert Pitte, sur une question brûlante : le financement de l’enseignement supérieur public.

Le constat est partagé par tous les participants : l’État ne va pas augmenter, voire va baisser, ses dotations aux établissements dans les années à venir. « Bon, bref (…) il faut qu’on se bouge pour aller chercher l’argent là où il y en a », résume le directeur de Télécom Paris Tech, Yves Poilane.

Les possibilités paraissent limitées. La piste du financement par les entreprises existe bel et bien mais n’est pas aussi prometteuse pour tout le monde, souligne le président de Télécom Paris Tech. Si Polytechnique a réussi à lever plusieurs millions d'euros, tous les établissements n’ont pas la même notoriété, et donc les mêmes possibilités. Il y a bien aussi les opérations de mécénat, rappelle Jacques Biot, qui cite en exemple sa « bibliothèque LVMH », ou son « stade Claude Bébéar » mais tout ça n’est pas encore très développé, regrette notamment Jacques Biot parce qu’« il y a un problème culturel français (une attitude) conservatrice, traditionaliste : "c’est à l’État de payer" ». L’exemple de Nike qui a déboursé une centaine de millions de dollars pour faire figurer sa chaussure sur un campus américain fait saliver tout le monde et illustre à quel point la France est sur ce point encore « en retard ».

Où donc trouver l’argent nécessaire pour mener la compétition internationale ? Dans cette assistance choisie, un consensus s’instaure : en faisant payer les étudiants.

La question des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur public est un sujet ultra-sensible sur lequel le gouvernement avance prudemment. Alors que dans la plupart des pays européens, les frais d’inscriptions ont flambé ces dernières années, pour pallier le désengagement des États, la France avec des droits d’inscription très faibles reste une exception dans le paysage. Une anomalie, selon ces représentants de grandes écoles publiques tout comme pour l’unique représentant de l’université, Jean-Robert Pitte.

Par un arrêté en date du 23 décembre 2013 obtenu auprès de leurs ministères de tutelle – le redressement productif et Bercy –, les neuf écoles publiques des Mines-Télécom, fleurons des écoles républicaines, ont déjà obtenu de doubler leurs droits d’inscription pour la rentrée prochaine. Ils passeront de 850 à 1 850 euros pour les étudiants français et atteindront 3 800 euros pour les étrangers non communautaires, soit une augmentation de 350 %. Le 2 mars, l’Unef, jugeant ce montant « insoutenable pour certains étudiants » et dénonçant une rupture d’égalité entre les usagers du service public, a déposé un recours au Conseil d’État contre cette augmentation massive. S’indignant d’un « racket des étudiants étrangers », le Gisti a lui aussi saisi la même juridiction.

Pour l’Unef qui combat de longue date toute augmentation des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, ce décret apparaît comme une brèche pour augmenter ensuite les frais d’inscription dans l’enseignement supérieur en général, et dans les universités en particulier, financièrement exsangues car chroniquement sous-dotées.

À entendre les propos tenus lors de cette rencontre feutrée, notamment par le président de Télécom Paris Tech, Yves Poilane, les craintes de la principale organisation étudiante sont plus que fondées : après avoir rappelé le contexte général de désengagement de l’État, Yves Poilane précise avoir « décidé très récemment d’augmenter les droits et frais de scolarité ». « Évidemment, la formation nous coûte encore 16 000 euros (par étudiant et par an, ndlr), donc on est encore loin d’avoir assuré un "business model". Mais ça va rapporter à l’école quand même 350 000 euros en année pleine », souligne-t-il.

Au regard de la dotation de l’État – 33 millions d’euros –, ce n’est pas grand-chose mais c’est un bon début. Évidemment, précise le directeur de Télécom Paris Tech : « J’ai plus vite fait de perdre 300 000 euros dans les évolutions de la dotation de l’État que de les retrouver par une mesure (le doublement des frais d'inscription) qu’il a fallu plusieurs mois, pour ne pas dire une paire d’années, à obtenir de la part du gouvernement. Et on n’est pas mécontents de l’avoir obtenue de la part d’un gouvernement de gauche ! »

Pour Yves Poilane, l’augmentation des droits d’inscription est une bonne chose par principe, même si son efficience économique est finalement assez faible. C’est une victoire idéologique pour ne pas trop rougir face à ses concurrents anglo-saxons comme les masters de sciences de Columbia qu'Yves Poliane ne cesse de citer en exemple et dont les droits d’inscription sont de 60 000 dollars.

Un des arguments de ces représentants d'écoles publiques pour augmenter leurs droits est qu'à l'international ce qui ne coûte rien n'a pas de valeur. 

L’augmentation prévue pour la rentrée 2014 n’est donc bien sûr qu’une étape. « Je me fixe une ambition à 5 000 euros… Il n’y a pas de journalistes dans la salle... », s’amuse-t-il. Bien sûr, ce serait encore loin du « prix coûtant » (sic) mais « il faut être réaliste – en tout cas, ce qu’un gouvernement de droite n’a pas réussi à faire ; ce que Valérie Pécresse n’a pas réussi à faire, je ne vois pas comment son successeur réussirait à le faire aujourd’hui ». Pour parvenir à ses fins, il espère donc « une modification assez substantielle du cadre politique ».

Contacté par Mediapart, et confronté à notre retranscription précise du débat, Yves Poilane assure qu'une « ambition » d'augmenter les frais d'inscription n'est pas un « objectif » au sens où il n'y a pas pour lui « d'horizon déterminé ». En clair, pas de calendrier précis.

Depuis son arrivée, la ministre Geneviève Fioraso a plusieurs fois assuré que l’augmentation des frais d’inscription dans l'enseignement supérieur n’était pas d’actualité « pour l’instant ». Jusqu’à quand ?

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Une série de suicides met Orange sous tension

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C'était le vendredi 17 janvier au matin. Une panne de RER A durant plusieurs heures. « Accident de personne », disait le petit écran. Suicide, diront un peu plus tard quelques dépêches. N. F. s'est jeté sous un train en gare d'Auber. Il travaillait chez Orange-France Télécom, conseiller client dans une agence professionnelle sur le site Poncelet à Paris. Il avait 42 ans et il souffrait au travail, de ce mal-être qui ronge l'ancienne entreprise publique des PTT depuis la privatisation et le plan de restructuration Next de l'ex-PDG Didier Lombard. Tout le monde le savait. Son manager auquel il imputait des faits de harcèlement moral. Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L’inspection du travail qui mène une enquête. Les collègues. La famille.

N. F. est le deuxième salarié d'Orange-France Télécom à mettre fin à ses jours depuis le début de l’année. Le premier, R. C., cadre à la direction technique France à Arcueil dans le Val-de-Marne, s’est pendu trois jours plus tôt, le 14 janvier. Il avait 58 ans, trois enfants, venait de subir une mobilité, ne supportait plus le comportement de ses nouveaux managers, avait confié son mal-être à ses collègues, aux représentants du personnel.

Depuis, huit autres salariés d’Orange se sont donné la mort à travers la France. Dans huit cas sur dix, le suicide a un lien explicite au travail même s'il n'a pas eu lieu sur le lieu de travail, selon les syndicats et l'Observatoire du stress et des mobilités forcées à France Télécom, créé à l'initiative d'organisations syndicales. La dernière victime en date avait 25 ans et un statut d’« alternant » dans une unité d’intervention technique sur le site d’Eysines près de Bordeaux. Elle s’est suicidée le 6 mars dernier.

Dix suicides entre le 14 janvier 2014 et le 6 mars 2014. Dix suicides en moins de deux mois : trois femmes, sept hommes, tous âges, toutes qualifications dont des salariés « isolés », bien souvent éloignés du service pour des raisons de santé (arrêt, congé maladie, parfois de très longue durée). C'est presque autant qu'au cours de l'année 2013 où onze cas avaient été décomptés par l'Observatoire. « Depuis deux ans et l’arrivée du nouveau PDG Stéphane Richard, le climat s’était apaisé. Des suicides, il y en a toujours eu chez nous mais la moyenne, c’était un par mois », rappelle Patrick Ackerman, délégué syndical Sud.

Pour mémoire, en 2008-2009, une quarantaine de suicides ont été enregistrés sur vingt-quatre mois, au plus fort de la crise sociale qui a ébranlé l’ex-France Télécom et conduit en juillet 2012 à sa mise en examen pour harcèlement moral en tant que personne morale (ainsi qu’à celle de l’ex-PDG Didier Lombard et de deux de ses collaborateurs, son ancien numéro deux Louis-Pierre Wenes et l'ancien DRH Olivier Barberot à la suite d'un rapport de l'inspection du travail mettant en cause la politique de gestion du personnel et d'une plainte de la fédération SUD-PTT fin 2009).

© reuters

Les syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO, Sud) sonnent l'alarme, craignent « une escalade ». D’autant plus inquiets que cette troublante multiplication de drames se caractérise par des passages à l'acte de plus en plus violents : des salariés se sont immolés par le feu, d'autres jetés sous un train, l'un d'eux s'est poignardé. La dernière fois que le groupe avait connu une hausse aussi sensible des suicides, c'était sous Lombard, quelques mois avant qu'il ne cède la présidence du groupe et soit remplacé par Stéphane Richard. Neuf suicides étaient survenus entre janvier et février 2010, soit 180 % de plus qu'en 2009.

Unanimes, les syndicats ont émis, les 18 et 19 février dernier, un droit d'alerte concernant la mise en danger de la santé et de la sécurité des salariés au sein du groupe lors du Comité national santé, hygiène, sécurité et conditions de travail (CNSHSCT). Ils ne l'avaient pas fait depuis 2008. Ils demandent des mesures « immédiates et correctives » à la direction pour enrayer cette flambée de suicides qui montre que « la communauté Orange », comme la désigne Bruno Mettling, le directeur général adjoint du groupe, est loin d’être apaisée, malgré l’arrivée d’un nouveau PDG en 2011 et un nouveau « contrat social », fruit de multiples négociations.

« Notre volonté n’est pas de nuire à l’image d’Orange, mais bien de pousser l’employeur à adopter les mesures adéquates pour arrêter cette spirale infernale. » Philippe Méric représente Sud au CNSHSCT. « Traumatisé comme tout le monde par la vague de suicides de 2008-2009 », conséquence du plan Next qui a consisté à supprimer 22 000 postes et à réorienter 14 000 salariés vers d'autres métiers avec une extrême violence managériale, « par la porte ou la fenêtre » disait Lombard, il trouve que « l'entreprise, après quelque temps d'apaisement, renoue avec ses vieux démons ».

« Sous prétexte d'une concurrence accrue et d'une baisse du chiffre d'affaires, elle met à nouveau la pression sur les salariés, abonde à son tour Jean-Pierre Testi, son homologue de la CFE-CGC. On retrouve aujourd’hui tous les facteurs structurels de la crise de 2007-2009 dont l’une des manifestations la plus grave est la remontée rapide des suicides. »

© Extrait de la réponse de la direction aux membres du CNSCHSCT

Suppressions d’emplois programmées sur plusieurs années, insuffisance de recrutements, accélération des fusions, des restructurations, des fermetures de sites, des changements de métiers, des changements de l’environnement du travail… Les syndicats décrivent des salariés pressés de toutes parts et une situation sociale qui se tend depuis dix-huit mois et l’arrivée du rouleau compresseur Free dans le monde de la téléphonie mobile.

Les services de santé et sociaux de l'entreprise, renforcés significativement depuis la crise, en témoignent. Loin des sondages internes qui donnent 81 % de salariés fiers d'appartenir à la communauté Orange (contre 39 % en 2009), médecins, assistantes sociales, acteurs de la prévention voient l'inquiétude gagner du terrain y compris chez ceux qui déclarent « bien se sentir au travail ».

« Les salariés que je vois me rapportent une pression commerciale continue, appuyée par les primes individuelles (la PVV mensuelle) au résultat, qui conduit au malaise devant les "ventes forcées", que ce soit de la part parfois de ceux qui les effectuent, que, plus souvent, par ceux qui les constatent. Le malaise grandit du fait de la crise économique que connaît la clientèle, par exemple de petits professionnels et PME, puisque les objectifs sont inchangés, alors que les opportunités de vente diminuent », raconte sous couvert d'anonymat une assistante sociale, qui a vécu toutes les mutations du groupe depuis trente ans. En 2013, deux salariés en situation de souffrance lui ont confié vouloir en finir en s'immolant devant une boutique Orange « pour que tout le monde voie »...

Stéphane RichardStéphane Richard © reuters

Elle voit aussi combien les départs en temps partiel seniors (15 000 salariés d’ici 2015, 30 000 salariés d’ici 2020) et faiblement compensés (4 000 embauches d’ici 2015) inquiètent ceux qui restent, surtout en UI (unités d’intervention, services techniques), où le taux de suicide est particulièrement élevé « car ils n'ont aucune visibilité sur comment le travail va s'organiser et craignent à nouveau une dégradation de leur travail, dans son contenu, comme dans sa qualité ».

« La fonte des effectifs ne permet plus aux salariés d'envisager une mobilité à leur demande, par exemple pour quitter une situation de travail pénible (plateforme d'appels, vente…), poursuit-elle. Cette absence de perspectives donne l'impression d'enfermement et d'irréversibilité. Les personnes devenues inaptes à leur poste du fait de l'atteinte à leur santé, des risques psychosociaux de leur situation de travail, sont de plus en plus difficilement recasées, pour les mêmes raisons. »

Dans une note publiée sur son site internet, l’Observatoire du stress pointe à son tour « le faire mieux avec moins » et « le retour des anciennes méthodes de gestion du personnel qui, malgré les enquêtes et les mises en garde, conduisent aux pathologies de l’isolement dont les suicides font partie : mobilités forcées, évaluation individuelle des performances, mise en concurrence des salariés, challenges, coaching, etc. » : « Pour tenter de faire face aux dysfonctionnements qui apparaissent un peu partout, tout en voulant, en même temps, accroître la productivité, les directions se livrent à d’incessantes et parfois contradictoires réorganisations. Résultat : une augmentation des mobilités professionnelles et géographiques, une incertitude sur la pérennité de son travail, une montée de l’inquiétude chez beaucoup d’agents du groupe. »

La direction, pour sa part, dit agir « dans le respect du contrat social », refuse d'associer la dégradation de la situation à sa politique conduite en matière d'emploi en France. Dans un long courrier de réponse adressé le 11 mars dernier aux membres du CNSHSCT (que Mediapart publie ici), Bruno Mettling, le directeur-général adjoint du groupe, déroule ses arguments, parle d'un « retour à une situation d'une entreprise normale concernant l'état de santé des salariés, sans exclure bien évidemment des situations de souffrance de la part de certains salariés ».

