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L'immobilier très familial du maire de Tarbes

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C’est une « jolie maison » située au centre-ville de Tarbes, dotée de « très belles prestations » sur « 200 m2 habitables ». En 2012, quand la compagne du maire l’a revendue à plus de 400 000 euros, quelques années après l’avoir achetée à la ville pour une bouchée de pain, la petite annonce stipulait : « Curieux s’abstenir. » La justice est passée outre. Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « prise illégale d’intérêts et recel », une juge d’instruction de Pau décortique depuis septembre cette drôle d’affaire immobilière, en même temps qu’elle épluche une série d’opérations signées ces dernières années par le maire de Tarbes, l’ancien député Gérard Trémège. En cause : des ventes de parcelles municipales qui auraient profité à plusieurs de ses proches.

Gérard Trémège, le maire de Tarbes, lors des municipales de 2008, avec François FillonGérard Trémège, le maire de Tarbes, lors des municipales de 2008, avec François Fillon © DR

Candidat à sa réélection en mars, Gérard Trémège, également président du groupe UMP au conseil régional de Midi-Pyrénées et président de la communauté d’agglomération du Grand Tarbes, dénonce une « machination politique » ourdie par ses adversaires socialistes, notamment l’ancien ministre Jean Glavany. « Les Tarbais ont compris que cette enquête tombée du ciel vient d’en haut, a lancé Gérard Trémège lundi 17 février, lors de son dernier conseil municipal. Quand on ne peut pas battre un homme, on essaye de l’abattre ! » Ces jours-ci, en tout cas, les gendarmes de Toulouse, saisis du dossier, ont entendu plusieurs fonctionnaires du service urbanisme de la ville, après avoir perquisitionné la mairie.

D’après nos informations, le premier édile de Tarbes, dirigeant jusqu’en janvier 2010 d’une grosse entreprise d’expertise-comptable (la Sofec), ancien président des chambres de commerce et d’industrie françaises, s’est vu par ailleurs signifier en 2012 un redressement fiscal d’ampleur. « Qu’est-ce que cela a à voir avec mes fonctions électives ? s’insurge Gérard Trémège, quand on l’interroge sur le sujet. C’est une affaire privée ! »

Mais pourquoi ses administrés devraient-ils l’ignorer ? Après avoir revendu ses actions de la Sofec début 2010 à un prix dépassant les 3,3 millions d’euros, l’entrepreneur a gonflé, dans sa déclaration au fisc, le prix auquel il avait acquis ses actions au départ, minorant ainsi sa plus-value. Et par là-même, le montant de ses contributions sociales. Le fisc ne l’a pas laissé passer. Le 17 juillet 2012, c’est donc un chèque de 446 607 euros (dont une pénalité d'environ 130 000 euros) que le maire de Tarbes a dû signer à l’ordre du Trésor public.

Dans un document consulté par Mediapart, l’administration fiscale a pointé « l’importance des droits fraudés en matière de contributions sociales » et jugé la déclaration de l’élu « délibérément minorée ». « En ses qualités d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, M. Trémège ne pouvait ignorer (…) les règles applicables en la matière », soulignait l’agent chargé du dossier.

Alors Gérard Trémège a-t-il pris, en tant que maire de Tarbes, d’autres "libertés" avec les règles, notamment en matière d’urbanisme ? Les gendarmes s’interrogent sur une ribambelle de cessions de parcelles opérées par la ville depuis le milieu des années 2000, notamment celles vendues aux sociétés d’Isabelle Bonis (la compagne de Gérard Trémège), de son fils, voire de son arrière-petit-cousin.   

La première opération remonte à mars 2005. Par une délibération en conseil municipal, Gérard Trémège fait voter la vente d’une vieille bâtisse, propriété de la ville, à une SCI (société civile immobilière) baptisée L’Amandier, pour 15 000 euros seulement, soit deux fois moins que la valeur arrêtée par le service des Domaines. L’opposition regrette qu’on « brade ce bien municipal » mais ne tique pas sur le bénéficiaire. Et pour cause : le texte soumis au vote ce jour-là précise simplement qu’il s’agit d’une SCI « en cours de constitution ».

En réalité, d’après des documents récupérés par les enquêteurs, cette SCI est déjà constituée et appartient à Isabelle Bonis, sa compagne depuis plus d'un an, à hauteur de 50 %. Le maire le sait parfaitement. Dix jours avant le conseil municipal, les actes de création de la société ont d’ailleurs été déposés au tribunal de commerce par la Sofec, la société d’expertise-comptable de Gérard Trémège. Huit mois plus tard, c’est encore lui qui signe l’acte de vente définitif, comme représentant de la collectivité.

Isabelle Bonis, architecte, se lance alors dans la rénovation du bâtiment, avec une simple « déclaration de travaux ». D’après une source proche du dossier, l’agent qui instruit son dossier à la mairie juge pourtant que l’ampleur des modifications prévues nécessite la délivrance d’un permis de construire en bonne et due forme. Bizarrement, le service urbanisme ne réclame rien de tel à la compagne du maire – lequel visite régulièrement les lieux.

Pour comprendre si une faveur a été accordée, les gendarmes ont placé le responsable du service urbanisme en garde à vue le 12 février dernier. D’autant que les plans fournis lors de sa « déclaration de travaux » par Isabelle Bonis, pour décrire son futur aménagement de façade, semblent bien éloignés de la réalité finale (voir les documents ci-dessous).

« Je n’ai pas su qu’un fonctionnaire de la ville estimait un permis de construire nécessaire, réagit Isabelle Bonis, sollicitée par Mediapart. En tant qu’architecte, je ne vois pas pourquoi, il n’y avait pas d’augmentation de la surface habitable... » D'autres critères existent, cependant.

Surtout, les enquêteurs se penchent sur les factures de l’entreprise sollicitée pour les travaux, Gallego, bien connue pour contracter avec la mairie. Ils soupçonnent que des ristournes aient pu être accordées à Isabelle Bonis, alors salariée de la Semi-Tarbes, la société d’économie mixte financée par la ville pour construire du logement social – la compagne du maire en a pris la direction depuis. « Tout ceci est d'ordre privé, nous déclare l'intéressée. J’apporterai mes réponses au juge ou aux gendarmes. » En 2012, Isabelle Bonis a en tout cas réalisé une sacrée plus-value en revendant sa maison aux alentours de 450 000 euros.

Au gré de leurs investigations, les gendarmes se sont par ailleurs arrêtés sur d'autres opérations étonnantes, dont la vente d’une parcelle située dans le quartier de l’Arsenal, actée en juin 2010 sur délibération du conseil municipal. « La SARL le Flamingo souhaite (…) y installer une station de lavage », est-il alors indiqué aux élus. Fixé à 44 400 euros, le prix n’est pas inférieur à l’estimation des Domaines. Mais là encore, l’identité des deux associés du Flamingo n’est pas précisée : il s’agit de Benjamin Trémège, « fils de », et de Laurent Teixeira, conseiller municipal. « Celui-ci s’est abstenu lors du vote ! » nous fait savoir Gérard Trémège, tout en refusant de répondre à nos « questions manifestement orientées, extrapolées ». « Je répondrai devant le juge, quand le moment sera venu », balaye-t-il.

En juin 2011, enfin, la ville cède l'un de ses bâtiments du quartier de l’Arsenal à une SCI baptisée L’Hostellerie, qui « envisage » d'y relocaliser son restaurant, d'après la délibération présentée aux élus. Le co-gérant ? Un certain Ludovic Trémège. Aucun restaurant n’a été installé depuis, mais le 17 février dernier, lors de l’ultime conseil municipal, cette zone d'activité commerciale aurait été requalifiée en zone immédiatement habitable, d'après des élus d'opposition. Bien plus profitable.

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Fadettes des journalistes : peine clémente requise contre Squarcini

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Surnommé le « squale » pour sa capacité à naviguer dans les eaux troubles de la politique, l'ancien directeur du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, limogé par la gauche pour ses accointances avec la Sarkozie, comparaissait mardi 18 février devant la XVIIe chambre correctionnelle du tribunal de Paris, pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal et illicite », une peine passible de 5 ans de prison et 300 000 euros d'amende. 

Poursuivi pour l'exploration des listings téléphoniques de Gérard Davet, journaliste du Monde, en juillet 2010, en pleine affaire Woerth-Bettencourt, ce « grand flic » et « professionnel du renseignement » est accusé d’avoir détourné de son usage l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative au « secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques », dans le but de violer les sources du journaliste et de limiter l’impact de révélations politico-financières qui embarrassaient jusqu’au plus haut sommet de l’État.

Bernard SquarciniBernard Squarcini

Le procès du “Squale” s'est ouvert à 13 h 40 devant une salle d'audience comble, sous le crépitement des flashs de la presse venue assister au premier procès visant la collecte de “fadettes” d'un journaliste, ces relevés de correspondances téléphoniques, après le passage devant le Conseil supérieur de la magistrature de l'ancien procureur de Nanterre, Philippe Courroye, épargné dans le même dossier.

En pleine affaire Woerth-Bettencourt, Le Monde a publié, le 17 juillet 2010, dans son édition du week-end, les procès-verbaux d’audition de la garde à vue du gestionnaire de fortune de la milliardaire. Signé « l’audition de Patrice de Maistre met Éric Woerth en difficulté », l'article de M. Davet apportait de nouveaux éléments sur la proximité et les liens “affectifs” et ”professionnels” qui unissaient les deux hommes. Dans son article, M. Davet révélait que les enquêteurs s'intéressaient désormais aux conditions de l'embauche de la femme du ministre, engagée en 2007 au sein d'une société gérant notamment les avoirs offshores de Liliane Bettencourt.

Alerté dès la publication de l'article par le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, qui lui signale les fuites d’un haut fonctionnaire, M. Squarcini, à l’époque en Corse, en réfère aussitôt au n°2 de la DCRI, Frédéric Vaux, et lui demande de vérifier avec le sous-directeur des technologies, Stéphane Tijardovic, ses « quelques soupçons, avec des vérifications techniques ponctuelles », dans l’unique but de savoir qui, dans un cabinet régalien, se livre à des fuites.

Décision est alors prise, sur le fondement de la menace aux « intérêts fondamentaux de la Nation », de recourir à l’article 20 de la loi du 10 juillet, qui autorise de manière dérogatoire, les personnes habilitées – seulement au nombre de trois en France, MM. Squarcini, Vaux et Tijardovic – à procéder à des “réquisitions directes” auprès des opérateurs téléphoniques, sans consultation préalable de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sûreté (CNCIS), organe chargé, depuis l'affaire des écoutes de l'Élysée sous François Mitterrand, d'assurer le contrôle des demandes de consultation de fadettes.

En connaissance de cause, les responsables de la DCRI décident d'utiliser la voie d'exception : ils évacuent d'office le recours à l'article 22 de la loi qui prévoit la réquisition de fadettes auprès des opérateurs (Orange, SFR, Bouygues ou Free) par le biais du Groupement interministériel de contrôle (GIC), un organisme sous le contrôle du premier ministre, avec avis consultatif de la CNCIS.

Les responsables de la DRCI ignorent également l'article 40 du code de procédure pénale, qui prévoit l'obligation pour un fonctionnaire d'informer le procureur de la République de tout « crime » ou « délit » dont il a la connaissance, permettant ainsi l'ouverture d'une information judiciaire et la saisine d'un juge indépendant sur la violation du secret de l'instruction.

La DCRI demandera le 17 juillet 2010 les factures détaillées de Gérard Davet puis, le 21 juillet, celles de David Sénat, magistrat placardisé et limogé fin août, après les révélations sur les fuites au ministère de la justice. Les relevés obtenus par le Squale indiquent cinq appels passés entre les deux hommes dans la soirée du 16 juillet et près de 100 contacts au cours du même mois.

Invité à s'exprimer à la barre du tribunal, le Squale rappelle son attachement « au service de la France » et se défend de tout espionnage des journalistes qu’il connaît, et pour lesquels il a « un immense respect ». Selon lui, il s'agissait en l'espèce d'une « vérification technique » très urgente, en vertu de la défense des intérêts fondamentaux de la nation, pour « débusquer une fuite, un traître dans un cabinet ministériel ».

Très en verve, l'avocat du Squale, Me Patrick Maisonneuve, plaide également « la proportionnalité des buts poursuivis » par M. Squarcini et explique que la démarche de la DCRI était conforme aux textes en vigueur, qui accordent aux autorités, en vertu de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1990, une dérogation aux règles de contrôle des lignes téléphoniques dans les cas de « défense des intérêts nationaux ».

« Mais pourquoi n'avez-vous pas saisi la justice pour violation du secret de l'instruction par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale comme vous en aviez l'obligation ? interroge le président.

— C'est le choix de M. Péchenard, répond Bernard Squarcini. Je ne m'auto-saisis pas des affaires, j'ai agi sur demande de ma hiérarchie, déclare-t-il, renvoyant la responsabilité de la réquisition sur l'ami d'enfance de Nicolas Sarkozy, ni visé par les faits, ni cité comme témoin dans l'affaire.

— Mais pourquoi avoir procédé à ces demandes de fadettes nominatives alors que vous saviez que M. Davet était un journaliste, (...) que les révélations dans la presse, d'informations contenues dans les PV de garde à vue sont fréquents, (...) et que celles-ci ne portaient évidemment pas atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ? insiste le président du tribunal.

Quand M. Péchenard m'appelle, il m'indique qu'il y a des fuites dans un ministère régalien (...) on parle du ministère de la justice, on ne parle pas de celui de la culture ! Je ne m'étais pas auto-saisi, il y avait urgence à débusquer la “taupe” », répond M. Squarcini.

L'avocate du journaliste, Me Burguburu, rappelle pourtant au Squale que ses services n'ont pas réagi le 8 juillet, soit quelques jours avant les révélations du Monde, sur une fuite similaire dans Le Figaro, livrant au public le PV d'audition de l'ancienne comptable Claire Thiboult. « Ce PV était favorable au pouvoir en place, mais j'ai peut-être mauvais esprit », avance-t-elle, ironique.

Interrogé par l'avocat de l'association des journalistes judiciaires sur la décision de recourir à des moyens de « police administrative », en lieu et place de moyens de « police judiciaire » à l'encontre d'un journaliste, M. Squarcini déclare que son objectif n'était pas de démasquer les sources du journaliste, qui « ne m'intéresse pas » mais d'identifier « quelqu'un qui, dans un ministère, allait à l'encontre de ses obligations, qui nuisait à l'intérêt national ».

Cité à la barre par la défense, l'ancien coordinateur national du renseignement, Ange Mancini, qui connaît bien le Squale, explique avoir repéré au milieu des années 1980 « ce jeune commissaire brillant et très efficace, (...) un homme de renseignement, un homme du renseignement » qui, selon lui, ne pourrait pas aller à l'encontre des intérêts de son service et du pays.

« Notre rôle est d'étudier les demandes adressées par les services de renseignements », explique l'ancien délégué général de la CNCIS, Rémi Recio, qui déclare comprendre la démarche du directeur de la DCRI, pour « fermer des portes », tout en soulignant que la commission n'a eu que très peu de demandes de consultation de fadettes de journalistes, et que celles-ci n'ont jamais été nominatives.

Le magistrat Hervé Pelletier, président de la CNCIS depuis 2009, s'étonne lui du recours à l'article 20 de la loi du 10 juillet 1990 sur le fondement de la « protection des intérêts fondamentaux de la nation » et rappelle que cet article n'autorise que des réquisitions sur des « transmissions aléatoires », et en aucun cas les « demandes nominatives » de fadettes.

Enchaînant sur le témoignage de M. Pelletier, les avocats des parties civiles estiment que, réputé proche de Nicolas Sarkozy, M. Squarcini n'avait jamais voulu se préoccuper de la menace des intérêts fondamentaux de la nation, mais voulait protéger l'exécutif qui craignait que ces fuites ne déstabilisent Éric Woerth et le gouvernement. « En agissant ainsi, M. Squarcini souhaitait intimider les sources potentielles et dissuader les journalistes de faire leur travail sur l'affaire. »

Vient le tour de Gérard Davet, victime d'un « préjudice moral et professionnel » important, et qui est la preuve même que le « secret des sources est la condition démocratique de la liberté d'information », selon les avocats des parties civiles.

Le journaliste dénonce « des méthodes typiquement barbouzardes », soulignant qu'à « trop fréquenter les politiques, les grands flics précèdent les désirs ou suivent des ordres, sans se demander s'ils enfreignent ou non la loi». Rappelant le climat politique de l'époque et la difficulté d'enquêter, M. Davet déclare en regardant M. Squarcini : « J’ai cru comprendre qu’il est extrêmement rare de demander les fadettes d’un journaliste, sauf quand il a des liens avec des services étrangers, la criminalité organisée ou des organisations terroristes. Je n’entre dans aucune de ces trois catégories. »

Seule explication plausible aux yeux du journaliste : « L'Élysée a assez mal vécu que nos infos sortent, parce qu’elles affaiblissaient les positions de monsieur Woerth. » La DCRI a opté pour « des méthodes administratives détournées ». « En marge du droit », résume l’avocat du Monde, Me  François Saint-Pierre, qui s'interroge sur les motivations politiques d'une telle procédure d'exception alors qu'une procédure judiciaire était la voie évidente.

Après six heures de procès, Me Burguburu lance : « Dois-je quand même rappeler que dans cette affaire, le 21 octobre 2010, il y a eu des cambriolages dans la maison de campagne de M. Davet, dans les locaux de Mediapart, chez l'ancien journaliste de Mediapart Fabrice Lhomme et chez le directeur du Point, Hervé Gattegno ? ». Toisant le banc de la défense, l'avocate conclut : « Vous auriez dû dire non, monsieur Squarcini, dire non à l'espionnage d'un journaliste, dire non à la violation du secret des sources, dire non à la violation d'un des fondements de la démocratie. »

Reprenant les arguments des parties civiles, le substitut du procureur rappelle que l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 ne permettait pas la réquisition des « demandes nominatives et détaillées » des fadettes, mais un « balayage aléatoire » des communications, et que cet article dérogatoire ne devait s'appliquer qu'aux situations de réelle menace sur des « intérêts fondamentaux de la nation ». Mais face au secret défense couvrant une partie de l'affaire, et demandant au tribunal de « tenir compte des services rendus par M  Squarcini », il n'a réclamé qu'une peine de 5 000 euros d'amende à l'encontre de l'ancien patron de la DCRI.

Le délibéré est attendu le 8 avril.

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À Boulogne-Billancourt, l’UMP vit « une situation dramatique »

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C’est presque devenu une tradition. À Boulogne-Billancourt, dans le département des Hauts-de-Seine si cher à la « Sarkozie », chaque nouvelle élection rime avec division. À peine remise de la bataille qui opposa Claude Guéant et Thierry Solère lors des législatives de 2012, la deuxième ville d’Île-de-France est de nouveau le théâtre d’un duel droite contre droite dans le cadre des municipales de mars. Après Neuilly, elle illustre à son tour la pagaille qui règne dans le « 9-2 » depuis 2008. Entre dissidences, jeux d’influences et spectre des affaires.

L’énième guerre intestine qui divise la droite boulonnaise oppose cette fois le maire sortant Pierre-Christophe Baguet, qui a reçu l’investiture et le soutien de l’UMP, à Pierre-Mathieu Duhamel qui, lui, a reçu… le soutien d’une bonne partie de ses ténors. Alain Juppé, Xavier Bertrand, Bruno Le Maire, Benoist Apparu… Jamais un candidat dissident n’aura récolté autant de cautions de son ancien camp – Pierre-Mathieu Duhamel s’est mis en congé de l’UMP le temps de la campagne. Le parti de l’opposition l’a prouvé à Paris : les mesures de suspension sont « une règle naturelle pour tous les dissidents ». Mais cette « règle naturelle » ne semble pas s'appliquer au-delà du boulevard périphérique.

Pierre-Christophe Baguet et Pierre-Mathieu Duhamel, candidats à Boulogne-Billancourt.Pierre-Christophe Baguet et Pierre-Mathieu Duhamel, candidats à Boulogne-Billancourt. © DR

« J’ai passé l’âge où je suis le petit doigt sur la couture du pantalon les décisions de la commission d’investiture de l’UMP », déclarait Alain Juppé au Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro, dès octobre 2013. Fidèle à celui qui fut son directeur de cabinet à Matignon, le maire de Bordeaux viendra d’ailleurs soutenir Pierre-Mathieu Duhamel en meeting à Boulogne, le 4 mars. L’un de ses plus proches collaborateurs, Gilles Boyer, figure même sur la liste dissidente.

« On nous met dans une situation dramatique », reconnaît Roger Karoutchi, interrogé par Mediapart. Le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine souligne le fait qu'« une dissidence à Boulogne a forcément des répercussions sur le national » : « Il y a des règles et des exceptions à la règle. La real politique, c’est exactement ça. » Légèrement désabusé dès lors qu'il s'agit d'aborder le sujet des divisions du « 9-2 », il rappelle que « ça fait plus de vingt ans que de la droite se déchire à Boulogne sur un système fou qui consiste à dire “il n’y a pas de risque, donc on fait ce qu’on veut” ».

Georges Gorse contre Paul Graziani en 1991, Paul Graziani contre Jean-Pierre Fourcade en 1995, Jean-Pierre Fourcade contre Pierre-Christophe Baguet en 2008… À chaque élection municipale son duel droite contre droite. « À Boulogne, dès que vous avez un premier adjoint, il veut devenir calife à la place du calife, poursuit Roger Karoutchi. La gauche n’est pas un vrai danger, ça déresponsabilise. »

Les résultats électoraux n’ont d’ailleurs jamais démenti cette tendance. Car quels que soient le scrutin et les dissidences, la ville vote à droite à 70 %. « Ce n’est pas irréversible, veut croire le candidat socialiste Pierre Gaborit. La population boulonnaise change. Les gens commencent à se préoccuper d’autre chose que de ces querelles sordides. » Comme bon nombre de villes du département, l'UMP boulonnaise a, elle aussi, subi une baisse de 20 % de ses adhérents. « Sur l’année 2013, on est aux alentours de 1 500 personnes à jour de cotisation, précise le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Ça ne s'est pas effondré comme à Neuilly, mais la crise est là. »

Crise ou pas, la droite ne se fait guère de souci quant à l’échéance de mars. « Le risque que Boulogne passe à gauche est très éloigné, assure le député UMP Benoist Apparu, venu soutenir Pierre-Mathieu Duhamel le 12 février, à l’occasion d’un café politique consacré au logement. C’est d’ailleurs pour ça que je soutiens le candidat dissident. Je ne l’aurais pas fait s’il y avait eu le moindre risque. »

Les députés UMP Thierry Solère et Benoist Apparu aux côtés de Pierre-Mathieu Duhamel, le 12 février.Les députés UMP Thierry Solère et Benoist Apparu aux côtés de Pierre-Mathieu Duhamel, le 12 février. © duhamel-boulogne.fr

Après Benoist Apparu, les équipes de Pierre-Mathieu Duhamel attendent donc la venue d’Alain Juppé, mais aussi celle de Xavier Bertrand et François Baroin qui devraient faire, début mars, une visite de marché aux côtés du candidat dissident. « Je vous mentirais si je vous disais qu’on n’est pas embarrassés par ce défilé de grands noms de l’UMP…, indique le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. La logique voudrait que j’aille à la réunion de Juppé, mais je n’irai pas. Il y a une règle établie par la commission d’investiture : on reconduit systématiquement les maires sortants qui en font la demande. On a donc respecté cette règle pour Baguet. »

Face au chapelet de soutiens de son adversaire, Pierre-Christophe Baguet a protesté devant le bureau politique de l’UMP, fin janvier. Et obtenu l'exclusion de deux colistiers de Duhamel, Guillaume Gardillou et Mathieu Barbot. « Je me retrouve à demander l’exclusion de lampistes, alors que tout le monde soutient la liste dissidente, note Roger Karoutchi. C'est un peu incohérent. »  Le maire sortant de Boulogne a également mis en garde Jean-François Copé contre l’organisation d’écuries présidentielles en vue de 2017. « C’est vrai ailleurs en France, ajoute le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Les Bertrand, Juppé, Baroin et consorts vont effectivement soutenir des candidats qui leur seront fidèles. Mais Boulogne, c’est une situation particulière. On est dans un réseau d’influences et d’amitiés. »

Dans ce « réseau d'influences et d'amitiés », figure notamment le député UMP et vice-président du conseil général des Hauts-de-Seine, Thierry Solère, sarkozyste de la première heure et tombeur de l’ex-ministre de l’intérieur Claude Guéant. L’élu, qui dirige aujourd'hui la campagne de Duhamel à Boulogne et figure en troisième position de sa liste, n’a pas été suspendu par le parti d’opposition, comme cela avait été le cas aux législatives de 2012.

Mieux encore, lors du conseil national du 26 janvier, ce proche de Bruno Le Maire a été élu au bureau politique de l’UMP, chargé notamment de préparer l’élection présidentielle de 2017. Le même jour, Gilles Boyer, le collaborateur d’Alain Juppé qui figure également sur la liste dissidente, a quant à lui été élu à la commission nationale des recours de l’UMP, qui examine les demandes de réintégration. À la tête de cette commission, on retrouve un proche de Xavier Bertrand, le député Gérald Darmanin, qui était présent aux vœux de Thierry Solère, le 28 janvier.

Pierre-Mathieu Duhamel, Thierry Solère, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin... aux voeux de Thierry Solère, le 28 janvier.Pierre-Mathieu Duhamel, Thierry Solère, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin... aux voeux de Thierry Solère, le 28 janvier. © duhamel-boulogne.fr

« Mon entrée au bureau politique de l’UMP était un message clair adressé à Baguet », s’amuse Thierry Solère, qui reconnaît s’être arrangé avec la direction du parti pour « éteindre l’incendie politique » de Boulogne, en demandant à Pierre-Mathieu Duhamel de se mettre en congé de l’UMP et en laissant deux de ses colistiers être suspendus. L’un d’entre eux, Guillaume Gardillou, connaît déjà l’issue de cette cuisine politique : « Duhamel va gagner les élections et on sera réintégrés d’office dès le lendemain », confie-t-il à Mediapart.

La direction de l'UMP aurait-elle définitivement perdu le contrôle de ses troupes à Boulogne ? « Copé navigue à vue », analyse Gilles Boyer. Pierre-Christophe Baguet a eu beau lui lâcher en bureau politique un « Jean-François, Boulogne, c'est à dix minutes de Paris à scooter, c'est où tu veux quand tu veux ! », nul n'est aujourd'hui en mesure de dire si le patron de l'UMP viendra ou non soutenir le candidat officiel du parti. « Baguet a dit qu’il souhaitait que des dirigeants du parti viennent, mais depuis, je n’ai pas eu de demande officielle, ni pour Copé ni pour personne », explique Roger Karoutchi, qui tente d'énumérer les éventuels soutiens du maire sortant : « Luc Chatel m’a dit qu’il pourrait venir à Boulogne. Henri de Raincourt aussi. Valérie Pécresse est pour Baguet, mais je ne sais pas si elle viendra. Et puis, il y a Fillon, mais il se déplace rarement dans les Hauts-de-Seine... »

Jusqu’alors silencieux sur le cas Boulogne-Billancourt, l’ex-premier ministre est sorti de sa réserve mi-janvier, lorsque Michèle Montiès, la femme de l’un de ses plus proches collaborateurs, Daniel-Georges Courtois, a quitté la majorité de Baguet pour rejoindre la dissidence de Duhamel. « Ça a un peu agacé Fillon, poursuit le secrétaire départemental de l’UMP dans les Hauts-de-Seine. Du coup, il a fait un petit mot à Baguet pour lui dire qu’il pouvait se prévaloir de son soutien. » Un SMS que les équipes de campagne du maire sortant se sont empressées de diffuser sur les réseaux sociaux.

