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La justice enquête sur les militaires français accusés de viols en Centrafrique

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Le silence. Durant de longs mois, la France s’est tue. L’été dernier, les plus hautes autorités françaises ont reçu un rapport de l’Onu accusant des soldats français de l’opération Sangaris de viols et d'agressions sexuelles sur des enfants centrafricains. Des faits qu’elles ont jugés suffisamment graves pour saisir la justice, mais sans en informer le public. Pour l'armée française, le scandale peut être dévastateur.

Mercredi soir, après les révélations du Guardian, le ministère français de la défense a finalement confirmé avoir été saisi « à la fin du mois de juillet 2014 de témoignages d'enfants centrafricains accusant d'agressions sexuelles des militaires français de l'opération Sangaris ». « Au vu du caractère circonstancié des témoignages et de l'extrême gravité des faits allégués, le ministre de la Défense a alors réagi en prenant toutes les mesures nécessaires (…). Une enquête de commandement a été immédiatement conduite », explique l’hôtel de Brienne. Le jour de la réception du rapport de l’agence de l’Onu, « le mardi 29 juillet 2014, le ministre de la Défense a saisi le parquet de Paris sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale ». Une enquête préliminaire a aussitôt été ouverte et des gendarmes français se sont rendus en Centrafrique « dès le 1er août, pour commencer les investigations ».

Jeudi, l'état-major s'est défendu d'avoir tu cette procédure. « Les armées n'ont pas rendu publics ces événements tout simplement parce que dès lors que la justice est saisie, une prise de parole serait faire entrave à son travail », a justifié son porte-parole, le colonel Gilles Jaron, cité par l’agence Reuters. « Il n’y a aucune volonté de cacher quoi que ce soit, nous sommes en train de vérifier la réalité des faits », a insisté Pierre Bayle, porte-parole du ministère de la défense.

Mais la justice centrafricaine n’a pas non plus été prévenue : à Bangui, le procureur de la République Ghislain Grésenguet a ouvert jeudi une information judiciaire. « Le parquet est totalement indigné de ne pas avoir été mis au courant de ces faits extrêmement graves qui ne pourraient être passés sous silence », a indiqué à Libération le magistrat informé mercredi par la radio RFI. 

Quant à François Hollande, il est resté très prudent sur les faits : jamais il ne parle de viols, d’agressions sexuelles ou même de crimes ; il préfère l’expression étrange de « mal comporté ». Depuis Brest, où il était en déplacement, le président de la République a affirmé que « maintenant il conviendra d’aller jusqu’au bout des procédures. Si ces informations sont confirmées, alors à ce moment-là, il y aura des sanctions qui devront être exemplaires ». « Je suis en soutien des armées, toujours (…) et si certains militaires s’étaient mal comportés, il y aurait des sanctions qui seraient à la hauteur de la confiance que nous portons à l’égard de l’ensemble de nos armées. Parce que je suis fier de nos armées et donc implacable à l’égard de ceux qui se seraient mal comportés, si c’est le cas en Centrafrique », a-t-il dit. Avant d’ajouter : « Que des militaires dans le cadre d’une opération de l’Onu, puissent éventuellement, si c’est confirmé, se comporter en prébendiers, il y aurait des décisions très graves. »

La secrétaire d’État à la famille Laurence Rossignol a eu des mots plus durs : si les faits étaient avérés, ceux qui sont là pour protéger, notamment les femmes et les enfants, « seraient eux-mêmes des prédateurs. D'un certain point de vue c'est un double crime ».

Le rapport confidentiel de l’Onu, dont le Guardian s’est procuré une copie, fait état des témoignages de jeunes garçons accusant des soldats français en Centrafrique d’agressions sexuelles, de viols et de sodomie, entre décembre 2013 et juin 2014 dans le camp de déplacés de l’aéroport M’Poko à Bangui. Les enfants y décrivent « comment ils ont été sexuellement exploités en échange de nourriture et d’argent », explique le Guardian. Selon la même source, un garçon de 11 ans raconte avoir été abusé alors qu’il cherchait de la nourriture. Un autre, âgé de 9 ans, affirme avoir été sexuellement abusé avec un ami par deux soldats français alors qu’ils se rendaient à un point de contrôle pour trouver à manger. Certains enfants ont été capables de décrire précisément les soldats impliqués. Selon Le Monde, six enfants ont été entendus par l'ONU : quatre victimes directes et deux enfants qui disent avoir pris connaissance, ou avoir été témoins, des agressions sexuelles subies par les quatre victimes directes.