Il rappelle les dispositifs de prévention mis en œuvre depuis la crise de 2008, « ce socle solide pour anticiper les tensions », « sans beaucoup d'équivalent dans notre pays » et dit sa tristesse devant les récents suicides : « Si aucune conclusion collective ne peut être dégagée, néanmoins leur succession rapprochée nous rappelle à la vigilance et au devoir d'interroger sans relâche l'efficacité des nombreux dispositifs de prévention mis en place depuis plusieurs années au sein de l'entreprise. »

© Extrait du courrier du directeur général adjoint du groupe aux syndicats

Il confirme aussi « l'approche » de la direction devant ces drames : « Le refus du déni et l'examen au cas par cas sous l'égide des CHSCT des conditions dans lesquelles un lien est susceptible ou non d'être établi en chacun de ces drames et l'environnement de travail, une grande prudence quant à la communication en dehors d'une communication de proximité, les professionnels de santé insistant tous sur les risques associés chez d'autres personnes fragiles par toute communication en la matière ; le refus de toute instrumentalisation de ces drames mais en même temps un engagement fort et une grande disponibilité de l'entreprise pour en comprendre les tenants et les aboutissants, notamment à travers des échanges approfondis avec les partenaires sociaux. »

Les toutes prochaines réunions des instances nationales du groupe, le CNSHSCT (Comité national santé, hygiène, sécurité et conditions de travail) et le CNPS (Comité national de prévention du stress), devraient confirmer ou non ce dernier point. Celle du CNSHSCT aura lieu ce vendredi 21 mars. Jean-François Colin, président de la mission nationale de soutien et de médiation lancée par Stéphane Richard « pour les salariés les plus fragiles », y assistera et fera part de « ses préconisations ».

© Extrait du rapport de l'inspectrice du travail à propos du suicide de N.F.


« La direction doit être au plus mal pour nous envoyer l’ami de Richard, le pompier de la direction depuis sa nomination fin 2010. Il jouit d’une bonne image auprès des syndicats pour son rôle dans la recherche de solutions pour les cas les plus désespérés mais croire qu’il va solutionner la crise est un peu court. Il faut des mesures fortes sur l’emploi, les restructurations, les sources de souffrance au travail, que la direction nie », commente un syndicaliste qui aurait préféré qu’une étude soit confiée à l’observatoire national des suicides initié par la ministre de la santé Marisol Touraine pour comprendre les causes de cette dégradation.

L'Observatoire du stress, lui, s’apprête à publier un comparatif entre le deuxième suicide de l’année 2014, l’un des rares à avoir été médiatisé, celui de N. F. qui s’est jeté sous le RER A et l'enquête effectuée il y a quatre ans par un expert Secafi : elle avait trait au suicide à Annecy, le 28 septembre 2009, d'un conseiller-client de France Télécom, qui s'était jeté d'un viaduc surplombant une autoroute, après avoir mis clairement en cause son travail et son entreprise. D'après l'Observatoire, on leur découvre de nombreuses similitudes. On constate par exemple que les préconisations émises en février 2010 demandant une réduction drastique du nombre d'applications informatiques (38), dont se servent les agents pour traiter les demandes des clients (source de grand stress), ne sont pas appliquées. Sur le site de Poncelet où la mort de N. F. a provoqué « un choc d’une violence inouïe », l'inspection du travail en a dénombré 49, dont certaines d'une grande complexité…

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Affaire Tapie: les enjeux de la confrontation Lagarde-Richard

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Le scandale de l’arbitrage qui a fait la fortune de Bernard Tapie va connaître mercredi un spectaculaire rebondissement judiciaire : les magistrats de la Commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) vont en effet procéder ce jour-là à une confrontation entre Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), et Stéphane Richard, qui fut son directeur de cabinet du temps où elle était ministre des finances et qui est devenu ensuite PDG d’Orange. Le rendez-vous revêt une grande importance pour de très nombreuses raisons. À cause de la personnalité des deux protagonistes qui jouent un rôle de poids, l’une sur la scène économique planétaire, l’autre sur la scène économique française. Mais surtout à cause du rôle que tous deux ont joué dans le scandale Tapie et dont ils donnent des versions opposées. Les magistrats vont donc s’appliquer à comprendre qui dit vrai et qui dit faux.

Cette confrontation était attendue depuis très longtemps car on sait depuis l’été dernier que Christine Lagarde, qui a été placée par la CJR sous le statut de témoin assisté, et Stéphane Richard, qui a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans le cadre de l’enquête judiciaire, présentent en effet des versions contradictoires de leur rôle respectif et se rejettent mutuellement la responsabilité des fautes les plus graves qui pourraient être imputées au ministère des finances. Or, la CJR, dont les investigations progressent avec une lenteur extrême, n’a rien fait depuis près de huit mois pour essayer de vérifier quelle était la bonne version.

Les investigations conduites par la CJR tranchent même de manière encore plus spectaculaire avec celles conduites par la police judiciaire, sous la responsabilité des juges d’instruction chargés de l’affaire. Dans ce dernier volet, les auditions conduites par la Brigade financière ou d’autres services policiers ont été réalisées avec une extrême rigueur. Et comme nous avons pu le vérifier, il est fréquemment arrivé à des policiers de signifier à ceux qu’ils interrogeaient que leurs propos étaient mensongers et qu’ils se trouvaient dans l’obligation de le consigner dans le procès-verbal d’audition.

Or, la première audition de Christine Lagarde, les 23 et 24 mai 2013, devant la CJR (il y en a eu une seconde, beaucoup plus discrète, fin janvier), a été conduite dans des conditions beaucoup moins rigoureuses. Comme Mediapart l’avait révélé, l’ex-ministre des finances a menti à plusieurs reprises au cours de son audition, sans que les magistrats le relèvent sur-le-champ. Et ces mensonges ou approximations portaient sur des points-clés de l’affaire et de la responsabilité de Bercy. La patronne du FMI a ainsi prétendu qu'elle n'avait jamais lu les notes de l'Agence des participations de l'État l'alertant sur l'arbitrage, alors qu'elle avait assuré le contraire devant les députés. Elle a aussi dit aux magistrats qu'elle ne pouvait pas avoir signé un document décisif daté du 23 octobre 2007 car elle était ce jour-là à Washington, alors qu'elle était bien à Paris. Sans grande surprise, ce devrait donc être sur ces mêmes points que la confrontation entre Christine Lagarde et Stéphane Richard devrait être organisée. Ce dernier document est particulièrement important car c'est lui qui a donné le feu vert à l'arbitrage en faveur de Bernard Tapie.

Pour cerner les principales questions qui seront soulevées au cours de cette confrontation, il suffit donc de se replonger dans l’enquête que nous avions mise en ligne le 9 juillet 2013, sous le titre Christine Lagarde a menti devant la CJR, et que l’on peut retrouver ici dans sa version en anglais How IMF boss Christine Lagarde lied to judges in Tapie affair. Interrogée sur plusieurs de ces mensonges que nous avions révélés lors de sa seconde audition, fin janvier 2014, l'ex-ministre a dû confirmer que Mediapart avait raison et a changé de version, comme nous le révélons à la fin de cet article.

Nous republions ci-dessous notre article initial pointant les mensonges de Christine Lagarde :

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Dans les jours qui ont suivi l’audition de Christine Lagarde par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), les jeudi 23 et vendredi 24 mai, peu de choses ont filtré de la version donnée aux magistrats du scandale Tapie par l’ancienne ministre des finances de Nicolas Sarkozy, devenue dans l’intervalle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Tout juste a-t-on appris, à l’issue, qu’elle avait été placée sous statut de témoin assisté et non pas mise en examen pour complicité de faux et complicité de détournement de fonds publics, comme on le supposait les jours précédents.

Et puis, dans les jours qui ont suivi, quelques confidences ont filtré sur le contenu de l’audition. En particulier, le journal Le Monde a révélé quelques moments importants de cette confrontation entre les magistrats de la CJR et l’ex-ministre des finances. Le quotidien a pointé notamment que cette dernière avait mis en cause son ancien directeur de cabinet, Stéphane Richard, devenu depuis PDG d’Orange, lui reprochant d’avoir usé à son insu de sa signature officielle – de sa « griffe » comme on dit dans le langage ministériel – pour donner les ultimes instructions qui ont lancé l’arbitrage frauduleux en faveur de Bernard Tapie.

Mediapart a pu prendre connaissance de la totalité de l’audition. Et les propos de Christine Lagarde sont encore plus stupéfiants que l’on pouvait jusqu’à présent le penser. Car si la patronne du FMI met en cause, sans beaucoup d’élégance, son principal collaborateur de l’époque, et se défausse de ses propres responsabilités, elle le fait en usant de nombreux mensonges. Et plus généralement, ses explications apparaissent souvent confuses : en réponse aux questions méticuleuses des magistrats, Christine Lagarde botte perpétuellement en touche, affirme qu’elle n’était pas au courant, qu’elle n’avait pas été tenue informée, au point qu’on en vient presque à se demander si c’était bien elle qui était ministre des finances. On découvre aussi à cette occasion que la police judiciaire a saisi une note de l’avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, qui aurait pu servir d’argumentaire pour Christine Lagarde avant une audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Ainsi la ministre des finances, Christine Lagarde, publie-t-elle le 11 juillet 2008 un premier communiqué dans lequel elle annonce la sentence des trois arbitres dans des termes qui, avec le recul, laissent pantois. « Cet arbitrage, rendu par des personnalités incontestables, avait été engagé par les parties pour mettre un terme définitif à des procédures contentieuses ouvertes depuis presque quinze ans. La plus grande part de l'indemnité arrêtée par la sentence retournera aux caisses publiques, par le règlement de la créance détenue par le CDR et par le paiement des impôts et des cotisations sociales qui étaient dus à l'État. » Mais pourquoi la ministre tient-elle des propos aussi élogieux à l’égard des arbitres ? Pourquoi suggère-t-elle que Bernard Tapie n’y gagnera que très peu ? Et pourquoi surtout suggère-t-elle du même coup que l’examen d’un possible recours contre la sentence n’est pas même à l’étude ?

Réponse pour le moins étonnante de Christine Lagarde devant les magistrats : « Ce communiqué ne m'a pas été soumis avant sa parution. »

Ainsi l’Agence des participations de l’État (APE) lui adresse-t-elle peu après une note en date du 23 juillet 2008. Cette note revêt une grande importance car la sentence controversée en faveur de Bernard Tapie a été rendue seize jours plus tôt et l’État doit décider s’il introduit ou non un recours contre la décision des trois arbitres. Or, cette note de l’APE précise que si un premier avocat consulté par Bercy a estimé qu’un recours du Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance de l’ex-Crédit lyonnais qui est opposée à Bernard Tapie) n’avait aucune chance de prospérer, un second avocat, Me Benoît Soltner, a la conviction strictement opposée et le dit de manière énergique. La note de l’APE cite ainsi la conclusion de l’avocat : « Le CDR dispose d'un moyen d'annulation qui peut être qualifié de sérieux qui pourrait d'autant plus emporter la conviction d'un collège de magistrats que l'on est en présence d'une atteinte à l'autorité de la chose jugée par la plus haute autorité judiciaire. »

Les magistrats pressent donc Christine Lagarde de questions pour savoir pourquoi elle ne s’est pas rangée à cet avis. Réponse stupéfiante de la ministre : « Les avis dont je disposais étaient multiples et variés. Me Soltner a exprimé, dans le second avis qu'il a fourni, une appréciation plus favorable à l'annulation, mais ses écrits n'étaient pas d'une lecture très facile. Dans ces conditions, le second avis n'a pas suffi à me faire revenir sur ma position initiale qui n'allait pas dans le sens du recours en annulation. »

D’une « lecture pas très facile » !... La ministre des finances a sans doute l’occasion d’économiser 403 millions d’euros d’argent public, et elle ne trouve que ce pauvre argument pour expliquer qu’elle n’a pas saisi cette chance.

Quelques jours plus tard, le 28 juillet 2008, la ministre des finances publie un communiqué de presse (on peut le retrouver ici ou se reporter à cet article de Mediapart), qui affirme ceci : « Après avoir pris connaissance des analyses produites par les conseils du CDR, qui estimaient que les chances de succès d'un recours étaient très faibles, et au vu des contreparties négociées à la renonciation à un tel recours, Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, a demandé aux administrateurs représentant l'État au Conseil d'administration de l'EPFR de ne pas s'opposer à la décision prise ce jour par le Conseil d'administration du CDR de ne pas déposer un recours en annulation sur la sentence arbitrale du 7 juillet 2008. » Or, il s’agit d’un mensonge, car pour finir, comme le révélera Mediapart peu après, deux avocats consultés par l’État se sont prononcés contre un recours, et deux pour, dont Me Soltner (lire Affaire Tapie: Christine Lagarde a menti). Les magistrats demandent donc pourquoi un tel communiqué a vu le jour sous la signature de Christine Lagarde. Rebelote ! « Je n'ai pas eu personnellement connaissance du contenu de ce communiqué avant qu'il ne soit rendu public », répond de nouveau l’intéressée.

L’affaire fait ce soir-là la « une » des 20 heures de tous les journaux télévisés et ce communiqué mensonger porte sa signature, mais avec le recul, Christine Lagarde ne trouve rien de mieux à dire qu’elle n’était... pas au courant !

Toujours plus sidérant : en cours d’arbitrage, quelques semaines plus tard, un premier manquement à ses obligations d’indépendance de l’arbitre Pierre Estoup est découvert. Il s’agit d’un fait majeur car la sentence principale est connue et la ministre des finances détient là un motif éventuel de récusation de l’arbitre et éventuellement d’annulation de l’arbitrage. En clair, elle peut faire économiser 403 millions d’euros aux contribuables. Les 3 et 13 novembre, le conseil d’administration du CDR délibère donc de la question pour arrêter sa ligne de conduite.