François Fillon et Pierre-Christophe Baguet.François Fillon et Pierre-Christophe Baguet. © Facebook/Pierre-Christophe Baguet

Candidat investi par l'UMP, Pierre-Christophe Baguet continue à se prévaloir du soutien de son parti, mais aussi de celui de l'UDI, du MoDem, du Nouveau Centre et du Parti radical. Président de la communauté d'agglomération Grand Paris Seine Ouest (GPSO), le maire de Boulogne bénéficie également de l'appui des communes voisines. Du côté de Pierre-Mathieu Duhamel, on moque ces « seuls vrais soutiens » que sont le maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini, « son mentor politique », et le maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany, qui « est monté au créneau pendant l’investiture ». « Bref, la crème des Hauts-de-Seine », plaisante un élu du département.

Pierre-Christophe Baguet, André Santini et Claude Guéant, en avril 2012.Pierre-Christophe Baguet, André Santini et Claude Guéant, en avril 2012. © philippedermagne.com

« Baguet est sur tous les mauvais coups », assure un élu boulonnais, qui rappelle la récente ouverture d’une enquête préliminaire visant le maire de Boulogne, révélée par Le Parisien. L’affaire remonte à janvier 2012. Renonçant à se porter candidat à sa réélection aux législatives, Pierre-Christophe Baguet adresse à ses administrés un courrier dans lequel il explique pourquoi il soutient Claude Guéant. À l’époque, l’édile assure avoir payé cet envoi sur ses « deniers personnels ». Mais selon des documents transmis à la justice, l'impression de cette lettre réalisée par une entreprise d'Issy-les-Moulineaux – pour un coût total de 30 000 euros – aurait été acquittée à hauteur de 20 000 euros par la municipalité, l’UMP ayant pris en charge les 10 000 euros restants.

« Des accusations mensongères, proférées dans un climat politique nauséeux, s’est défendu l'avocat de la ville, Mario-Pierre Stasi, cité par le JDD.fr. La facture a été adressée à l'UMP des Hauts-de-Seine, qui a transmis à l'UMP nationale. » Le 7 février, Pierre-Christophe Baguet a sorti un tract, copie de la fameuse facture à l'appui, pour prouver cette version des faits. Mais sur ce point pourtant, Roger Karoutchi est formel : « Le trésorier départemental a confirmé que nous n’avons jamais reçu cette facture, indique-t-il à Mediapart. Si elle était passée entre nos mains, même pour être transmise à l’UMP nationale, nous en aurions conservé une trace. »

Pour les soutiens de Pierre-Mathieu Duhamel, cette affaire pourrait davantage encore affaiblir la candidature du maire sortant de Boulogne. « Baguet était déjà très seul, mais ses ennuis judiciaires font que les trois ou quatre soutiens qui lui restaient s’éloignent à leur tour… », conclut Thierry Solère.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées entre le 17 et le 19 février. Sollicité à plusieurs reprises, le maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

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Les cachotteries luxembourgeoises des nouveaux maîtres de «Libé»

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Les deux hommes qui viennent de faire main basse sur Libération se livrent depuis plusieurs années à d'acrobatiques montages de sociétés, passant par le Luxembourg et d'autres paradis fiscaux. Bruno Ledoux, l'actionnaire principal du quotidien qui s'est emparé il y a quelques heures de la présidence de son conseil de surveillance, contrôle une myriade de sociétés luxembourgeoises, montées ou gérées depuis le Panama, les îles Vierges britanniques et les Seychelles. Plusieurs d’entre elles sont administrées par François Moulias, homme de confiance de Ledoux et tout nouveau président du directoire du quotidien, en remplacement de Philippe Nicolas, brutalement débarqué lors du conseil de surveillance de mercredi.

Mediapart a déjà établi, dans le premier volet de l'enquête sur le business de Bruno Ledoux, que l'immeuble de Libé, dont il est copropriétaire, est détenu par une cascade d’entreprises dont les ramifications s’étendent du Luxembourg aux îles Vierges britanniques. Le montage et l'utilisation de ces sociétés à des fins d'optimisation fiscale très poussée sont contestés par le fisc, qui réclame 40 millions d'euros à l'homme d'affaires et ses associés (le dossier est actuellement devant la justice). Comme l’atteste une plongée attentive dans le registre du commerce luxembourgeois, il apparaît aujourd'hui que ce système de détention d’actifs est généralisé dans le cadre des activités d’investisseur et de promoteur immobilier de Ledoux.

Selon notre décompte, le nouveau patron de Libération contrôle une dizaine de sociétés luxembourgeoises, dont les finalités ne sont pas communiquées publiquement, et qu’il ne nous a pas détaillées. Moulias gère plusieurs de ces entreprises, qui peuvent presque toutes être reliées à de fameux « territoires non coopératifs », même si l’actionnaire de Libération répète avec constance qu’il ne faut pas lui imputer la responsabilité de cette provenance, et que toutes ces structures sont en fait rattachées à sa holding français, Foncière Colbert finance (FCF).

Premier cas à retenir l'attention : l’entreprise répondant au doux nom de CFOLB venture one. Déjà citée dans notre article précédent car elle intervient dans le schéma de détention du siège de Libération, elle a été créée en 2002 par deux sociétés-écrans, Bynex International, basée aux îles Vierges britanniques, et Beston Enterprises, immatriculée au Panama. Deux territoires fiscalement opaques, qui offrent la plus grande discrétion aux investisseurs.

Bruno Ledoux, le 12 février. © D.I.Bruno Ledoux, le 12 février. © D.I.

Interrogé, lors d'un entretien le 12 février, sur le montage où apparaît cette société, Bruno Ledoux avait martelé qu’« elle ne porte rien », et qu’elle est un simple relais sans importance vers une autre société, dont il est le copropriétaire. Il avait aussi insisté sur son statut d’actionnaire minoritaire, assurant qu'il n’était pas personnellement impliqué dans le choix des baroques constructions fiscales qui lui sont liées.

Suite à nos nouvelles questions, il a apporté le même type de réponse : « Je vous rappelle que les associés majoritaires ont toujours été et sont encore des fonds d'investissement étrangers, anglais ou hollandais pour l'essentiel, écrit-il dans un e-mail. À ce titre, leur volonté de gérer leur investissement directement du Luxembourg n'a rien de surprenant puisque c'est le cas de la quasi-totalité des fonds d'investissements immobiliers à caractère européen. »

En effet, le pays multiplie les cadeaux aux entreprises (lire notre enquête) et accueille à bras ouverts les investisseurs désireux d’acquérir de la pierre en Europe, en leur accordant de juteuses baisses d’impôts. Chantre de la compétition fiscale entre pays, ce membre fondateur de l'Union européenne est peu à peu devenu un trou noir de la finance mondiale. Ledoux lui-même admet que le Grand-Duché présente des avantages fiscaux intéressants. C'est d'autant plus vrai pour des investisseurs avisés ou bien conseillés, très au fait des techniques d'optimisation fiscale qui frôlent parfois les limites de la légalité.

D'ailleurs, il semble que Ledoux connaisse bien la société CFOLB, qui n’a finalement rien d’une coquille vide : selon ses comptes, elle détenait en 2009 pas moins de 5,6 millions d’euros d’actifs ! Le 28 juin 2002, elle a notamment servi à apporter plus de 1,3 million d’euros pour l’achat d'un immeuble au 12, Pierre-Ier-de-Serbie, dans le XVIe arrondissement de Paris. Le bâtiment est toujours détenu par la société de placement immobilier qui appartient pour un tiers à Bruno Ledoux. Et à l’époque, à la barre de cette opération immobilière, il n'y a que lui : il agit au nom de tous les acteurs du dossier et signe tous les documents.

Le contrôle du promoteur est encore plus net sur quatre autres sociétés, enregistrées entre 2002 et 2006 au Luxembourg, et nommées Malleza, HR Consulting, Gianicolo et LVHF Luxe. Ledoux apparaît comme leur unique propriétaire, et leur conseil d’administration est présidé par son homme de confiance, François Moulias. Outre Moulias, les trois premières sociétés comptent les mêmes administrateurs : Durham Management, une société immatriculée aux Seychelles (autre fervent défenseur de l’opacité fiscale), et LM1, une entité luxembourgeoise que Ledoux a indiqué détenir à 100 % au détour d’une communication officielle (ici en PDF) à l’AMF, en juillet 2011. Il existe aussi une structure LM2, détenue de la même façon.

LVHF Luxe compte, elle, un administrateur professionnel, Vincent Tucci, basé à Luxembourg. Ledoux explique qu'il l'emploie en tant que gestionnaire de LUPB, une filiale luxembourgeoise qu'il détient à 100 % via sa holding française FCF, et qui possédait 5 millions d’euros d'actifs en 2010, selon ses comptes officiels.

Toutes ces entreprises ont connu une valse d’administrateurs entre 2009 et 2013. Et à chaque fois, reviennent avec insistance les noms de Vincent Tucci, de François Moulias, parfois de Bruno Ledoux lui-même, de Sunnyside Invest & trade, basée pour sa part au Belize, et de RLM, une société créée au Luxembourg par Ledoux en septembre 2010, et dont tous les mandats ont été confiés à LM1 pendant l’été 2013.

Pour toutes ces filiales, Bruno Ledoux et François Moulias ne peuvent pas minimiser leur implication en se cachant derrière d’autres actionnaires plus puissants. Officiellement, ils contrôlent entièrement les sociétés. Il est donc intéressant de se pencher sur leurs statuts de création. C'est là que les paradis fiscaux apparaissent. Les sociétés luxembourgeoises que nous avons citées ont presque toutes été constituées, au moins en partie, par des sociétés basées en Suisse, au Luxembourg, au Panama ou aux îles Vierges. Autant de territoires permettant de créer des sociétés dont les propriétaires ou les bénéficiaires réels peuvent rester inconnus. Parfois la participation de ces mystérieux actionnaires est infime – moins de 0,1 % – mais elle existe bien.

Dans le schéma ci-dessous, nous avons tenté de résumer la situation, telle que nous la comprenons. Les entreprises signalées en rouge sont celles qui ont officiellement créé les sociétés aujourd’hui contrôlées par Ledoux. Nous avons indiqué leur pays d’origine. Les sociétés de Ledoux, en noir et en gris, sont accompagnées de leur date de création au Luxembourg, ainsi que des noms de leurs administrateurs actuels.

Quelle justification apporte Ledoux à la forte implication apparente de paradis fiscaux dans ses affaires ? Il nie fermement tout problème. « Toutes les sociétés luxembourgeoises que vous citez, sans exception, sont indirectement filiales à 100 % de ma holding française FCF SA, via sa filiale luxembourgeoise LUPB, dont le gestionnaire est Monsieur Vincent Tucci. Toutes ces détentions sont donc transparentes et parfaitement déclarées », affirme-t-il. Cette dernière phrase n'est qu'à moitié exacte : après vérification dans les derniers comptes déposés par FCF, ceux de 2011, plusieurs sociétés luxembourgeoises n'y figurent pas, dont Malleza, HR Consulting, Gianicolo, LVHF Luxe, LM1 et LM2. Il n'est certes pas obligatoire d'énumérer toutes ses filiales exotiques, et le CAC 40 s'en passe d'ailleurs allègrement, mais une question surgit logiquement : le fisc français connaît-il vraiment toutes les structures offshore de l'homme d'affaires ?

Une explication plausible de l'absence de ces filiales dans les comptes de FCF est, peut-être, qu'elles n'étaient en réalité pas aux mains de Ledoux et Moulias à l'époque. Les changements fréquents d'administrateurs en leur sein, souvent avec des allers-retours des mêmes individus ou sociétés-écrans, pourraient en effet signaler les quelques périodes où elles ont été utilisées par le promoteur et son fidèle second, bien des années après leur création.

Ledoux laisse en tout cas entendre que d'autres acteurs ont contrôlé ces structures. C'est l'argument qu'il utilise pour récuser tout « lien capitalistique avec les sociétés Bynex, Beston, Aelsion, etc. ». Selon lui, on retrouve les traces de ces sociétés-écrans uniquement à cause « des cabinets comptables locaux » luxembourgeois, qui auraient l’habitude de « constituer des coquilles vides », qu'ils peuvent ensuite revendre rapidement aux clients pressés. « Dans le cadre de la mise en place de partenariats internationaux, en particulier avec Lehman Brothers, l’actionnariat s’est contenté, pour des questions de rapidité, de leur acheter quelques structures vierges à la valeur nominale », détaille-t-il. Il assure avoir lancé tout récemment les démarches officielles pour que les bizarres sociétés fondatrices n’apparaissent plus dans les statuts de ses entreprises.

Cette ligne de défense était déjà celle qu’il avait développée lors de notre rencontre du 12 février. Elle peut correspondre à la réalité, mais le propre des sociétés-écrans est qu’il est impossible de savoir qui elles cachent. En théorie, elles peuvent bénéficier à n’importe qui. Et la remarque vaut encore plus lorsque ces entreprises des Seychelles, de Belize et du Panama apparaissent au détour des conseils d’administration de ces sociétés. Camouflent-elles un discret investisseur qui tire les ficelles dans l'ombre ? Mystère.

Il est bien sûr possible qu'en dernier ressort, toutes ces filiales luxembourgeoises appartiennent entièrement à Ledoux. Et lorsqu’on tâche de comprendre leur rôle, les maigres informations récoltées pointent en effet vers les intérêts de l’homme d’affaires. Ainsi, LVHF Luxe SA détient une société également nommée LVHF, mais française celle-là. Y est logée, à notre connaissance, la part de Bruno Ledoux dans Tecla Participations, un fonds de placement rattaché à Tecla, un joaillier parisien repris en 1996 par l’entrepreneur.

Il existe enfin une autre entreprise luxembourgeoise semblant être contrôlée par Ledoux : LGR Grundinvest. François Moulias en est en tout cas l’administrateur depuis avril 2009, par l’intermédiaire d’une dernière société, CDIP1. Or, LGR Grundinvest s’est vu attribuer le 29 mars 2012 une créance de 6,9 millions d’euros, que détenait Bruno Ledoux, provenant à l'origine d'un groupe espagnol où il a lui-même eu des intérêts. Ledoux pourrait donc en quelque sorte s’être confié ces dettes à lui-même, ou tout au moins les avoir passées à une société amie. Dans quel but exactement ? Les secrets bien gardés du Grand-Duché empêchent de répondre à cette question.

BOITE NOIRENous avions rencontré Bruno Ledoux le 12 février pour notre premier article. Nos nouvelles questions lui ont été adressées par e-mail le 18 février au soir, et il y a répondu le lendemain matin, quelques heures avant le conseil de surveillance qui lui a donné le pouvoir à Libé. Des demandes de précision, toujours par e-mail, n'ont pas reçu de réponse.

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La Parisienne Libérée : «Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable!»

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Au fil des cinquante années pendant lesquelles les projets d'aéroport ont successivement été lancés puis abandonnés, le bocage de Notre-Dame-des-Landes est devenu un habitat naturel privilégié pour les espèces protégées, en particulier grâce à la qualité de son eau.

Les études qui ont été conduites à la demande des promoteurs du projet n'ont relevé qu'une toute petite partie des mares et espèces présentes dans cette zone humide. Des naturalistes en lutte (voir aussi ici) ont donc entrepris de compléter cette étude. Étant donné leurs résultats, il semblerait raisonnable qu'une nouvelle étude plus précise et plus indépendante soit conduite. C'est le sens du courrier que la Société herpétologique de France a envoyé au ministre Philippe Martin le 3 février dernier.

Par ailleurs, le principe général des mesures compensatoires est discutable : peut-on compenser monétairement la destruction d'habitats naturels qui deviennent rares ? Que devient la protection des espèces s'il suffit de procéder à un rapide recensement et à quelques déplacements (à titre expérimental et sans suivi) pour s'affranchir des obligations légales ?

Au-delà de la lutte qui a lieu à Notre-Dame-des-Landes, ces logiques de compensation soulèvent de réels problèmes écologiques et juridiques. Comme l'écrit Dominique Méda à la fin du chapitre 9 de La Mystique de la croissance : « La valeur accordée à la nature ne peut se limiter à une estimation monétaire des services rendus ou des dégradations produites. Elle doit également pouvoir être reconnue et respectée hors de toute entreprise de monétarisation. »

NOTRE-DAME-DES-LANDES N'EST PAS COMPENSABLE !
Paroles et musique : la Parisienne Libérée



Les fauvettes grisettes
Bondrées et pipistrelles
Les lulus alouettes

Et toutes les littorelles

Les hiboux des marais

Les petits flûteaux nageants

Les pélodytes ponctués

Les humains barbotants



Il y en a qui ont l'air de penser
Qu'on n'est pas indispensables
C'est d'eux qu'on va se dispenser :
On n'est pas compensables ! (bis)


Les salamandres tachetées

Les grenouilles agiles

Tous les tritons marbrés
Et même l'orvet fragile

Les dormantes noctules
Les chevêches d'Athéna
Toutes les blanches spatules

Grenouilles de lessona



Les tritons de blasius

L'aquatique crossope

Les nombrils de Vénus

Et les loutres d'Europe
Les linottes mélodieuses

Et les grands rhinolophes

Les luttes ingénieuses

Des humains philosophes



Il y en a qui ont l'air de penser
Qu'on n'est pas indispensables
C'est d'eux qu'on va se dispenser :
On n'est pas compensables ! (bis)


Buissons de piment royal

Agrions de mercure

Grassettes du Portugal

En un mot : la nature
Pique-prunes, muscardins,

Campagnols amphibies...
Ce qui était commun
Devient rare aujourd'hui.



Tous les pluviers dorés

Les crapauds épineux

Les grands tritons crêtés

Les petits veaux qui font meuh

Tous les jaunes bruants

Les lézards à deux bandes

Les humains paysans

De Notre-Dame-des-Landes

Il y en a qui ont l'air de penser
Qu'on n'est pas indispensables
C'est d'eux qu'on va se dispenser :
On n'est pas compensables ! (bis)

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Les précédentes chroniques
It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

 

 

 

 

 

 

 

BOITE NOIRE

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Le coup de poker de Bercy contre la taxe sur les transactions financières

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Au pire un nouvel échec, au mieux une déception. François Hollande et Angela Merkel ne sont toujours pas d’accord sur l’avenir de la taxe sur les transactions financières (TTF). Malgré leurs déclarations d'intention mercredi, à Paris, les deux dirigeants divergent toujours sur les modalités concrètes de cette taxe. Selon nos informations, Bercy a même fait une nouvelle proposition qui réduirait considérablement l'ampleur de ce symbole de la lutte contre la spéculation.

Officiellement, Hollande et Merkel veulent aller vite et conclure avant les européennes. Mais leur rencontre en marge du conseil des ministres franco-allemand mercredi à Paris n'a pas aplani les différends. Pire encore : le dossier est tellement enlisé que, ces derniers jours, la France a sorti du chapeau un dispositif très différent qui viderait pour partie de sa substance le principe même d’une taxe sur les transactions financières.

Selon plusieurs sources, Bercy a proposé à ses partenaires européens que l’impôt ne soit plus prélevé sur chaque transaction (à chaque vente ou achat d’action ou d’un produit dérivé), mais qu’une « taxe systémique » soit prélevée sur l’exposition des banques aux dérivés. Exit la TTF, qui serait alors remplacée par un simple impôt sur le bilan des banques, prélevé chaque année.

Avantage de la manœuvre : cela permettrait d’asseoir cette taxe sur une « assiette » large, comprenant tous les produits dérivés, ce que réclament les ONG. Mais ce scénario rapporterait nettement moins que le projet de la Commission européenne. « La baisse des recettes serait considérable », admet une source française. « Cette nouvelle proposition de Bercy serait sans doute plus simple à mettre en place qu’une TTF classique. Mais il faut bien comprendre qu’un impôt de ce type n’aurait aucun impact pour freiner la spéculation sur les marchés financiers », commente un bon connaisseur du dossier à Bruxelles.

En revanche, le montant de la collecte pourrait être supérieur aux projets a minima présentés par d'autres pays européens comme l’Italie. « C’est entre la proposition de la commission très large et mal ciblée et entre celle de l’Italie, qui est un truc minuscule », dit-on à Paris. Contacté, le cabinet de Pierre Moscovici n'a pas répondu à nos questions.

Depuis son élection, François Hollande a fait de la taxe sur les transactions financières un de ses objectifs pour « réorienter » l’Union européenne. Les discussions, entamées en octobre 2010 sous Nicolas Sarkozy, ont échoué entre les 27 États membres (aujourd’hui 28) mais onze d’entre eux, dont la France et l’Allemagne, ont décidé d’une « coopération renforcée » pour la mettre en œuvre.

La Commission leur a remis une proposition prévoyant une assiette large (y compris tous les dérivés, ces produits financiers qui contribuent largement à la spéculation boursière) pour plus de 30 milliards d’euros collectés chaque année. Mais elle provoque la fureur des milieux bancaires, qui possèdent de puissants relais auprès des gouvernements. Le projet de Bruxelles a ainsi été qualifié « d’excessif » par Pierre Moscovici et, ces derniers mois, la France bataillait en coulisses pour atténuer au maximum le champ d’application de cette “taxe Tobin”. Le mois dernier, un collectif d’ONG avait publié une lettre au président de la République intitulée « Hollande doit recadrer Moscovici ».

L’Allemagne, préoccupée par la Deutsche Bank, n’était pas non plus très allante mais le contrat de grande coalition entre la CDU d’Angela Merkel et le SPD de Sigmar Gabriel prévoit la mise en œuvre de cette taxe. Ces dernières semaines, Paris avait le mauvais rôle et semblait prêt à tout pour affaiblir la TTF. « Les positions étaient bloquées », admet un négociateur français. D’où la nouvelle proposition choc de Bercy. Pour l’instant, de source française, Berlin est réticente.

« C'est de la stratégie politique : la France espère déplacer la responsabilité de l'Allemagne sur le fait que les dérivés ne seront pas taxés. Bercy pourra toujours dire que ce sont les Allemands qui n'en ont pas voulu, que ce sont eux les mauvais », avance l'expert bruxellois qui a requis l'anonymat.

Un autre scénario est sur la table : celui d’une mise en œuvre graduelle de la taxe, prévoyant un élargissement progressif de l’assiette. Dans un premier temps, les 11 mettraient en place une taxe modeste, sur le modèle de ce qui existe déjà en France ou en Italie. Avant de monter en gamme, et d’élargir l’assiette.

À Bruxelles, ce scénario par étapes semble faire consensus : le commissaire européen chargé du dossier, Algirdas Semeta, l’a explicitement mentionné devant les eurodéputés le 4 février : « Il n’y aurait rien de mal à ce que l’on mette en place cette taxe de manière graduelle. » « Mieux vaut du super light que rien du tout. Si l’on avance pas tout de suite, même qu’un peu, cela risque d’être abandonné », résume-t-on au sein de l’exécutif européen, où l’on continue de redouter un enlisement total du dossier.

Paris et Berlin devront aussi se mettre d’accord sur l’affectation du produit de cette taxe – une autre pomme de discorde entre les deux capitales. La France veut pouvoir l’utiliser partiellement pour l’aide au développement et pour la conférence sur le climat prévue à Paris l’an prochain. Berlin est contre. « De toute façon, d’ici les européennes de mai, on repart pour trois mois de discussions ! Au moins, il y a un calendrier », dit un observateur dépité.

À l’issue de la réunion de mercredi, c’est même un des seuls points d’accord. Lors de sa conférence de presse, Hollande a indiqué que Paris et Berlin voulaient conclure « d’ici les élections européennes ». Avant d'ajouter : « Je préfère une taxe encore imparfaite que pas de taxe du tout. Le purisme peut être aussi une façon d’éviter d’appliquer, purement et simplement. » L’objectif serait de conclure en marge de la réunion des 28 ministres des finances de l’UE, prévue le 6 mai prochain à Bruxelles – soit deux semaines avant les européennes.

Mais ce calendrier est à prendre avec beaucoup de pincettes. D’abord parce que les précédentes dates butoir dans ce dossier n’ont jamais été respectées. Ensuite parce que d’autres États membres engagés dans cette « coopération renforcée », aux côtés de Paris et Berlin, semblent se poser, eux aussi, beaucoup de questions. C’est ce qu’a confirmé la réunion qui s’est tenue, mardi à Bruxelles, entre les 11 États membres volontaires : « Il y a eu plus de questions que de réponses, et souvent des questions très techniques. On ne peut pas dire qu’il y avait un enthousiasme énorme autour de la table... », raconte un diplomate d’un des États concernés.

« Les déclarations ambiguës, ça suffit. On a besoin d'action. Il faut un accord concret franco-allemand dès que possible, sur une assiette qui comprend les dérivés, et qui mentionne l'affectation d'une partie des recettes à la solidarité internationale », insiste Alexandre Naulot, d'Oxfam-France.

Autre obstacle : Londres a déposé un recours contre ce projet de « coopération renforcée » en avril 2013 devant la cour de justice de l’UE. Sans surprise, le gouvernement de David Cameron ne fait pas partie du dispositif à 11, mais il estime que, si cette taxe à 11 voit le jour, elle obligera les autres États membres à participer, malgré eux, à une partie de la collecte des fonds.

BOITE NOIREToutes les personnes que nous avons interrogées ces derniers jours ont souhaité rester anonymes. Le cabinet de Pierre Moscovici à Bercy, malgré plusieurs relances par mail et par téléphone, n'a pas donné suite à nos questions.

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Ukraine : l'Europe en son miroir tragique

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Le miroir fait d'abord baisser les yeux : pendant qu’on meurt à Kiev, on se prend le pouls à Bruxelles… Faut-il agir ? Comment agir et qui doit monter en ligne ?

Mercredi, Angela Merkel et François Hollande, « choqués par les images », avaient lancé l’idée de mesures de rétorsion contre les dirigeants ukrainiens. Ce jeudi matin, Jean-Marc Ayrault souhaitait que « des décisions fortes de sanctions graduelles soient prises ». En début d’après-midi, Mme Merkel téléphonait à Victor Ianoukovitch pour lui demander d’accepter une médiation, puis vers 16 heures le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, et ses homologues polonais et allemands quittaient le palais présidentiel pour rencontrer les leaders de l’opposition.