Selon un responsable de l’ONU en Centrafrique, cité par Libération, « dans ce camp, c’était "un secret de polichinelle" ». Et à Bangui, le président d'une association de défense des droits de l'enfant a dit à Reuters avoir reçu ces deux dernières semaines « des informations accablantes qui accusent directement les soldats français ».

« Au vu du rapport, quatorze militaires français seraient concernés », a indiqué jeudi à Reuters une source judiciaire française. Et contrairement à ce qu'avait déclaré mercredi une source au ministère de la défense, « certains sont identifiés », a-t-elle ajouté, en précisant que leur identification avait été permise par des constatations faites sur place par les enquêteurs, recoupées avec les témoignages du rapport de l'Onu. Aucun militaire français n'a pour l'heure été entendu et d'éventuelles auditions ne sont pas prévues, a précisé cette source. Cinq militaires africains sont également concernés, trois soldats tchadiens et deux équato-guinéens.

Anders Kompass sur la BBC en 2013Anders Kompass sur la BBC en 2013 © Capture d'écran BBC

Ces témoignages, recueillis par un agent du BINUCA (Bureau intégré de l'Organisation des Nations unies en Centrafrique) assisté de personnels de l'UNICEF, ont été transmis à Genève. C’est là que le directeur des opérations de terrain au Haut Commissariat de l’Onu pour les droits de l’homme, le Suédois Anders Kompass, a décidé de transmettre le rapport aux autorités françaises. Parce que les Nations unies tardaient à agir, selon le Guardian, qui a reçu le document d’une ONG américaine Aids Free World.

Selon cette organisation, l’Onu a souvent tenté d’étouffer ce genre d’accusations (c’est loin d’être une première). Une version partagée par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Mais démentie par l’Onu, qui a suspendu la semaine dernière son responsable à qui elle dénie le statut de lanceur d’alerte.

Selon Le Monde, l'Onu a pourtant incroyablement tardé à répondre à la demande d'entraide envoyée par le parquet de Paris pour obtenir la levée de l'immunité de l'employée onusienne qui avait recueilli le témoignage des enfants, une condition nécessaire pour l'auditionner même en qualité de simple témoin. Les Nations unies se sont contentées de transmettre un questionnaire écrit. Dont les réponses ne sont parvenues au parquet que sept mois plus tard, le 29 avril, soit la veille de la révélation du scandale, ce qui a considérablement ralenti l'enquête, selon une source proche du dossier.

Dans un communiqué, l'association française Survie a quant à elle dénoncé les récentes dispositions de la loi de programmation militaire donnant au parquet le monopole des poursuites contre des militaires et les accords de défense signés avec plusieurs pays, dont la Centrafrique, qui octroient « l'impunité » pour ses soldats. « Les enfants centrafricains ou leurs représentants ne pouvaient donc en aucun cas déclencher une enquête : ni en Centrafrique, ni en France. Les victimes de militaires français en opération sont soumises au bon vouloir des autorités françaises dans leur droit à la justice », dénonce Survie.

Si les faits sont confirmés par les différentes enquêtes en cours, ils peuvent avoir un effet dévastateur pour l'armée française et pour François Hollande. C'est lui qui a engagé l'opération Sangaris en Centrafrique en décembre 2013 et c'est lui qui a décidé de taire au public les très graves accusations, circonstanciées, regroupées dans le rapport de l'Onu. C'est lui aussi qui vient de décider d'une importante hausse du budget de la défense.