Et que fait la ministre ? Étudie-t-elle toutes affaires cessantes la question, pour vérifier qu’il est encore temps de faire annuler la sentence ? Nenni ! Selon ses propres dires, elle ne s’est qu’à peine intéressée à ce rebondissement : « Lors des réunions quasi quotidiennes avec mon directeur de cabinet, celui-ci a évoqué rapidement un problème relatif au troisième arbitre, M. Estoup. Il m'a indiqué que les consultations nécessaires avaient été faites et que le problème était réglé. À cette époque, je n'ai pas porté une attention particulière à ce problème. Aujourd'hui, il est certain que je me dis qu'il aurait été préférable que je m'y intéresse davantage. »

Et cette légèreté qu’affiche Christine Lagarde – ou qu’elle fait mine d’afficher –, cette désinvolture affichée ou feinte, ne s’arrêtent pas là. Face aux magistrats elle répète à de nombreuses reprises qu’elle n’a le plus souvent pas lu ou pas eu connaissance des notes que l’APE lui a adressées, la mettant en garde d’abord contre l’arbitrage et les risques d’illégalité de la procédure, attirant ensuite son attention sur les possibilités d’un recours contre la sentence. « Je précise, sur votre demande, que j'ai découvert, a posteriori, un certain nombre de notes de l'APE qui n'ont pas été portées à ma connaissance, ou que je n'ai pas eues à l'époque », dit-elle ainsi une première fois.

Les magistrats de la CJR insistent et font observer à Christine Lagarde que le patron de l’époque, Bruno Bézard (aujourd’hui directeur général des finances publiques), avait écrit une note en date du 9 janvier 2007, fondant la doctrine de son administration et faisant valoir que l’État était judiciairement en position favorable face à Bernard Tapie, après l’arrêt de la Cour de cassation. Réponse de Christine Lagarde, toujours la même : « Je n’ai pas eu connaissance, au moment où j’ai pris mes fonctions, de la note du 9 janvier 2007 de l’APE. »

Les magistrats insistent et font valoir à l’ex-ministre qu’elle a reçu une note du même Bruno Bézard, en date du 1er août 2007, dans laquelle celui-ci la met solennellement en garde : « Je ne peux donc que déconseiller au ministre la voie d'un arbitrage qui n'est justifiée ni du point de vue de l'État ni du point de vue du CDR. » Pourquoi la ministre n’écoute-t-elle pas le patron du service de l’État qui connaît le mieux le dossier ? Christine Lagarde n’en démord pas : « Comme je l'ai indiqué précédemment, je n'ai pas eu connaissance de cette note à l'époque où elle a été établie. Je ne peux donc pas répondre à cette question. »

En clair, l’ex-ministre des finances aurait-elle pu ne pas lire aucune des notes de mise en garde de la principale de ses administrations et alors qu’il s’agit d’un dossier qui alimente de violentes controverses publiques ? L’ennui pour Christine Lagarde, même si les magistrats de la CJR ne le lui ont pas fait observer, c’est qu’elle n’a pas toujours joué ce rôle d’incapable ou d’irresponsable.

À l’occasion de son audition sur l’affaire Tapie, le 23 septembre 2008, devant la commission des finances de l'Assemblée nationale (on peut la consulter ici), Christine Lagarde a, au contraire, fait comprendre que les notes de l’APE n’avaient aucun secret pour elle : « L’Agence des participations de l’État est régulièrement consultée sur ce type de dossiers », a-t-elle fait valoir, avant d’ajouter : « Elle m’a remis des notes tout au long de cette affaire. Il s’agissait en général d’analyses pertinentes, souvent conservatrices dans l’appréciation du bien-fondé de telle ou telle démarche ; en particulier, elle s’est livrée à une exégèse des consultations juridiques qui ont pu être rendues. J’ai pris connaissance de ses recommandations avec intérêt et les ai comparées avec les autres avis qui m’ont été rendus. »

Dans un cas, Christine Lagarde n’a pas eu connaissance des notes de l’APE, ou seulement a posteriori ; dans l’autre, elle a « pris connaissance de ses recommandations avec intérêt ». Soudainement, l’ex-ministre manifeste sa capacité de mentir, même si l’on ne sait pas si c’est aux députés qu’elle n’a pas dit la vérité ou aux magistrats de la CJR.

Cette capacité de mensonge, on en découvre d’ailleurs une autre illustration un peu plus tard, dans le cours de l’audition. Car les magistrats s’arrêtent ensuite à une lettre que Christine Lagarde a adressée le 23 octobre 2007 au président de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR – l’établissement public qui contrôle le CDR à 100 %). Cette lettre est d’une très grande importance, car jusque-là, le CDR espérait obtenir un accord écrit du Crédit lyonnais pour le dédommager à hauteur de 12 millions d’euros, du fait d’une clause liée au passé. Et cet engagement, le Crédit lyonnais refusait de le donner, et de ce fait cela bloquait le lancement de l’arbitrage. Dans cette lettre, Christine Lagarde donnait donc de nouvelles instructions, au terme desquelles l’obtention de cette garantie n’était plus un préalable au lancement de l’arbitrage. Cette lettre a ainsi constitué le feu vert définitif de la ministre à l’arbitrage.

Or, cette lettre, Christine Lagarde a refusé d’en assumer la responsabilité devant les magistrats, suggérant que Stéphane Richard avait usé à son insu de sa « griffe », autrement dénommée dans le langage gouvernemental « machine à signer » : « La lettre que vous venez de me rappeler me pose un réel problème », a-t-elle dit, avant de poursuivre : « Je ne pense pas que j'aurais signé un courrier de cette nature si j'avais été mise en mesure de le relire. J'ajoute que c'est un courrier qui n'est manifestement pas rédigé par l'APE et qu'il l'a été probablement en mon absence de Paris, dans la mesure où sa date correspond à la période de l'assemblée générale du FMI à laquelle je participais en tant que ministre. Je m'engage, à cet égard, à rechercher et à vous transmettre un document pouvant confirmer mes dires. Je constate, en outre, que cette lettre du 23 octobre 2007 comporte une signature résultant de l'utilisation de la "griffe". Sur votre demande, je précise que la griffe ne pouvait être utilisée qu'avec les accords préalables du chef de cabinet ou son adjoint d'une part, et du directeur de cabinet d'autre part. »

Plusieurs journaux se sont fait l’écho de cette déclaration en faisant valoir que Christine Lagarde avait sans doute été bernée par Stéphane Richard et le patron de l’époque du CDR, Jean-François Rocchi. Cette interprétation est toutefois fragile parce qu’en vérité, il n’est pas difficile d’établir que les propos de l’ex-ministre des finances ne sont pas fiables.

Il n’est en effet pas difficile de vérifier – mais les magistrats de la CJR ne l’ont pas relevé – que ce mardi 23 octobre 2007 Christine Lagarde n’est pas à Washington pour l’assemblée générale du FMI mais bel et bien à Paris. On peut d’ailleurs sans grand mal reconstituer son emploi du temps, puisqu’elle s’est livrée à des activités publiques dont la presse s’est fait l’écho. Le matin, elle a ainsi été parler du pouvoir d’achat au micro de France Inter : « Nous, les Français, faisons figure d'élèves modèles en matière d'inflation », a-t-elle ainsi déclaré, selon le site Internet du Journal du dimanche. Puis, peu après, comme L’Express.fr l’avait relaté, elle a présidé la Conférence sur l’emploi et le pouvoir d’achat organisée à Bercy. Et comme en témoigne le communiqué de presse ci-contre, Christine Lagarde a même participé à 12 heures à une conférence de presse sur le même sujet au ministère des finances, en compagnie de deux autres ministres.

Sur la date, Christine Lagarde induit donc les magistrats en erreur. Mais sur le fond, sa réponse laisse également pantois car ce même 23 septembre 2008, lors de son audition devant la commission des finances de l’Assemblée nationale (la revoici), Christine Lagarde évoque cette lettre d’instruction et en assume… la paternité ! « Je confirme bien volontiers avoir donné des instructions [aux dirigeants de l’EPFR] pour qu’ils soutiennent la décision du CDR d’aller en arbitrage. Je ne m’en suis jamais cachée et j’assume la responsabilité des instructions écrites que j’ai données à cette occasion, sous forme d’abord d’une annotation, puis d’une confirmation d’interprétation concernant le sort particulier réservé à une somme de 12 millions d’euros dans le cadre des relations avec le Crédit lyonnais. Ce document est à votre disposition. »

Encore une fois, Christine Lagarde a menti : soit devant les députés ; soit devant les magistrats de la CJR.

Et puis, quand on étudie de près les réponses de l’ex-ministre des finances, on comprend surtout qu’en réalité, elle n’a pas été dupe de machinations qui auraient pu être ourdies dans son dos ou qu’elle aurait pu être assez inconséquente pour ne pas lire les notes d’alerte de l’APE. Non ! Il transparaît très clairement qu’elle a appuyé l’arbitrage, jusque dans ses dispositions les plus scandaleuses, celles notamment qui avaient trait à l’indemnisation de Bernard Tapie au titre du préjudice moral.

Dans les instructions qu’elle donne le 10 octobre 2007 aux hauts fonctionnaires qui siègent au sein de l’EPFR, Christine Lagarde écrit en effet notamment ceci : « Cet arbitrage serait conduit sur la base du droit, et dans le respect des décisions de justice revêtues de l'autorité de la chose jugée, sous l'égide d'un tribunal arbitral composé de trois personnalités incontestables, MM. Pierre Mazeaud, Jean-Denis Bredin et Pierre Estoup. ll porterait sur l'ensemble des contentieux opposant aujourd'hui les parties, dans la limite permise par la loi, contentieux dont les parties se désisteraient simultanément. Il s'accompagnerait par ailleurs d'une révision à la baisse des demandes de la partie adverse, qui seraient plafonnées à 295 millions d'euros (majorés des intérêts au taux légal depuis 1994) pour les liquidateurs des sociétés de l'ancien groupe Tapie et à 50 millions d'euros pour les liquidateurs des époux Tapie. »

En clair, Christine Lagarde accepte dans ses instructions des plafonds éventuels d’indemnisation exorbitants et même un plafond gigantesque pour le préjudice moral, même si elle n’emploie pas explicitement la formule. Mais là encore, elle en rejette la responsabilité sur d’autres qu’elle-même : « La manière dont ce chiffrage m'a été présenté n'a pas attiré mon attention alors qu'elle aurait certainement été attirée si ces mêmes 50 millions d'euros avaient été présentés comme correspondant à la réparation du préjudice moral. »

En clair, l’ex-ministre des finances fait mine de dire qu’elle n’était pas capable de comprendre par elle-même que ces plafonds outrepassaient radicalement les décisions de justice antérieures et qu’ils préparaient le terrain à une indemnité pour préjudice moral absolument sans précédent en France. Argument stupéfiant ! Christine Lagarde signe une lettre qui engage lourdement les finances publiques et elle prétend ensuite, devant les magistrats, qu’elle n’a pas compris sur le moment la portée de ce qu’elle a elle-même signé.

Au fil de l’audition, on en vient donc à se demander quel est le rôle qu’a vraiment joué dans toute cette affaire Christine Lagarde, qui s’applique désormais à convaincre, mais sans emporter la conviction, qu’elle a été bernée ou qu'elle était une ministre des finances potiche. D’autant qu’il y a un ultime secret qui a été mis au jour par une perquisition de la Brigade financière. Dans l’ordinateur de l’avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne, la police a en effet saisi une note qui porte le titre « Lagarde » et qui est datée du 20 septembre 2008, soit trois jours avant l’audition de la ministre des finances devant la commission des finances de l’Assemblée nationale que nous avons évoquée à plusieurs reprises plus haut.

Lors de son audition, le 28 mai 2013, par la Brigade financière, l’avocat a été interrogé sur cette note. Niant que ce document ait été transmis à la ministre, Me Lantourne a juste avancé cet argument : « Ce document reprend l'argumentation que j'aurais développée devant la commission des finances si j'avais été madame Lagarde. » « À tel point que dans la note vous écrivez au féminin ? » a demandé le policier, non sans humour. Réponse de Me Lantourne : « Si j’avais voulu établir une note à l'attention de Madame Lagarde, je ne l'aurais pas rédigée ainsi. S'agissant d'un ministre de l'économie et des finances que je n'ai jamais rencontré personnellement et que je ne connaissais pas, j'aurais adopté un ton beaucoup plus neutre en développant les arguments. L'utilisation du féminin ne peut nullement signifier que je lui ai adressé cette note, bien au contraire. »

Auparavant, Christine Lagarde a donc elle-même été interrogée sur cette note par les magistrats de la CJR. Ceux-ci lui ont fait observer qu’il y avait de curieuses similitudes entre cette note et ses propres propos devant les députés : « On peut rapprocher les termes de cette note de ceux de votre déclaration sur les points suivants : la légalité du recours à l'arbitrage (trois premiers paragraphes de la note Lantourne et page 220 du rapport de la commission des finances) ; l'opportunité d'entrer en arbitrage (page 2 de la note Lantourne et page 231 du rapport) ; les délais, la complexité, le coût de la procédure. Ce document et son contenu pourraient conduire à penser que l'avocat de la partie adverse aurait participé à la préparation de votre argumentation devant l'Assemblée nationale. »

Réponse de Christine Lagarde : « J'ai été stupéfaite lorsque j'ai découvert l'existence de ce document dans le dossier. Je n'ai jamais eu recours personnellement à un avocat à l'exception de mon ami François Meunier pour préparer mes interventions. Je disposais à cette fin d'un cabinet et d'une administration qui étaient largement en mesure de répondre à mes demandes. Il me paraît totalement aberrant qu'un tel document ait pu être élaboré par l'avocat de Bernard Tapie. Vous me demandez si j'exclus que ce document ait pu être préparé à l'intention de l'un de mes collaborateurs. Je n'en ai aucune idée mais cela me paraît totalement inconcevable. »

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À la suite de la mise en ligne de cet article, Christine Lagarde a été entendue une nouvelle fois à la fin du mois de janvier 2014 par les magistrats de la Cour de justice de la République. À la suite des révélations de Mediapart, elle n'a visiblement pas pu maintenir qu'elle était absente de Paris le 23 octobre 2007, le jour où l'acte ultime lançant l'arbitrage a été signé avec sa griffe. Elle a donc admis qu'elle était bien présente ce jour-là à Paris.