La suite dira si ces interventions suffiront à répondre à l’emballement, mais le premier miroir montre déjà, jusqu’à la caricature, une Europe sans diplomatie. Il existe en théorie une patronne pour la politique étrangère : elle s’appelle Catherine Ashton, elle est la femme politique la mieux payée du monde, environ 33 000 euros par mois, mais son rôle est de n’en avoir aucun et de se taire. Les États montent au créneau, avec des alliances à géométrie variable, en fonction des événements, ce qui prend un temps névralgique, et provoque des pourparlers sans fin. On assiste, dès que se déclare un incendie, à des colloques de pompiers. Ce que l’Europe peut contempler à Kiev, une fois encore, c’est sa propre impuissance.

Le deuxième miroir, peut-être encore plus consternant, c’est qu’à trois heures de Paris, et à quelques encablures d’une élection qui ne mobilise souvent que les eurosceptiques, on meurt là-bas au nom d’une violente envie d’Europe.

Même si la situation intérieure ukrainienne ne doit pas être caricaturée ni réduite à un tropisme occidental, même si l’opposition est travaillée par des courants nationalistes, c’est le renoncement à un accord d’association et de libre-échange entre « la petite Russie » et l’Union européenne qui a mis le feu aux poudres. Si ce peuple est descendu dans la rue, c’est parce que l’Europe représente à ses yeux des valeurs particulières, qui parlent de libertés et de démocratie.

Ces valeurs-là sont débattues chez nous par les europhiles, et par les europhobes, dès qu’une élection se présente. On entend les premiers se souvenir des fondateurs, comme si ce rappel à la mythologie allait réveiller la foi. José Bové, interrogé ce jeudi sur France Inter, disait ainsi sa lassitude devant les discours eurosceptiques, au moment où un peuple aspirait à  plus d’Europe. Dans une autre émission, sur BFM, Florian Philippot, le vice-président du Front national, qualifiait d’« idiotie » la simple idée de sanctions, et soutenait qu’on avait fait des « promesses inconsidérées » à l’Ukraine.

Débat franco-français à l’ombre des émeutes. Il nous renvoie naturellement aux clivages du fameux référendum de 2005. Dans la réalité, que sont devenues les espérances d’après-guerre ? L’Europe, telle qu’on la parle au quotidien, au vingt et unième siècle, se bat-elle pour les idées qui mobilisent les foules de Kiev, ou pour bâtir des troïkas qui imposent aux nations leur tutelle économique ?

Dimanche, dans Mediapart, l’historien Yaroslav Hrytsak, interrogé par Antoine Perraud, disait que « l’Ukraine défend des valeurs européennes, à l’heure où l’UE ne semble plus obéir qu’à des intérêts bureaucratiques ». Ainsi la deuxième face du miroir ukrainien rappelle-t-elle à l’Europe le rêve qu’elle caressait, et qu’elle a perdu en route.

La troisième face est le prolongement des deux premières. Elle parlera d’un sentiment de trahison doublement éprouvé.

Trahison forcément ressentie par les révoltés d’Ukraine, qui pouvaient escompter que l’Union européenne intervienne plus fermement sur le plan diplomatique, puisque son accord d’association, combattu par la Russie, était partie prenante du déclenchement des manifestations.

Mais trahison de l’Europe vis-à-vis de son projet, et de son identité. Une réflexion qui devrait la renvoyer à ses devoirs intérieurs, et à sa ligne diplomatique. Savoir ce qu’on est pour savoir se projeter. Comme le conclut Yaroslav Hrytsak dans l’entretien cité plus haut : « Les Européens doivent comprendre que l’Ukraine n’est pas un défi, voire un poids pour l’EU, mais un test décisif : serez-vous au rendez-vous des valeurs dont vous vous réclamez ? Vous semblez y échouer jusqu’à présent. Nous espérons que vous allez vous rattraper pour rejoindre votre idéal, plutôt que de vous arrêter à des réflexes de boutiquiers et de douaniers »

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Pape Diouf à "Objections" : «Le plus grand parti de Marseille, c'est celui des abstentionnistes»

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À Marseille, Pape Diouf paraît d’abord handicaper le candidat socialiste Patrick Mennucci, à qui il pourrait « emprunter » des voix au premier tour. Mais le bouillant candidat, qui a commencé sa vie professionnelle comme journaliste au quotidien La Marseillaise,récuse cette vision des choses.

« Le plus grand parti de Marseille, c’est celui des abstentionnistes », s’écrie-t-il en promettant de les mobiliser, surtout dans le secteur des quartiers Nord où il sera lui-même en lice.

Plutôt classé à gauche, Pape Diouf n’écarte rien pour le second tour. Ni sa qualification directe, à laquelle il jure de croire, ni de rejoindre Patrick Mennucci « s’il répond à (ses) questions »...

Et quand on lui demande si, au bout du compte, sa volonté de renouvellement n’aboutit pas à renforcer les pouvoir installés, celui de Jean-Claude Gaudin qui se présente pour un quatrième mandat, et celui de Jean-Noël Guérini qui s’accroche à son siège de président du Conseil Général, Pape Diouf s’indigne : « Ce n’est pas notre problème ! C’est aux Marseillais de choisir… »

Quant aux reproches sur son inexpérience de candidat de la société civile, Pape Diouf les balaie d’un revers de main, avec cette phrase en forme d’accusation : « Si l’inexpérience c’est le refus des petits arrangements entre amis, si c’est refuser la sophistication du clientélisme et de la corruption, alors nous nous présentons comme des gens inexpérimentés. » 

"Objections", le rendez-vous de Mediapart, était animé cette semaine par Louise Fessard et Hubert Huertas.

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Dans les basses-eaux du Front de gauche, Mélenchon « creuse le sillon tribunitien »

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« On marche sur un chemin de crête. » Dans le TGV qui le conduit à Montpellier, ce mercredi 19 février, Jean-Luc Mélenchon ne cache rien des difficultés du moment, mais affiche sa sérénité quant à l'avenir du Front de gauche en général, et du sien propre en particulier. Le soir même, pendant qu'il tient meeting dans l'Hérault, le comité départemental du PCF parisien a choisi de rendre les armes, à propos de l'utilisation du logo du Front de gauche par Anne Hidalgo (lire ici). Une querelle jugée jusqu'ici picrocholine et dérisoire par les communistes, mais qui s'est envenimée peu à peu, Mélenchon et les dirigeants du Parti de gauche (PG) ne lâchant pas l'affaire et en faisant une question « symbolique mais essentielle » pour la survie du cartel électoral de l'autre gauche.

Jean-Luc Mélenchon à la tribune du meeting de Montpellier, le 19 février 2014Jean-Luc Mélenchon à la tribune du meeting de Montpellier, le 19 février 2014 © S.A

« Le PG a donné à cette affaire une importance disproportionnée, et, pour tout dire, un peu irresponsable, a jugé le responsable du PCF Paris, Igor Zamichiei, lors d'une conférence de presse jeudi, au siège de la place du Colonel-Fabien. Nous voulons maintenant siffler la fin de la récréation. C’est un message à Jean-Luc Mélenchon : les prétextes, les diversions, c’est fini. » Pour l'ancien candidat du Front de gauche à la présidentielle, la satisfaction est grande : « L'enjeu du moment, c'était de se vacciner collectivement pour les régionales et les cantonales à venir. On ne peut plus enchaîner des scrutins réussis où on progresse et des élections à choix multiples. » Mélenchon estime avoir « sous-estimé la disparition de la centralité du pouvoir au PCF », n'imaginant pas que « les consultations locales faisaient à ce point la ligne ». Mais il se félicite malgré tout d'avoir imposé « le débat de la relation au PS partout dans les sections communistes, et les résultats ont été le plus souvent très serrés, dans un sens ou dans l'autre. C'est donc bien qu'il y a une discussion à trancher… »

Ces péripéties semblent pour lui un mal nécessaire, où il ne faut pas s'encombrer de sentiments. L'« affaire du whisky de Périgueux » – la mise à l'écart d'une tête de liste du PG pour avoir bu l'apéro avec l'ancien ministre gaulliste Yves Guéna entraînant une vague de départs de militants du PG en Aquitaine – est totalement assumée. S'il convient du bout des lèvres d'une éventuelle maladresse de langage initiale dans la réaction, il juge que « le déchaînement médiatique, sans aucune vérification ni recoupement de la réalité de la situation locale, a soudé le parti et conforté son autorité ». Fidèle à sa ligne – ce n'est pas le premier départ de cadres ou de militants, que Mélenchon appelle souvent « des grands blessés de la politique –, le Parti de gauche revendique toujours de se renforcer en s'épurant…

Pour le co-président du parti, « le moment est compliqué, mais les pions sont au bon endroit ». Pour les municipales, il espère « marquer un point quelque part ». Réaliser des bons scores à Paris, Toulouse ou Montpellier. Voire gagner Grenoble, où le PG fait alliance avec les écologistes et plusieurs collectifs citoyens, face à un PS allié avec le PCF, avec le soutien affirmé de Pierre Laurent, le secrétaire national communiste, qui a qualifié ce mercredi dans la cité iséroise, le choix des mélenchonistes de « grave erreur ».

La tension entre les deux principaux dirigeants du Front de gauche laisse des traces dans les équipes militantes locales. À Montpellier, où les communistes se sont rangés au côté du PG, mais où les élus PCF ont rejoint le PS, l'ambiance entre les militants est très tendue, selon plusieurs observateurs. Et le meeting du mercredi soir n'a pas fait salle pleine, loin de là, réunissant entre 800 et 900 personnes. Pas d'état d'âme pour autant, on annonce 1 500 personnes au micro et on fait comme si. Mais ils sont de plus en plus nombreux à s'inquiéter de la dynamique aux prochaines européennes, alors que la constitution des listes devraient encore être l'occasion de chicayas internes, et que le PG entend faire de la surenchère avec le PCF, estimant que ces derniers ne peuvent pas se passer de la force de frappe médiatique du « héraut de l'autre gauche ».

« Pour l'instant, il faut continuer à creuser le sillon tribunitien », dit Mélenchon. À Montpellier, il a fait rire l'assistance en grimant Pierre Gattaz en Harpagon attaché à sa cassette, traité Hollande de « benêt », ou attaqué vigoureusement Manuel Valls. À la fin, devant le moment de flottement qui s'installe, faute de musique, il reprend le micro. « Il faut que je fasse tout ici », lâche-t-il, avant d'entonner a capella une Internationale peu à peu reprise par le public. Porte-parole du PCF, Olivier Dartigolles, également au Zénith de Montpellier, estime que « dans la situation actuelle, il faut continuer à être unitaire et rassembleur plutôt que chroniqueur de la débâcle de la gauche, et poser les bases pour passer à autre chose ». Selon lui, « on n'a rien à gagner du chaos actuel : le Front de gauche est fort quand il offre une perspective positive ». On touche là à l'autre divergence profonde entre PG et PCF, qui n'a jamais été surmontée pour l'heure : comment construire l'alternative que tous appellent de leurs vœux ?

Pour Jean-Luc Mélenchon, ce débat devrait être tranché par les faits. « En ce moment, à gauche de Hollande, il y a ceux qui ont une stratégie et ceux qui n'en ont pas », note-t-il. Lui a la sienne, la révolution citoyenne prête à s'enclencher « dès que la chaîne craquera », observant que « la social-démocratie est en train de connaître sa chute du mur de Berlin, ça a commencé avec Papandréou en Grèce, ça continue avec la politique de l'offre de Hollande et le SPD qui fait alliance avec Merkel en Allemagne ». Il explique continuer à être très attentifs à approfondir les discussions avec le NPA et les proches d'Eva Joly.

Quand on lui fait remarquer combien il sont nombreux, au PCF comme chez les écologistes ou à la gauche du PS, à le définir comme « un obstacle », qui empêche toute convergence et structuration possibles chez les critiques de l'orientation actuelle du pouvoir, par ses anathèmes récurrents et la virulence de ses interventions, il rétorque, à l'aise : « Cela fait un an et demi que la démonstration est faite que ce rapprochement ne marche pas. On peut continuer à bavarder, à faire des goûters ou des colloques, il n'y a aucun débouché qui émerge. Tout le monde a un couteau sans lame et agite les bras en disant à Hollande : “Attention, on a un manche de couteau !”. »

Lui fait le pari de remobiliser son électorat de 2012 pour les européennes, estimant que si ces quatre millions d'électeurs revotent Front de gauche, au vu de l'abstention, qui promet d'être forte – notamment à gauche –, une première démonstration de « mise en mouvement » serait faite. Or, selon lui, cette re-mobilisation ne peut passer que par un discours de rupture. Le pari peut s'entendre, mais à l'heure actuelle, il est solitaire et ne suscite guère d'enthousiasme.

BOITE NOIREL'échange avec M. Mélenchon a eu lieu en face-à-face dans le TGV et a duré environ une heure.

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Scolarité des enfants d’immigrés : la mauvaise note de la France

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Le sujet est sensible. Politiquement inflammable. Ce qui explique, peut-être, que parmi les très riches enseignements de l’enquête PISA dévoilée en décembre – qui a consacré une fois de plus le système scolaire français comme l’un des plus inégalitaires de l’OCDE – la question de la moindre performance des élèves “issus de l’immigration” ait été si peu commentée.

Pourtant cet aspect de l'enquête mérite qu’on s’y arrête. Selon l’OCDE, « les élèves issus de l’immigration (première et deuxième générations – ndlr) accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones, soit presque l’équivalent d’une année d’études (contre 21 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE) », et ce à milieu social équivalent. Un chiffre en totale contradiction avec les statistiques officielles françaises qui ont montré avec constance depuis des années qu’à milieu social égal, les résultats scolaires des enfants issus de l’immigration étaient les mêmes, voire légèrement supérieurs à la moyenne.

Ainsi lorsque Claude Guéant, en pleine campagne électorale de 2012, avait affirmé que les enfants d’immigrés étaient responsables « pour deux tiers » de l’échec scolaire en France, les chercheurs n’avaient pas manqué de rappeler cette donnée essentielle. Expliquant cette sur-réussite par un plus fort investissement des familles immigrées à milieu social comparable, les spécialistes de la question balayaient ainsi l’idée d’une scolarité des enfants d’immigrés problématique en soi (lire notre article sur le sujet).

« On ne peut pas dire qu’il y a contradiction puisqu’on ne contrôle pas les mêmes choses et que la méthodologie suivie n’est pas du tout la même, prévient la directrice de la DEPP, Catherine Moisan, qui a supervisé l’enquête de l’OCDE en France. PISA est une photographie des performances à 15 ans, les enquêtes en question (les enquêtes françaises – ndlr) portent, elles, sur des trajectoires scolaires et les niveaux de diplôme. » Contrairement à une aptitude à résoudre un problème de maths à un instant donné – ce que mesure PISA –, le niveau de diplôme atteint – ce que mesurent les études françaises – est en effet le résultat de quantité de facteurs : l’ambition des familles, les choix d’orientation, l’environnement scolaire, etc.

Or que sait-on des parcours scolaires des enfants de la deuxième génération ? Ont-ils les mêmes chances, les mêmes opportunités de réussir ? Ont-ils les mêmes ambitions que la population majoritaire ?

Alors que ces questions sont politiquement fondamentales, la recherche publique paraît paradoxalement encore balbutiante. Les écueils sont effectivement nombreux. Interroger le fonctionnement de l’école, c’est mettre en doute le mythe républicain auquel les acteurs de l’institution sont très attachés puisque l’école serait intrinsèquement indifférente à l’origine. Questionner les publics, ces élèves et ces familles immigrées, c’est aussi prendre le risque d’ethniciser, d’essentialiser des capacités scolaires... Rédhibitoire.

Pour complexes qu’elles soient, ces questions méritent pourtant d’être posées. Non seulement parce que – l’enquête PISA le montre – il y a un échec plus important chez ces élèves que l’origine sociale ne suffit pas à expliquer, mais aussi parce que le sentiment d’injustice ou de discrimination au sein de l’école des élèves issus de l’immigration s’exprime de plus en plus fortement.

L’enquête Trajectoires et origines, menée conjointement par l’INED et l’INSEE, constitue à cet égard une nouveauté. Établie sur une solide base statistique (22 000 répondants), elle fournit des informations sur les parcours scolaires au sein des immigrations récentes d’Afrique subsaharienne, de Turquie et d’Asie du Sud-Est, encore peu étudiées, et permet des comparaisons avec des immigrations plus anciennes comme celle du Maghreb.

Dans un article à paraître de la Revue économie et statistique de l’INSEE, les chercheurs Yaël Brinbaum et Jean-Claude Primon décrivent ainsi, au-delà des tendances générales connues dans la population, des élèves issus de l'immigration (plus de sorties scolaires sans diplôme, plus d’orientations en voie professionnelle, plus de redoublements), des parcours scolaires très contrastés selon l’origine de ces élèves.

Dans l’accès à l’enseignement supérieur, les écarts sont par exemple beaucoup plus grands entre descendants d’immigrés de différents endroits du globe (entre ceux originaires de Turquie ou d’Asie du Sud-Est, pour prendre deux extrémités) qu’entre descendants d’immigrés et population majoritaire. L’enquête confirme que « les écarts scolaires à la population majoritaire disparaissent presque tous avec la prise en compte de l’environnement social et familial », sauf pour deux groupes : chez les descendants turcs, la probabilité d’être non diplômé ou de ne pas être bachelier reste toujours plus forte que dans la population majoritaire, de même que chez les descendants d’Afrique guinéenne et centrale (Cameroun, RDC, Côte d’Ivoire…).

Des chiffres, évidemment, qu’il conviendrait d’expliciter et qui ne suffisent pas à comprendre l'écart observé par PISA. « Il est aussi important de combiner sexe et origine – ce que PISA ne fait pas », souligne Yaël Brinbaum qui a présenté lors d’un récent colloque ces résultats. Dans l’enseignement professionnel, les garçons originaires d’Afrique guinéenne ou centrale sont deux fois plus nombreux que les filles de la même origine. Autre exemple : partout, les filles descendantes d’immigrés réussissent beaucoup mieux que les garçons, à l’exception des jeunes filles turques.

Pour la première fois, une enquête statistique solide a aussi mesuré le sentiment d’avoir été ou non discriminé dans son parcours scolaire. Une question encore taboue il y a quelques années. À la question : « Personnellement, avez-vous le sentiment d’avoir été traité différemment des autres élèves : lors des décisions d’orientation ? dans la notation ? dans la discipline et les sanctions ? dans la façon de s’adresser à vous ? », 21 % des enfants d'immigrés répondent positivement à l'une de ces questions, le palier de l’orientation arrivant en tête des injustices ressenties.

Ce que révèle aussi cette enquête, c’est que le sentiment de subir des discriminations n’est pas également réparti chez les élèves issus de l’immigration. Le sentiment d’injustice s’élève à 30 % chez les descendants d’immigrés nord-africains, à 33 % parmi les descendants d’immigrés subsahariens et à 31 % chez ceux de Turquie, c’est-à-dire parmi les catégories d’élèves où les non-diplômés sont les plus nombreux. « À l’opposé, l’expérience d’injustices scolaires est peu rapportée par les descendants de l’immigration d’Asie du Sud-Est (14 %), qui réussissent plutôt bien », note Yaël Brinbaum.

« Il est intéressant que la discrimination comme sentiment subjectif soit entendue, mais il me semble que le lien avec une discrimination réelle et objective n’est pas encore suffisamment travaillé », assure de son côté le chercheur Fabrice Dhume, coauteur du récent rapport sur l’intégration qui a défrayé la chronique ainsi que de nombreux ouvrages sur la question des discriminations. « Ce que mes travaux montrent, c’est que ce sentiment s’exprime parfois à des moments où il n’y a pas objectivement de discrimination, mais qu’il dit souvent une discrimination qui a pu avoir lieu des années auparavant, lors d’un redoublement en primaire par exemple », précise-t-il. Pour lui, la recherche doit donc aussi mettre en lumière les mécanismes propres au fonctionnement de l’école, qui peuvent aboutir à des discriminations objectives. Et, à cet égard, beaucoup reste encore à faire.

Revenons à l'enquête PISA. La dernière mouture souligne que les résultats des élèves issus de l’immigration sont, en France, quel que soit le milieu social, bien inférieurs à ce qu’ils sont dans d’autres pays. En mathématiques, la matière majoritaire cette année dans les tests, sous le niveau 2 (niveau basique qui exclut pratiquement de poursuivre l’école au-delà de la scolarité obligatoire), ils sont par exemple 16 % issus de l’immigration au Canada ou en Australie, contre 43 % en France. Des données qui interrogent évidemment le système scolaire français.

Si la recherche a depuis des années décrit l’effet de l’environnement scolaire, la ghettoïsation des établissements liée à la ségrégation urbaine, une offre scolaire – options, filières professionnelles très inégales sur le territoire – dont pâtissent plus particulièrement les enfants issus de l’immigration, elle a encore peu travaillé à l’échelle des établissements et des pratiques enseignantes.

L’expérimentation dite de « recherche-action », lancée en 2009 dans plusieurs établissements scolaires de Grenoble sous la houlette de Fabrice Dhume, reste en la matière une exception (lire ici notre article). Dans ces collèges et lycées, enseignants, CPE et éducateurs volontaires ont accepté de passer au crible leurs pratiques pour identifier d’éventuels mécanismes de discrimination. Comment notent-ils ? Qui sanctionnent-ils et en quels termes ? Comment sont orientés les élèves ? Des questions que la recherche s’est déjà posées sur la manière dont filles et garçons pouvaient être traités différemment à l’école (voir ici), mais qu’elle a encore beaucoup de mal à se poser pour les « minorités visibles ».

Reste que, de l’avis de ceux qui y ont participé, cette recherche a déjà contribué à infléchir leurs pratiques, par le simple fait de les avoir, parfois pour la première fois, réellement interrogées.

Prochainement, deuxième volet de cette enquête : Ce qu'en disent les acteurs de l'école.

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A l'Epide de Compiègne, envoyer des courriels racistes et pornos vaut un simple avertissement

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Créé en 2005, l'Établissement public d’insertion de la défense (Épide) parie sur un encadrement dispensé par d'anciens militaires pour réinsérer des jeunes sans diplôme ni emploi, et en grande difficulté sociale. Ancien contractuel d'un de ces centres de la « dernière chance », Laurent Létoffé, 40 ans, ne cache pas sa colère. Le 10 juin 2013, après deux contrats de trois ans au centre Épide de Compiègne (Oise), son contrat n'a pas été renouvelé, pour insuffisance professionnelle et « attitude incompatible avec les missions de l’Épide ». Au bout de six ans, la plupart des contractuels sont habituellement embauchés en CDI. « Sauf cas particulier », rappelle son ex-directeur, Éric Nicaise, lieutenant-colonel à la retraite, qui reproche à Laurent Létoffé, notamment, des propos « graveleux » envers ses collègues féminines et une attitude menaçante. Des faits contestés par Laurent Létoffé devant le tribunal administratif.

Or, l’ex-salarié avait précisément alerté quelques mois auparavant la direction nationale de l’Épide sur l’envoi depuis sa messagerie professionnelle par le directeur adjoint du centre de Compiègne, Auguste Bernard, de courriels avec des pièces jointes à caractère raciste, pornographique et sexiste. Ce dernier, également lieutenant-colonel retraité, est, lui, toujours en poste. Joint par téléphone, Auguste Bernard nie avoir envoyé les messages les plus compromettants et dit avoir reçu un simple avertissement suite à une enquête administrative menée par la direction générale de l'Épide.

Mediapart a pu consulter et authentifier la soixantaine de courriels concernés, tous envoyés depuis l’adresse professionnelle d'Auguste Bernard entre juin 2010 et mars 2011, pendant les heures de travail. Parmi les destinataires figurent des adresses extérieures à l’Épide mais aussi quelques subordonnés, dont le responsable du « service  courant », M. C., sur la messagerie duquel ces courriels auraient été découverts. « Son ordinateur était branché en permanence, une dizaine de moniteurs pouvaient accéder à sa messagerie, explique Laurent Létoffé. Un jour, en 2011, deux moniteurs sont venus me voir en me disant : “Voilà ce qu’on a trouvé sur sa messagerie.” » 

Au milieu de quelques diaporamas anodins du style « Perles du bac » ou « Paysages de la baie de Somme », Auguste Bernard a relayé auprès de ses subordonnés des photos érotiques (calendriers Playboy, calendrier Marc Dorcel, « calendrier de l’Avent XXX », etc.) voire pornographiques (calendrier « recette des moules belges », « Fête de la moule », vidéo d’une bonne sœur faisant du vélo sur un godemiché, de femmes malmenant des pénis, etc.). Avec un net penchant pour les images dégradantes pour les femmes. Un diaporama montre des femmes obèses en lingerie fine, un autre intitulé « d'où vient le Nesquik » détaille l’anatomie d’une femme noire aux seins hypertrophiés, photographiée comme une bête de foire, ou encore une femme urinant en pleine rue, le sexe à l’air, devant son chien. Une vidéo, élégamment intitulée « Auras-tu les couilles de regarder jusqu’au bout ? » est, elle, consacrée à une scène de mutilation génitale chez deux hommes.

Dans ce lot, quelques diaporamas ont un caractère clairement raciste. L’un d’eux, intitulé « Le jeune des banlieues françaises », égrène une succession de préjugés racistes. Sur fond de musique arabe, on voit défiler de « bons » Français qui questionnent un jeune Maghrébin : « Tu te considères français quand ? » « Quand je touche les allocs, le RMI et toutes les aides que votre putain de pays me donne », répond le jeune. Le reste est à l’avenant : les jeunes des banlieues « jettent des pierres sur les policiers en patrouille », « cassent tout dans les manifs », « sifflent la Marseillaise », « niquent nos jeunes Françaises », « veulent que du halal dans les cantines », « mettent le bordel là où ils habitent », font des enfants « pour les allocs et construire une maison au bled », etc. Un diaporama, envoyé mardi 30 novembre 2010 à 9 h 14 avec pour unique commentaire d’Auguste Bernard : « À méditer !!! »


Extrait du diaporamaExtrait du diaporama
Capture d'écran d'un des courriels (nous avons blanchi les autres adresses)Capture d'écran d'un des courriels (nous avons blanchi les autres adresses)

Dans un style un peu différent, un courriel intitulé « Allez hop c’est vendredi, tous à la mosquée ! » montre des jeunes femmes nues sur des tapis de gymnastique, en position de prière, avec le sexe bien visible. « Eh oui, vous aussi vous allez vous convertir… », conclut le message envoyé le lundi 17 janvier 2011, à 11 h 19. Un autre diaporama, intitulé « Vous avez dit Roms », en fait consacré à la Roumanie, enchaîne les images d’un pays présenté comme rétrograde : bâtiments décrépis, voitures tractées par des chevaux, un homme déféquant sur la chaussée, un couple faisant l’amour dans une voiture sous les yeux d’un enfant. Conclusion du diaporama envoyé le jeudi 14 octobre 2010, à 8 h 28 ? « La Roumanie est bien dans la CEE (sic) ».