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Jean-Claude Mailly (FO) : «Le gouvernement est dans une sorte de va-tout libéral»

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C’est la fête du travail ce vendredi 1er mai, la troisième depuis que la gauche est au pouvoir. Et ce pourrait être un grand flop. En tout cas, c’est l’échec de l’unité pour les syndicats. Plus que jamais divisés sur l’austérité, les petites et grandes réformes menées au pas de charge libéral par le gouvernement dit de gauche, ils sont incapables de se réunir en ces lendemains d'attentats, de loi Macron et où la France s’enfonce un peu plus dans le chômage de masse et vacille dans les bras de l’extrême droite. Luc Bérille, le secrétaire général de l'Unsa, traditionnel allié de la CFDT qui la joue en solo total cette année, espérait un « 1er Mai intersyndical » contre le Front national et pour la « défense des principes républicains », une des raisons qui l'ont poussé à signer l'appel commun, au côté de la CGT, de Solidaires et FSU. 

À la veille du 1er Mai, qui tombe en pleines vacances scolaires et lance le premier pont du mois, 17 jours travaillés sur 31, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière (FO), en conflit ouvert avec Laurent Berger de la CFDT qu'il accuse de faire le lit du FN en accompagnant le gouvernement dans ses réformes, assume de faire bande à part. « On ne va pas faire semblant d’être d’accord et leurrer les salariés », explique le plus ancien des leaders syndicaux, à la tête depuis onze ans de la troisième centrale française. Entretien.

Jean-Claude Mailly dans son bureau au siège de Force ouvrière à Paris, le 29 avril 2014Jean-Claude Mailly dans son bureau au siège de Force ouvrière à Paris, le 29 avril 2014 © Mathilde Goanec

Le 1er Mai se fête en ordre dispersé cette année sur fond de profondes divisions syndicales autour de la politique gouvernementale. Force ouvrière fait bande à part quand, un an plus tôt, elle défilait avec la CGT. Ces alliances-désalliances ne sont-elles pas illisibles pour l’opinion, qui a déjà une image négative des syndicats ? Quelle est votre stratégie ?

Je peux comprendre que ce ne soit pas très lisible. Cela étant, demander chaque année aux syndicats si le 1er Mai sera unitaire, c’est un marronnier, comme les régimes amaigrissants avant l’été. Des 1er Mai où il y a tout le monde, c’est très rare. On en voit lors d’événements particuliers quasi exceptionnels, comme en 2002 lors de la présence du Front national au second tour ou alors si le 1er Mai se situe en plein milieu d’un conflit social comme pour les retraites en 2010 par exemple.

Oui, mais cette fois, il intervient dans un contexte de tensions affichées avec Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT qui organise lui aussi un 1er Mai en solo…

D’une manière générale, FO agit avec les autres organisations lorsqu’elle partage des positions, revendications communes comme le 9 avril lors de la manifestation contre l’austérité avec la CGT. Sur le 1er Mai, à partir du moment où l'on a des divergences de stratégie entre organisations syndicales, on ne va pas faire semblant d’être d’accord en défilant ensemble et leurrer les salariés.

La CGT est sur une logique de syndicalisme rassemblé, pour essayer d’avoir tout le monde, elle défile avec FSU, Solidaires et l’Unsa [traditionnel allié de la CFDT - ndlr]. Pour nous, tout le monde, c’est bien, à condition qu’on soit d’accord. On ne l’était pas. C’est évident que si nous étions tous d’accord, cela aurait plus de poids ; mais on ne va pas se mentir.

Au passage, la loi de 2008 sur la représentativité n’a pas favorisé l’unité d’action. Dans les entreprises, dans les administrations, les syndicats sont plus en concurrence que jamais. Voyez les tensions que la mise en place de représentativité patronale génère en ce moment au sein du patronat. 

Est-ce plus difficile de faire du syndicalisme et de mobiliser sous la gauche ?

Que nous disent les salariés ? Qu’une journée de grève, c’est une perte de salaire, dans des temps très difficiles. « Si je perds mon boulot, je vais avoir droit à quoi ? Et si je retrouve pas de boulot ? Qui va payer le loyer, le gaz, les études de mes enfants ? » Voilà les questions concrètes qu’ils nous posent.