BOITE NOIREAu cours de ces derniers mois, j'ai téléphoné à de très nombreuses reprises à l'avocat de Christine Lagarde, Me Yves Repiquet, mais ce dernier n'a jamais voulu donner suite à mes appels.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Et ça continue encore et encore…

Une journaliste de La Croix entendue par la DCRI

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Anne-Bénédicte Hoffner, 37 ans, est journaliste au service religion du quotidien La Croix. Le 28 janvier 2014, la journaliste, spécialiste de l’islam, signe un article très bien renseigné intitulé « La France doit mieux prévenir les risques de l’islam radical ». Alors que deux adolescents de Toulouse partis pour combattre en Syrie viennent d’être interceptés et interrogés par la police, l’article révèle quelques courts extraits d’un récent rapport du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) sur la « Prévention de la radicalisation ». Un rapport confidentiel assez critique qui s’inquiète, selon le quotidien, de « l’importance croissante » de la radicalisation de jeunes musulmans sur le sol français et pointe les failles du dispositif français : absence de recherches de référence sur le sujet, de « critères communs de détection », une politique exclusivement ciblée sur « la répression », etc.

Le SGDSN, service rattaché au premier ministre, avance également quelques pistes d’amélioration. « Aucune stratégie d’action préventive n’existe à l’égard des personnes détectées pour les aider à sortir du processus », indique notamment le rapport, remis à Matignon le 30 octobre par Yann Jounot, ex-directeur de la protection et de la sécurité de l’État. Un diagnostic désagréable pour les autorités françaises, à l'heure où le ministre de l'intérieur Manuel Valls a fait de la lutte contre « l'ennemi intérieur » l'un de ses chevaux de bataille, mais, a priori, pas de quoi faire trembler la République.

C’est pourtant cet article qui a valu à son auteure d’être entendue comme témoin pendant deux heures, le 18 mars 2014, dans les sous-sols de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), à Levallois-Perret. Contacté, le parquet de Paris indique avoir ouvert une enquête préliminaire pour compromission du secret-défense, suite à une plainte du SGDSN, déposée « dès le lendemain de la parution de l’article ». « Au téléphone, vendredi, le policier m’a indiqué qu’il voulait m’entendre sur le contenu de l’article, ce qui m’a surpris », explique Anne-Bénédicte Hoffner. Selon elle, les policiers souhaitaient savoir comment elle avait eu accès à ce document, apparemment classé confidentiel défense, et qui avait donné son feu vert à la publication au sein de sa rédaction. « Le but était de m’impressionner, estime la journaliste. L’un des policiers m’a dit : “La prochaine fois que vous aurez accès à des informations, vous vous souviendrez de nous.”. »

Dominique Quinio, la directrice de La Croix qui accompagnait sa journaliste, a été priée de l’attendre à l’extérieur du bâtiment de la DCRI. « Nous avons fait notre travail sur un sujet qui concerne tout le monde, indique Dominique Quinio, jointe par téléphone. Ce qui était rapporté dans cet article était extrêmement général et pas de nature à mettre en péril qui que ce soit. Mais La Croix est un journal qu’ils n’ont peut-être pas l’habitude de voir sur ces terrains-là. » Le directeur de la publication, Georges Sanerot, devrait également être prochainement entendu.

Ce n’est pas la première fois que la DCRI tente d’intimider des journalistes au motif de la protection du secret-défense. La violation du secret-défense peut être punie d'une peine allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Le problème est que, depuis la réforme des services de renseignement menée par Nicolas Sarkozy en 2008, ce classement secret-défense a été largement étendu, y compris à des informations utiles au débat public.

En avril 2013, deux anciens journalistes d’Owni, ainsi que l’ex-directeur de publication du site d’information, fermé fin 2012, avaient été entendus suite à la publication d’une enquête sur la plateforme nationale d’interception judiciaire (Pnij), confiée au groupe Thalès. Cette dernière doit centraliser l’ensemble des écoutes téléphoniques, suivis Internet, géolocalisations et autres surveillances réalisées en France dans le cadre d’enquêtes judiciaires. Leur tort ? Le site avait mis en ligne de larges extraits du « programme fonctionnel détaillé » du projet, classé confidentiel-défense. Les journalistes n'ont pas eu de nouvelles depuis.

Contacté, le SGDSN ne nous a pour l’instant pas répondu.

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Ecoutes : le complot de Sarkozy contre ces «bâtards» de juges

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Ce sont les mots d’un ancien président de la République pris la main dans le sac. Parlant sur des téléphones portables qu’ils croyaient sûrs, Nicolas Sarkozy et son avocat, Me Thierry Herzog, ont orchestré en ce début d’année un véritable complot contre l’institution judiciaire pour échapper aux juges et en tromper d’autres. Le nouveau procureur financier n’avait pas d’autre choix que d’ouvrir une information judicaire pour « trafic d’influence », mais les faits vont bien au-delà. C’est un nouveau scandale d’État dont il s’agit.

Mediapart a eu accès à la synthèse des retranscriptions de sept écoutes judiciaires sur la seconde ligne téléphonique de l’ancien président, ouverte sous la fausse identité de “Paul Bismuth”. Dans une dérive à peine croyable, Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à mettre en scène avec son conseil de fausses discussions sur sa ligne officielle pour « donner l’impression d’avoir une conversation ».

Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog.Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog. © Reuters

Du 28 janvier au 11 février derniers, Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, ont tenté d’entraver méthodiquement le cours de la justice dans l’affaire des financements libyens et celle de ses agendas présidentiels saisis dans le dossier Bettencourt. Leurs conversations font état de l’intervention du haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, auprès de trois conseillers chargés d’examiner la validité des actes d’instruction de l’affaire Bettencourt. En échange, l’ancien président a promis au magistrat son soutien pour un poste à Monaco, comme Le Monde l’avait révélé. Les juges qui ont mené l’enquête Bettencourt sont désignés, dans ces échanges, comme les « bâtards de Bordeaux ».

Averti d’une possible perquisition dans ses bureaux dans l’affaire libyenne, Nicolas Sarkozy demande aussi à son avocat « d’appeler son correspondant », manifestement un haut fonctionnaire bien placé dans la chaîne judiciaire, « parce qu’ils sont obligés de passer par lui », précise l’écoute.

La police, chargée de la retranscription de ces écoutes, va d’ailleurs conclure que les échanges interceptés laissent présumer des « faits de violation du secret professionnel » dans l’affaire libyenne et de « corruption d’un magistrat de la Cour de cassation » dans l’affaire Bettencourt.

Pour ce qui est du dossier Kadhafi, les policiers ont compris que Nicolas Sarkozy avait été alerté de son placement sur écoute, ce qui avait déclenché l’achat à Nice de nouveaux portables sous de fausses identités.

La première conversation qui attire l’attention des policiers a lieu le mardi 28 janvier, à 12h24. Me Thierry Herzog informe Nicolas Sarkozy de la teneur du mémoire du rapporteur de la Cour de cassation dans l’affaire de ses agendas, saisis par les juges de Bordeaux. L’enjeu est de taille : l’ancien président veut obtenir l’annulation de cette saisie, pour empêcher que ces documents, déjà versés dans l’affaire Tapie, soient utilisés par la justice dans d’autres affaires qui le menacent, comme l’affaire libyenne. Thierry Herzog se montre optimiste. Il pense que les réquisitions du parquet général lui seront favorables. Nicolas Sarkozy lui demande si « notre ami » – le magistrat Gilbert Azibert – a des informations discordantes. Herzog lui dit que non.

Le lendemain, mercredi 29 janvier, nouvel appel. Il est 19h25. L’avocat de l’ancien président informe son client qu’il vient de parler à « Gilbert ». Ce dernier lui a suggéré de ne pas faire attention au contenu « volontairement neutre » du mémoire du rapporteur dans l’affaire des agendas. Le rapporteur est en réalité, selon « Gilbert », favorable à l’annulation. La taupe de Nicolas Sarkozy à la Cour de cassation a prévenu que les réquisitions de l’avocat général seraient quant à elles communiquées le plus tard possible, mais qu’elles allaient conclure à l’annulation de la saisie des agendas présidentiels. Selon l’écoute, « Gilbert » a déjeuné avec l’avocat général. Me Herzog se félicite du dévouement de son informateur : il a « bossé », dit-il à Nicolas Sarkozy. Et la Cour de cassation devrait suivre les réquisitions, « sauf si le droit finit par l’emporter », commente-t-il, dans un aveu stupéfiant.

Jeudi 30 janvier, à 20h40, les réquisitions arrivent plus vite que prévu. Thierry Herzog en donne lecture à Nicolas Sarkozy. L’avocat précise avoir eu « Gilbert » le matin, qui lui a confié que la chambre de la Cour de cassation devrait, d’après lui, suivre les réquisitions. L’écoute laisse apparaître que « Gilbert » a eu accès à l’avis confidentiel du rapporteur à ses collègues, qui ne doit pas être publié. Cet avis conclut également à l’annulation de la saisie des agendas et au retrait de toutes les mentions relatives à ces documents dans l’enquête Bettencourt. « Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux », commente Herzog, en parlant des juges qui avaient mis en examen Nicolas Sarkozy. L’avocat précise à l’ancien président que l’avis de l’avocat général leur a été communiqué à titre exceptionnel et qu’il ne faut rien en dire pour le moment.

MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Élysée.MM. Sarkozy et Kadhafi, en 2007, à l'Élysée. © Reuters

Samedi 1er février, 11h22. Nicolas Sarkozy s’inquiète. Il a été informé par une source non désignée d’un projet de perquisition de ses bureaux par les juges qui instruisent sa plainte contre Mediapart dans l’affaire libyenne. L’ancien président demande alors à son avocat « de prendre contact avec nos amis pour qu’ils soient attentifs ». « On ne sait jamais », ajoute Nicolas Sarkozy. L’avocat n’y croit pas, mais, précise-t-il, « je vais quand même appeler mon correspondant ce matin (…) parce qu’ils sont obligés de passer par lui ». Ce qui semble désigner une taupe active de Nicolas Sarkozy dans les rouages de l’État. Nicolas Sarkozy se montre inquiet quant à la façon de consulter la source. Thierry Herzog le rassure, lui indiquant qu’il a « un discours avec lui qui est prêt », c’est-à-dire un message codé pour communiquer. « Il comprend tout de suite de quoi on parle. »

Le même jour, vingt minutes plus tard, à 11h46. Nicolas Sarkozy rappelle son avocat. Les policiers surprennent une mise en scène à peine croyable. L’ancien chef de l’État français demande à son avocat de l’appeler sur sa ligne officielle, pour « qu’on ait l’impression d’avoir une conversation ». Thierry Herzog lui demande alors de quoi il faut parler. Nicolas Sarkozy lui propose d’échanger autour des débats de la Cour de cassation. Herzog suggère de le faire « sans triomphalisme », de dire qu’ils ont les réquisitions de l’avocat général et de préciser aussi qu’ils ne vont pas les divulguer, parce que ce n’est pas leur genre. Nicolas Sarkozy l’interrompt pour lui demander si « les juges qui écoutent » disposent de ces réquisitions. Et comme l’avocat lui dit que non, Nicolas Sarkozy conclut que « ce n’est pas la peine de les informer ». Herzog propose aussi à son client de faire semblant de l’interroger sur la plainte qu’il a déposée contre Mediapart. Il lui dit qu’il l’appelle aussitôt sur sa ligne officielle : « Ça fait plus naturel. »

Mercredi 5 février à 9h42. Retour à l’affaire Bettencourt. Thierry Herzog a une bonne nouvelle pour Nicolas Sarkozy. Il vient d’avoir « Gilbert ». Le haut magistrat a rendez-vous le jour même « avec un des conseillers » en charge de l’affaire des agendas « pour bien lui expliquer ». « Gilbert » se dit optimiste et a demandé à Thierry Herzog de le dire à l’ancien président. L’avocat lui dit que ce n’est pas pratique pour le moment, mais il lui promet que Nicolas Sarkozy va le recevoir, car il sait « parfaitement » tout ce qu’il fait pour lui. Gilbert Azibert a évoqué avec Thierry Herzog son souhait d’être nommé à un poste à Monaco. D’après l’écoute, Nicolas Sarkozy se dit prêt à l’aider. Herzog avait d’ailleurs rassuré par avance « Gilbert » à ce sujet : « Tu rigoles, avec ce que tu fais… »

Une semaine plus tard, le mardi 11 février. Il est tard, 22h11. Thierry Herzog, qui vient d’avoir « Gilbert » au téléphone, annonce à Nicolas Sarkozy que le haut magistrat « ira à la chasse demain ». Gilbert a fait savoir qu’il avait rencontré la veille pour eux un conseiller à la Cour de cassation, et qu’il s’apprêtait à en voir « un troisième », avant que les juges ne délibèrent, le lendemain, dans l’après-midi.

Ces multiples manœuvres frauduleuses n'ont pas empêché Nicolas Sarkozy de perdre sur toute la ligne. Non seulement la saisie de ses agendas n’a pas été annulée (de justesse), mais l’écoute de sa ligne téléphonique secrète a donné lieu, le 26 février, à l’ouverture d’une information judiciaire pour « trafic d’influence ».

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Violences sexuelles dans l'armée: la guerre invisible au grand jour

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Il n’y a aucune étude disponible sur le sujet en France, et pourtant, l’armée française est l’une des plus féminisées du monde, avec près de 15 % de femmes sur 230 000 engagés. Dans leur ouvrage, La Guerre invisible – révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, les journalistes Leila Minano et Julia Pascual s’attaquent à un tabou bien français. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, cela fait des années que les relations hommes-femmes dans l’armée, et plus particulièrement les dérives sexistes, abus sexuels voire pire, sont fréquemment auscultés. Pas en France. 

C’est d’ailleurs la lecture d’un article sur le sujet aux États-Unis qui a poussé Leila Minano et Julia Pascual à chercher s’il y avait un équivalent en France. Aucun.

Le livre s’intéresse plus particulièrement à une cinquantaine d’agressions sexuelles au sein de la grande muette, dont la plupart ont débouché sur des décisions de justice. Surtout, il insiste sur les difficultés que rencontrent les victimes : la honte à dénoncer, peut-être plus forte encore que dans le civil, les répercussions sur les carrières, les sanctions disciplinaires et autres changements d’affectation. Quand les auteurs, eux, sont parfois toujours en poste. 

Plus loin encore, l’enquête montre que ce quotidien de brimades, d’humiliations, d’injustice, qui se déroule en milieu par définition confiné, a lieu devant une hiérarchie qui pousse à dissimuler les faits, au nom sans doute d'une certaine image de l'armée...