Un autre courriel contient un diaporama de photographies en couleurs de Hitler et de son entourage, réalisées par un photographe nazi, Hugo Jaeger, et publiées pour la première fois par le magazine américain Life dans les années 1970. Les photographies, envoyées à deux salariés de l’Épide, ont un intérêt historique et documentaire évident : « History you don’t get to see often », indique d’ailleurs la première diapositive. Faut-il y voir également une sympathie idéologique ? Impossible de le savoir. Questionné à ce sujet, Auguste Bernard botte en touche. « Il n’y a jamais eu de photos du Troisième Reich, aucun fichier n’a été retrouvé lors de l’enquête administrative ! » dément-il.

Le directeur adjoint du centre reconnaît avoir envoyé certains courriels – « des blagounettes qu’on avait quand on partait en opérations extérieures » –, mais nie les plus compromettants (les gros plans de sexe, les diaporamas racistes, etc.). « J’ai transféré sur le mail des liens privés, sur Youtube, sur des sites, mais ils ont vérifié le disque dur de mon ordinateur, ils n’ont retrouvé aucun fichier », indique Auguste Bernard. Ce n’est d'ailleurs pas le contenu des courriels qui a été sanctionné par l'Épide, mais simplement le fait qu’il utilisait « le réseau de travail pour (s)on usage personnel ».

« Les comptes-rendus des cadres lors de l'enquête administrative montrent qu'il y a eu des échanges avec des liens sur des diaporamas à caractère grivois, mais rien à caractère raciste, antisémite ou faisant l'apologie du Troisième Reich, confirme Éric Nicaise, directeur du centre de Compiègne. On n'a pas retrouvé trace de quoi que ce soit dans les mémoires des ordinateurs. » Lorsque Mediapart évoque les courriels décrits plus haut, Éric Nicaise dit ne les avoir jamais vus, de même que le siège. « J'ai demandé au siège de me montrer ces mails, s'ils existaient, mais ils m'ont répondu ne pas les avoir vus et je n'ai pas réussi à mettre la main sur un seul des messages », explique-t-il. Interrogé plus avant, pour savoir notamment si les deux personnes dépêchées par le siège ont fouillé les serveurs de mails ou bien uniquement les ordinateurs, Éric Nicaise dit ne pas savoir et renvoie vers le siège. Ce dernier refuse de nous répondre. Éric Nicaise, lui, indique : « J'ai demandé à l'informaticien ce matin, on a changé de serveurs il y a deux ans, on a perdu beaucoup d'infos à ce moment là. » Avant donc que l'enquête administrative ne soit menée...

Laurent Létoffé assure de son côté avoir alerté une première fois par oral, en 2011, l’ex-directrice des ressources humaines de l’Épide, partie depuis. « Elle m’a dit qu’elle s’en occuperait, mais il ne s’est rien passé », affirme-t-il. Nous n’avons pas pu vérifier ce point. Mais, selon nos informations, depuis le 25 mars 2013, Charles de Batz de Trenquelléon, le directeur général de l'Épide, ne pouvait ignorer l'existence et le contenu de ces courriels. Alors en conflit avec son directeur de centre qui, dès fin 2012, lui avait indiqué qu’il ne souhaitait pas le garder à l’issue de son deuxième contrat (normalement suivi d’un CDI), Laurent Létoffé avait rendez-vous ce jour-là avec le directeur général au siège, à Malakoff. Pour tenter de sauver son emploi. Selon nos informations, le référent a montré une dizaine de ces courriels à l'une des collaboratrices de Charles de Batz, avant de proposer au directeur de lui remettre les fichiers. « Mais on attendait qu'il nous les demande, et il n’a jamais rien demandé », assure Laurent Létoffé. 

En désespoir de cause, le salarié a informé le directeur général de l’Épide, dans un courrier du 31 mai 2013, de son intention de divulguer ces mails auprès des ministères de tutelle de l’Épide ainsi que de plusieurs journaux (dont Mediapart). La réponse de l’Épide est confuse. Tout en menaçant Laurent Létoffé de « poursuites pénales » en cas de « publications d’allégations diffamatoires ou de preuves obtenues en violation du secret des correspondances privées », Charles de Batz l’accuse de n’apporter « aucune preuve ». Pour finir par indiquer avoir « pris la mesure des faits » et avoir « d’ores et déjà » diligenté une enquête administrative. Qui aurait donc abouti à… un simple avertissement !

Contactée le 6 février 2014, la direction générale de l’Épide n’a pas donné suite. « M. Charles de Batz ne souhaite pas vous parler, il n’y aura pas d’entretien », a fini par nous répondre le service de communication le 13 février, après plusieurs relances.

Fils d’artisan, « autodidacte », « catholique » et « père de trois jeunes enfants », Laurent Létoffé n’en revient pas. « Nous sommes missionnés par l’État pour donner un coup de main à des jeunes à la dérive, sortis des quartiers difficiles, souvent issus de l’immigration, avec des contextes familiaux très compliqués, s’indigne le réserviste. Nous sommes censés leur apprendre les bases des codes sociaux. Et on se retrouve avec des anciens lieutenants-colonels qui s’amusent à faire circuler des trucs racistes et pornos sur leur messagerie professionnelle, tout en sanctionnant des gens parce qu’ils ne seraient pas “dans l’esprit Épide”. Je trouve ça scandaleux de recevoir des leçons de gens comme ça, qui sont payés sur de l’argent public en plus de leur retraite. »

Sur son travail à l'Épide, les versions divergent. Embauché en 2007 comme simple moniteur, Laurent Létoffé avait été promu un an plus tard chef de section-référent, avec une trentaine de jeunes sous sa supervision, du fait de « ses belles qualités humaines et professionnelles », a attesté son ancien directeur de centre, Denis Prebolin. « J’ai travaillé pendant 26 mois comme référent de section sans en avoir le salaire, mais ce n’était pas grave : on ne rentre pas à l’Épide par hasard », précise Laurent Létoffé. Selon le chef de section, ses ennuis ont commencé en juin 2010 avec l’arrivée du nouveau directeur du centre de Compiègne. Dès juillet 2010, Éric Nicaise remet en question sa possible titularisation en indiquant dans son évaluation qu’il « doit accepter de se remettre en question très rapidement s’il ne veut pas compromettre son parcours au sein de l’Épide ». Le message est clair.

Jusqu'ici considéré comme un « excellent moniteur, franc et loyal (…) parmi les meilleurs » (évaluation de 2009), Laurent Létoffé voit ses évaluations s'effondrer. « Il a été amené à remplacer un référent par intérim et a été confirmé sur ce poste contre mon avis, ça a été une catastrophe, explique de son côté Éric Nicaise. Sa section avait un taux d'insertion de 20 %, alors que les autres tournaient à 50 %. » Comment expliquer alors ce courriel envoyé le 15 octobre 2012 par Laurent Létoffé à son équipe, et à son directeur en copie, pour la féliciter des bons résultats obtenus avec 51,22 % de sorties positives (jeunes quittant le centre avec un contrat de travail ou une formation rémunérée) ? Sans démentir ce mail, Éric Nicaise avance de son côté d'autres chiffres, mais qu'il ne souhaite pas voir publiés pour des raisons de « secret professionnel ».

Désigné délégué syndical le 29 février 2012, Laurent Létoffé est convoqué dès le lendemain par Éric Nicaise pour « dérapages verbaux ». « Je suis représentant syndical CGC, donc il ne faut pas me la faire, le dialogue syndical, je sais ce que c'est ! » proteste Éric Nicaise. Le 19 mars 2012, l’avertissement tombe, justifié après coup par l’Épide sur la base de témoignages de salariés datés des 20 mars 2012 et 20 avril 2012… Plusieurs salariées se plaignent des « commentaires graveleux » de Laurent Létoffé. D'autres agents se seraient dits inquiets du couteau pliable qu'il avait en permanence dans sa poche. « Il était source de troubles graves auprès d'autres cadres, notamment féminins, certains personnels se sentaient même menacés, et il a eu des comportements inadaptés envers les volontaires », affirme Éric Nicaise. Selon qui, « la procédure de non-renouvellement est extrêmement contrôlée par le siège, avec un dossier très étayé, et ce pour éviter tout arbitraire ».

Suivi pour une dépression, Laurent Létoffé a contesté la sanction de mars 2012 devant le tribunal administratif d'Amiens. Il a également demandé à être réintégré. Le 28 mai 2013, le juge des référés, saisi en urgence, a refusé de suspendre la décision de non-renouvellement de son contrat. Mais la justice n'a pas encore tranché sur le fond. « Le concept de l’Épide, à la base, est excellent, mais il y a eu des dérives au niveau de la direction, regrette-t-il. Et vu les jeunes que nous accueillons, qui ont souvent vécu des choses très difficiles, il faut un encadrement irréprochable. »

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L'hôtel Martinez et l'État gangster

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Par-delà le petit sensationnel cannois – la vie des puissants de ce monde agglutinés sur la Côte d’Azur à saison fixe –, les incroyables péripéties de l’hôtel Martinez dévoilent les pratiques rapaces, obliques et mafieuses de l’État partial en France.

Emmanuel Martinez (1882-1973), natif de Palerme, devine les besoins de la haute, au lendemain du premier conflit mondial : se dégourdir les jambes sur la planète (soit une demi-douzaine de villes distinguées de l’hémisphère nord), à condition de dîner, dormir – et plus si affinité – dans des cocons seyants, des palaces valorisants. À Londres, Paris (le Carlton ou le Westminster), Nice (le Ruhl entre autres) et Cannes, M. Martinez dirige des établissements prisés par une clientèle choisie. Celle-ci aura son port d’attache, son nid, son biotope, attachés au nom de cet Italien cosmopolite, polyglotte, entreprenant et bâtisseur : le Martinez, inauguré à Cannes le 20 février 1929. Dix années follement luxueuses s’ensuivent, du krach de Wall Street à la Seconde Guerre mondiale. Emmanuel Martinez tangue (il s’endette auprès de la Foncière du Nord) mais ne coule pas.

L’occupation nazie est une autre paire de manches. La France est saignée aux quatre veines par son vainqueur, selon un plan diabolique de vampirisme concocté par le régime hitlérien. Celui-ci a besoin de relais, se goinfrant au passage, mais fournissant et enrichissant l’oppresseur allemand avec fiabilité. Parmi ces trafiquants et profiteurs de guerre, outre Joseph Joanovici, un personnage se détache, tant il amasse : Mendel (dit Michel) Szkolnikoff, auquel Pierre Abramovici vient de consacrer une étude foisonnante.

Szkolnikoff approvisionne la Kriegsmarine, puis la SS, en draps et tissus, sans oublier parfums, vins, fromages, etc. Mais la passion dévorante de Szkolnikoff, c’est l’immobilier. Il se gorge d’immeubles dans le quartier des Champs-Élysées à Paris. Surtout, fort de ses appuis monégasques (il devient résident du Rocher sur lequel règne le prince hitlérophile Louis II), le carambouilleur notoire part à l’assaut de l’hôtellerie des environs. Szkolnikoff met la main sur le Louvre et le Windsor à Monaco, le Plaza et le Ruhl à Nice, ou encore le Majestic à Cannes. Cette spoliation – au nom de ses intérêts propres ou de ceux de Göring – était facilitée par l’appropriation de la Foncière du Nord, qui “tenait” ces palaces endettés.

Et c’est alors qu’Emmanuel Martinez, en grande difficulté avec son joyau Art déco de Cannes en partie réquisitionné, sur les conseils de son fidèle factotum, Marius Bertagna, entre en contact avec Szkolnikoff en juin 1943. L’ogre du marché noir propose un pacte à l’aubergiste criblé de dettes : reprise des créances contre une partie du capital de l’hôtel Martinez.

Après la Libération, Szkolnikoff, en fuite en Espagne, aurait été abattu, en juin 1945, dans des conditions aussi suspectes que rocambolesques. Quant à Emmanuel Martinez, il se réfugie en Italie. La Cour de justice de Grasse le condamne par contumace à vingt ans de travaux forcés le 8 mai 1945, pour « faits de collaboration avec l’ennemi ». Et son hôtel est mis sous séquestre par l’État au nom de la confiscation des profits illicites. En juillet 1945, Martinez est déclaré “solidaire” des obligations pécuniaires infligées à Szkolnikoff, dans la mesure où il lui avait « apparemment » cédé ses actions.

Tout n’est cependant pas si simple. En 1949, un arrêt définitif de la Cour de justice de Lyon prononce l’acquittement d’Emmanuel Martinez : « Il résulte que l’accusé ne s’est pas rendu coupable du crime de relations avec l’ennemi. »

Que s’est-il passé ? Son bras droit, Marius Bertagna, s’est transformé en accusateur implacable. Bertagna s’avère d’une parfaite duplicité. Au service de Martinez, il était cependant, à l’insu de celui-ci, un agent rétribué de Szkolnikoff durant l’Occupation. À la Libération, pour se dédouaner, il charge de tous les maux son patron réfugié en Italie, décrit comme un allié du profiteur de guerre caché en Espagne. Marius Bertagna parvient non seulement à se blanchir en noircissant autrui, mais l’État le bombarde aussitôt à la tête de l’hôtel Martinez sous séquestre, pour faire tourner l’affaire. Trente ans durant, jusqu’en 1974, Marius Bertagna demeurera directeur du Martinez. La dénonciation calomnieuse paie…

Contrairement aux dires de Bertagna pris pour argent comptant à la Libération (où, dans la précipitation générale, ceux qui enquêtent poursuivent puis jugent à la fois !), Martinez n’a jamais vendu ses actions à Szkolnikoff en juin 1943. Il les a laissées en gage, contre un emprunt (d’un peu plus de 19 millions de francs), remboursé deux mois plus tard, le 28 août 1943, contre restitution des titres. Cela n’avait été qu’un dépôt, une caution.

On en arrive à cette aberration insane : Martinez paie pour Szkolnikoff, auquel rien ne le liait donc. Il est pourtant déclaré “solidaire” de l’escroc suppôt des nazis. On en arrive également à ce déni de justice extravagant : les biens de Szkolnikoff – et, partant, de Martinez – sont déclarés séquestrés en juillet 1945, un mois après la mort du larron en Espagne. Or il est illégal de saisir un mort ! Et il n’est pas conforme de condamner (Emmanuel Martinez en l’occurrence) par solidarité avec un mort…

Qu’à cela ne tienne, l’actif et les bénéfices de l’hôtel Martinez serviront à payer l’amende fiscale faramineuse, 3,9 milliards de francs, infligée à Emmanuel Martinez ; avec un intérêt moratoire de 1 % par mois – créant une “dette perpétuelle”, nous y reviendrons.

Vente, après-guerre, d'immeubles confisqués (“séquestre de profits illicites”) dont s'était emparé Szkolnikoff...Vente, après-guerre, d'immeubles confisqués (“séquestre de profits illicites”) dont s'était emparé Szkolnikoff...

La confiscation des profits illicites (ordonnance d’octobre 1944) obéissait à des principes incontestables : « La plus élémentaire justice fiscale exige que soient reversés au Trésor Public tous les gains qui ont été rendus possibles par la présence de l’ennemi. Alors que la Nation s’appauvrissait, il est inadmissible que certains se soient enrichis à ses dépens. » En revanche, son application se révèle on ne peut plus désastreuse.

La confiscation des biens de Szkolnikoff – le séquestre en langage judiciaire – ne comportait pas la pièce essentielle à la fortune du trafiquant : les sociétés du textile sous son contrôle. Le pouvoir gaulliste ne voulait surtout pas nationaliser ce secteur, dont profiteront – en tout bien tout honneur ! – quelques capitaines d’industrie des Trente Glorieuses, dont Marcel Boussac. Mais c’est une autre affaire, qui devrait rebondir en son temps…

Sur quelle bête se paie alors l’État ? L’hôtellerie de luxe amassée par Szkolnikoff. Toutefois, divers groupes de pression s’en mêlent, proclamant que de tels fleurons du tourisme français et de tels réservoirs de main d’œuvre qualifiée, ne sauraient tomber dans des escarcelles étrangères, forcément à l’affût. Si bien qu’une loi de 1948 autorise le mode d’exploitation des hôtels sous séquestre par l’administration des Domaines – direction du ministère de l’économie, qui a pour tâche de réguler et d’arbitrer en matière de patrimoine public. L’État, quand bon lui semble, car tel est son bon plaisir, confisque arbitrairement, gère dans l’illégalité, adjuge sans aucun contrôle.

Les cessions se feront au compte-gouttes. Le Plaza et l’Hôtel de France, à Nice, sont vendus en 1949, tandis que le Majestic de Cannes donne lieu à une transaction en 1952. L’Hôtel de Paris, dans la capitale, est écoulé en 1954. Le Ruhl, à Nice, finit par sortir du giron des Domaines au milieu des années 1960. Le Martinez, quant à lui, demeure dans les jupons de la République…

Suzanne, la fille d'Emmanuel Martinez, épouse un agent des services britanniques, Thomas Kenny, en 1941...Suzanne, la fille d'Emmanuel Martinez, épouse un agent des services britanniques, Thomas Kenny, en 1941...

Et ce malgré les recours entamés par Emmanuel Martinez, dès l’arrêt définitif de 1949 à Lyon. Des témoignages rappellent alors comment il avait sauvé des juifs traqués ou des résistants emprisonnés. Sa propre fille n’a-t-elle pas épousé, pendant l’occupation, Thomas Kenny, un Anglo-Canadien travaillant pour un réseau britannique organisant des exfiltrations d’agents à Marseille ? Ému et confiant lors de sa relaxe, Emmanuel Martinez, comme le rapporte à l'époque un article du Progrès, pleure en s’époumonant : « Vive la France ! » Il part ensuite à Cannes, pour récupérer son hôtel, mais se fait éjecter par le directeur qui gère les lieux au nom de l’État français, son fidèle second d’avant-guerre, Marius Bertagna, éternel Iago !

Emmanuel Martinez, jusqu’à sa mort près de vingt-cinq ans plus tard, en 1973, se lance dans un safari judiciaire aux allures de calvaire. Pas une année sans une procédure en révision pour “faits nouveaux”, avec son lot d’avis, de mémoire, de recours, de rapport, de décision, de réponse, d’ordonnance, d’arrêt et de décret (ici, un tableau récapitulatif impressionnant). Le vieil Italien, désormais sans le sou, se heurtera toujours à une raison d’État, par définition rogue et insensible, dont rendent compte les mètres linéaires de documents d’archives accumulés depuis lors.

Le ton est donné par cette ordonnance du tribunal civil de Grasse (2 mars 1949), qui autorise l’administration des Domaines à poursuivre l’exploitation de l’hôtel Martinez « comme elle l’a fait en bon droit jusqu’à ce jour dans un intérêt d’ordre public ». Une formule est martelée deux pages durant, qui vaut sésame : « Dans un but d’intérêt national. » L’impudence va même jusqu’à faire écrire au président du tribunal, Valeton, censé dire le droit mais le balayant d’un revers de manche : « Attendu que si l’autorisation ainsi prévue n’a pas été sollicitée pour l’exploitation de l’hôtel Martinez dès le retour à son fonctionnement normal, c’est par suite d’un oubli matériel. » L’État, par le truchement des Domaines, a tous les droits : circulez, il n’y a rien à contester !

Emmanuel Martinez se défend comme un beau diable : « Le chiffre représentant notre solidarité dépasse toute imagination. Des dizaines de générations ne pourraient pas se libérer d’une telle dette. La décision à notre encontre est d’une rigueur exceptionnelle. » (Mémoire déposé devant le comité de confiscation de la Seine du 30 décembre 1952.) Les travaux des historiens de la collaboration économique ont, depuis, démontré que pour le poisson Martinez pris, à tort, dans les rets d’une prétendue justice, combien d’énormes intérêts ont échappé à toute sanction – Rhône-Poulenc, le Crédit Lyonnais, la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas) et tant d’autres, qui avaient créé des sociétés mixtes avec des groupes nazis, ne furent inquiétés, pas plus que le fasciste français Eugène Schuller, patron de L’Oréal, et tutti quanti !

Dans ce même mémoire de 1952, Emmanuel Martinez relève que la confiscation dont il s’estime victime repose sur l’audition de son traître, Marius Bertagna, qui avait donc certifié que les actions de son hôtel éponyme avait été cédé par Martinez à Skolnikoff : « Or nous apportons la preuve irréfutable que nous sommes toujours en possession des titres dont il s’agit. »

Il faudra attendre le 30 avril 1974, un an après la mort d’Emmanuel Martinez, à 91 ans, pour que la Cour de cassation reconnaisse que la preuve de la pseudo vente de son hôtel à Szkolnikoff n’a jamais été apportée, rendant ainsi caduque la condamnation de 1945.

Pire – et qui prouve la duplicité de l’État : le 22 août 1963, la direction des Domaines, qui chargeait donc Martinez de tous les péchés de collaboration, écrivait à une nièce du trafiquant Szkolnikoff l’informant de la fortune amassée par son oncle au moment de la confiscation de 1945 : « Les actions des hôtels Ruhl et Martinez ne sont pas comprises dans les valeurs de l’hérédité restant à aliéner au motif que M. Szkolnikoff ne détenait, d’après les documents sociaux, aucune participation dans les entreprises propriétaires de ses établissements. Aussi bien la liquidation de ces actions n’intéresse-t-elle pas le patrimoine du decujus. » Autrement dit, l’État impute un lien d’affaires entre Szkolnikoff et Martinez pour dépouiller celui-ci. Mais dès lors qu’une héritière de Szkolnikoff pointe le nez, l’État nie ce même lien !

Emmanuel Martinez, à droite, au temps de sa splendeur d'avant-guerre. À gauche, sa maîtresse, Emma Digard (1890-1977).Emmanuel Martinez, à droite, au temps de sa splendeur d'avant-guerre. À gauche, sa maîtresse, Emma Digard (1890-1977).

L'administration semble s’être acharnée sur Martinez et ses héritiers. Toutes les sociétés et personnes physiques condamnées solidairement avec Szkolnikoff à la Libération ont bénéficié ensuite de mesures de mainlevée, à la seule exception du séquestre d’Emmanuel Martinez (et de la société fermière de l’hôtel Martinez). C’est une façon de camoufler jusqu’au bout des comptes hétérodoxes.

Le Léviathan et ses fonctionnaires d’autorité ont plus d’une turpitude dans leur sac. L’intendance des séquestres – aucun compte de gestion du Martinez ne fut jamais déposé par les Domaines ! – s’avère inconsciente ou sciemment désastreuse : les sommes que rapportent les ventes ou l’exploitation des hôtels mettent des années (quatre versements en 35 ans !) à remonter de la Côte d’Azur à la Trésorerie du XVIe arrondissement de Paris (censée recouvrer la dette), si bien que des intérêts de retards faramineux sont imputés, mécaniquement, à Emmanuel Martinez puis à ses héritiers, pour atteindre aujourd’hui 23 millions d’euros et former une “dette perpétuelle”. Vingt-sept ans durant, pas un centime résultant de l’exploitation de l’hôtel Martinez n’a été prélevé pour procéder au règlement de la dette. L’État a fabriqué un déficit abyssal pour devenir créancier ! L’État, excipant de sa propre mauvaise gestion (les Domaines relèvent de son autorité), s’est octroyé lui-même (le fisc relève de son autorité) une créance assortie d’intérêts moratoires, de surcroît illégalement calculés, en l’absence de la moindre expertise des comptes !

Droit foulé aux pieds, opacité malveillante : l’apurement de la dette devient impossible. Et tout, absolument tout semble entrepris pour décourager les tentatives de recouvrement, de la part des légataires. L’État, par l’intermédiaire d’avocats retors et de magistrats obligeants, empêche d'aborder le fond de l’affaire, jouant de l’autorité de la chose jugée, reprochant des recours individuels aux recours collectifs, des recours collectifs aux recours individuels, travestissant au besoin l’argument des concluants pour se déclarer incompétent sur une action en revendication de propriété immobilière, etc. Comme l’énonce un proverbe corrézien qu’aimait à citer le président Chirac : « On ne fait pas avancer un âne qui chie. »

En dernier recours, l’État et ses conseils jouent la montre, espérant que les lois de la biologie éteindront l’affaire. Cela réussit finalement avec la veuve, en secondes noces et sans enfant, d’Emmanuel Martinez. De vingt-cinq ans plus jeune que lui, elle lui survécut vingt-cinq ans ; ce qui nous mena jusqu’aux dernières années du XXe siècle. Mais voici que reprend le flambeau la fille du fondateur de l’hôtel, celle qui avait épousé un agent des Britanniques en pleine occupation allemande. Suzanne Martinez-Kenny est née en 1923. Il lui reste deux fils, remontés comme des pendules. L’État doit donc se dépatouiller face à une antique Antigone qui ne lâchera rien. Nous l'avons rencontrée dans son petit appartement de la butte Montmartre à Paris…


Résumons l’affaire : l’État, se prévalant d’une créance inexistante, confisque le Martinez à la Libération tout en créant une dette perpétuelle rendant sa restitution impossible. Ce fut le séquestre le plus long de l’histoire : il a duré 34 ans, jusqu’à ce qu’une loi de finance rectificative, votée en catimini – pendant la trêve des confiseurs – le 21 décembre 1979 à l’Assemblée nationale, procède, au titre de “dation en paiement” de la créance Szkolnikoff, au transfert de la propriété de l’hôtel à l’État.

L’État, c’est Giscard, en ces temps désormais reculés. Longtemps ministre de l’économie, il a profité et fait profiter de « l’hôtel de la rue de Rivoli » (ainsi le Martinez est-il surnommé, en référence au siège du ministère avant Bercy). Dans certains cartons du Centre des archives économiques et financières (CAEF) à Savigny-le-Temple (77), on trouve, épinglées – les post-it n’existaient pas encore –, des notes de Marius Bertagna, directeur du Martinez, indiquant sur certaines réservations, pour les affidés de Valéry Giscard d’Estaing : « Gratuit. »

Contre tous les usages, le dossier du Martinez suit M. Giscard d’Estaing de la rue de Rivoli à l’Élysée, après l’élection présidentielle de 1974. Or en février de cette année-là, l’État-fripon frappe très fort. Les Domaines passent un contrat d’assistance, pour gérer le Martinez, avec une société hôtelière qui appartient au ministre de la justice : Jean Taittinger (1923-2012) ! Encore un représentant – les Dassault n’ont rien d’uniques – d’une de ces dynasties affairo-politiques nichées dans la Ve République.

Jean Taittinger recevant Charles de Gaulle à Reims...Jean Taittinger recevant Charles de Gaulle à Reims...

Jean Taittinger – maire de Reims, vin de Champagne oblige – est un ami de Valéry Giscard d’Estaing. Cela tombe bien. Le septennat de celui-ci permet à celui-là de devenir pleinement propriétaire du Martinez en écartant prétendants et complications juridiques. Le gouvernement italien, défenseur des intérêts de feu son ressortissant Emmanuel Martinez, est évincé de méchante façon et en violation d’accords bilatéraux (Quaroni-Marie).