Est-ce que c’est plus difficile de mobiliser parce que c’est un gouvernement avec l’étiquette socialiste ? Oui, certainement, dans le sens où les gens perçoivent moins une logique d’opposition. Ce n’est pas parce que c’est tel parti qui est au pouvoir, c’est plus une question d’opposition. Quand vous avez un gouvernement dit de droite, vous avez une opposition de gauche. Quand la gauche entre guillemets est au pouvoir après des années à droite, vous avez le Front national car les gens disent : ils sont tous pareils.

Laurent Berger de la CFDT vous reproche de l’accuser d’être « complice » de la montée du Front national en ne dénonçant pas assez l’austérité et en accompagnant les réformes du gouvernement. Ces attitudes ne sont-elles pas aussi un facteur de la progression du FN ?

Je n’aime pas les polémiques. C’est lui qui a lancé les hostilités. C’est la deuxième fois que Laurent Berger m’attaque sur ce terrain. Déjà, il y a deux ans, il avait pointé du doigt « les syndicats qui sont dans la contestation » et dit d’eux qu’ils faisaient le lit des extrêmes… J’avais réagi. Le secrétaire général de la CGT aussi. Laurent Berger a remis récemment la charge. Je ne suis pas un catho. On m’en colle une, j’en rends deux. J’ai réagi dans un édito dans FO hebdo, notre magazine. Je ne peux pas laisser entendre une seule seconde que nous pourrions être responsables d’une montée des extrémismes et donc de l’extrême droite. Cela fait trois ans que j’explique que l’austérité est triplement suicidaire : démocratiquement, socialement, économiquement. Je suis le seul secrétaire général à avoir été menacé d’être attaqué en justice par le FN. 

Mais vous avez des syndiqués qui votent FN. Marine Le Pen a fait son meilleur score (25 %) chez les sympathisants de FO à la présidentielle de 2012…

Je n’en sais rien ! Peut-être. Je ne suis pas un directeur de conscience, je ne donne pas aux syndicats un rôle de contrôle des adhérents. Un adhérent FO peut être adhérent politiquement. On ne sait pas et on ne veut pas savoir. On ne fera jamais de statistiques pour savoir qui pense ceci et qui pense cela. Ce n’est pas uniquement face au FN. Pourquoi le FN progresse ? Car la crise est violente. Il ne faut pas être historien. C’est toujours dans ces périodes-là que les mouvements de rejet de l’autre progressent. Deux pays font exception : l’Espagne et le Portugal. Pourquoi ? Parce qu'il y a quarante ans, c’étaient des dictatures, et ils s’en souviennent.

Mais quelles sont les règles internes lorsque des adhérents se lancent en politique et basculent au FN ?

Il est interdit de se présenter à une élection politique sous l’étiquette FO. Sinon, et on a eu le cas – bien souvent on l’apprend par la presse à l’affût –, c’est l’exclusion. Qui a le pouvoir d’exclure ? Le syndicat de base. Nous sommes très démocratiques. Je n’ai aucun pouvoir d’exclusion. 

Mais que faites-vous pour lutter contre l’imprégnation des idées du FN dans les rangs de vos militants ? Le syndicat, lieu d’éducation populaire, n’est-il pas là pour réagir ? 

Près de 3 000 délégués étaient réunis en février pour notre congrès. Certains dans la salle ont peut-être leur carte au FN. Je ne le leur ai pas demandé mais toutes les résolutions ont été votées : sur la République, contre l’austérité, le racisme… Une personne est montée à la tribune pour dire qu’elle était contre l’Europe, mais cela ne veut pas dire qu’elle est encartée au FN. On peut être démocratique et contre l’Europe.

Le vote FN, c’est un cri de désespoir ; il peut y avoir de l’adhésion, mais c’est d’abord un vote de protestation. Si vous êtes salarié dans une entreprise, que votre pouvoir d’achat s’est cassé la figure ou que vous êtes au chômage ainsi que vos enfants, vous vous dites : ils sont tous les mêmes, ces politiques. Et vous vous tournez vers le FN.