La Guerre invisible – révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française de Leila Minano et Julia Pascual, éd. Les Arènes et Causette, 2014 (19,80 euros).

À retrouver dans la Bibliothèque de Mediapart

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La diversité est toujours aussi peu présente dans les municipalités

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À l’occasion des élections municipales des 23 et 30 mars, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) et le think tank République & diversité publient une étude sur la parité et la diversité dans les exécutifs municipaux des 50 plus grandes villes de France (lire les détails de leur enquête dans notre Boîte noire).

Si « la parité a beaucoup augmenté dans les municipalités », la question de la diversité reste au cœur du problème de renouvellement que rencontrent les exécutifs municipaux. L’étude révèle ainsi que seulement 9 % des adjoints sont issus de la diversité : 7,11 % d’élus d'origine maghrébine, 2,03 % d’élus noirs et 0,11 % d’élus d'origine asiatique.

Le Cran et République & diversité soulignent de « grosses disparités entre partis », les municipalités dirigées par le parti communiste comptant à elles seules 16 % d’adjoints issus de la diversité (Saint-Denis et Nanterre figurent en tête du classement). Un chiffre qui s’explique, selon eux, « par une forte tradition populaire et antiraciste au sein du parti », mais aussi par « la sociologie des villes où le PC a le plus d'élus (villes de banlieues, fortes communautés immigrées, etc.) ». Du côté des mairies PS et Europe Écologie-Les Verts (EELV), le résultat de l'enquête tombe à 10 %.

© Cran/République & diversité

Les municipalités de droite font figure de mauvaises élèves, puisque dans les équipes UMP des 50 plus grandes villes françaises, seuls 4 % des adjoints sont issus de la diversité. Ils sont 5 % dans les mairies UDI-MoDem. Le Cran et République & diversité indiquent toutefois que « les élus de gauche ne sont pas toujours aussi exemplaires dans ce domaine qu'ils veulent bien le dire ».

En témoigne la carte des douze exécutifs municipaux – dits « apartheid » – qui ne comptent aucun élu maghrébin, noir ou asiatique. Y apparaissent six mairies PS et six mairies UMP. En bas du classement, on trouve notamment les équipes « white only » des maires UMP Alain Juppé (Bordeaux) et Hubert Falco (Toulon), ainsi que celles des édiles socialistes Gérard Collomb (Lyon) et Michel Delebarre (Dunkerque).

© Cran/République & diversité

« Les représentants du peuple ont vocation à être… représentatifs, rappellent le Cran et République & diversité dans le Guide des bonnes pratiques contre le racisme à l’usage des maires de France qui accompagne leur étude. À l’instar de la parité, qui s’impose progressivement dans les habitudes, la diversité doit être respectée au sein des instances de la vie politique. »

Selon le dernier baromètre sur la perception des discriminations dans le travail, dressé par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail (OIT), trois actifs sur dix déclarent avoir été victimes d’au moins une discrimination dans le cadre de leur activité professionnelle, tandis que 34 % en ont été témoins.

Pour inverser cette tendance, le Cran et République & diversité mettent à disposition des futurs maires une « boîte à outils » dans laquelle ils avancent plusieurs propositions que certaines municipalités ont d'ailleurs déjà mises en place en interne (nomination d’un adjoint en charge de la lutte contre les discriminations, création d’une charte pour l’égalité…), mais aussi au sein de leurs politiques publiques (développement des transports, respect des 20 % de logements sociaux de la loi SRU, formation de la police municipale sur les questions liées à la diversité…).

BOITE NOIRECette étude a été réalisée dans les exécutifs municipaux des 50 plus grandes villes françaises « pendant plus d’un an », précisent le Cran et République & diversité, en détaillant leur mode d'enquête : « Comme pour les enquêtes précédentes, celles du CSA ou du CNRS, l’analyse été réalisée sur la base de trois éléments : la photographie, le patronyme et le lieu de naissance. »

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Valls exhorte les préfets à expulser davantage les déboutés de l'asile

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Dans une circulaire datée du 11 mars 2014 sur la « lutte contre l’immigration irrégulière » adressée aux préfets de département, le ministre de l’intérieur maintient la pression sur ses troupes en matière de reconduites à la frontière d'étrangers en situation irrégulière. À quelques jours des élections municipales, Manuel Valls met l'accent sur les demandeurs d’asile, alors que nombre de maires se disent débordés par l’afflux d’étrangers revendiquant le statut de réfugié.

Circulant dans les réseaux associatifs, ce texte réglementaire n'avait pas vocation à être rendu public. Il n'est pas paru au Journal officiel et le cabinet n'avait pas prévu de communiquer dessus. « Il s'agit d'une simple actualisation », minimise-t-on dans l'entourage du ministre. La circulaire, toutefois, révèle les leviers que les agents de l'État sont incités à activer pour accélérer et systématiser la mise en œuvre des mesures d'éloignements. Elle confirme que Manuel Valls, de crainte d’être taxé de laxisme par l’opposition, fait son maximum pour éviter que les courbes d'expulsions de sans-papiers ne chutent.

« Les éloignements forcés atteints (en 2013) sont au plus haut niveau depuis 2006 », se félicite le ministre, ajoutant les 4 676 retours contraints hors Union européenne aux 10 793 réadmissions et renvois au sein de l’UE dans le cadre des accords de Dublin. Le ministre insiste pour que soient privilégiées les expulsions hors UE, qui limitent les retours dans la foulée : « Je vous invite à solliciter de façon plus déterminée l’obtention de laissez-passer consulaires », ces documents étant indispensables, en l’absence de passeport, pour procéder à la reconduite à la frontière. Les préfets, de leur côté, ont tendance à préférer les réadmissions, plus rapides et sans recours suspensif.

Plusieurs fois reportée, une loi réformant l’asile doit être présentée en conseil des ministres en avril 2014. Dans la nouvelle circulaire, qui prend le relais d'une précédente instruction en date du 11 mars 2013, le ministre pose les jalons des évolutions à venir. Il s’étonne de l’écart entre le nombre de déboutés du droit d’asile, c’est-à-dire de personnes dont le dossier a été rejeté, et le nombre de mesures d’éloignements. Il cite un récent rapport parlementaire sur l’asile, remis le 28 novembre 2013, selon lequel, en 2012, 19 137 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prises, tandis qu’environ 36 000 décisions définitives de rejet de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ont été prononcées.

Le ministre attend de ses agents plus de réactivité. Il les « invite », selon la formule consacrée, à prendre des OQTF « dès le refus » connu. Il leur rappelle l’existence de « l’application TélémOfpra » qui leur « permet de connaître chaque semaine les listes des dernières décisions devenues définitives de l’Ofpra ainsi que des dernières décisions notifiées par la CNDA relatives à des demandeurs d’asile déboutés domiciliés dans votre département ». Autrement dit, il leur recommande de suivre les déboutés à la trace. La direction générale de l’Ofpra est appelée à davantage collaborer. Il lui est demandé de communiquer les documents d’état civil ou de voyage permettant d’établir la nationalité de la personne dont la demande d’asile a été refusée. Une réponse « aussi rapide que possible » est exigée afin de pouvoir mettre en œuvre la mesure d’éloignement. Inscrite dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers, cette disposition n'en était pas moins tombée en désuétude depuis 2008, date à laquelle le service ad hoc de fonctionnaires détachés du ministère de l'intérieur avait été supprimé.

Dès que le délai de départ volontaire est écoulé, les forces de l’ordre sont encouragées à privilégier les mesures d’assignation à résidence (à domicile, à l’hôtel ou en centre d’hébergement, avec pointage régulier), plutôt que l’enfermement en centres de rétention administrative (CRA). « En cas d’intervention dans un foyer ou dans un hôtel, je vous rappelle que la protection juridique du domicile s’applique aux espaces privatifs (chambres et appartements) et que les services interpellateurs ne peuvent y pénétrer sans l’accord de l’intéressé », précise la circulaire. Mais, quelles que soient les éventuelles précautions, les préfets ne doivent pas tarder à exécuter les décisions de retour forcé, selon les instructions qui leurs sont envoyées.

Tout est fait, par ailleurs, pour décourager les déboutés de rester en France. À partir du moment où leurs recours sont épuisés, ils se voient interdire l'accès à l'hébergement d'urgence, indique le texte, alors même que l'accueil dans ces lieux est en principe inconditionnel.

Tout à son intransigeance, le ministre n'évoque pas une question clef : que faire des personnes dont les dossiers ont été repoussés par l'Ofpra mais qui pour autant ne sont pas expulsables, par exemple parce qu'elles sont originaires de pays en guerre ou non reconnus ? Dans un récent rapport sur l'intégration, le conseiller d’État Thierry Tuot avait proposé de régulariser à moyen terme ces « ni-ni » afin qu'ils quittent les systèmes d'hébergement temporaire et entrent dans le droit commun. Une hypothèse aussitôt écartée par le ministre de l'intérieur, sans qu'il précise aujourd'hui comment procéder.

Les premières réactions à ce texte, dans le secteur associatif, sont négatives. Sur le blog Passeurs d'hospitalités, qui chronique la situation des exilés à Calais, Philippe Wannesson note avec regret que « la cible principale de ce texte sont les demandeurs d’asile déboutés, dont il s’agit de systématiser l’expulsion au terme de la procédure. Dans un contexte inéquitable, dans lequel la majorité des demandeurs d’asile sont laissés à la rue sans solution d’hébergement, où leur accompagnement est déficient, où les obstacles administratifs se multiplient devant eux, où l’institution chargée de statuer sur leur demande en première instance dépend elle-même du ministère de l’intérieur, il s’agit de terminer le travail en expulsant à chaque fois qu’il est possible vers le pays d’origine ou de condamner à la clandestinité ceux qui passeront au travers des mailles du filet policier ».

« Jusqu'où le président de la République laissera son ministre aller dans l'horreur ? » s'interroge de son côté RESF. Pour la Cimade, Gérard Sadik fustige une circulaire qui « durcit les mesures visant à accroître les expulsions hors UE », « barre l'accès de l'hébergement d'urgence aux déboutés » et, au bout du compte, « revient à mettre en œuvre une politique du chiffre qui ne dit pas son nom ».

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En finir avec le système Sarkozy et avec l’Etat profond

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Il y a tout juste un an, le 19 mars 2013, François Hollande était contraint de se débarrasser de Jérôme Cahuzac, après quatre mois de mobilisation du gouvernement et de l’appareil d’État pour tenter de sauver le ministre de la fraude comme du mensonge fait à la République et aux Français. On sait la suite : une loi dite de moralisation de la vie politique, adoptée à l’hiver 2013 et dont nous avons à de multiples reprises souligné les insuffisances. Des déclarations de patrimoine des élus qui ne pourront pas être publiées ; des situations de conflits d’intérêts toujours tolérées ; des instances de contrôles insuffisamment renforcées ; un procureur financier sans grands moyens et déjà sous le feu de la droite... Voilà donc l’état des lieux de cette « moralisation » (lire ici et ici).

Un an plus tard, les affaires ne viennent pas cette fois de la gauche mais remettent au centre d’une République abîmée par la corruption et les manœuvres de tout ordre, Nicolas Sarkozy. Sarkozy, mais pas seulement lui : ses avocats, ses conseillers, ses proches, ses frères d’armes en politique et ses relais, anciens ou actuels, à tous les niveaux de l’appareil d’État.

Nicolas Sarkozy.Nicolas Sarkozy. © Reuters

Ces deux événements, parce que le premier concerne le pouvoir actuel et le second l’ancien pouvoir, devraient convaincre qu’il est grand temps d’engager en France une réforme d’envergure des principaux étages de nos institutions sauf à voir notre pays sombrer dans une sorte de berlusconisme à la française ou s’en remettre au pire, c’est-à-dire à l’extrême droite. Le contrat citoyen passé avec la République n'a jamais été ainsi piétiné. Que les responsables politiques se saisissent de cette crise le temps de quelques réformettes ou opportunités – électorales si possible –, puis détournent très vite le regard ne peut plus être une réponse. C’est une « Opération mains propres » à la française qu'il est urgent d’engager.

Il est inutile de mettre pour cela droite et gauche sur le même podium de l’indignité nationale. Les affaires multiples d’un Sarkozy en bande organisée sont d’une tout autre ampleur que les fraudes fiscales cachées d’un ministre socialiste. Mais la présidence de la République n’est pas seule touchée. Les partis le sont tout autant, puisque nous avons découvert ces dernières années, au fil des affaires et informations judiciaires, que le financement public de la vie politique n’offre plus aucune garantie de transparence et de légalité. Le rejet des comptes de campagne du candidat Sarkozy 2012, les bagarres à droite sur les trous noirs de la comptabilité de l'UMP, l’enquête préliminaire ouverte sur les finances de ce parti via les contrats passés avec Bygmalion, avec soupçons de fausses factures et d’enrichissement, les mystères inexplorés du « Sarkoton », tout cela constitue une bombe à fragmentation.

Il en est de même au Front national où les partis de poche, les labyrinthes financiers, les prestataires amis bénéficiaires de juteux contrats ont prospéré jusqu’à ce que la commission de contrôle du financement de la vie politique et la justice commencent à s'en mêler (lire par exemple ici et également ici). Les socialistes ne sont pour leur part aucunement quittes avec le désormais fantôme Cahuzac. Les multiples affaires locales, d’Hénin-Beaumont à Marseille – où le présumé malfrat Jean-Noël Guérini opère toujours à la tête du conseil général –, montrent combien le mal a diffusé et est profond.

Avec les multiples affaires judiciaires qui le cernent désormais, Nicolas Sarkozy est sur le point de devenir le meilleur pédagogue des dangers et folies de nos institutions comme de l’absence de réels contrepouvoirs aux dérives qui engloutissent la politique et dépossèdent les citoyens. La révélation par Mediapart du contenu des écoutes judiciaires opérées sur le téléphone de « Paul Bismuth » , fausse identité de Nicolas Sarkozy, vient mettre un coup d’arrêt aux nombreuses manœuvres de diversion tentées depuis deux semaines par les amis de l’ex-chef de l’État. Passons sur la vulgarité d'un Jean-François Copé dénonçant « une entreprise d'espionnage politique » quand ces écoutes furent ordonnées par des juges d’instruction indépendants en charge depuis un an de l’enquête sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007.