Quant à  la ville de Cannes, intéressée par l’achat de l’hôtel, elle est roulée dans la farine par le ministre du budget Maurice Papon, toujours prompt à rendre service aux puissants du moment et ne refusant donc rien au président Giscard. La vente se fait au profit de l’ami Taittinger, in extremis, en avril 1981, juste avant l’élection de François Mitterrand.

Nous avons là, cependant, un beau cas de continuité républicaine : la cession du Martinez est signée par le ministre du budget de droite Maurice Papon et confirmée, quelques mois plus tard, par son successeur de gauche, Laurent Fabius.

Le groupe de Jean Taittinger acquiert, lors d’une braderie bassement concurrentielle, le palace pour 65 millions de francs : bagatelle au moins sous-évaluée de moitié ! Le mépris des lois est patent de bout en bout. La dation en paiement de 1979 ne pouvait porter que sur un bien meuble (œuvres d’art). Or le Martinez est un immeuble. Attitude illicite de l’État, aggravée par une autre entourloupe : une telle dation ne pouvait intervenir que sur l’initiative, non pas de la puissance publique, mais des actionnaires du Martinez. Ces ayants droit ont été ignorés en toute illégalité, mais délibérément : l’État n’allait pas convoquer, pour une dépossession finale, des héritiers spoliés sans merci depuis 1944 !

L’oligarchie financière ainsi servie, plastronne. Au JDD (14 novembre 2009), Frantz Taittinger, fils de Jean, ancien député-maire (RPR) d’Asnières, déclare : « Quand ma famille avait négocié l’achat avec les ministres du budget Maurice Papon puis Laurent Fabius, tout avait été hyperverrouillé. » La famille Taittinger réalisera une mirifique plus-value en cédant, en 2005, le Martinez au groupe américain Starwood, qui lui-même l'abandonnera, en 2012, à un fonds du Qatar : nous sommes loin du « but d'intérêt national », longtemps brandi par la nation française…

Un homme, issu de la préfectorale, ose regimber : le maire de Cannes, Georges-Charles Ladeveze. Il se répand en courriers furibards et saisit la justice. Cet élu récalcitrant disparaît lors des municipales de 1983, au profit d’Anne-Marie Dupuy (RPR), dont l’adjoint, Jean-Louis Vouillon, étouffe l’affaire en diligentant le désistement de la ville. Précision sans doute utile : Jean-Louis Vouillon est le notaire qu’avait choisi Jean Taittinger pour acquérir le Martinez auprès de l’État !

L’affaire – une erreur judiciaire commise dans l'empressement de la Libération, suivie d’un scandale au lourd parfum très français de conflits d’intérêts – perdure et prospère depuis soixante-dix ans.

En 1954, Me Celice, avocat d’Emmanuel Martinez, usait de cette ironie de bon aloi propre aux maîtres distingués du barreau : « Pour être condamné à 4 milliards, au titre des profits illicites, il avait fallu que M. Martinez eût servi à toutes les troupes d’occupation allemandes et aux Italiens (qui au demeurant étaient des compatriotes) des repas de caviar pendant plusieurs années. Il fallait même supposer qu’il avait accompagné la location des chambres de toutes sortes d’attractions sur lesquelles il avait prélevé un important bénéfice. Hors de là, on ne pouvait pas voir comment cet hôtelier avait pu réaliser, non pas un chiffre d’affaire de 2 milliards, mais un bénéfice de 2 milliards. On prétend qu’aujourd’hui le ridicule ne tue point en France : nous en avons malheureusement un exemple frappant. »

Soixante ans plus tard, Me Zeghmar, du barreau de Marseille, a pris le relais, en défense de Suzanne Martinez-Kenny ainsi que d’autres plus petits porteurs de parts de l’hôtel Martinez. L’heure n’est plus à l’ironie mais à l’indignation, face au recel successoral, à la spoliation et à la privation abusive du droit de propriété dont la République s’est rendue coupable : « L’État gangster français a réalisé la plus grande spoliation dans l’hôtellerie de luxe du XXe siècle. La réalité de l’affaire Martinez a été soigneusement cachée – les archives n’étant généralement accessibles qu’à partir de 2047, et pour certaines 2071. Saint Augustin déjà l’affirmait : “Que sont les bandes de brigands, sinon de petits États ? Que sont les États, sinon de vastes bandes de brigands ?” J’accuse l’État – dit républicain – d’avoir spolié Emmanuel Martinez et toute une famille au mépris des principes libéraux démocratiques et républicains, d’avoir été et de demeurer, dans ce dossier, un État au service de l’oligarchie financière, dont il n’aura été, de bout en bout, que l’instrument. »

Lundi 24 février 2014, devant la IVe chambre de la cour d’Aix-en-Provence (l’État fit son possible, en vain, pour que ce fût devant la Ire chambre, qui a la réputation de dire un droit plus courbe !), une action en revendication de la propriété du Martinez est à nouveau diligentée. L’État se conduira-t-il derechef en créature nietzschéenne (Ainsi parlait Zarathoustra) : « L’État est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s’échappe de sa bouche : “Moi l’État, je suis le peuple.” » ?…

BOITE NOIREMerci à Pierre Abramovici, auteur de Szkolnikoff. Le plus grand trafiquant de l'Occupation (Nouveau Monde éditions). Toute ma gratitude à Patricia Brandao, inquisitrice hors de pair, qui connaît les archives – économiques, diplomatiques, judiciaires – comme sa poche et qui m'a guidé dans ce maquis de l'affaire Martinez.

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OGM, le débat sans fin

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Le gouvernement s’y est engagé : le maïs OGM de Monsanto ne pénétrera pas sur le territoire national. D’où un branle-bas de combat parlementaire contre les maïs transgéniques, du fait que la période des semis approche et que l’interdiction du MON 810 a été annulée par le Conseil d’État en août dernier. Qui plus est, la Commission européenne devrait autoriser prochainement un autre maïs génétiquement modifié, le TC 1507 de Pioneer. Ce dernier, comme le MON 810, est doté d’un gène qui le rend résistant aux deux principaux insectes ravageurs du maïs, la pyrale et la sésamie.

Le 17 février, le socialiste Alain Fauconnier a déposé au Sénat une proposition de loi, soutenue par le gouvernement, qui a été rejetée. Le texte a aussitôt été de nouveau déposé, cette fois à l’Assemblée nationale, par le député Bruno Le Roux, chef du groupe socialiste. Comme deux précautions valent mieux qu’une, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a préparé un arrêté qui pourrait être pris en urgence si la loi n’était pas examinée assez tôt.

Les Verts ne sont pas en reste : les députés Europe Écologie-Les Verts (EELV) viennent à leur tour de déposer une proposition de loi anti-OGM. Elle ne cible pas seulement les maïs MON 810 et TC 1507, mais vise à interdire toutes les plantes modifiées génétiquement pour « délivrer un ou des insecticides ou résister à un ou des herbicides ». Une formulation assez large pour inclure l’ensemble des OGM commercialisés aujourd’hui (mais pas tous ceux qui sont étudiés en laboratoire).

Les deux textes doivent être discutés dès le 25 février. Si les socialistes et les Verts sont d’accord sur l’objectif, leurs analyses sont opposées : en résumé, les socialistes estiment que des publications récentes confirment un « risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement » ; les Verts, eux, jugent qu’il n’y a pas « de nouvelles données scientifiques sur les effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé et l’environnement », et mettent en avant des arguments plus politiques.

Selon le parti écologiste, la légitimité de l’interdiction tient à ce qu’une « écrasante majorité des citoyens européens reste opposée à la mise en culture des plantes génétiquement modifiées ». Cette affirmation repose essentiellement sur des enquêtes d’opinion qui montrent que les Européens ont en majorité une image négative des OGM (voir par exemple ici). Mais il faut aussi observer que certains pays européens, principalement l’Espagne, cultivent des OGM et n’ont pas manifesté l’intention d’y renoncer.

D’autre part, les Verts souhaitent une réforme du système européen et un cadre renforcé des procédures d’autorisation. Ils déplorent que le système actuel puisse conduire à l’autorisation du TC 1507, alors que dix-neuf États membres, dont la France, ont voté contre (ils n’ont rassemblé que 210 voix alors que la majorité qualifiée était de 260). Pour les Verts, un État membre devrait pouvoir « décider souverainement » de ses préférences en matière de culture d’OGM, alors que la France est « obligée de faire preuve de désobéissance en interdisant le MON 810 ».

En réalité, cette situation n’est pas nouvelle et la France n’y est « obligée » que parce que ses gouvernements ont choisi avec constance de s’opposer aux décisions européennes. Autorisé pour la première fois au niveau européen en 1998, le maïs MON 810 a été banni de manière récurrente par les gouvernements de droite ou de gauche, qui ont pris des mesures d’interdiction régulièrement annulées par le Conseil d’État, faute de fondement juridique, et régulièrement reconduites jusqu’à l’annulation suivante.

Champ de maïs OGM au Kenya.Champ de maïs OGM au Kenya. © Dave Hoisington/CIMMYT

Cette impasse juridique vient de ce que le danger du maïs MON 810, et des OGM en général, n’a pas été établi de manière probante. Les cultures d’OGM représentent environ un dixième du total des surfaces cultivées dans le monde et couvrent 175 millions d’hectares. Elles concernent essentiellement quatre plantes : 79 % de la production mondiale de soja, 70 % du coton, 32 % du maïs et 24 % du colza sont des variétés OGM. Or, si ces cultures ont pu avoir localement des effets tels que l’apparition d’insectes résistants aux pesticides ou de mauvaises herbes résistantes aux herbicides, elles n’ont pas provoqué de catastrophe sanitaire ou environnementale, contrairement à d’autres technologies comme le nucléaire ou la chimie. Le MON 810 est cultivé aux États-Unis depuis 1996. Des millions de tonnes de ce maïs sont récoltées et consommées chaque année, sans causer plus de nuisances qu’une culture intensive conventionnelle.

Les données scientifiques ne s’accordent donc pas avec l’image négative, sinon catastrophiste, associée aux OGM. Or, dans le système européen actuel, l’expertise scientifique joue un rôle central. Selon la jurisprudence européenne, une mesure d’interdiction ne peut être prise qu’en raison d’éléments nouveaux démontrant un risque important sur la base d’éléments scientifiques fiables. C’est en s’appuyant sur cette jurisprudence que le Conseil d’État a invalidé l’interdiction du MON 810 en août dernier, jugeant que les preuves d’un danger pour l’environnement faisaient défaut. L’arrêté cassé datait de 2012 et faisait suite à un précédent arrêté similaire et lui aussi annulé.

Répondant implicitement au Conseil d’État, le nouveau projet de loi socialiste fait référence à des publications scientifiques récentes qui démontreraient un risque important du maïs transgénique. En fait, la seule publication citée est une étude de 2013 qui montre qu’un insecte ravageur exposé au MON 810 a développé une résistance… mais cet insecte vit en Afrique du Sud et n’attaque pas le maïs en France. Plus généralement, les auteurs du projet de loi font état de « risques d’impact sur la biodiversité et sur les insectes non-cibles », sans l’étayer. Selon le biologiste Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, « aucune autorité scientifique n’a conclu pour cet OGM à un risque avéré pour la biodiversité, ni pour les insectes non-cibles » (voir son analyse ici ; on peut aussi consulter son livre OGM, la question politique, PUG).  

Larve de pyrale du maïsLarve de pyrale du maïs © Keith Weller

En résumé, le texte de loi socialiste paraît motivé par des raisons politiques plus que par de nouveaux arguments scientifiques, même s’il n’est pas présenté comme tel. François Hollande avait d'ailleurs annoncé dès août dernier, juste après la décision du conseil d’État, que le moratoire serait prolongé. Il ne semble pas qu’il s’était plongé dans la littérature scientifique avant de se prononcer.

Au demeurant, ce choix politique n’a rien de nouveau, comme on l’a vu, et il n’est pas réservé à la gauche. Lors du Grenelle de l’environnement en 2007, le gouvernement Sarkozy avait aussi pris position contre les OGM. François Fillon a confirmé plus tard que cette position n’avait pas grand-chose à voir avec le souci de l’environnement : « Nous avons pris des positions très fermées via le Grenelle dans une sorte de deal de Nicolas Sarkozy avec les écologistes : le nucléaire contre les OGM », déclarait l’ancien premier ministre au journal Les Échos, le 26 juin 2013.

On ne fera pas au pouvoir actuel le procès d’intention d’un calcul similaire. Mais il semble assez clair que la mobilisation actuelle autour des OGM est essentiellement politique et ne repose pas sur de nouvelles découvertes. La position des Verts a le mérite d’assumer ce caractère politique, puisqu’ils reconnaissent sans ambiguïté qu’« aucune nouvelle donnée scientifique permettant de faire évoluer la position de l’Union européenne sur la culture des organismes génétiquement modifiés (n’a) été produite ».

Au demeurant, les Verts avancent, pour justifier le refus des OGM, des arguments qui relèvent de l’économie et de la politique plus que de la science. Ils appellent à une mutation du modèle agricole passant par des pratiques nouvelles « productives et respectueuses de l’environnement et des dynamiques humaines territoriales ». Cela s’oppose-t-il radicalement à l’usage des OGM ? Le texte des Verts le laisse entendre, sans l’affirmer de manière explicite : « La perspective de voir autoriser le recours à des modes de production potentiellement dévastateurs pour la biodiversité et les sols s’inscrivant dans une logique agro-industrielle peu pourvoyeuse d’emplois et peu valorisante pour les savoir-faire agricoles serait contradictoire » avec cette mutation.

Les Verts estiment aussi que les risques des OGM ne sont pas suffisamment connus, et réaffirment « le besoin d’évaluations scientifiques indépendantes à court, moyen et longs termes ». Selon Marcel Kuntz, 5 000 nouvelles études sur les plantes génétiquement modifiées sont publiées chaque année, et il en existe aujourd’hui environ 30 000, dont plus de 3 000 sur le seul maïs. Finira-t-on un jour d'évaluer les OGM ?

Au total, le débat français sur les OGM apparaît traversé par une contradiction majeure : d’un côté, là où ils sont utilisés, ils ne sont pas apparus plus agressifs pour l’environnement que l’agriculture intensive conventionnelle, qui reste le modèle dominant en France, et qui rencontre les mêmes problèmes de résistance aux herbicides et pesticides ; pourtant, ils font l’objet d’une opposition militante, minoritaire mais très virulente, qui a abouti à interdire leur culture sur le territoire national, à détruire les expérimentations en plein champ, et à paralyser une grande partie de la recherche publique sur le sujet.

Bien sûr, refuser une technologie, qu’il s’agisse des OGM ou d’une autre, relève d’une liberté démocratique. Mais la technique qui est à la base des plantes génétiquement modifiée, la transgenèse, est utilisée quotidiennement pour faire produire par des bactéries de l’insuline destinée aux diabétiques, ou des facteurs anti-hémophiliques ; elle est aussi à la base des essais de thérapie génique. Pourquoi, lorsqu’elle est appliquée aux plantes, devient-elle le synonyme d’une menace catastrophique ? L’enjeu du combat contre les OGM est-il concret ou symbolique ? Dix-sept ans après la première destruction d’un champ d’OGM, il serait temps de trouver la réponse.

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Une ville verte au pays des gueules noires

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À première vue rien ne détonne à Loos-en-Gohelle, petite ville de 7 000 habitants, accolée à Lens, dans le Pas-de-Calais. La mairie trône sur la place centrale. La friterie ouvre entre midi et 14 heures. Les bus intercommunaux passent une fois par heure environ. Des vieilles dames protègent leurs cheveux sous des couvre-chefs en plastique transparent. Le monument aux morts et le cimetière britannique rappellent les horreurs de la Grande Guerre. Des adolescents circulent à deux ou plus en scooter.

Cyclistes sur le terril de Loos-en-Gohelle, février 2014 (JL).Cyclistes sur le terril de Loos-en-Gohelle, février 2014 (JL).

Il faut un peu de temps pour remarquer les bornes de QR codes qui hérissent les rues et balisent des parcours en « réalité augmentée ». En s’y connectant, on découvre une autre commune : un champ expérimental de la conversion écologique : le terre-plein central, décoré d’une roulotte ? Bordé d’un immeuble bioclimatique et de l’une des premières agences bancaires à haute qualité environnementale. L’eau de pluie est récupérée pour l’entretien des espaces verts et l’alimentation des W.-C. Les bâtiments et les voiries sont peints à l’eau depuis 2010. Les produits phytosanitaires sont proscrits sur les voiries et les surfaces imperméables. Le quartier autoconstruit par l’association Les castors dans les années 1950 entame une opération pilote de rénovation thermique. Dans un logement à caractère très social, grâce à l'écoconstruction, la facture annuelle de chauffage est tombée à 197 euros. Le chauffage électrique est banni des bâtiments publics et des nouveaux logements sociaux. L’eau chaude du foyer de personnes âgées est en partie chauffée par le soleil.

Sur l’emplacement de l’ancienne voie ferrée de la mine, un corridor biologique enjambe l’A21 pour faciliter le déplacement de la faune. L’éclairage public est calé sur une horloge astronomique. Et le toit de l’église est recouvert de cellules photovoltaïques. De loin, elles ressemblent à des ardoises. De près, un panneau électronique affiche en temps réel le nombre de watts produits et les kilos de CO2 économisés. Pour le coup, pas besoin de tablettes numériques pour le voir. Il s’incruste même sur les photos de mariage des administrés, pas toujours ravis.

C’est le drame des politiques de conversion écologique : invisibles souvent à l’œil nu, elles laissent peu de trace dans les esprits et flattent moins l’orgueil des habitants que les grands stades, les salles des fêtes, les musées et les shopping centers dernier cri. À trois semaines du premier tour des élections municipales, ce n’est pas un détail. L’électeur pense-t-il éco-rénovation, gestion différenciée des espaces verts et aide aux économies d’énergie au moment de glisser son bulletin dans l’urne ? 

Jean-François Caron, 56 ans, maire de Loos-en-Gohelle depuis 2001, a trouvé une parade : le verbe. Parler de sa ville et de sa « troisième révolution industrielle », sous l’influence du prospectiviste américain Jeremy Rifkin. Chercher des formules tape-à-l’œil pour donner un corps social à ces réformes techniques, terre-à-terre. « L’ancien modèle de développement est mort. La transition, c’est mon métier d’élu. » Quel est son objectif ? « Montrer qu’un nouveau modèle de développement est possible. » Pause. Sourire. « C’est mégalo. » Il reprend : « Le modèle d’hyper développement a montré des limites gravissimes : l’épuisement des ressources de la planète et la création d’inégalités incroyables. Ce modèle ne rend pas les gens heureux. Ils sont de plus en plus isolés et individualistes. La société de consommation a créé une addiction. Ce nouveau modèle de développement, je peux le travailler au niveau régional. »

Jean-François Caron, lors de ses vœux en 2011 (DR).Jean-François Caron, lors de ses vœux en 2011 (DR).

Loos-en-Gohelle est une ancienne cité minière, bordée du plus haut terril d’Europe, comptant plus de 13 % de taux de chômage, où plus de la moitié de la population ne paie pas d’impôt sur le revenu par manque de ressources, et dont 40 % a moins de trente ans. Il la voit comme « un chaudron ». Non pas « une ville laboratoire avec des cobayes », mais « un écosystème, développé sur une conscience commune des choses atteignables pour redonner de l’espoir, reprendre son destin en main ». Sauf que le budget annuel de la ville ne dépasse pas sept millions d’euros. Il s’est adjoint les services d’un « chargé du récit », jeune homme qui compile toutes les actions entreprises au niveau communal et s’en sert pour modéliser une méthode de la transformation. A priori, elle ressemble à un trépied : implication, empirisme, systématisme.

Le bassin minier a été classé patrimoine mondial de l’Unesco en 2012. Les terrils de Loos-en-Gohelle sont arpentés par les touristes venus  visiter l’antenne du Louvre à Lens. À leur destination, se prépare une version anglophone des guides numériques de la ville. Ils pourraient un jour y entendre Jeremy Rifkin vanter son master plan pour le Nord-Pas-de-Calais, initié par Caron, également conseiller régional EELV. Le bagout de l’essayiste hérisse les décroissants, qui doutent fort de son économie circulaire. « Rifkin a un million de défauts mais il a une vision, réplique l’édile vert. Même si elle est fausse, elle met en mouvement un territoire. »

La base 11/19, l'ancien puits minier reconverti en écopôle. (JL).La base 11/19, l'ancien puits minier reconverti en écopôle. (JL).

En vingt-cinq ans, les terrils, ces collines de rebuts miniers qui peuplent l’imaginaire nordiste depuis le milieu du XIXe siècle, sont devenus des havres de biodiversité. Depuis 1990 et l’arrêt du dernier puits minier, toute une faune et une flore s’y sont développées. Avec le temps, ils sont devenus verts. Les riverains y promènent leurs chiens et les cyclistes s’y exercent à l’ascension en milieu naturel. On se croirait en Auvergne. L’ancien puits minier est devenu la base 11/19, un « écopôle » spécialisé en développement durable, doté d’un centre de recherche sur le climat, d’une association de soutien aux entreprises liées au secteur de l’environnement, d’un théâtre de l’éco-rénovation, et d’une scène nationale, Culture commune. 

Cette promotion forcenée de son territoire, Jean-François Caron la voit comme un acte de désobéissance au modèle en place : « L’État n’est pas à la hauteur des enjeux. Il ne bloque pas, mais il n’est pas porteur d’impulsion. Je reproche profondément à Sarkozy et Hollande de ne pas introduire de changement de paradigme. Pourquoi abaisse-t-on la TVA sur la restauration et pas sur les énergies renouvelables ? Pourquoi n’allège-t-on pas la fiscalité sur le travail en alourdissant celle sur la pollution ? La France dépense chaque année 70 milliards d’euros en gaz, pétrole, charbon et uranium. Si un quart de cette facture était investi dans la rénovation des bâtiments, vous diminueriez la facture des gens en créant des emplois non délocalisables. L’État est loin, très loin de ce qu’il pourrait faire. »

Le "théâtre de verdure", agora de la ville et symbole de sa politique participative (JL). Le "théâtre de verdure", agora de la ville et symbole de sa politique participative (JL).

C’est aussi une rupture avec le système PS, à la fois ultra dominant autour de lui (Lille, bastion socialiste) et en pleine décrépitude, avec la chute de Jean-Pierre Kucheida, ancien maire de Liévin, mis en examen pour corruption passive et de recel d’abus de biens sociaux dans le cadre d'une enquête financière sur des faits de corruption présumée au sein de la fédération socialiste de ce département. En 2013, le tribunal correctionnel de Douai l’a condamné pour abus de biens sociaux au détriment d'un bailleur social dont il a assuré la présidence, la Soginorpa, qui gère 60 000 logements miniers.

Quelle est la bonne échelle du changement ? Plus émetteur de CO2 que la moyenne nationale à cause de ses sites industriels, le Nord-Pas-de-Calais promeut depuis plusieurs années une politique de lutte contre le dérèglement climatique. Il mit à sa tête la première présidente écologiste de région, Marie-Christine Blandin, entre 1992 et 1998. Depuis 2012, l’artificialisation des terres (le bétonnage) est plafonnée à 500 hectares par an. Loos-en-Gohelle ne se situe pas en terrain hostile. 

Alors que le gouvernement tergiverse sur sa transition énergétique, faut-il s’en remettre à la bonne volonté de rares maires pionniers ? Pour Jean-François Caron, être un maire en transition change tout au rôle de l’élu : « Avant, il était décideur, maintenant, il doit être animateur du débat. Il n'est plus Dieu le père. La condition du changement, c’est l’implication des citoyens. Mais ce n’est pas ce qu’on appelle souvent démocratie participative, qui est un piège si cela se limite à réunir des gens dans une salle et leur demander ce qu’ils pensent. C’est une démocratie “présentative” : il faut que les gens soient présents. Le rôle de l’élu, c’est d’organiser le processus de mise en capacité des citoyens. » 

Dans les rues de Loos, ce n’est pas toujours évident. Un homme sèche à la descente de son scooter : « La ceinture verte ? Connais pas. Pourtant j’habite ici. » Elle passe à cent mètres de chez lui. Un employé associatif, fils de mineur : « On a connu 270 ans d’exploitation de la mine. Elle n’est à l’arrêt que depuis 22 ans. Quelle activité va la remplacer ? Le tourisme ? C’est pas vieux. Les gaz de schiste ? C’est trop tôt pour savoir ce que sera la reconversion. En nombre d’emplois, on n’a pas remplacé la mine. »

Le quartier des Castors, autoconstruit dans les années 1950. (JL).Le quartier des Castors, autoconstruit dans les années 1950. (JL).

Le chômage plombe l’horizon de familles entières. Lors des élections municipales, ce mécontentement promet de s’exprimer par l’abstentionnisme et le vote pour l’extrême droite. Derrière son bureau recouvert de dossiers et de notes, Adam Prominski, le directeur de cabinet de Jean-François Caron, s’inquiète : « Et si demain l’exécutif du comité d’agglomération compte un tiers de représentants du Front national ? Cela change la donne. Nous allons nous retrouver face à une vraie opposition. » La communauté d’agglomération de Lens-Liévin (CALL) possède des compétences déterminantes : développement économique, logement (aide à la pierre), coordination des outils prescriptifs que sont les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et les programmes locaux de l’habitant (PLH). C’est elle encore qui gère l’écopôle de la base 11/19.

La pépinière d'entreprises, devant le terril. (JL).La pépinière d'entreprises, devant le terril. (JL).

Sur le départ, ce géographe et urbaniste de formation reproche à l’édile de ne pas avoir tissé assez d’alliances avec les villes alentour et de s’être laissé isoler. Vainqueur triomphal lors des municipales de 2008 (plus de 82 % des voix), il n’a récolté que 6,9 % des suffrages du bassin minier lors des législatives. « Les ressorts du changement d’échelle ne se jouent pas à Loos, analyse Prominski. Il faudrait davantage mettre les villes en réseaux. » Alors que pour Caron, à l'inverse : « On serait en 1950, je dirais que ce n’est pas possible de diffuser. Mais on est dans la société de la connaissance, on est en système ouvert. Pas en Urss. Loos-en-Gohelle, c’est une cellule souche. Je partage ce qui se fait ici avec des milliers de décideurs. Notre expérience diffuse. On crée un rapport de force. »

Le choc de la désindustrialisation retentit encore partout aux alentours. Entre la fin des années 1960 et 1990, date de la fermeture de la dernière mine de la région, 220 000 emplois ont disparu. Un huitième de la population a perdu son travail. Détruits aussi les emplois de la sidérurgie et du textile, qu'énumère le directeur de cabinet. Le maire défend le potentiel anti-FN de leur politique : « Ce qui caractérise Loos, c’est la fierté retrouvée. On lutte contre la désespérance. À Hénin-Beaumont, tout le monde se guette. »

Pas de miracle à Loos-en-Gohelle. Comme partout ailleurs, la rénovation énergétique des logements peine à se déployer. Selon les estimations de la ville, 80 % des logements sont peu performants. La première véritable opération d’éco-rénovation commence tout juste. Objectif : 40 à 45 % d’économie d'énergie. Elle doit durer trois ans et inciter 69 propriétaires à améliorer la performance de leur demeure. Dans un premier temps, les opérateurs espèrent identifier cinq ménages volontaires. C’est une politique des petits pas.