Et venons-en à l’opération que l’UMP a failli réussir, non sans la complicité ou le conformisme suiviste de bon nombre de médias : créer une affaire dans l’affaire sur le thème du « qui savait quoi ? », de la chancellerie à l’Élysée en passant par l’Intérieur. Les réponses désordonnées de Christiane Taubira, tout comme les relations compliquées qu’elle entretient avec une partie de son cabinet, n’ont certes pas aidé à comprendre ou à convaincre que nous serions enfin entrés dans une nouvelle ère : celle où policiers et juges peuvent travailler sans entrave et sans avoir à rendre compte de manière détaillée à leur hiérarchie.

Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée sous Sarkozy, était lui informé en direct des procès-verbaux d’interrogatoire de l’ex-comptable des Bettencourt, Claire Thibout, ce qui l’autorisait à déclencher pressions et manœuvres. On peut sans doute mettre au crédit de ce pouvoir d’avoir rompu avec de telles scandaleuses pratiques qui bafouent ce principe de base de la République, la séparation des pouvoirs. Et il faut à tout coup s’indigner de ce penchant d’une partie de nos médias à être toujours plus va-t-en-guerre que les plus guerriers (l’unanimité de caserne qui salua le déclenchement de la guerre en Libye) et plus présidentialistes que les présidents eux-mêmes. Bon baromètre de ce conformisme obtus de nos autoproclamés « journalistes-polémistes », ignorant du détail des affaires comme des procédures judiciaires, Éric Brunet a une fois de plus franchi le mur du çon en un seul tweet :

À son image, nos éditorialistes s’indignent désormais que le sommet du pouvoir puisse ou, pis encore à leurs yeux, souhaite être tenu dans l’ignorance du développement de telle ou telle procédure. Que le gouvernement et l’Élysée soient informés de l’ouverture d’une information judiciaire, le 26 février, qui vise l’ancien président de la République pour des faits graves – trafic d'influence, violation du secret de l'instruction –, sans pour autant connaître le contenu et l’avancement de l’enquête, est même considéré comme un simple « amateurisme » comme s’en indigne le quotidien Le Monde qui, dans son éditorial du 13 mars, conclut ainsi : « La ministre de la justice est disqualifiée (...) Le premier ministre est entraîné dans cette chute (...) le chef de l'État lui-même est interpellé. »

Les écrans de fumée enfin déchirés et l’affaire apparaissant désormais pour ce qu’elle est – un immense scandale d'État dont l’acteur principal est Nicolas Sarkozy –, nos éditorialistes feraient mieux de se mobiliser pour l’essentiel : l’urgence d'un grand chambardement institutionnel.

Depuis sa création, Mediapart, à travers ses révélations mais aussi par ses positions éditoriales, a documenté combien Nicolas Sarkozy a poussé jusqu’à l’incandescence la triple crise de notre République. Une crise des institutions de la Ve République d’abord : crise renforcée encore par l’« inversion du calendrier électoral » (les élections législatives derrière l’élection présidentielle) qui renforce encore sa dimension monarchique. Une fusion de la politique et des affaires, ensuite : c'est depuis une quinzaine d’années la prise de pouvoir d’une oligarchie politico-financière où les Bolloré, Bouygues, Arnault, Dassault, Lagardère, Pinault, Niel et quelques autres sont de fait devenus des acteurs politiques, d’autant plus puissants qu’ils tiennent les principaux médias de ce pays. Une crise de la décentralisation, enfin, devenue fabrique à corruption et à conflits d'intérêts tant sont faibles les limites posées aux pouvoirs locaux (en termes de limitation des mandats, de contrôles préfectoraux, de pouvoirs des chambres régionales des comptes, de droit des oppositions...).

Pour réduire les fractures ouvertes par ces crises, ouvertures dans lesquelles s'engouffre le FN, la réforme de la justice est un préalable, même si elle ne peut suffire. Il y a bientôt quatre ans, le 14 juillet 2010, Mediapart lançait un «Appel pour une justice indépendante et impartiale» (il est ici). Il s'agissait alors de dénoncer le verrouillage par le pouvoir, via le parquet de Nanterre et un procureur aux ordres, de tout développement judiciaire du scandale Bettencourt. « Le discrédit jeté sur notre justice ne doit plus durer », disait cet appel signé alors par plus de 40 000 personnes.

Philippe Courroye, lorsqu'il était procureur de Nanterre.Philippe Courroye, lorsqu'il était procureur de Nanterre. © Reuters

Le discrédit demeure et vient aujourd'hui frapper directement la Cour de cassation, l’une des plus hautes institutions judiciaires de ce pays. Patrick Ouart, conseiller justice à l’Élysée de Nicolas Sarkozy (il pantoufle aujourd'hui au groupe LVMH de Bernard Arnault), avait sous contrôle Philippe Courroye, procureur de Nanterre. Thierry Herzog, avocat du même Sarkozy, est lui l’officier traitant du premier avocat général à la Cour de cassation, Gilbert Azibert, qui lui-même entretient contacts et pressions auprès de trois autres conseillers. Azibert qui fut nommé ministre-bis de la justice, sous Rachida Dati, sur l’amicale recommandation de Patrick Ouart, entre autres, et qui vise une aimable reconversion dorée à Monaco grâce au soutien de l'ex-chef de l'État...

L'indépendance du parquet, la limitation de ses prérogatives au bénéfice de juges d'instruction travaillant collégialement, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et des procédures de nomination sont désormais des impératifs. Les affaires Sarkozy (une demi-douzaine de procédures le visant lui ou ses proches) l’illustrent quotidiennement.

Mais il est un autre chantier à mettre en œuvre qui est de renverser cet « État profond » méticuleusement construit par la droite de 1995 à 2012. Car là encore, outre ses relais au sein de la justice – comme il a construit de puissants leviers chez les avocats et dans le monde des affaires –, Nicolas Sarkozy nous dévoile bien involontairement qu'il contrôle encore une partie de l’appareil policier. Pendant près de vingt ans, son fidèle Claude Guéant a, depuis le ministère de l'intérieur ou le secrétariat général de l'Élysée, soigneusement modelé l’appareil policier et de renseignement.

Démonstration vient d’en être faite avec la publication par Mediapart des écoutes judiciaires de Brice Hortefeux : on y découvre le patron de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, préparer en toute illégalité l’ancien ministre de l'intérieur à sa future audition par les juges dans l’affaire des financements libyens. C'est également une « taupe » que revendiquent avoir Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy, en mesure de les prévenir d'une possible perquisition dans les locaux de l'ancien chef de l'État.

Justice, police mais également haute administration des finances : la Sarkozie a investi ces lieux de pouvoir stratégiques, désormais instrumentalisés ou privatisés pour la sauver des scandales et des poursuites. La droite dénonçait « l’État PS » sous Mitterrand, la gauche s'en prenait à « l’État RPR » sous Chirac. Il s’agissait alors de contester des nominations, non de souligner l’installation de l’impunité et de la toute-puissance au cœur de l’État.

C’est cet élément nouveau dont doivent désormais se saisir à bras-le-corps les responsables politiques. « Dépolitiser » la haute fonction publique, donc la renvoyer à son seul devoir de servir la République, ne signifie pas pour autant purges et limogeages en série. Revoir les procédures de nominations, en en faisant la publicité et l’examen contradictoire, interdire drastiquement le pantouflage dans le privé, libérer ces hauts fonctionnaires d’un devoir de réserve qui est aujourd'hui une machine à soumettre, changer le recrutement des cabinets ministériels : ces simples mesures – et beaucoup d'autres ont été proposées – aideraient à rompre le lien qui fait qu'une carrière de haut fonctionnaire peut difficilement se faire sans appui politique privilégié.

Les socialistes se trompent lourdement s'ils estiment que le naufrage judiciaire désormais probable de Nicolas Sarkozy peut assurer leurs victoires électorales de demain. Ils seront entraînés par le fond avec lui et avec une partie de la droite s’ils n'engagent pas rapidement de spectaculaires et profondes réformes pour assurer aux citoyens la première des garanties démocratiques. Un État de droit, un État impartial.

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Écoutes de Nicolas Sarkozy : la droite ne sait plus quoi dire

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À l’offensive depuis dix jours pour défendre celui qu'ils considèrent encore comme leur « leader naturel », les ténors de la droite sont restés particulièrement silencieux après la révélation par Mediapart des sept écoutes judiciaires effectuées sur la ligne téléphonique ouverte sous une fausse identité par Nicolas Sarkozy.

Seule une poignée de sarkozystes est montée au créneau pour tenter d’allumer un énième contre-feu, à l’instar de Guillaume Peltier, vice-président de l’UMP et cofondateur de la Droite forte, qui a dénoncé sur BFM-TV « la violation du secret de l'instruction qui gangrène l'image de la justice », exigeant que « ceux qui violent ce secret de l'instruction soient sanctionnés par la loi ».

L’autre cofondateur de la Droite forte, Geoffroy Didier, tient sensiblement le même discours. « S’il y a bien une tentative d’intimidation de la justice, ce n’est pas celle de Sarkozy, mais celle du pouvoir actuel », dit-il à Mediapart. La veille, le secrétaire général adjoint de l’UMP avait déploré sur i-Télé « un climat très malsain où ce sont les journalistes qui se transforment en procureurs », rappelant par ailleurs que Nicolas Sarkozy a été mis sur écoute « dans une affaire où il est plaignant, où il est victime ».

Cet argument est répété en boucle par les sarkozystes, qui oublient – volontairement ? – de préciser que dans l’affaire franco-libyenne, deux instructions sont actuellement en cours : l’une pour « faux et usage de faux », conséquence logique de la plainte déposée avec constitution de partie civile à l’été 2013 par Nicolas Sarkozy ; l’autre pour « corruption », ouverte en avril 2013 par François Molins, ancien directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier au ministère de la justice, et nommé procureur de Paris sous Sarkozy. Cette deuxième enquête porte sur le fond des faits de cette affaire qui inquiète grandement l’ancien président de la République et ses proches.

Nicolas Sarkozy à Nice, le 10 mars.Nicolas Sarkozy à Nice, le 10 mars. © Reuters

Parmi les rares voix à s’être fait entendre ce mercredi 19 mars, on retrouve Rachida Dati – l'ancienne ministre de la justice qui avait pour secrétaire général un certain Gilbert Azibert –, qui a accusé sur i-Télé « certains journalistes de violer allègrement la loi », en ne respectant ni la « présomption d'innocence » ni le « secret de l'instruction ». Dati n'est pourtant pas sans savoir que les journalistes ne sont pas soumis au secret de l'instruction. L’ex-ministre de l’éducation, Luc Chatel, s'est quant à lui contenté de regretter que « les grands principes d'indépendance de la justice » soient « systématiquement bafoués ».

D’accoutumée très actifs sur les réseaux sociaux, les ténors de la droite n’ont pas twitté un seul mot sur le sujet, continuant à parler de leur campagne municipale comme si de rien n’était. « Ne croyons pas un instant que les élus de droite puisse être sonnés, tempère Geoffroy Didier. À cinq jours des municipales, ils sont simplement dans un calendrier électoral plus serré qu’il y a dix jours. » De fait, seuls Nadine Morano et les députés UMP Benoist Apparu et Guillaume Larrivé se sont exprimés sur Twitter.

Après avoir mis en cause la probité des juges qui enquêtent sur les financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 et tenté de créer une affaire dans l'affaire, les responsables de l’UMP semblent désormais suivre les préconisations de leur patron, Jean-François Copé, qui a appelé ce mercredi matin à « un minimum de retenue ». « Je n'entends pas du tout réagir », car « ce n'est pas l'idée que je me fais de la manière dont un grand pays doit exercer le cours de la justice », a-t-il seulement déclaré dans les « Indés Radios-Metronews-LCI ». Lui-même soupçonné d’avoir favorisé ses proches dans l’affaire Bygmalion, Jean-François Copé fait donc profil bas, évoquant simplement des « bouts de révélations » sortis « dans un climat passionné, celui d'une campagne électorale ».

Incapable de répondre sur le fond des écoutes révélées par Mediapart, une petite partie de la droite tente encore de brandir le spectre d’un complot fomenté entre la presse, la justice et le pouvoir en place. « Personne n'est dupe de cette tentative de récupérer des procédures judiciaires en cours » pour « essayer de discréditer Nicolas Sarkozy et ce faisant, d'espérer limiter les dégâts électoraux pour la gauche », a ainsi affirmé le patron de l’opposition.

« Le gouvernement a lâché les chiens, les ballons. On est en train de faire état de pièces sorties du dossier d'instruction », a estimé de son côté le député UMP Georges Fenech sur Europe 1. Comme il n'y a pas de mise en examen qui peut faire fuiter tout ça ? Si ce n'est pas les juges, c'est le ministère de la justice. » Malgré ces vaines tentatives de contre-feu, l’heure n’est plus à l’appel à la démission de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, comme l’avait réclamé Jean-François Copé la semaine dernière. Car les nouvelles révélations de Mediapart mettent à mal toute la stratégie de défense déployée par les proches de Nicolas Sarkozy depuis dix jours.

« Il n’y a eu aucun trafic d’influence », avait affirmé au Monde l’avocat de l’ancien président de la République, Me Herzog, promettant de montrer le « moment venu qu’il s’agit d’une affaire politique ». La thèse du complot politique, étayée par un article du Journal du dimanche assurant que François Hollande surveillerait « de près » Nicolas Sarkozy et reprise dans la foulée par Brice Hortefeux (sur RTL) et Henri Guaino (dans l'émission “Tous Politiques” de France24-France Inter-Le Parisien), est démontée par la révélation des écoutes téléphoniques. Car ces dernières révèlent bien l’existence d’un cabinet noir, mais il s'agit de celui que l’ancien président de la République a mis en place pour neutraliser les juges qui enquêtent sur lui.

Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog.Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog. © Reuters

Du côté des sarkozystes, la synthèse des retranscriptions de ces écoutes « ne prouve rien ». « Si on avait l’intégralité des conversations, on verrait que Nicolas Sarkozy est de bonne foi, plaide un soutien de l’ancien président de la République sous couvert de “off”. Les avocats ont toujours parlé aux magistrats, ça ne veut pas dire qu'ils s'influencent. » Et d'ajouter : « Il y a un moment où les sympathisants UMP vont se dire que “trop c'est trop”. Sarkozy arrivera à mobiliser son propre camp par un effet de victimisation. »

Finalement, c’est Marine Le Pen qui est le plus montée au créneau au sujet des écoutes en attisant, elle aussi, la théorie du complot. « Ça sort comme par hasard juste à quelques jours d'une élection municipale, je trouve que ce sont des moyens déloyaux », a déclaré la présidente du Front national sur France Bleu. Donc voilà, je pose la question effectivement : qui a intérêt à faire sortir cela ? »

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«Les Français sont trop déprimés pour manifester»

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Manifestation contre le pacte de responsabilité, mardi 18 mars, à Paris.Manifestation contre le pacte de responsabilité, mardi 18 mars, à Paris. © Rachida El Azzouzi

« Les Français sont trop déprimés, fatigués. Ils ne croient plus en rien ni en personne pour descendre manifester par millions, encore plus avec cette gauche au pouvoir. » Véronique Tozzi, 52 ans, et pour moitié de sa carrière au contact des demandeurs d’emploi, ne s’attendait pas à « un raz-de-marée de salariés, précaires et chômeurs », ce mardi 18 mars, contre le pacte de responsabilité : la pierre philosophale de la nouvelle politique pour l'emploi de François Hollande, « l'économie zombie et la politique de l'offrande », comme l'analyse ici Christian Salmon sur Mediapart. Encore moins à cinq jours du premier tour des élections municipales. 

Paris, 18 mars 2014, manifestation contre le pacte de responsabilité.Paris, 18 mars 2014, manifestation contre le pacte de responsabilité. © Rachida El Azzouzi

Elle est venue en train de Moselle, de la vallée de la Fensch, ce fief de la sidérurgie à genoux, avec les copains de la CGT-Pôle emploi Lorraine pour dire « non au plan Hollande-Gattaz qui ne créera pas d’emplois, même la CGPME le dit » et dénoncer « le chômage des jeunes, la misère, mais aussi la souffrance au travail dans les Pôle emploi ». Elle avait parié sur une forte mobilisation à Paris. « Mais le social, qui concerne tout le monde, ne mobilise pas les foules, même dans la capitale. Nous vivons une période très triste où on laisse détricoter les acquis pour lesquels nos parents, nos grands-parents se sont battus », constate, « bien déçue », cette fille d'ouvriers.

Manifestation contre le pacte de responsabilité, mardi 18 mars, à Paris.Manifestation contre le pacte de responsabilité, mardi 18 mars, à Paris. © Rachida El Azzouzi

Elle discute d’un autre chantier majeur devant l’hôtel des Invalides : la négociation de l’assurance-chômage qui doit se terminer ce jeudi 20 mars. Dans ce dossier brûlant, le patronat joue aussi au plus fort, prône le pire, la suppression des annexes 8 et 10 de la convention d'assurance-chômage qui régissent les intermittents du spectacle, la diminution des droits des chômeurs si l'économie ne s'améliore pas… Intraitable comme pour le pacte de responsabilité où syndicats se divisent entre “club des oui” (CFDT, CGC-CFE, CFTC) et “club des non” (CGT, FO). « Si on était plus nombreux, on le ferait reculer, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’on va lancer un avertissement. Ils doivent être contents, tout là-haut », se désole Véronique.

Claudine (à gauche), 55 ans, et ses collègues, agents techniciens à la Sécu en Savoie.Claudine (à gauche), 55 ans, et ses collègues, agents techniciens à la Sécu en Savoie. © Rachida El Azzouzi

À l’image de toutes les mobilisations depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, contre l’accord sur l’emploi (ANI) ou la réforme des retraites, les grèves et les manifestations de ce mardi dans 140 villes de France « pour les salaires, l’emploi, la protection sociale, les services publics » n’ont pas constitué « une menace ». « Le président du Medef, Pierre Gattaz, peut enjoindre le gouvernement de “passer de l'ordonnance à la thérapie”, le président de poursuivre sa politique », rage un vieux routier des luttes sociales, retraité des Télécoms. Aussi rarissime soit cette mobilisation interprofessionnelle en période électorale, initiée par Force ouvrière (la dernière remonte à 2010 et préfigurait la contestation de la réforme des retraites de Sarkozy), elle n'a pas mobilisé largement.

Marie-Laurence Bertrand et Thierry Lepaon de la CGT, aux côtés de Jean-Claude Mailly (FO).Marie-Laurence Bertrand et Thierry Lepaon de la CGT, aux côtés de Jean-Claude Mailly (FO). © Rachida El Azzouzi

À Paris, le cortège, parti de Montparnasse pour rejoindre les Invalides, était clairsemé dès le départ. Sous le regard des passants, il a rassemblé 10 000 manifestants selon la police, 60 000 selon les syndicats, avec en tête les dirigeants des centrales, Thierry Lepaon (CGT), Jean-Claude Mailly (FO), Annick Coupé (Solidaires) et Bernadette Groison (FSU). Dans les rangs, très peu de salariés du privé, beaucoup de fonctionnaires remontés contre « les conséquences désastreuses » pour le service public des 50 milliards d'euros d'économies prévues d'ici 2017 notamment pour financer le pacte, des bastions syndicaux et un bataillon des caisses de Sécurité sociale vent debout contre de nouvelles baisses d'effectifs, à l'appel de tous leurs syndicats, y compris la CFDT et la CFE-CGC.

Paris, Invalides, 18 mars 2014.Paris, Invalides, 18 mars 2014. © Rachida El Azzouzi

C’est sur cette journée d’action des caisses de Sécurité sociale (qui escomptaient 10 000 manifestants) que Force ouvrière, la CGT, FSU et Solidaires ont choisi de se greffer pour dénoncer, selon les mots de Jean-Claude Mailly, le numéro un de FO, « le pacte de complaisance », « une feuille blanche », dont « on ne sait comment il sera financé » et qui ne prévoit « rien » en termes d'emploi en contrepartie des 30 milliards d'euros de baisses de charges concédées aux entreprises. Un « pacte d'irresponsabilité », pour Thierry Lepaon (CGT). « Il s'inscrit dans les politiques antérieures, y compris celles menées par Nicolas Sarkozy en son temps, d'abaissement du coût du travail », « où le patronat est assisté par ce gouvernement, et c'est un comble pour ceux qui ont voté pour François Hollande ! » a-t-il déclaré en marge des cortèges de ce mardi, soulignant toutefois que ce n'était pas des « manifestations anti-Hollande ».

Paris, Invalides, 18 mars 2014.Paris, Invalides, 18 mars 2014. © Rachida El Azzouzi

Mais le « Hollande bashing » a bien fonctionné. Ils étaient nombreux les électeurs de gauche, dont une majorité très à gauche, dans le cortège à fustiger la politique menée depuis bientôt deux ans par le président socialiste, « le président des patrons, qui fait tout ce que Sarko rêvait », hissant haut les banderoles. D’autres ont sifflé les réformistes – CFDT, CFTC, CFE-CGC –, qui ont paraphé le 5 mars un accord avec le patronat sur les contreparties du pacte, mettant le projet sur les rails. « Surtout la CFDT, courroie de transmission du gouvernement », lâche Véronique Tozzi.

Paris, 18 mars 2014, manifestation contre le pacte de responsabilité.Paris, 18 mars 2014, manifestation contre le pacte de responsabilité. © Rachida El Azzouzi

Avant d’être à la CGT, cette agent Pôle emploi, dont le fils étudiant va migrer à l'étranger, car en France, il n'y a plus d'avenir, était à la CFDT. Elle a claqué la porte en 2003 au moment de « la trahison de Chérèque sur les retraites ». Elle a voté Mélenchon au premier tour, puis blanc au second tour de la présidentielle en 2012, se présente sur une liste de gauche, « la vraie », contre un baron, maire depuis 35 ans, dans sa petite commune de Moselle, pour les municipales. Et elle a « l'impression que tout le monde se fout de ces échéances » : « Il va y avoir de l'abstention et des pertes à gauche. »

Véronique Tozzi, 52 ans, agent Pôle emploi en Moselle.Véronique Tozzi, 52 ans, agent Pôle emploi en Moselle. © Rachida El Azzouzi

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Affaire Kerviel: le sursaut de la justice

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Les avocats de Jérôme Kerviel n’y croyaient plus. Depuis six ans, ils avaient emmené des preuves, des témoins, des questionnements. À chaque fois, tous les arguments qu’ils avaient soulevés devant les juges s’étaient heurtés à un mur de dénégation et d’indifférence. La justice d’État passait. Il convenait de s’en tenir à la version élaborée par la Société générale et soutenue par toute l’oligarchie financière dès la révélation de ses pertes le 24 janvier 2008 : la banque était victime d’un trader fou et solitaire.

Dans un ultime sursaut, la Cour de cassation vient de casser ce mécanisme infernal et de rappeler les règles du droit. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Jérôme Kerviel concernant les dispositions pénales de l’arrêt de la cour d’appel qui le condamne à 5 ans d’emprisonnement dont deux avec sursis pour abus de confiance et manipulations informatiques. En revanche, elle casse les dispositions civiles qui condamnaient Jérôme Kerviel à payer 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts au titre de réparation du préjudice (voir l'arrêt ici).

« Lorsque plusieurs fautes ont concouru au dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans la mesure qu’il appartient aux juges sur le fond de déterminer. Ainsi quelle que soit la nature des infractions commises, les juridictions pénales qui constatent l’existence d’une faute de la victime ayant concouru aux dommages sont amenées à en tirer les conséquences sur l’évaluation du montant de l’indemnité due à cette dernière par le prévenu », motive la Cour de cassation dans un communiqué expliquant l'arrêt. « Si le tribunal a signalé à plusieurs reprises les fautes commises par la Société générale, il n’en a pas tenu compte pour les dommages mis à la charge du prévenu », a noté le président lors de la lecture de l’arrêt avant de renvoyer le procès devant le tribunal de Versailles.

« C’est un revirement complet de la jurisprudence », regrettait Jean Veil, avocat de la Société générale sur les marches du tribunal. De fait, c’est une défaite cuisante pour la banque, mais aussi pour toute une oligarchie financière qui se pensait intouchable. Toute sa version d’une banque victime des agissements d’un trader est à bas. Les responsabilités de la banque, maintes fois soulignées depuis le début de cette affaire, sont enfin mises en lumière.

« La Cour de cassation a entendu ce que nous disions depuis six ans. Jérôme Kerviel ne peut être seul responsable des pertes de la Société générale. Celle-ci a des responsabilités. C’est à la justice maintenant de les déterminer. L’affaire Kerviel devient l’affaire Société générale », a commenté de son côté David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel. Celui-ci ose espérer que le Parquet ne demandera pas l’emprisonnement de Jérôme Kerviel, comme il en avait exprimé l’intention si le pourvoi était rejeté, tant que l’affaire ne sera pas rejugée.

Même si la cassation est partielle et ne porte que sur les 4,9 milliards d’euros demandés par la Société générale, une nouvelle instruction s’impose. Pour déterminer le préjudice que la banque dit avoir subi, la justice ne va pas cette fois-ci pouvoir faire l’économie de mettre les mains au cœur de la machine financière, afin de pouvoir estimer les défaillances de la banque.  

« Il va falloir des expertises », se désolait en aparté un des avocats de la Société générale. Oui, il va falloir des expertises indépendantes. Car c’est un des aspects les plus troublants de ce dossier. Il n’y en a jamais eu. Une faute que rappelle en creux l’arrêt de la Cour de cassation.  Jusqu’à présent, la justice s’est contentée de se fier « aux seuls dires de la banque », comme le rappelait Eva Joly dans son entretien, jusqu’à se fier à des décryptages écrits de bandes tronquées, semble-t-il.

Beaucoup d’aspects du dossier ont été laissés dans l’ombre jusqu’à présent, comme Mediapart l’a longuement documenté (voir notre dossier Kerviel). Le champ des recherches est immense : il englobe les pratiques internes de la Société générale et ce que savait la hiérarchie ainsi que la façon dont le débouclage des positions de Jérôme Kerviel a été mené, jusqu'aux conditions financières dans lesquelles certains responsables hiérarchiques sont partis. Plus de sept années de salaire, alors qu’ils sont censés avoir failli dans leur tâche de contrôle, cela mérite explication. 

Les questions multiples soulevées par les avocats de Jérôme Kerviel, les témoins ou des experts extérieurs soulevant les aberrations et les manques dans le dossier ne peuvent cette fois restées sans réponse. Par exemple, comment expliquer que rien n’ait changé dans les contrôles de la banque alors que des affaires similaires à celle de Jérôme Kerviel s’étaient déjà produites dans le passé et pourraient même avoir lieu par la suite ? De même, qu’a donc vu et noté la chambre de compensation Eurex, qui tient un relevé précis de toutes les positions et demande chaque soir des appels de marge pour garantir les positions prises par les différents établissements financiers ? Les 50 milliards d’euros de positions prises par Jérôme Kerviel entre le 3 et 18 janvier ne peuvent pas être passées inaperçues. Qu’a-t-elle fait alors ?

Par ailleurs, comment expliquer que la commission bancaire, présente au second semestre 2007 dans les locaux de la Société générale au moment où Jérôme Kerviel travaillait pour justement homologuer les nouvelles pratiques bancaires et les contrôles de la banque, n’ait rien vu ? La liste des questions restées en suspens dans cette affaire placée dès le départ sous la haute surveillance de Patrick Ouard, conseiller juridique de l’Élysée du temps de Nicolas Sarkozy, est très longue.

© reuters

Tout cela va prendre du temps. Il en sortira peut-être une vision de cette affaire bien différente de celle qui a été donnée jusqu’alors. Des mystères seront peut-être enfin éclaircis. Les réponses ne feront peut-être pas toujours plaisir à la banque. D’autant que c’est son PDG actuel, Frédéric Oudéa, qui avait été chargé de gérer tout le dossier, après les révélations de la « fraude » de Jérôme Kerviel.  

En attendant, l’arrêt de la Cour de cassation a un premier effet direct pour la Société générale : il remet en cause le crédit d’impôt de 1,7 milliard d’euros qui lui avait été accordé par le ministère des finances.

Le président de la Société générale d’alors, Daniel Bouton, ancien inspecteur des finances, et ancien directeur du Budget, avait trouvé sans peine des oreilles attentives auprès de l’administration de Bercy pour aider la banque dès les révélations des pertes de la banque. Xavier Musca, alors directeur du Trésor – il deviendra par la suite secrétaire général de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy –, lui avait apporté un appui marqué, avait souscrit à la nécessité de soutenir la banque dans ces moments dangereux. Jérôme Kerviel n’a-t-il pas été accusé d’avoir fait peser un risque systémique sur le système financier mondial, lors de son procès ?  