Eco-constructions en bois dans la cité des oiseaux (JL).Eco-constructions en bois dans la cité des oiseaux (JL).

Six logements à caractère très social éco-construits sont sortis de terre en 2009. Six maisons à haute performance énergétique ont été rétrocédées à un bailleur social. Mais elles peinent à trouver des locataires : leurs immenses fenêtres, trop grandes pour des rideaux, impressionnent. Toutes les familles ne se sentent pas à l’aise dans ses nouvelles habitations où il ne faut plus ouvrir les fenêtres ni percer les murs de clous pour préserver son isolation.

« Il n’y a pas un bon échelon de la transition énergétique, analyse Emmanuelle Latouche, directrice adjointe du Pôle et de l’observatoire climat régional. Il y a un essaimage qui s’opère, même certains élus ne font que repiquer une partie de la copie vue ailleurs. Loos-en-Gohelle a un coup d’avance et sert d’aimant à l’innovation. » Christian Traisnel, à la tête du CD2E, une association locale de conseil aux éco-entreprises, sourit encore de la réaction de la préfecture lorsqu’il la sollicite en deniers publics en 2010 pour une plateforme de recherche sur le photovoltaïque : « Enfin un projet technique et pas un rond-point ! » Après trois ans de raccordement au réseau, ils ont identifié la technologie la plus adaptée à l’ensoleillement diffus de leur contrée. Les panneaux en test parsèment un champ battu par les vents et la pluie. Au pied des terrils. Un paysage de révolution énergétique. Un voyage immobile.

LumiWatt, centre de recherche sur le photovoltaïque. (JL).LumiWatt, centre de recherche sur le photovoltaïque. (JL).

BOITE NOIRECe reportage s'est déroulé à Loos-en-Gohelle du 18 au 19 février. J'avais rencontré Jean-François Caron une première fois lors des Assises de l'énergie à Dunkerque, début 2014. La mairie m'a ouvert grand ses portes. J'ai pu longuement rencontrer et discuter avec le maire ; la chargée de mission environnement et climat, Christelle Viel ; le directeur de cabinet, Adam Prominski ; le chargé du récit, Julian Perdrigeat ; le responsable agences Nord et Pas-de-Calais Habitat & Développement, Jean-Marc Marichez ; la conseillère espace info énergie pour Lens-Liévin, Perrine Massez ; la directrice adjointe du Pôle et de l'observatoire climat du Centre ressource de développement durable (CERDD), Emmanuelle Latouche et ses collaborateurs ; le directeur général du CD2E, Christian Traisnel et ses collaborateurs.

J'ai tenté en vain de joindre les opposants politiques locaux. L'ancien candidat divers droite aux précédentes élections est en mauvaise santé. Quant au Front national, il n'a pas encore désigné de candidats.

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La Parisienne Libérée : «Nantes, 22 février»

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[NB. un décalage s'est glissé dans les intertitres de la vidéo, le problème va être corrigé]

Des dizaines de milliers de personnes et plus de 500 tracteurs ont fait le déplacement à Nantes ce samedi pour protester pacifiquement et demander l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes.

Les manifestants se sont trouvés face à un dispositif policier lourdement équipé : des grillages étaient posés à tous les croisements, il y avait d'impressionnants canons à eau, un hélicoptère en permanence, des centaines de grenades lacrymogènes ont été tirées ainsi que d'autres projectiles. Quand des heurts ont éclaté avec la police, ils ont donc provoqué des blessés parmi les policiers, mais aussi parmi les manifestants.

L'ambiance des cortèges était pourtant globalement très calme. Elle mêlait drapeaux de la Confédération paysanne, de la CNT, d'Attac, de Solidaires, du Parti de gauche, d'EELV, de la Bretagne, du Pays basque, badges et pochoirs de la lutte contre l'aéroport, petits avions en carton, arbustes, masques représentant les espèces protégées, etc.

À la fin de la manifestation, l'attention s'est portée sur des dégradations matérielles et des enjeux politiques partisans, occultant aussi bien les blessures parfois graves des manifestants que l’impressionnant succès de la manifestation.

UN SAMEDI A NANTES
Chronique vidéo hors-série (25 min.)
Réalisation : la Parisienne Libérée

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Les précédentes chroniques
Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

 

 

 

 

 

 

 

BOITE NOIREJ'ai filmé et photographié la manifestation samedi 22 février à différents points d'avancement du cortège, entre 12h et 18h. Je n'avais pas prévu de bonette pour lutter contre le vent dans le micro - grave erreur à Nantes ! J'ai tout de même préféré laisser le son d'origine plutôt que de mettre les images en musique, car il m'a semblé que l'audio avait ici un intérêt documentaire.

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Pourquoi les enfants d’immigrés peinent davantage à l’école

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Pour beaucoup, ce résultat constitue une surprise. Non, ils n’avaient pas remarqué qu’à niveau social égal, les enfants d’immigrés réussissaient moins bien à l’école. Oui, le résultat de l’étude Pisa (voir nos précédents articles) les interroge, les bouscule ; parfois les révolte, plus rarement les désespère.

Selon Pisa, « les élèves issus de l’immigration (1re et 2e génération) accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones, soit presque l'équivalent d'une année d’études » (contre 21 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE).

Nous avons donc interrogé des professeurs, proviseurs, conseillers principaux d’éducation ou encore une assistante sociale pour qu’ils nous disent comment ils expliquent une telle différence. Parfois sous couvert d’anonymat, ils évoquent sans tabou le manque d’ambition de certaines familles immigrées, la ghettoïsation grandissante, l’impact de la crise, les assignations dans l’orientation, le poids des traditions, les zones de relégation. Plus rarement, d’éventuelles discriminations de l’institution.

Problèmes d’orientation, manque d’ambition

Le manque d’ambition pèse sur les résultats scolaires. Quand un élève sait qu’il ne postulera pas aux filières les plus élitistes, sa scolarité s’en ressent. Pisa teste le niveau des élèves de 15 ans. « Mais dès le début de la classe de 4e, il faut être honnête, tu sais qui ira en bac pro et qui ira vers une voie générale », témoigne Vincent, professeur d’anglais à Ivry, dans « un bahut qui compte environ 20 % d’élèves blancs ». Pour lui, la problématique ne concerne pas que les immigrés. « Plus personne ne croit en la progression sociale, la reproduction est entérinée. Mais c’est vrai que certaines familles immigrées trouvent fabuleux que leur enfant fasse un BTS alors que les parents français ne voudront pas que leurs enfants s’arrêtent avant le master. »

Pour Isabelle, assistante sociale depuis vingt-trois ans dans un établissement qui accueille à la fois des enfants de cités dures et des zones pavillonnaires de Seine-Saint-Denis, « les enfants d’immigrés vont plus qu’avant vers les filières professionnelles. Il y a dix ou quinze ans, je me souviens de parents qui poussaient vers le général. À présent, je dois convaincre des familles que leur enfant est capable d’y rester. Il y a une frilosité, une crainte de s’écrouler. Le bac pro paraît plus concret. Ils ne veulent plus d’études longues, aux débouchés lointains et incertains ».

À en croire Isabelle, la volonté d'indépendance serait également plus grande : « Je n’ai jamais vu autant de jeunes se marier aussi tôt. À 25 ans, il faut être marié. C'est vécu comme une ascension. Les études courtes vont le permettre. »

© Reuters

La sécurité de l’emploi orienterait clairement vers certains métiers : « Ils parlent souvent du médecin comme du métier inaccessible. À l’inverse, lors du carrefour des métiers, la salle “police-pompiers-armée” a rencontré un succès de folie. Que ce soient les filles, les garçons, toutes communautés confondues… Ce sont des métiers carrés. Ce n’est pas compliqué de rentrer. » Isabelle y voit aussi une forme de renoncement à se lancer dans un parcours plus exigeant : « Le très bon élève n’y arrive pas. Pourquoi je m’y mettrais ? »

Imane, professeur dans un lycée professionnel à Vitry, perçoit de son côté une orientation subie. Dans le collège du quartier où elle travaille, elle estime qu’il y a 70 % d’élèves issus de l’immigration. Et dans son lycée pro, 90 %. Comment expliquer ce décalage ? « Les enfants de l’immigration ne choisissent pas vraiment leur filière. Ils vont vers la vente, l’accueil, le commerce. Pour eux, la réussite passe forcément par le tertiaire. Le manuel ramène au vécu des parents : il ne faut plus se salir les mains. Travailler derrière un bureau est déjà vécu comme une ascension sociale. »

Problème selon Imane : par manque d’informations, les adolescents « s’imaginent qu’avec une filière pro, ils vont pouvoir faire du commerce international. Ils n’ont aucune conscience de la concurrence ». À titre d’exemple, elle cite l’ébénisterie. « C’est une filière assez élitiste, considérée comme l’aristocratie ouvrière, où il existe des débouchés. Les parents français le savent notamment grâce à une histoire familiale, des connaissances en province... On y trouve donc très majoritairement des Blancs. Pour les immigrés, l’ébénisterie renvoie à ce qui se passe au bled. »

Comment pousser ses élèves ? Clémence, professeur dans un lycée des Yvelines à la population socialement mixte (cités de Sartrouville, bourgeoisie de Maisons-Laffitte), se pose souvent la question. « Un de mes élèves brillants a préféré l’an passé la voie technologique pour rester avec ses potes. C’est du gâchis. Du coup, alors qu’il avait fait un excellent début d’année, il a arrêté de travailler. Ni les parents ni l’école ne se sont battus pour qu’il fasse mieux. »

Les parents immigrés seraient plus « fatalistes. Ils montent moins au créneau. À la fin de la classe de seconde, il y a la décision d’orientation du conseil de classe. Mais ce n’est pas définitif. Les parents français font le forcing dans les deux semaines qui suivent pour forcer le passage vers le général. Et souvent, ça marche ».

Il arrive à Clémence de se heurter à un mur : « J’avais une élève brillante, mention TB au Bac, félicitations du jury. Tout pour être polytechnicienne. Elle a préféré la fac de maths. C’est troublant. Ce n’est pas toujours évident de faire comprendre l’intérêt de la prépa. Et c’est encore plus compliqué en lettres avec un discours très difficile à entendre du type : "Tu vas faire hypokhâgne, Khâgne, bon, tu ne seras sûrement pas prise à Normale Sup, mais ce ne sera pas grave." »

Reste une question taboue : l’école, inconsciemment, ne renvoie-t-elle pas elle-même les enfants d’immigrés vers des filières moins ambitieuses ? Ne les brime-t-elle pas dans leur scolarité et leurs ambitions ? « Parfois, je me demande si inconsciemment Ahmed n’est pas orienté vers une filière pro parce qu’il s’appelle Ahmed, avoue Clémence. Je ne sais pas. » Même interrogation, non tranchée, chez Imane : « Difficile de dire si on propose moins les classes de théâtre ou de musique aux immigrés. »  

Interrogée il y a dix-huit mois dans un précédent reportage, Danièle Mingone, conseillère principale d'éducation (CPE) au lycée Mounier de Grenoble, tenait un discours plus tranché : « Disons qu'on n'a pas la même représentation d'un élève d’origine européenne, fils de cadre, qui fait l'option musique, que d'un enfant d’origine étrangère habitant une cité. Et il y a un préjugé qu’à résultats égaux, ils n'auront pas la même capacité à réussir. On anticipe qu’ils n’auront pas les moyens d’aller jusqu’au bout de leur cursus, notamment en S, la filière peut-être la plus scolaire. »

Questionnés dans le cadre de l’enquête Teo, 15 % des descendants d’immigrés ressentent d’ailleurs une injustice liée à leurs origines dans l’orientation (contre 8 % qui en ressentent une dans la notation, la discipline ou les sanctions).

Il n’en reste pas moins que dans l’éducation nationale, on ne voit pas les choses ainsi. « L’institution ne met pas à l’écart un certain type de population. Chacun a les moyens de réussir », assure par exemple Isabelle. Philippe Tournier, secré­taire géné­ral du SNPDEN, partage ce constat : « Peut-être que, parfois, on parie sur celui qui vient d’un milieu culturel plus élevé en se disant “il va s’y mettre”, alors qu’on dira d’un élève d’un milieu plus populaire qu’il travaille déjà beaucoup et qu’il ne pourra pas faire plus. Mais je ne crois pas que cela ait à voir avec la couleur de peau. J’ai même l’impression que dans l’orientation, les jeunes issus de l’immigration qui bossent bien sont survalorisés… »

L’éducation nationale n’est quoi qu'il en soit pas exempte de toute responsabilité. Les établissements qui ont le plus souffert des politiques publiques au cours des dernières années se trouvent en effet être ceux où l’on trouve le plus d’enfants d’immigrés, dans les quartiers sensibles.

L’assouplissement de la carte scolaire est particulièrement pointé du doigt. « Depuis 2005, et surtout 2007, sous prétexte d’aider les méritants, il y a un tri gravement sélectif, juge Catherine Manciaux, secrétaire générale du SNUpden-FSU, proviseur en zone sensible depuis 1991. On donne moins et on extrait les meilleurs. Dans ces conditions, il est difficile de tirer vers le haut alors que parfois, il suffit d’un bon élève dans une classe. Mais voilà : on donne plus à quelques méritants, et moins à la plèbe. Dans ces conditions, comment faire pour garder une mixité scolaire et donner les moyens de réussir ? »

Le proviseur Philippe Tournier estime que « même dans des quartiers mixtes, on a de plus en plus de classes ethnicisées. La logique communautaire l’emporte sur la logique scolaire : les établissements se ghettoïsent socialement et sur base ethnique. Ce n’est ni mesuré ni mesurable, mais il suffit de se promener pour le voir. Cela a des conséquences sur la dynamique collective. Dans l’entre-soi, on n’avance pas ».

Pour Philippe Tournier, « l’école est dégradée, l’institution est "dégradatrice". Et le pire est à venir puisqu’il n’y a pas de mécanisme correcteur en place. L’assouplissement de la carte scolaire a attisé ces mécanismes, a polarisé les populations et déstabilisé les établissements du milieu. Dans une petite commune moyenne, à présent, on a un établissement qui va bien, et un établissement qui va mal. On a accentué les inégalités. Cette radicalisation des clivages scolaires touche forcément encore plus fortement les populations immigrées puisque les mieux intégrés sont partis. On a décapité des établissements ».

L’absence de mixité se diffuse parfois au sein des établissements, comme l’explique Imane : « Au sein d’un même collège, on peut trouver une classe avec 95 % de Blancs et les meilleurs élèves issus de l’immigration. Et dans une autre classe, 95 % d’élèves issus de l’immigration. L'élève blanc et médiocre a la chance d’être dans une classe d’élite. Cette façon de catégoriser les élèves ne se fait pas nécessairement consciemment. Et parfois, cela est dû au choix d’options : allemand, latin, etc. Il n’empêche : au final, l’école entérine la non-mixité. »

© Reuters

Un constat alarmant alors que, selon Olivier, professeur dans un collège historiquement bourgeois du centre d’Avignon accueillant depuis peu des populations très pauvres en raison de la fermeture d’un établissement voisin, le mélange fonctionne très bien. « C’est beaucoup plus efficace que de sommer les ZEP de s’adapter à leur public, comme on le fait depuis dix ans. »

Le suivi familial

Pour comprendre la réussite scolaire, impossible de ne pas s’intéresser à ce qui se passe à la maison. « Dans les familles immigrées, il y a parfois un décalage entre l’enfant et ses parents, analyse Imane. On a beaucoup de parents très jeunes. Mais aussi très âgés, quand l’adolescent est en fin de fratrie. Cela crée des problèmes. D’abord parce que quand le père a l’âge d’un grand-père, il n’a plus la force d’éduquer son fils. Ensuite, quand le père a été éboueur, homme de ménage, dans le bâtiment, ou en accident longue durée, les enfants ne veulent pas lui ressembler. De même, des filles narguent leurs propres mères parce qu’elles sont habillées en boubou. La honte, la rage, se répercutent dans la scolarité. »  

À ce schéma, s’ajoutent d’autres difficultés. « Dans les familles d’origine subsaharienne, on a beaucoup de parents qui bossent de nuit ou qui ont des horaires décalés, notamment pour faire des ménages. Chez les Blancs de même niveau social, les mères sont plus souvent secrétaires dans une instance publique, une mairie, un dispensaire… Ce sont des lieux où on fréquente d’autres milieux, où l’on voit d’autres pratiques. Les horaires sont moins décalés, on a plus de temps pour le suivi des enfants… »

Selon Isabelle, assistante sociale, « les familles issues de l’immigration ont une grande confiance dans l’école française. Trop grande. Ça ne part pas d’une mauvaise intention, mais ils considèrent que le temps de l’école n’est pas le leur. Je reçois des parents illettrés, et je leur dis : “Ce n’est pas grave. Demandez-leur simplement ce qu’ils ont appris dans la journée.” Mais ils sont intimidés. Si on avait le temps, on ferait des ateliers avec des parents. On leur expliquerait qu’il faut prendre le carnet de correspondances, le cahier de texte, et parler. »

Isabelle explique avoir « plus de souci avec les familles subsahariennes. La polygamie fait par exemple beaucoup de dégâts. C’est un schéma familial compliqué à vivre. Les femmes partent plus, et les familles explosent. Les mères, très courageuses, se retrouvent sans rien. Les pères sont absents. Cela crée des situations très compliquées pour les enfants ».

Des difficultés différentes selon les origines

Bien sûr, il existe nombre de problématiques communes. « Le niveau de maîtrise et de compréhension de la langue est discriminant, explique Michel Richard, principal à Versailles. Des élèves arrivent au collège sans les fondamentaux : lire, écrire, parler. Qu’ils soient coréens, japonais ou portugais, tous les enfants d’immigrés ont la même difficulté. »

Bien sûr, chacun de nos interlocuteurs prend grand soin de ne pas tomber dans de trop grandes généralités. Il existe cependant des problématiques spécifiques qu’il serait absurde de nier si l’on en croit plusieurs de nos témoins : « Avec la communauté turque, ce n’est pas simple, explique Isabelle. Ce sont des gamins qui ne font pas de bruit. Mais il y a beaucoup d’absentéisme, de nombreux décrochages scolaires. On rencontre des mères turques qui sont là depuis vingt-cinq ans et qui ne parlent toujours pas un mot de français. »

À chaque nouvelle vague d'immigration ses spécificités : « En ce moment, on a plein de familles d’origine maghrébine mais qui vivaient en Espagne, qui arrivent chez nous, où elles pensent être mieux protégées, raconte Isabelle, assistante sociale. Je viens de recevoir quatre familles en quinze jours. »

Beaucoup de professeurs nous ont dit ne jamais avoir regardé leurs élèves en fonction de leur origine, et donc ne pas pouvoir faire de diagnostic. Certains refusent par principe d’y réfléchir. La proviseur Catherine Manciaux reste elle aussi prudente. « Ça m’embête de stigmatiser les Subsahariens ou les Sri Lankais.» À notre demande, elle ne s’interdit toutefois pas d’aborder le sujet. « Ça fait cliché, mais c’est vrai que les enfants chinois réussissent bien. La situation est plus difficile pour les Africains, les Kurdes, les Tchétchènes et les Européens de l’Est en général. Chez les enfants qui ont connu la guerre, le traumatisme est terrible, il n’est pas assez pris en compte. On ne leur donne pas assez le temps de souffler dans des classes d’accueil. Si on ajoute que certains ne savent pas où ils dormiront le soir, pour cause d’expulsion, ou de relogement... »

Catherine Manciaux s’attarde toutefois sur le regard porté par les parents sur l’école. « Tous les adolescents essaient de contourner les règles et mentent. Mais certaines familles immigrées font confiance à leurs enfants. Elles se laissent emberlificoter, les croient sur parole. Quand on rencontre ces familles, des pères me disent : “Pourquoi vous nous convoquez ? Vous ne voulez pas qu’on les tape, donc qu’est-ce qu’on peut faire ?” J’ai déjà vu des pères sortir des ceinturons devant moi ! Il y a une forte incompréhension. J’essaie de leur expliquer que chacun a sa place, et que si leurs enfants arrêtent de leur mentir, on aura déjà fait 50 % du travail. Mais c’est compliqué. »

Selon Catherine Manciaux, nombre de parents sont en perte de confiance : « Depuis des années, on leur renvoie une image d’eux-mêmes de nuls, de laxistes, on dit qu’ils ne font rien pour leurs enfants. Mais moi je n’ai jamais vu de parents démissionnaires. Seulement des parents qui ne savent pas quoi faire, à qui j’essaie de redonner confiance. »

Et s’il suffisait de laisser le temps faire son œuvre ? Car bien évidemment, plus l’arrivée est récente, plus les problèmes sont importants. Pisa ne manque pas de souligner que quand ils sont nés en France (2e génération), les enfants d'immigrés obtiennent déjà de bien meilleurs résultats que les enfants immigrés nés à l'étranger – arriver d'un pays non francophone ne pouvant qu'accentuer les difficultés de départ.

Malheureusement, l'étude Pisa ne s'intéresse pas spécifiquement aux 3e et 4e générations. La réussite grandissante des enfants d’origine maghrébine laisse cependant à penser que ce facteur temps est déterminant : « Ils sont nés en France, leurs parents sont nés en France. Une partie a déjà trouvé sa place, explique Philippe Tournier. La population d’origine subsaharienne est arrivée beaucoup plus récemment. et dans une situation économique beaucoup plus mauvaise, dans une précarité beaucoup plus marquée. » Il poursuit : « Aujourd’hui, les Maghrébins font d'ailleurs des pieds et des mains pour être en centre-ville ou dans le privé. Ne restent sur place que ceux qui ne croient plus que l’école va permettre de changer de situation. »

Vincent constate les mêmes différences à Ivry. « En quelques années, il y a une amélioration spectaculaire de la situation des jeunes d’origine maghrébine. Leurs parents ont été scolarisés en France, on n’a donc pas besoin de leur expliquer les problématiques d’orientation. »

Vincent note lui aussi que les parents subsahariens rencontre des difficultés : précarité, surpopulation, plus faible présence à l’école, illettrisme, parfois polygamie. Mais il se méfie des généralités : « Les Congolais et les Camerounais qui viennent, dont les parents sont issus de la classe moyenne, réussissent super bien ! Et on a aussi notre lot de “white trash” ("quart monde" blanc). Le facteur d’explication no1, c’est toujours le social. »

Aymeric, principal à Amiens, voit dans les difficultés de certains le fruit de l'isolement. « Les immigrés de l’Est (Géorgie, Biélorussie, etc.) qui échappent à des conflits ethniques sont cassés psychologiquement.  Ils ont tout quitté. Ici, ils n’ont pas de famille, pas de réseaux. Ils n’arrivent pas d’un pays francophone. C’est très dur pour les enfants. »

Enfin, peu évoquée, la question religieuse se pose. Car si certains soulignent la grande réussite des filles par rapport aux garçons, d’autres, comme Imane, rappellent que la religion peut enfermer. « Pour les filles, passé 16 ans, il est parfois difficile de poursuivre les études, difficile de se projeter dans autre chose que l’éducation des enfants. Dès qu’elles ont le bac, elles deviennent des “madames”. Se voilent.  Sont fières d’avoir leur diplôme et s’en contentent, même si ça ne débouche sur rien. C’est fréquent et un peu flippant. »

La crise économique

« Par manque de place, les enfants issus de l’immigration ne travaillent pas chez eux, explique l’assistante sociale Isabelle. Les parents rament. En vingt-trois ans, je n’en ai jamais vu autant au chômage et en fin de droits. Et je n’ai jamais vu non plus autant de gamins à l’aide aux devoirs le soir à l’école. Mais nous aussi, on manque de moyens pour les aider. »

Isabelle fait partie d’une commission qui tente de débloquer des fonds pour les familles qui ne parviennent plus à payer la cantine ou à participer au voyage scolaire de leur enfant. « J’entends beaucoup “Papa ne travaille plus”. Les pères sont souvent âgés, et quand ils travaillaient dans le bâtiment, ils ne retrouvent pas facilement d'emploi. Cela ne va pas sans déclencher de la morosité chez leurs enfants, quand ce n’est pas de la déprime. » Pour Isabelle, c’est une évidence, « les familles immigrées sont plus touchées par le chômage ».

La crise frappe cependant partout, y compris dans les zones rurales où l’on ne compte quasiment pas d’immigrés. Olivier, principal dans un collège de Picardie, perçoit les conséquences des suppressions de poste dans le flaconnage de verre et la serrurerie. « Avant, on n’entendait pas d’enfants dire "maman doit attendre la fin du mois pour m’acheter un nouveau cahier" ». Lui aussi a donc, alors qu’elles ne sont pas issues de l’immigration, des « familles du "quart monde", qui pensent avant tout à se nourrir, qui sont en rébellion par rapport aux institutions ». Mais « nous en avons relativement peu, peut-être 20 % des effectifs. La concentration de pauvreté n’est pas aussi forte que dans les zones urbaines sensibles. On a donc plus de temps pour elles. » Les résultats s’en ressentiraient.

Aymeric, également chef d’établissement en Picardie mais à Amiens où il fréquente une population bien plus mixte dans ses origines, note un changement profond au cours des dernières années : « Il y a dix ans, on entendait dire des enfants d’immigrés que c’était une population vivante, bruyante, pénible, mais qui en voulait plus qu’en territoire rural. Aujourd’hui, c'est fini. Leurs aînés sont au chômage. Les classes laborieuses ne s’imaginent plus devenir profs. C’est l’ancrage du :"On n’y arrivera pas". » Comme ses collègues, il en revient au point central. « C’est plus lié à l’origine sociale que culturelle. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 25/02/14

Notre-Dame-des-Landes : le vrai scénario de la manifestation contre le projet d’aéroport

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La ville de Nantes a-t-elle été le théâtre de scènes de « guérilla urbaine » samedi après-midi lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? L’« ultra gauche violente » et de « véritables casseurs antisystème » ont-ils orchestré une razzia en plein jour au cœur de l’une des plus grosses villes de France ? Les associations de paysans et de riverains opposés au projet d’aérogare sont-elles devenues « la vitrine légale d'un mouvement armé » ?

A Nantes, le 22 février, pendant la manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (©JJ)A Nantes, le 22 février, pendant la manifestation contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (©JJ)

Depuis samedi, le ministre de l’intérieur, des élus locaux, des responsables politiques nationaux et des chaînes de télévision déroulent un même scénario, univoque : la prise en otage d’une manifestation familiale par des hordes armées et la mise à sac du centre-ville (voir notamment ici, ou là, et encore ici) . Ces déclarations sont pourtant bien éloignées des faits que Mediapart a pu constater sur place, samedi, pendant la manifestation. Que s’est-il vraiment passé samedi 22 février entre 13 heures et 19 heures dans la métropole des Pays de la Loire ? Voici le déroulé des événements que nous avons pu reconstituer.