En moins de trois semaines, un rapport avait été écrit par l’administration des finances, à l’initiative de Christine Lagarde, alors ministre des finances. Remis le 4 février 2007, il reprenait et détaillait l’argumentaire de la Société générale, sans distance. Sans enquête approfondie, sans avoir assuré le respect de l’égalité des parties, l’administration écrivit la version officielle de l’affaire Kerviel, qui sera reprise par la justice. Outre le fait de dédouaner la banque de toute responsabilité, ce rapport ouvrait la voie au passe-droit fiscal accordé à la Société générale.

À l’époque, Bercy avait consulté le conseil national de la comptabilité, la compagnie nationale des commissaires aux comptes et d’autres professionnels du chiffre pour savoir si la Société générale pouvait bénéficier d’un tel dispositif. Michel Trudel, alors président de la compagnie nationale des commissaires aux comptes, avait rendu un avis négatif sur le sujet. Pour lui, la Société générale ne pouvait disposer d’un tel dispositif, car, en dépit de tout ce qu’elle déclarait, elle était aussi responsable des pertes causées. « Dans le cas précis, il n’y a pas d’interprétation possible. On ne peut que répéter les textes qui existent. Un avis du Conseil d’État rendu en octobre 2007 sur le cas d’Alcatel rappelle qu’une société ne peut bénéficier d’une déduction fiscale suite à une fraude, si la société a failli dans ses contrôles ou fait preuve de carences manifestes. C’est bien le cas de la Société générale. La commission bancaire l’a condamnée à 4 millions d’amende en juillet 2008 pour défaillance de ses systèmes de contrôle », avait-il insisté lorsque nous l’avions interrogé à nouveau sur le sujet en juin dernier.

 Le cabinet de Christine Lagarde avait décidé de passer outre cette mise en garde. Sans attendre le jugement, l’administration fiscale accordait dès mars 2008 un crédit d’impôt de 1,7 milliard d’euros à la banque. Elle s’empressera dans l’année de reverser la même somme à ses actionnaires sous forme de dividendes et de rachat d’actions.

 Dédouanée de toute responsabilités lors des procès en première instance et en appel, la Société générale pouvait se prévaloir de la faveur fiscale qui lui avait été accordée par Bercy. Mais l’arrêt de la Cour de la cassation change tout. Il insiste sur les responsabilités de la banque, responsabilités dont elle ne saurait se dispenser. Dès lors, la jurisprudence établie par le conseil d’État en octobre 2007 s’impose : la banque ne peut bénéficier d’une déduction fiscale, puisqu’elle a failli à ses contrôles. Il conviendrait donc de lui demander de rembourser le crédit d’impôt de 1,7 milliard d’euros dont elle a bénéficié. Pierre Moscovici va-t-il oser le lui réclamer ? 

 

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Municipales : l'offensive des Sans-Voix

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Malgré la promesse de François Hollande, trente ans après François Mitterrand, d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales aux ressortissants extra-communautaires présents depuis plus de cinq ans sur le territoire, les urnes leur sont toujours fermées. Alors ils mènent campagne dans ce XVIIIe arrondissement de Paris, aux mains du PS depuis 1995 et où, cette année, le FN tente une offensive. Chaque dimanche depuis mi-février, ils s’installent, place Jules-Joffrin, devant la mairie à la rencontre des habitants d’un des quartiers où la population immigrée est la plus importante.  

Leur liste a été invalidée, mais les candidats poursuivent leur expérience, unique en France, de redéfinition de la citoyenneté. Le 23 mars, jour du premier tour des élections municipales, ils appellent les Français à glisser dans l’enveloppe un bulletin de vote au nom de la liste des Sans-Voix. Les « autres » sont invités à le déposer dans des urnes qu’ils auront disposées aux quatre coins de l’arrondissement afin de prendre part au vote, symboliquement tout du moins.

  • Cette votation parallèle se tiendra aux stations de métro Château Rouge, Marx Dormoy, Porte de Clignancourt et devant la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris. Ce suffrage est destiné aux immigrés n'ayant pas le droit de vote.
  • Le 22 mars, à 14 heures place de la République, une manifestation contre le racisme et le fascisme est organisée à l'initiative de l'Union nationale des sans-papiers.

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Les douaniers ne veulent pas être seulement les amis des grandes entreprises

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Les douaniers aimeraient faire leur métier. Non pas comme avant, eux qui étaient 22 500 en 1993 et qui sont 25 % de moins aujourd’hui alors que les échanges internationaux ont explosé. Mais au moins avec des moyens suffisants pour effectuer les missions qu’ils estiment nécessaires. Selon leurs syndicats, au moins la moitié d’entre eux sont en grève ou dans la rue ce jeudi après-midi pour le faire savoir à leur direction et à leurs ministères de tutelle, le budget et le commerce extérieur.

Et les agents de l'État ne dénoncent pas seulement les coupes récurrentes dans les effectifs, estimées à 400 fonctionnaires par an en moyenne depuis 2005. Ils s’inquiètent surtout de la mise en place du « projet stratégique Douane 2018 » (PSD), qui va bouleverser de fond en comble leur activité dans les quatre prochaines années. Axes principaux des réformes prévues ? Économiser de l’argent, concentrer les services, et surtout réduire la voilure dans les contrôles des entreprises importatrices, pour les inciter à choisir la France comme point d’entrée dans l’Union européenne.

« Le projet stratégique prévoit de changer complètement la vocation de la douane, en réduisant fortement la lutte contre la fraude, malgré le discours politique ambiant, s’alarme Philippe Bock, représentant du syndicat Solidaires. On nous demande tout simplement de nous transformer en force d’appoint du commerce extérieur. » Tous les représentants des salariés sont sur la même longueur d’onde, et une intersyndicale tire depuis des mois la sonnette d’alarme, lors de grèves et de manifestations dans un des 170 bureaux locaux, ou durant la tenue d’états généraux, régionaux puis nationaux.

Le dialogue entre la direction et les syndicats s’est totalement rompu peu de temps après la présentation du projet stratégique, à la fin 2013. Le texte exhorte la douane française à se mettre en mouvement pour faire pièce à la compétition des grands ports et aéroports des autres pays européens, susceptibles d’être préférés aux sites français pour accueillir les conteneurs de marchandises exportés vers l'Europe. L'inquiétude est d'autant plus forte que, à partir du 1er mai 2016, une entreprise pourra choisir de procéder aux formalités administratives de dédouanement dans un seul lieu pour toutes ses marchandises importées, même si elles entrent en Europe à partir de plusieurs endroits.

Il y a donc urgence, selon le projet stratégique. « La douane peut et doit être un acteur de l’attractivité du territoire français », pose le texte dès ses premières pages, pointant que « les hubs logistiques français se situent en deçà de leurs concurrents européens » et que « la part des importations destinées au marché français, mais dédouanées hors de France, avoisine aujourd’hui les 20 % ». Conclusion : il est vital d’attirer les entreprises, à coup de simplifications.

Il y a un mois, devant la fine fleur des grands patrons étrangers, François Hollande a donc promis la dématérialisation de « toutes les procédures en douane à l’import et à l’export ». Nicole Bricq, la ministre du commerce extérieur, abonde en ce sens : « La simplification des procédures douanières est un levier essentiel de compétitivité pour nos entreprises. Il faut avancer rapidement sur ce chantier. » Et l’État a retenu comme critère numéro un de cette simplification le temps de passage en douane : plus une marchandise est dédouanée rapidement, plus la plateforme d’accueil est considérée comme attirante. De 13 minutes en 2004, le délai moyen d’immobilisation des marchandises devrait être ramené à 4 minutes 30 en 2015, prévoit très officiellement le ministère du budget.

“Fluidification” et compétitivité

Mais derrière ces chiffres, une autre réalité se cache. « En fait, aujourd’hui, seulement 0,01 % des marchandises arrivant en France sont contrôlées en moyenne, assure Sébastien Gehan, le responsable national du SNAD-CGT. Rien que sur le port du Havre (deuxième port d’entrée du fret après Marseille, ndlr), moins de 1 % des marchandises le sont ! » Or, le PSD prévoit de permettre aux plus gros « clients » des douanes de se passer encore plus facilement de contrôle, en créant un « service grands comptes », qui devrait cibler une soixantaine d’entreprises ou transporteurs. Le rôle de ce service est présenté clairement : « Offrir un meilleur service aux entreprises leur permettant d’assurer une meilleure fluidité de la chaîne logistique, des gains financiers et une compétitivité », et « améliorer le positionnement de la douane française et de la France dans les classements internationaux ».

Ce processus de « fluidification » nécessite d’assurer un maximum d’enregistrements automatisés ou par internet, sans contrôle physique. Et ce, pour les opérateurs faisant entrer le plus de conteneurs dans l’Hexagone. Quitte à prendre le risque d’ignorer des fraudes potentielles ? C’est ce que craint Gaël Garcia, représentant de la CFDT à Roissy (premier aéroport européen pour le fret, qui regroupe 10 % des effectifs douaniers français) : « On nous demande d’accélérer les procédures, et donc de faire confiance aux grandes entreprises. Mais le monde des affaires n’est pas toujours celui de la bonne foi, on n’est pas chez les bisounours. » « Pour l’État, le pire ennemi du douanier français, ce n’est pas le fraudeur, c’est le douanier belge », grince Philippe Bock, de Solidaires.

Les syndicats accepteraient certainement mieux ces évolutions s’ils n’avaient pas le sentiment qu’elles sont avant tout un habillage masquant une baisse inéluctable des effectifs. « Ce PSD, c’est surtout un plan social douanier, peste Sébastien Gehan, de la CGT. Le projet ne répond qu’à une logique comptable et avalise une politique de renoncement. » De fait, il y est écrit noir sur blanc que « la doctrine adoptée depuis plusieurs années par la douane en matière de lutte contre la fraude » correspond à « contrôler moins mais contrôler mieux ».

Un « kit de communication » distribué aux cadres douaniers pour répondre aux inquiétudes, que Mediapart s’est procuré, admet quant à lui que « le réseau continue à se resserrer (en nombre de services et en effectifs) » et que « le format de la douane est tendanciellement à la baisse ». Alors que les échanges internationaux explosent, d’environ 7 % par an selon la direction des douanes, le budget alloué à cette administration se réduit inexorablement, passant de 1,6 milliard en 2011 à 1,597 milliard en 2014, soit un million d’euros et 300 à 400 postes en moins tous les ans.

« On ne dissimule pas le fait qu'il y a une nécessité à réorganiser les personnels, et c'est vrai que c'est une perspective compliquée », reconnaît-on à Bercy. Mais le ministère de l'économie se défend de tout renoncement, et promet de tout faire pour préserver les résultats, qui sont en progression constante, année après année : « La lutte contre la fraude n'est pas abandonnée. La douane est primordiale dans ce combat et nous continuerons à équilibrer accompagnement des entreprises et lutte contre les dérives. » « Qu’il y ait ou non un contexte budgétaire contraint, nous aurions eu besoin  d’un plan stratégique, assure-t-on à la direction de la douane. Il vaut mieux savoir où on va. »

Ces assurances de l'État ne convainquent guère sur le terrain. D’une seule voix, les représentants syndicaux dénoncent l’abandon en cours de leurs missions de lutte contre la fraude, et notamment à propos de la TVA, qui coûte plusieurs milliards d’euros par an à l’État. « On trouve par exemple régulièrement des conteneurs remplis de produits dont le taux de TVA est à 20 %, alors que d'après les documents remplis par leurs convoyeurs, ils étaient censés correspondre à une TVA réduite, pointe Philippe Bock. Si on ne contrôle plus, c’est de l’argent perdu. » Même inquiétude pour le trafic de stupéfiants, et les importations de contrefaçons. Et les syndicats ont beau jeu de rappeler que leurs services sont tout à fait rentables : ils estiment représenter « 0,003 % de l'effectif de la fonction publique », alors qu’ils perçoivent « 15 % des recettes de l'État », soit 67 à 68 milliards d’euros par an.

La réponse de l’administration tient en quelques mots : collecte de données et centralisation. « On ne peut plus mettre des douaniers derrière chaque conteneur, chaque camion, chaque avion, reconnaît Serge Puccetti, responsable de la communication de la douane. Il faut donc utiliser des dispositifs plus performants de collecte et d’analyse d’informations. » Le projet stratégique prévoit de créer un « service d’analyse de risque et de ciblage », charger d’évaluer toutes les informations remontant du terrain, des services de renseignements et des autres douanes européennes. Il pilotera ensuite, depuis Paris, les contrôles à effectuer sur le terrain.

Extrait du projet stratégique Douane 2018Extrait du projet stratégique Douane 2018

« Pour produire des analyses de risque et un ciblage de qualité ou pour piloter ses services, [la douane] devra se doter d’outils performants (système d’information décisionnel, datamining...) et mettre en place une organisation plus adéquate qui lui permettra de traiter en masse l’ensemble de ces données », indique le PSD. Officiellement, les responsables des douanes font toute confiance à ce processus moderne. Mais en interne, le scepticisme serait plus de mise : « Comment continuer à prendre en flagrant délit des voitures pleines de résine de cannabis à la frontière espagnole avec une centralisation très poussée ? » fait mine de s’interroger Philippe Bock. « Quand on ne couvre plus l’ensemble du territoire, les fraudeurs voient vite où sont les trous, déplore Gaël Garcia. Idem pour le ciblage, on finira par bien connaître les critères retenus. Il est nécessaire de maintenir un double filtre, avec une part de contrôles aléatoires. »

Autre point de crispation, le traitement réservé aux cadres douaniers : malgré les diminutions de postes, le nombre de cadres sera maintenu. « Le PSD est globalement neutre sur le volume des effectifs du cadre supérieur douanier », confirme le « kit de communication » distribué en interne. De quoi faire rager leurs troupes, prévenues pour leur part qu’elles pourraient être obligées d’être mobiles géographiquement si elles souhaitaient garder un poste. Et dans ce contexte tendu, ce n’est pas l’annonce de l’embauche d’un nouveau haut dirigeant à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, le service d’enquête de la douane, qui va calmer les esprits. Selon Solidaires, ce militaire retraité, qui sera fort bien payé, a bénéficié d’une embauche de complaisance parce qu’il est très proche d’un des sous-directeurs de la douane.

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