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Voir ici notre dossier complet sur l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes

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Le 12 février à 17 h 30, dix jours avant la date du rassemblement, le collectif des organisateurs composé d’opposants historiques à l’aéroport, d’agriculteurs et d’occupants de la Zad, la zone d’aménagement différée, déclare en préfecture une manifestation. Le parcours part de la place de la préfecture de Nantes et s’arrête square Daviais, dans le centre-ville. « Il existe une tradition syndicale en Loire-Atlantique selon laquelle on ne demande pas d’autorisation, on déclare les manifestations », explique Julien Durand, agriculteur retraité et pilier de l’Acipa, la principale association des opposants. «Nous avons souvent des manifestants non disciplinés, reconnait Patrick Lapouze, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique, qui dit être à l'initative de la réunion du 12 février. Mais lorsqu'il s'agit de manifestants institutionnels avec des personnalités politiques présentes, il serait tout de même bon que les règles républicaines soient respectées».

Deux jours plus tard, ce trajet est refusé par l’État qui, selon les organisateurs, s’oppose à son passage par le Cours des 50-otages, l’une des principales artères de la ville, très régulièrement empruntée par les manifestants nantais. Plusieurs réunions se tiennent, aucun accord n’est trouvé. De son côté, Patrick Lapouze, directeur de cabinet du préfet de Loire-Atlantique, affirme avoir proposé en vain plusieurs itinéraires qui passaient tous par le Cours des 50-otages. « Le Cours des 50-otages n'est pas un problème, au contraire c'est le lieu des manifestations institutionnelles, affirme-t-il. Mais les organisateurs voulaient passer aussi par les rues latérales, commerçantes et tortueuses où le maintien de l'ordre n'était pas possible. À partir du moment, où ils ont refusé, j'ai indiqué que je bloquerais le Cours. »

Le 22 février à 13 heures, jour de la manifestation, la place de la préfecture est noire de monde. Quelque 1 500 gendarmes et policiers sont mobilisés, dont selon nos informations le GIPN. Des familles, des délégués de comités de soutien de divers départements, des bonnets rouges – dont le maire de Carhaix, Christian Troadec –, des élus, des militants associatifs et syndicaux et de nombreux masques à l’effigie d’espèces animales présentes sur la Zad et menacées par le projet d’aéroport : triton crêté, triton marbré, lézard, campagnol...Le rassemblement est calme et joyeux. Peu de banderoles. Le cortège démarre autour de 13 h 15. Il suit un parcours alternatif, plus au sud, pour dégager la route du gros des manifestants, explique Julien Durand, l’un des organisateurs. Les forces de l’ordre bloquent le bas du Cours des 50-otages, ce qui raccourcit le parcours, au risque de ne pas permettre à tout le monde de défiler, précise Durand : « C’était trop court pour l’ampleur de la manif. »

Les manifestants sont nombreux : 20 000 selon la police, sans doute 50 000 selon les organisateurs, qui comptent 65 cars et 520 tracteurs, soit plus que pour la manifestation de réoccupation de la Zad (voir ici) du 17 novembre 2012 (40 bus et 400 tracteurs environ), dont le décompte oscille entre 15 000 et 40 000 participants. Très vite, des murs se couvrent de tags : « Nantes ma prison citoyen maton », « Non à l’Ayraultport », « Vinci dégage ». Les (rares) avions qui survolent cette partie de la ville sont hués. Un slogan résonne, en boucle : « Non à l’aéroport ! Résistances et sabotages ! » Sur un chantier de Vinci, le concessionnaire de Notre-Dame-des-Landes, en bord de parcours, une tractopelle est mise en feu. Une agence de Vinci est mise à sac : volets de bois arrachés, vitrine brisée, ordinateurs détruits, fils arrachés, armoires renversées.

« Pourquoi cette agence et ce matériel n’ont-ils pas été protégés ? Vinci est la cible des anti-aéroport », s’interroge aujourd’hui Julien Durand. « Comme les commerçants et la municipalité, les responsables de Vinci ont été alertés, ils ont jugés les volets de bois suffisants : après c'est un choix individuel », répond le directeur de cabinet du préfet. Mais les autorités semblent avoir été surprises par des actes de vandalisme qui ont commencé dès le départ du cortège et non sur la fin lors de la dispersion. Sur les précédentes manifestations de ce type, « les dégradations n'avaient jamais commencé aussi tôt, de façon aussi violente, et ce sous le regard bonhomme des manifestants institutionnels », indique Patrick Lapouze.

Un peu avant 15 heures, les premiers manifestants, des militants de la Confédération paysanne et de Via Campesina notamment, sont arrivés square Daviais, l’esplanade de fin de parcours. Débutent les premières prises de parole. Tout est calme. À 500 mètres de là environ, des affrontements débutent, au bas du Cours des 50-otages. D’un côté, des petits groupes lancent des pavés, des œufs remplis de peinture et autres projectiles sur les forces de l’ordre. De l’autre, des rangées de CRS tirent des bombes lacrymogènes à répétition. Les canons à eau déversent des tonnes de liquide à grands jets. Des grenades assourdissantes retentissent. Le commissariat tout proche, pourtant barricadé, est recouvert de tags, de jets de peinture. Début d’incendie à l'intérieur. Deux agences de voyagistes (Fram et Nouvelles frontières) sont mises à sac (vitrine brisée, intérieur détruit).

Une antenne du conseil général est aussi visée. Le toit d’un abri de tram part en flammes. Le feu se propage à un arbre voisin qui lui aussi se consume. Il s’agit sans conteste de destructions de biens matériels. Mais pourquoi parler d’attaques contre « des symboles de la République », comme l’affirme le président de la région, le socialiste Jacques Auxiette ? Ces actes de vandalisme semblent ciblés : les autres commerces sur le parcours, sans lien avec les porteurs du projet d’aéroport, sont laissés intacts (boulangeries, boutiques de fringues, épicerie…).

En milieu d’après-midi, des slogans plus radicaux apparaissent : « un flic, une balle ». Au sol, gisent des extincteurs pré-remplis de peinture pour taguer plus vite et plus fort. Mais ces échauffourées restent très circonscrites. Car en même temps, les manifestants continuent de défiler, les yeux rougis par l’épais nuage de lacrymogènes. Le meeting du square Daviais se poursuit dans les rires et les chants. Sur la place du commerce, à 100 mètres d’une bataille rangée entre CRS et manifestants, des dizaines de personnes boivent un verre assises en terrasse. Des passants font leurs courses. Certains manifestants tentent d’empêcher les attaques anti-policières. Mais la plupart laissent faire et poursuivent leur chemin. La scène n’a rien d’une guérilla urbaine. Aucun mouvement de panique. Pas d’état de siège. Tous ceux qui le souhaitent peuvent s’éloigner.

Combien de militants de culture « black bloc » se trouvent-ils dans les rues de Nantes ? À vue d’œil, très peu. Quelques dizaines au maximum. On semble les reconnaître à leur organisation bien rodée. Le visage entièrement recouvert, ils changent de vêtements sous une tente pour mieux se dissimuler quand ils quittent les lieux, et transportent leur matériel en caddies de supermarché. « Il y avait des groupes hyper organisés, habillés en noir avec des sacs à dos, on en a vu certains retirer leurs vêtements pour les mettre au feu », dit Caroline de Benedetti, présente dans le cortège et qui s’occupe du magazine L’Indic.

Mais autour d’eux, parmi les lanceurs de projectiles, on voit de nombreux jeunes bien moins préparés. Leur visage est apparent, parfois même sans capuches. Certains portent des drapeaux bretons, sans rapport avec les habituels étendards anarchistes. Impossible de les relier au black bloc, et encore moins à l’« ultra gauche » désignée par Manuel Valls. Cette expression, notamment popularisée par le criminologue Alain Bauer – et ami de trente ans du ministre de l’intérieur – ne recoupe aucune réalité sociologique avérée dans les mouvements politiques radicaux, beaucoup trop épars et autonomes les uns des autres. Elle avait servi au ministère de l’intérieur alors tenu par Michèle Alliot-Marie, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, au moment de l’affaire de Tarnac. La préfecture agite quant à elle le chiffre d'un millier de personnes, ayant « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la Zad, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black bloc ». Car Patrick Lapouze en est persuadé : « Ce que j'ai vu à Nantes hier, c'est ce que je vois depuis des années sur la Zad. On estime que le nombre de gens qui y sont actuellement est de 200, mais le nombre total de ceux qui y tournent est de l'ordre d'un millier. »

Pour Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa Police, les événements n’avaient rien d’imprévisible. « C’est un remake du sommet de l’OTAN à Strasbourg (en 2009, ndlr) avec des petits groupes très organisés, hyper-violents, dont on connaît très bien le mode d’action, explique-t-il. Ils arrivent, ils cassent en sachant d’avance où ils vont taper, puis ils s’en prennent à la police. On aurait pu les arrêter bien avant. Mais on a senti un flottement sur les instructions samedi, avec des ordres et des contre-ordres. Un commissariat en feu, ce n’est pas normal. »

Françoise Verchère, conseillère générale du Parti de gauche et l'une des responsables du collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (le Cédépa), parle, elle, carrément de « manipulation pour essayer de justifier le projet d’aéroport » : « Dès le samedi matin, en arrivant à l’aéroport de Nantes avec les tracteurs, les policiers nous ont dit que les black blocs allaient gâcher notre manifestation », explique-t-elle, jointe par téléphone. Dans une lettre ouverte au ministre de l’intérieur, elle s’étonne donc que ces casseurs, manifestement attendus par les autorités, n’aient pas été arrêtés avant leur arrivée. Impossible, pour des raisons matérielles et de respect des libertés, de filtrer les casseurs parmi « les 20 000 personnes qui sont rentrées dans Nantes samedi pour une manifestation qui n'était pas interdite », prétend le directeur de cabinet du préfet. « Il fallait mettre 25 000 militaires autour de Nantes pour faire des barrages ? » rétorque-t-il.

Côté forces de l’ordre, la préfecture de Loire-Atlantique compte 27 personnes (13 CRS et 14 gendarmes) admises au CHU, sans plus de détails. Côté manifestants, le décompte est moins précis : une quarantaine de personnes auraient été admises. Au moins deux ont fini au CHU avec de graves blessures au visage suite à des tirs. Un jeune charpentier cordiste de 29 ans, Quentin Torselli, a perdu son œil (voir ici ce billet de blog). « L’œil est crevé et l’os ainsi que le nez sont cassés en plusieurs endroits, c’est très douloureux », explique-t-il, joint par téléphone au CHU de Nantes. Il a été touché vers 19 heures place de la Petite Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. « J’ai fait la manifestation avec tout le monde jusqu’au Cours des 50-otages qui était bloqué, raconte Quentin Torselli. Les CRS tiraient lacrymos, grenades et flashballs en tir tendu en se protégeant derrière quelqu’un d’autre. J’allais pour partir quand j’ai été touché et j’ai perdu connaissance. »

Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché. Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché. © Yves Monteil

Pour Yves Monteil, photographe indépendant et membre de Citizen Nantes, témoin de la scène : « C’était : jets de pierres et de bouteilles contre tirs de lacrymos et de flashball. ». Il ajoute que « le manifestant blessé a été évacué dans une rue adjacente, au moment où le cordon de CRS avançait dans l’allée principale. Alors qu’une vingtaine de personnes levaient les bras en disant “Arrêtez, il y a un blessé”, les CRS ont continué à progresser dans cette rue adjacente en envoyant des lacrymos et des grenades ».

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Retrouver ici notre dossier Flashball

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La préfecture indique que seuls des LBD 40×46, des Flashball deuxième génération plus puissants et précis, ont été utilisés. Quentin Torselli, qui se définit comme un « citoyen, pas spécialement militant », a d’abord pensé à une grenade assourdissante « à cause du bruit ». « Je me rappelle d’un grand bruit et d’un grand choc, qui correspond en fait sans doute à l’éclatement de mon œil, indique-t-il. Un médecin m’a dit que les lésions correspondent à un tir de Flashball et on n’a pas retrouvé d’éclats de grenade. » Selon Yves Monteil, un autre manifestant, lui aussi blessé au visage par un tir, a été pris en charge par les secours près du CHU à peu près au même moment (voir ici d'autres photos). « Il a pris un tir de Flashball dans le nez dans le même quart d’heure », affirme le photographe, qui affiche lui un bel hématome au thorax, causé selon lui par un tir de lanceur de balle de défense alors qu'il filmait. De son côté, Quentin Torselli a effectivement croisé « quelqu’un qui a été blessé à l’œil » en se rendant au scanner. Contacté, le CHU de Nantes n’a pas souhaité confirmer.

« La réaction policière est disproportionnée, réagit le jeune charpentier. Ces armes, Flashball, grenades assourdissantes, sont dangereuses et n’ont pas leur place dans des manifestations. » Il envisage des suites juridiques, au pénal ou devant le tribunal administratif, « ne serait-ce quepour que ça n'arrive plus à d’autres ». En France, selon notre décompte, une vingtaine de personnes ont été grièvement blessées par des lanceurs de balles de défense depuis 2004. « Sans surprise, la liste des blessés et des éborgnés ne cesse de s’allonger », note le collectif « Face aux armes de la police ». Sans aucune réaction du ministère de l’intérieur, malgré les mises en garde à répétition de feu la CNDS puis du Défenseur des droits. « Il n'était pas masqué, pas armé, en train de reculer face à une charge, s’indigne sa mère Nathalie Torselli. J'ai une tristesse infinie, une rage qu'un gosse qui est là pacifiquement pour manifester son désaccord se retrouve dézingué. Il n'a rien fait que d'être là. »

Selon la préfecture, 14 personnes ont été interpellées. «La priorité pendant ces huit heures de violences était de défendre ce qui pouvait être protégé, dit Patrick Lapouze. Mais nous avons beaucoup de matériel vidéo, photographique en cours d'exploitation.»  Le maire de Nantes Patrick Rimbert (PS) a indiqué dimanche qu'il allait porter plainte contre X... pour tous les dégâts causés par la manifestation. Contactée lundi, la procureure de la République, Brigitte Lamy, indiquait n’avoir pour l’instant reçu aucune plainte.

À la suite de ces débordements, le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, a accusé les associations d’opposants d’être devenues « la vitrine légale d'un mouvement armé », expression qui s’applique habituellement aux mouvements indépendantistes en lien avec des groupes pratiquant la lutte armée, au Pays basque, en Corse ou en Irlande. Dans un premier temps, les organisateurs de la manifestation ont publié un communiqué plutôt conciliant vis-à-vis des heurts de samedi : « Il existe différentes manières de s'exprimer dans ce mouvement. Le gouvernement est sourd à la contestation anti-aéroport, il n'est pas étonnant qu'une certaine colère s'exprime. Que pourrait-il se passer en cas de nouvelle intervention sur la Zad ? » En réalité, les organisateurs de la manifestation sont divisés. Avant de repartir de Nantes, plusieurs comités locaux de soutien aux opposants leur ont demandé de condamner plus fermement les violences. L’Acipa, l’association historique d’opposants, tient une réunion exceptionnelle dès lundi soir. Et prévoit de tenir une conférence de presse à ce sujet jeudi prochain.

« L’unité de l’action et de l’opposition se vit tous les jours sur la zone, considère Julien Durand. Nous sortons de six mois d’occupation militaire, qui a occasionné la destruction de maisons, d’outils de travail, la pression militaire sur les habitants de la zone. J’appelle à mettre à leur juste place les dégradations matérielles de samedi par rapport aux préjudices physiques que nous avons connus. Parmi nous, certains ont perdu un œil et ont eu des orteils arrachés. » Le dossier de l’aéroport de la discorde est aujourd’hui en stand-by : la préfecture de Loire-Atlantique a publié fin 2013 les décrets nécessaires à l’ouverture des travaux mais aucune intervention n’est attendue sur le terrain avant les imminentes élections municipales et européennes.

BOITE NOIRECet article a été mis en ligne lundi soir un peu avant 21h. Depuis, nous avons reçu le message suivant d'Alain Bauer : "Je lis avec curiosité votre dernier papier sur la manifestation de Nantes. Contrairement à ce que vous indiquez, je ne suis ni l'inventeur ni l'utilisateur du terme ultragauche. J'en ai étudié l'apparition et l'utilisation depuis une première définition par Lénine dans un article, mais ma contribution s'est arrêtée à cela. La pratique de l'amalgame et l'idée que le ministre de l'intérieur se puisse s'exprimer sans référence à mes travaux est sans doute flatteuse, mais très fausse".

En réalité, dans notre article, nous écrivons que M. Bauer a popularisé la notion d'ultra gauche, et non qu'il l'a inventée.

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L'escroquerie à Pôle emploi du trésorier du micro-parti de Marine Le Pen

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Marine Le Pen, habituée à cibler les « profiteurs du bas » et la « fraude sociale », qu'elle attribue à « une explosion de l'immigration », a confié les finances de son micro-parti à un comptable mis en cause pour une escroquerie à Pôle emploi. Ancien du GUD (Groupe Union Défense), Olivier Duguet a été condamné le 6 juin 2012 à une peine de six mois de prison avec sursis pour « escroquerie » au préjudice de Pôle emploi. 

Olivier Duguet, 45 ans, est un proche de l'ancien leader du GUD Frédéric Chatillon, conseiller officieux et vieil ami de la présidente du FN. Il apparaît dans la gérance ou l'actionnariat de nombreuses sociétés de la galaxie du GUD (High definition security consulting, Hades Finance, Howell Finance, DGT Real Estate, société de développement et d'exploitation des eaux de sources, Équités), dont certaines ont été liquidées.

Il est notamment actionnaire de Dreamwell, filiale publicitaire de Riwal, l'agence de communication de Chatillon (lire nos enquêtes ici et là). Une partie de ces sociétés a un temps été domiciliée à la même adresse que Jeanne, le micro-parti de la présidente du FN.

Trésorier de Jeanne de sa création en novembre 2010 jusqu'en mars 2012, M. Duguet était parallèlement le comptable de la société Correctif, qui proposait l'édition et la correction de documents et revues. D'après des documents que Mediapart s'est procurés, il a établi frauduleusement pour Pôle Emploi, en avril 2010, des certificats de travail, attestations Assedic et reçus pour solde de tout compte, au nom de la société Correctif, au moment de sa liquidation. 

La justice a estimé qu'il a « été complice du délit d'escroquerie » reproché à une autre personne au nom de cette société (à hauteur de 42 081 euros) « en l'aidant ou en l'assistant sciemment », « en lui fournissant de fausses attestations ASSEDIC », mais aussi d'avoir lui-même « trompé le Pôle emploi » « par l'usage de manœuvres frauduleuses », « pour le déterminer à remettre des fonds » (23 958 euros). Le montant total de l'escroquerie, qui a bénéficié à trois personnes, atteint 100 748 euros net. Il s'élève à près de 277 000 euros en prenant en compte le "préjudice évité" (si la fraude n'avait pas été découverte).

Olivier Duguet a perçu indûment l'allocation chômage pendant 186 jours, entre juin et décembre 2010. Pôle emploi a expliqué à Mediapart avoir constaté « des sommes relativement importantes (70 000 euros) en "préjudice évité" » s'agissant de M. Duguet, mais aussi « trois gérances non déclarées » de sa part, puisqu'il était parallèlement à la tête d'autres sociétés. Alerté en janvier 2011, l'organisme public avait déclenché une procédure de suspicion de fraude.

O. Duguet (à gauche) et F. Chatillon (à droite) lors d'un rassemblement pro-Bachar al-Assad, à Paris, le 30 octobre 2011.O. Duguet (à gauche) et F. Chatillon (à droite) lors d'un rassemblement pro-Bachar al-Assad, à Paris, le 30 octobre 2011. © Capture d'écran d'un documentaire de Canal Plus.
Frédéric Chatillon (cercle violet) et Olivier Duguet (cercle vert) lors du rassemblement pro-Bachar al-Assad le 30 octobre 2011.Frédéric Chatillon (cercle violet) et Olivier Duguet (cercle vert) lors du rassemblement pro-Bachar al-Assad le 30 octobre 2011. © Reflexes

L'ex-trésorier du micro-parti de Marine Le Pen a accepté d'être jugé dans le cadre discret d'une "Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (Crpc) – plus communément appelée le “plaider coupable” –, une procédure qui offre l'avantage d'éviter la publicité des faits lors d'une audience publique au tribunal, et qui permet également d'obtenir une peine plus clémente.

Contacté, Olivier Duguet confirme cette condamnation mais renvoie la balle vers « les dirigeants », qui ont, dit-il, « mis en place un montage au préjudice de Pôle emploi »« au moyen de (ses) outils comptables ».

Cette réponse « étonne » le gérant de la société, Grégoire Boucher, « ami depuis des années » d’Olivier Duguet et militant d'extrême droite, condamné lui aussi à six mois de prison avec sursis« Non seulement ce n’est pas vrai, mais ce n’est même pas la version qu’il avait défendue le jour du procès », explique-t-il à Mediapart. Devant la justice, ils avaient, selon M. Boucher, expliqué qu’une « tierce personne », « amie d’Olivier Duguet », condamnée à deux mois avec sursis, « avait fait de fausses fiches de paye en utilisant les tampons de l’entreprise ».

Les deux hommes n’avaient pas contesté les faits. « On a décidé que c’était une affaire passée et entendue. L’avocat a dit (à Olivier Duguet) qu’il valait mieux ne pas insister et prendre cela », justifie Grégoire Boucher. Une autre procédure est actuellement en cours s'agissant du remboursement des sommes perçues, après une seconde plainte de Pôle emploi au civil.

Catholique traditionaliste, pilier du Printemps français, la branche radicale de la “Manif pour tous”, et « ami » de Frédéric Chatillon, Grégoire Boucher est lui aussi à la tête de plusieurs sociétésMediapart l'a aperçu, avec une oreillette, dans le noyau des organisateurs de la manifestation d'extrême droite « Jour de colère », le 26 janvier, à Paris.

Grégoire Boucher, lors de la manifestation de "Jour de colère", le 26 janvier 2014, place de la Bastille, à Paris.Grégoire Boucher, lors de la manifestation de "Jour de colère", le 26 janvier 2014, place de la Bastille, à Paris. © Mediapart / N. Serve

En février et mars 2012, Pôle emploi missionne un huissier pour réclamer les sommes détournées, et la police judiciaire convoque les mis en cause par courrier. Le trésorier de Jeanne est remplacé. Marine Le Pen a-t-elle tenté d’évacuer Olivier Duguet au moment de ses ennuis judiciaires ? Pas du tout, répond le comptable. « Ma mission concernait les élections cantonales de 2011 et a pris fin en mars 2012 (comme il était convenu) après la clôture des comptes de l’association Jeanne au 31 décembre 2011 et de leur transmission à la commission de financement des partis politiques », justifie-t-il. Sollicitée par Mediapart, la présidente du Front national n'a pas donné suite.

Le 15 mars, la trésorerie de Jeanne revient à un autre ancien du GUD, ami et associé de Frédéric Chatillon, d'après la déclaration enregistrée en préfecture, cosignée par M. Duguet (voir ci-dessous) : Axel Loustau. Candidat FN lors des législatives de 1997 dans les Hauts-de-Seine, M. Loustau est président de la société privée Vendôme Sécurité, prestataire du FN pendant la campagne présidentielle de 2012.

Mais le nouveau trésorier de Jeanne fait aussi parler de lui : le 23 avril dernier, il est interpellé lors d'affrontements avec la police et de violences contre les journalistes, en marge de la manifestation contre le mariage pour tous, aux Invalides (lire notre article). 

Axel Loustau, le trésorier du micro-parti de Marine Le Pen, interpellé dans la nuit du 23 au 24 avril 2013, aux Invalides.Axel Loustau, le trésorier du micro-parti de Marine Le Pen, interpellé dans la nuit du 23 au 24 avril 2013, aux Invalides. © Mediapart / N. Serve

Il apparaît sur ces images (à 3'09 et 3'43) avec un casque et un bâton face aux forces de l'ordre. En janvier, il était également présent au côté de Grégoire Boucher dans le rassemblement de « Jour de colère ».

Axel Loustau avec un casque et un bâton blanc, le 23 avril 2013, face aux forces de l'ordre.Axel Loustau avec un casque et un bâton blanc, le 23 avril 2013, face aux forces de l'ordre. © BreakNewsPress2

Après les démêlés de ses trésoriers successifs, et alors que la justice a ouvert une enquête préliminaire sur le fonctionnement de Jeanne, Marine Le Pen veut-elle faire oublier ce micro-parti à son service ? Le 30 décembre, une nouvelle formation a en tout cas été déclarée par les Le Pen à la sous-préfecture de Boulogne-Billancourt : Promolec, et son association de financement “Jean-Marie Le Pen - Promolec”.

Ce parti est « chargé de promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen », indiquent les statuts de cette structure domiciliée à Montretout, maison familiale des Le Pen. Il est contrôlé par le cercle Le Pen lui-même : Jean-Marie Le Pen en est le président, Gérald Gérin, son assistant et homme de confiance, occupe le poste de trésorier, Marine Le Pen celui de secrétaire générale, et Micheline Bruna, militante historique et candidate régulière dans le Val-d'Oise, celui de secrétaire générale adjointe.

BOITE NOIREMarine Le Pen a été sollicitée à plusieurs reprises en février, par l'intermédiaire de sa directrice de cabinet, Charlotte Soula. Elle n'a pas donné suite.

Contacté une première fois en septembre, Olivier Duguet n'avait pas souhaité nous rencontrer et nous avait adressé ses réponses dans un email du 6 septembre. Sollicité avec de nouveaux éléments le 11 février, il a refusé de nous répondre.

Grégoire Boucher a été interviewé à deux reprises, le 22 octobre et le 11 février.

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Nucléaire : allonger la durée de vie des réacteurs va coûter très cher

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Allonger la durée de vie des réacteurs nucléaires : c’est la volonté d’EDF, qui déploie un intense lobbying en ce sens depuis au moins la fin des années 2000. C’est aussi la décision implicite que pourrait être en train de prendre l’exécutif, à force de non-décision sur ce sujet hautement sensible. Construit en un temps record entre la fin des années 1970 et 1980, le parc nucléaire français est aujourd’hui confronté à un « effet falaise » : 80 % de ses tranches ont été mises en service entre 1977 et 1987. Elles atteindront donc leur 40e année entre 2017 et 2027, c’est-à-dire demain. Cela concerne près des deux tiers de nos besoins actuels en électricité. Ainsi, quatre réacteurs vont atteindre leurs 40 ans de fonctionnement d’ici 2018, 23 l’atteindront au cours des cinq années suivantes.

La centrale nucléaire de Fessenheim (Wikicommons).La centrale nucléaire de Fessenheim (Wikicommons).

En janvier 2012, la Cour des comptes sonnait l’alarme (voir ici) : « Compte tenu du délai en matière de politique énergétique entre la prise de décision et ses effets, ne pas prendre de décision revient à faire un choix, celui de faire durer le parc actuel au-delà des 40 ans. » L’alerte porte sur l’opacité des conditions de cette prise de décision. Car la voie de l’allongement de la vie des centrales s’ouvre « sans que ces orientations stratégiques n’aient fait l’objet d’une décision explicite, connue du grand public, alors qu’elles nécessitent des actions de court terme et des investissements importants », ajoute encore la Cour. Or la promesse de campagne de François Hollande de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité (contre 75 % aujourd’hui) ne résout absolument pas le problème, comme le montre le schéma ci-dessous :

Production du parc existant jusqu'à 40 ans et trajectoire nucléaire (©Wise-Paris, 2014).Production du parc existant jusqu'à 40 ans et trajectoire nucléaire (©Wise-Paris, 2014).

Si 25 % des réacteurs ferment d’ici 2025, que deviennent tous les autres qui auront passé la quarantaine ou seront en passe de le faire ? Que l’on décide de les fermer également, de les prolonger ou de les remplacer par la nouvelle génération des EPR (dont une tranche est actuellement en construction à Flamanville, dans la Manche), leur vieillissement va devenir un enjeu de plus en plus important.  

A-t-on vraiment les moyens financiers, techniques et réglementaires de faire tourner ces équipements au-delà de leurs 40 ans de vie initialement prévus ? Contre toute attente, en pleine préparation du projet de loi sur la transition énergétique, et six mois après la fin d’un vaste débat national sur le sujet, il est toujours très difficile de répondre à cette question. EDF distille les informations au compte-gouttes, l’autorité de sûreté du nucléaire (ASN) n’a de compétences que sur la sûreté du parc, et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ne peut expertiser que les coûts et les prix de l’électricité. L’état public des savoirs est à la fois insuffisant et parcellaire.  

Pour la première fois, un ambitieux rapport d’étude tente de mettre à plat l’ensemble des connaissances sur ce sujet très sensible. Commandité par Greenpeace, ONG qui milite ouvertement pour la sortie du nucléaire, il a été réalisé par un bureau d’études proche des opposants à l'atome et réputé pour son expertise, Wise-Paris. Il est publié mardi 25 février et disponible en cliquant ici.

En voici les principaux enseignements :

  • Une facture potentiellement très lourde

Le coût financier de l’allongement de la durée de vie pourrait s’avérer très élevé, beaucoup plus que les chiffres aujourd’hui mis sur la table par EDF. Le renforcement d’un réacteur de 40 ans pour le hisser à un niveau de sûreté renforcé, comparable à celui d’un EPR, pourrait coûter entre 2,5 milliards et 6,2 milliards d’euros par tête, estime Wise-Paris. « Il y a très peu de chiffrages suffisamment détaillés, on ne peut que donner des ordres de grandeur, et réaliser des projections », met en garde, prudent, Yves Marignac, son directeur. Selon ses estimations, au pire, la facture des investissements à fournir serait quatre fois plus élevée que les moyens envisagés aujourd’hui par EDF. L’électricien annonce prévoir 55 milliards d’euros pour son « grand carénage », une remise à niveau général de son parc, montant auquel s’ajoutent les travaux occasionnés par les évaluations complémentaires de sûreté (ECS) exigées par l’ASN après la catastrophe de Fukushima.

Wise-Paris a élaboré trois scénarios de sûreté (dégradée, préservée, renforcée) et tenté d’estimer les coûts financiers potentiels de chacun d’entre eux. L’enjeu majeur en gain de sûreté et en coût financier, c’est la « bunkerisation » des piscines de combustibles, c’est-à-dire leur couverture pour les protéger contre des événements extérieurs. Cette seule opération pourrait coûter 1 milliard d’euros par piscine, avait estimé l’ASN en 2011. Ce type de travaux pourrait entraîner l’arrêt de chaque réacteur concerné pendant deux ou trois ans. Au coût financier s’ajouterait alors le manque à gagner du non-fonctionnement de la tranche (en général évalué à un million d’euros par jour).

Les principaux enjeux de sûreté sont aussi les principaux enjeux de coûts, explique Yves Marignac : la couverture des piscines de combustibles, la sécurisation du système de contrôle-commande, la protection des éléments constitutifs de « noyaux durs » (comme les moteurs diesels ultimes, destinés à pallier une perte d’alimentation en électricité). Conclusion de Wise-Paris : l’enveloppe de 55 milliards d’euros prévue par EDF préempte les niveaux de sûreté du parc. L’exploitant ne semble pas prendre en compte la marche gigantesque à franchir que représente le tournant des 40 ans de ses réacteurs.

  • Aucune garantie de faisabilité technique

L’incertitude sur la faisabilité des travaux nécessaires à l’amélioration de la sûreté du parc est grande, signale le rapport. Les centrales nucléaires françaises se caractérisent par leur homogénéité : sorties de terre en très peu de temps, elles utilisent la même technologie (les réacteurs à eau pressurisée, les « REP ») à l’exception de la nouvelle génération des EPR, opérée par l’unique exploitant qu’est EDF. L’enjeu technique du prolongement se pose donc en terme générique, avec des avantages et des inconvénients : ce qui pose problème pour une installation, peut se retrouver sur toutes les autres.

Les difficultés techniques sont potentiellement de plusieurs ordres : usure, obsolescence, plus grande fragilité à des événements extérieurs, maintenance insuffisante… Certains équipements peuvent être changés facilement, d’autres avec beaucoup plus de difficultés : tuyauteries enterrées, gaines de câbles électriques, couvercle des cuves de réacteurs, éléments du circuit primaire. Mais certains sont irréparables, car hors d’atteinte : cuves et enceintes des réacteurs. 

Autre problème, déjà soulevé par l’ASN : le pic de charges. L’autorité a déjà prévenu qu’à moyens constants, elle ne parviendrait pas à traiter tous les dossiers de sûreté qui s’accumulent avec les années, et les nouvelles exigences post-Fukushima. Pierre-Franck Chevet, son président, a aussi publiquement déploré qu’EDF ne soit pas en état de gérer sa maintenance courante. Que se passera-t-il si le volume des travaux croît de manière considérable ? 

L’ASN doit rendre en 2015 un premier avis sur le « post 40 ans », et annonce une prise de position générique en 2018 ou 2019. Viendra ensuite l’étude au cas par cas des tranches nucléaires. En juin 2013 (18 juin), elle a conditionné ses futurs avis à la réalisation des travaux exigés pour le passage à 40 ans. 

Investissements passés et projetés d'EDF dans le parc nucléaire, en 2008 (©Wise-Paris)Investissements passés et projetés d'EDF dans le parc nucléaire, en 2008 (©Wise-Paris)

 

  • Quel débat démocratique ?

« Il n’y a aucune visibilité sur ce processus de décision, c’est pourtant un enjeu majeur », regrette Yves Marignac, selon qui les données techniques et industrielles ne peuvent plus être considérées comme privées par l’exploitant.

Le cadre réglementaire est à la fois flou et peu respecté. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la procédure de datation des centrales nucléaires n’est pas claire. Quel est le bon jour anniversaire : 40 ans après le coulage du premier béton, le début de la mise en service, la première divergence, le raccordement au réseau ? Rien ne l’indique. Autre exemple d’ambiguïté : censées se produire tous les dix ans, les visites décennales de contrôle conduites par l’ASN glissent dans le temps. Si bien que sur les 27 réacteurs qui aujourd’hui ont franchi le cap de leurs trente années d’exploitation, seuls cinq ont reçu le feu vert réglementaire pour voguer a priori vers leurs 40 ans. 

Pour Wise-Paris, l’effort technique et de sûreté à fournir pour passer l’étape des 40 ans est tel qu’il nécessite le déclenchement de nouvelles logiques de consultation et d’approbation par la puissance publique. Et s’il fallait ouvrir une enquête publique, lancer un débat public pour chaque réacteur concerné ? Selon la loi, la saisine de la commission nationale du débat public (CNDP) est de droit pour les investissements supérieurs à 300 millions d’euros dans le nucléaire.  

Conclusion du rapport : face à l’énormité de ces enjeux, il y a besoin d’une politique énergétique claire. Pour Greenpeace, qui a commandité l’étude, il faut que la future loi de transition énergétique limite à 40 ans la durée de vie des réacteurs et qu’elle se fixe un objectif de 45 % de renouvelables en 2030 (contre 27 % à l’étude aujourd’hui dans le cadre d’une directive européenne en discussion, voir ici). Un rendez-vous a été demandé à l’Élysée pour y présenter cette étude. Pour l’instant, pas de réponse.

BOITE NOIRECet article a été écrit sur la base de la lecture du rapport et d'un entretien avec Yves Marignac, son auteur, ainsi qu'avec Sébastien Blavier, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. EDF n'a pas été sollicité compte-tenu de la confidentialité de l'étude jusqu'à son jour et heure de publication, le 25 février à la mi-journée.

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Orange installe la censure dans sa filiale cinéma

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Chez Orange, la censure, ce n’est pas du cinéma. Selon des documents auxquels Mediapart a eu accès, les intérêts personnels du président du groupe Stéphane Richard interfèrent avec la ligne éditoriale. Fin 2013, à un moment où le journal Le Monde publiait plusieurs articles sur l’affaire Tapie incriminant Stéphane Richard, il a été demandé à la directrice générale de la filiale Frédérique Dumas de renoncer à financer un film sur Yves Saint-Laurent, celui que préparait Bertrand Bonello, pour ne pas « s’attirer les foudres » de Pierre Bergé, actionnaire du quotidien supposé peser sur la ligne éditoriale, et ancien compagnon du célèbre couturier.

Frédérique Dumas, productrice très respectée dans le milieu, a alors refusé de sacrifier un projet artistique au profit des intérêts privés du P-DG. Le 7 février 2014, elle a été révoquée. Déjà, en 2011, la filiale Orange Studio s’était vu interdire par la direction du groupe de financer tout « film politique ». La décision avait été prise après deux longs-métrages de Mathieu Kassovitz (L'Ordre et la morale) et de Nicolas Hulot (Le Syndrome du Titanic), jugés trop dérangeants. Les producteurs et réalisateurs, à qui nous avons appris ces ingérences, se disent choqués. Orange tente de minimiser.

Stéphane Richard, P-DG d'OrangeStéphane Richard, P-DG d'Orange © Reuters

En juin 2013, Stéphane Richard est au cœur d’une tempête judiciaire et médiatique, largement chroniquée sur Mediapart depuis 2008. Le journal Le Monde publie plusieurs articles qui décrivent le rôle de l’ancien directeur de cabinet de la ministre de l’économie Christine Lagarde lors de l’arbitrage favorable rendu à Bernard Tapie en 2008 dans l’affaire Adidas. En un mois, une trentaine de papiers relatant les évolutions de l’enquête judiciaire en cours évoquent les responsabilités de celui qui est entretemps devenu P-DG d’Orange. Le 13 juin, un article est titré : « L’avenir de Stéphane Richard à la tête d’Orange en question ». Le 17 juin, « Amère et troublée, Mme Lagarde se défausse sur M. Richard, son ex-collaborateur ». Le 18, « M. Richard aux policiers : “C'est Mme Lagarde qui a donné [son] accord” en faveur de l'arbitrage ».

Ce même 18 juin, en fin d’après-midi, Frédérique Dumas, directrice d’Orange Studio (anciennement appelée Studio 37) depuis sa création en 2007 reçoit un message sur la boîte vocale de son téléphone. Celle qui a coproduit des films comme The Artist, Les Beaux Gosses, Gainsbourg vie héroïque ou encore Welcome, entend la voix de Xavier Couture, conseiller spécial du P-DG d’Orange Stéphane Richard lui dire ceci :

© DR

 

Voici la retranscription du message de Xavier Couture :

« Oui, Frédérique, c’est Xavier, écoute, on discutait avec Stéphane, de la problématique du Monde au sens le plus large avant que, voilà, que j’essaie de convaincre les journalistes du Monde d’être un peu plus gentils avec Stéphane, et pas de faire un feuilleton avec une histoire qu’on aimerait bien voir retomber. Je pense qu’il serait utile de réfléchir à deux fois avant de financer le film sur Yves Saint-Laurent qui est très contesté par Pierre Bergé comme tu le sais, voilà. Donc ça n’a pas un lien de cause à effet immédiat, mais je pense que c’est peut-être pas utile en ce moment de s’attirer les foudres de Pierre Bergé. Donc je ne sais pas où tu en es sur ce film. On me dit que Orange Studio aurait l’intention de le produire, or à ce stade Stéphane n’est pas vraiment favorable voilà, écoute tu peux me rappeler quand tu veux. Je t’embrasse. »

Orange Studio coproduit en effet le film à hauteur de 1,3 million d'euros – une autre société de production, Europa Corp, investit la même somme. Mais au mépris de la liberté éditoriale d’une filiale censée être indépendante et pour préserver les intérêts privés de Stéphane Richard, il est demandé à Frédérique Dumas de renoncer à financer le long-métrage de Bertrand Bonello. Le tout pour satisfaire Pierre Bergé, dont on suppute qu'il exerce une influence sur le contenu des articles du Monde, et dont tout le monde sait à l’époque qu’il privilégie un autre film sur Yves Saint-Laurent, signé Jalil Lespert, comme Mediapart l’a déjà raconté.

Afin de confirmer l’authenticité de l’enregistrement et d’obtenir des explications, Mediapart appelle donc Xavier Couture pour lui demander s’il a bien laissé un message de ce type. Réponse de l’intéressé : « C’est ridicule. J’ai été journaliste, éditeur de presse. Vous imaginez la rédaction du Monde et les journalistes qui suivent ces dossiers en reçevant un appel de Pierre Bergé sur le thème “Calmez-vous”. Ça n’existe pas. Je ne suis ni naïf ni idiot. »

Xavier Couture explique : « Je suis depuis très longtemps lié à Pierre Bergé. Il était le promoteur du film de Jalil Laspert sur Yves Saint-Laurent. Il considérait que l’autre film en élaboration n’était pas conforme à l’idée qu’il se faisait d’Yves Saint-Laurent. Il s’est permis de m’appeler en me disant amicalement qu’il n’était pas favorable à ce qu’on le soutienne. »  

Xavier Couture conteste d’abord l’existence même du message, évoquant une « création ». Puis quand on lui lit mot à mot, il tempère : « Ça me paraît assez bénin. Si on peut s’éviter de se mettre Pierre à dos, c’est aussi bien. Stéphane n’était peut-être pas favorable à ce qu’on mette Pierre Bergé de mauvaise humeur. On est tous copains avec lui. La belle affaire. »

Pour Xavier Couture, « ce serait fort si on avait renoncé au film. Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas un ordre, assure-t-il. J’ai demandé à ce qu’on réfléchisse. On a réfléchi. On a fait le film. Il y a zéro problème. »

Mais pourquoi avoir tenté ? Pourquoi mentionner Le Monde s’il ne s’agissait pas d’obtenir des faveurs éditoriales ? Pourquoi faire passer les intérêts privés du P-DG avant ceux de son entreprise, qui avait décidé de faire le film ? « C’est une ignominie à laquelle je ne peux qu’apporter une récusation formelle. Je porterai plainte en diffamation. Il va falloir que vous fassiez la preuve que j’ai tenu ces propos. »

Face à ses réactions outrées, Mediapart décide alors de faire écouter l’enregistrement à Xavier Couture, qui reconnaît sa voix. Changement de pied : « Je ne suis même pas certain que Stéphane m’ait demandé quoi que ce soit. Pour essayer d’aider Pierre Bergé, j’ai utilisé tous les arguments. Je prends ça entièrement sur moi. Ça vous évitera d’appeler Stéphane Richard. D’ailleurs, on va s’en tenir à cette version : j’ai outrepassé mes droits en disant que Stéphane Richard était défavorable, alors qu’en fait, il n’était pas au courant. » Le P-DG d'Orange, qui n’a pas souhaité nous répondre, n’y serait donc pour rien.

Au bout du compte, Orange Studio a bien financé le film : « Christophe Lambert (d’Europa Corp, coproducteur du film) m’a dit qu’on ne pouvait pas se désengager. » Contacté, Christophe Lambert explique qu’« à l’époque rien n’était signé, mais Orange avait pris un engagement moral ». Et il précise : « Ce film devait exister en dépit des pressions, au nom d’une certaine liberté du cinéma. Et sans Orange, il n’aurait pas vu le jour. »

Au vu de ce contexte, difficile pour le groupe de Stéphane Richard de se désister en dernière minute sans susciter un scandale. D’autant que Frédérique Dumas résiste : « Le scénario était magnifique, Bertrand Bonello est un grand réalisateur. Je ne pouvais pas ne pas le faire. »

Yves Saint-Laurent et Pierre BergéYves Saint-Laurent et Pierre Bergé © Reuters

Contacté par Mediapart, Pierre Bergé ne souhaite pas dire si il est bien intervenu ou si ses désirs ont été anticipés. Ni « apporter de commentaire » à l’affaire.

Bertrand Bonello, lui, ne s’en prive pas. Le réalisateur, à qui l'on relate les faits, se dit « choqué » : « Toute l’histoire de ce film a été compliquée. Il y a eu beaucoup d’interventions. Je n’étais pas au courant de celle-ci. C’est un message vocal sans appel. Sans ambiguïté. Je suis abasourdi. Maintenant, ça dépasse le cinéma. On est dans les intérêts privés de deux personnes, Stéphane Richard et Pierre Bergé. On n’est plus du tout sur le fait de produire ou non un film en fonction de sa qualité. Je suis d’autant plus choqué que quelques jours après ce message, en juillet, j’ai rencontre Pierre Bergé qui m’avait tancé : “Je vous en voudrais de me faire passer pour un censeur, moi l’ami des artistes.” »

Sept mois mois plus tard, le 7 février 2014, Frédérique Dumas est révoquée. « Mais cela n’a aucun lien avec cette affaire », assure Orange qui, pour des raisons juridiques, se dit dans l’impossibilité de s’exprimer sur les raisons de cette séparation.

D’après nos informations, cette intervention spectaculaire dans la ligne éditoriale de Studio Orange n’est pas pas la première du genre. Le 16 novembre 2011, sort le film de Mathieu Kassovitz L’Ordre et la morale, consacré à la prise d’otages de gendarmes dans la grotte d’Ouvéa et à l’intervention sanglante de l’armée, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle de 1988 opposant François Mitterrand à Jacques Chirac (relire notre analyse du film ici).

Quinze jours plus tard, le 1er décembre 2011, se réunit le conseil d’administration de Studio 37. Siègent notamment ce jour-là Christine Albanel, présidente du conseil d’administration, porte-parole d’Orange, ancienne ministre de la culture (2007-2009) et ancienne plume de Jacques Chirac ; Gervais Pellissier, n° 2 du groupe et proche de Stéphane Richard, ou encore Elie Girard, directeur de la stratégie et du développement.

Mediapart s’est procuré le procès-verbal de ce conseil d’administration dont voici un extrait :

Extrait du procès verbal du Conseil d'administration du 1er décembre 2011Extrait du procès verbal du Conseil d'administration du 1er décembre 2011

« Les membres du conseil commentent les derniers films coproduits. Gervais Pellissier commente le film de Mathieu Kassovitz L’Ordre et la morale et précise qu’il ne souhaite pas que le groupe poursuive sur une ligne éditoriale de ce type. Il précise que les fonds qui nous sont confiés, par notre actionnaire principal, ne doivent pas servir à financer des films politiques et que nous devons rester mesurés quand il s’agit d’histoires récentes. Christine Albanel précise que ce film est sorti trop tôt par rapport aux faits et qu’il aurait été préférable d’attendre quelques années encore avant de sortir ce film. Il en est de même pour le film de Nicolas Hulot Le Syndrome du Titanic, qui a été un mauvais choix d’après Elie Girard.»

Le conseil doit tirer les leçons de ces choix et faire preuve de plus de circonspection quand on touche à une actualité récente qui pourrait avoir un impact "politique" sur le groupe. »

Pour Frédérique Dumas, qui assiste au conseil, la sentence est définitive. Interrogée sur ce point, elle reconnaît aujourd’hui qu’elle a obtempéré : « Dans les deux années qui ont suivi, on est par exemple venu me proposer un film sur une candidate à l’élection présidentielle et un film sur Karachi. Je savais qu’il m’était impossible de les produire. »

Xavier Couture, membre de droit du conseil d’administration à l’époque, mais absent ce 1er décembre 2011, est choqué par notre question sur le refus de financer des films politiques : « Je n’ai jamais jamais entendu parler de ça. Jamais. Ça me paraît lunaire. Les règles de gouvernance du studio laissaient une totale indépendance à Frédérique Dumas et je ne vois pas la maison prendre une décision aussi stupide. C’est impossible. Le cinéma par définition rend compte de la vie en général, de la vie de la cité parfois, et donc la politique est directement associée à une démarche cinématographique. Le contraire serait sans objet : la liberté éditoriale est consubstantielle de la vie culturelle d’une manière générale et en particulier de la vie du cinéma. Personne n’a jamais contesté les choix éditoriaux de Frédérique Dumas. »

Quand on insiste, Xavier Couture s’offusque de plus belle : « Je ne sais pas qui vous a raconté des blagues pareilles. Lors des films de Kassovitz et Hulot, le conseil d’administration s’était étonné des piètres résultats financiers mais pas de leur caractère politique. Pas sur le fond. Vous imaginez une maison comme la nôtre, cotée en Bourse, où le président est visible et qui a une filiale de coproduction, s’amuser à jouer avec la politique, avec le choix éditorial ? »

La preuve est pourtant bien là, dans le PV auquel nous avons eu accès et que nous lisons à Xavier Couture. Après avoir rappelé que ces films ont bel et bien été produits, il explique : « Orange est une entreprise dont l’actionnaire de référence est l’État, une entreprise qui a vocation avant tout à servir l’infrastructure du pays par un équipement de réseaux. C’est donc très compliqué d’affirmer des opinions politiques fortes qui peuvent être en opposition avec tel ou tel acteur politique qui par ailleurs accompagnent la vie de l’entreprise. C’est compliqué car on finit toujours par fâcher quelqu’un. Une œuvre avec un fort parti pris risque d’être en contradiction avec telle ou telle opinion de tel ou tel parti, des choix politiques ou d’administrations. »

Xavier Couture tente de minimiser : « Je me souviens de CB 2000, la filiale cinématographique dirigée par Francis Bouygues, c’était pareil. Ils faisaient peu de films politiques car l’entreprise intervenait sur des marchés allant à de grandes entreprises. Ça me paraît assez légitime. »

Comme Xavier Couture, Christine Albanel commence par nier toute intervention dans la ligne éditoriale. « Dans mon souvenir, il y avait eu une discussion avant de financer le film de Kassovitz, c’est tout. Mais on n’a mis aucun obstacle. Et on ne peut absolument pas dire qu’il y a eu une décision formelle pour éviter les films politiques. »

Mais pourquoi considérer, près de 25 ans après les faits, qu’il est trop tôt pour faire un film sur une tuerie ? « Il y a le temps de l’histoire et un temps plus immédiat. On n’a cependant pas empêché le film d’être produit. Cela prouve qu’il n’y a eu aucune censure. Mais c’est un film qui n’a pas rencontré son public, il y a peut-être des raisons à cela. »

Christine Albanel ne se souvient d’aucune consigne. « Je n’en ai pas le souvenir, et même s’il y a une discussion pour dire “bon, ça n’a pas marché, c’était un peu sensible”, so what ? On peut aussi avoir des souhaits, des préférences, vouloir toucher le plus grand public. S’il n’y a pas eu d’autres films politiques, c’est qu’on ne nous en a pas proposé. »

Pour Frédérique Dumas, les choses sont pourtant limpides : « Studio 37 a été créé par Didier Lombard, qui tenait à l’indépendance éditoriale de la filiale. Rien ne relevait du groupe. Sous Stéphane Richard, il a été mis fin à cette indépendance. »

Mathieu Kassovitz, directement concerné et à qui l’on rapporte la teneur du conseil d’administration, ne se montre qu’à moitié surpris : « Ce qui me surprend, c’est que Hulot et moi, on ait réussi à faire nos films. Les grands groupes n’ont aucun intérêt à financer ce genre de projets qui ne rapportent rien et qui les mettent en difficulté puisque leurs patrons sont amis ou travaillent avec des hommes politiques. Je n’ai jamais eu de problème avec Orange. Je découvre les coulisses. C’est comme ça. »

L’allusion de Christine Albanel au laps de temps insuffisant laissé depuis 1988 ne l’étonne guère plus : « Ces gens-là voudraient qu’on attende leur mort. Ils n’aiment pas qu’on leur rabâche des choses. On ne fait rien sur la guerre d’Algérie, rien sur la guerre d’Indochine. Il y a beaucoup plus de possibilités aujourd’hui de faire un cinéma politique et à controverse aux États-Unis qu’en France, alors qu’on est le pays qui a créé ce cinéma. »

Mathieu Kassovitz en profite pour rappeler tout ce que son film a subi : « L’Ordre et la morale a été censuré en Nouvelle-Calédonie, où il n’est pas sorti. L’argument du distributeur était que les gens risquaient de brûler la salle… Je suis sûr qu’on me dirait la même chose aujourd’hui sur La Haine : le film terminerait sur YouTube. Mais la première censure, c’est quand on me dit que L’Ordre et la morale n’est pas un film pour Cannes. Et qu’un des films qui prend sa place est La Conquête, ce magnifique pamphlet pro-Sarkozy. »

Nicolas Hulot, dont le film est cité comme un contre-exemple de ce qu'il faut faire lors de ce conseil d’administration, dénonce également « une forme de censure ». L’homme, qui se dit désolé pour les réalisateurs qui sont passés derrière et qui n’ont pas pu faire leur film, trouve le contenu du PV « affligeant ». « C’est un mélange des genres anormal. Mais chacun appréciera. » Nicolas Hulot explique qu’il n’a jamais eu de retour sur son film de la part d’Orange. « Mais à l’évidence, ils ne s’attendaient pas à une approche aussi cinglante de notre société. J’ai bien vu que s’ils avaient su, ils ne seraient pas venus. »

Frédérique Dumas a été remplacée à la tête de Studio Orange par Pascal Delarue, qui assistait à ce conseil d’administration du 1er décembre en tant que directeur général adjoint. Officiellement, rien n’a changé. Mais plusieurs producteurs nous ont indiqué que les règles du comité d’investissement avaient été modifiées. À présent, les décisions ne relèvent plus de la direction de la filiale mais se prennent à la majorité des membres du conseil d'administration. Dont la nouvelle composition rend les membres de la filiale minoritaires en voix.

Orange refuse de commenter l’information, expliquant ne faire aucune différence entre l’ensemble des salariés d’Orange. Mais quand on pose la question à Frédérique Dumas sur les possibles conséquences d’un tel choix, son avis est tout autre : « Avec un vote à la majorité, je n’aurais même pas pu produire The Artist, un film muet en noir et blanc auquel personne n’aurait cru. » Et qui n’a même pas de portée politique.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 25/02/14

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