Le seul moyen de lutter contre le FN, c’est de se bagarrer contre la situation économique. La vraie réponse est là. Tout le reste, c’est du vent, du pipeau. Si on laisse le chômage se perpétuer, il ne faudra pas s’étonner. Hitler a été élu démocratiquement, certes avec des conditions particulières. Je ne fais pas d’assimilation mais je relis l’Histoire. FO se bat contre l’austérité et je crois que c’est la bonne réponse. Je rappelle que la confédération européenne des syndicats, soit la totalité des syndicats européens dont fait partie la CFDT, considère qu’on est dans une logique d’austérité. On va finir par avoir de sérieux problèmes démocratiques.

Le chômage bat des records et la reprise est invisible. Comment jugez-vous la politique du gouvernement en matière d’emploi ?

On ne peut avoir de bonne politique de l’emploi sans politique économique. La gouvernement privilégie « l’investissement ». C’est le théorème d’Helmut Schmidt, que je transforme en : « Les profits d’aujourd’hui seront les investissements de demain et l’emploi d’après-demain. » Gattaz lui dit : « Les licenciements d’aujourd’hui font les emplois de demain. »

Le tournant qui nous conduit dans le mur, c’est l’acceptation du pacte budgétaire européen. Quand vous dites dans une campagne électorale, si je suis élu je renégocierai le traité et qu’en réalité, ce sont des bobards, à partir de là, vous rentrez dans le moule sans l’avouer car vous en avez honte. On n'a rien contre les entreprises, mais on a été et on est toujours critique sur le pacte de responsabilité.

Les faits nous donnent raison. Qu’on donne des aides aux entreprises, soit, mais il faut des contreparties car c’est de l’argent public. Ce que n’a prévu ni le CICE ni le pacte de responsabilité.

Et tous les experts disent que ça ne crée pas d’emploi…

Ça ne peut pas en créer ! La PME qui a des problèmes de carnet de commandes et donc des problèmes de trésorerie, et qui reçoit par exemple 25 000 euros au titre du CICE, elle va d’abord alléger sa trésorerie et c'est normal ! En revanche c’est révélateur d’une logique économique : ce qui nous rend compétitif, c'est l’allègement du coût du travail, d’une manière ou d’une autre. Si l'on pousse le raisonnement, celui qui est le plus rentable, c’est celui qui embauche des esclaves. Au moins, il ne les paye pas… On demande des sacrifices aux Espagnols et puis on nous en demande à nous aussi et ainsi de suite, c’est la course à l’échalote. On oublie au passage l’innovation, aider concrètement l’investissement. Nous avons plein de propositions mais nous ne sommes pas très écoutés, il faut le reconnaître.

Pourquoi ?

Car nous défendons une autre logique et que nous sommes très critiques sur cette rigidité économique. Le gouvernement est persuadé d’avoir raison et donc s’engage sur un rail dont il considère ne pas pouvoir s’écarter, une sorte de va-tout libéral : ça passe ou ça casse. Ils espèrent qu'avec la baisse du prix de l’énergie, de l’euro, des taux d’intérêt, ils vont favoriser la relance. C’est leur seule marge de manœuvre. Mais quand vous regardez la situation de la Grèce aujourd’hui, nous sommes dans une situation de fous. Un peuple vote, élit un gouvernement, quel qu’il soit. Et ça ne sert strictement à rien puisque le gouvernement précédent a pris des engagements avec l’Europe et qu’ils sont obligés de les respecter ! Donc ça sert à quoi de voter ? Les gens se posent légitimement la question. C’est un problème fondamental de démocratie. 

Que nous dit l'exemple grec sur notre rapport avec l'Europe ?

Il faut renégocier les traités et donner un rôle différent à la Banque centrale si l'on veut donner une perspective à l'Europe et à ses déclinaisons nationales. Aujourd'hui, malheureusement, tous les textes que nous examinons sont dans ce cadre européen contraint.

Les contrats de génération qui sont sous-utilisés par les entreprises, le compte pénibilité qui débute à grand-peine… Y a-t-il une possibilité que cet attirail social du gouvernement disparaisse avant la fin du quinquennat ?

Je pense que ces dispositifs vont être maintenus, mais c’est comme pour le temps partiel : de dérogation en dérogation, on vide la loi de son contenu. Voyez où nous en sommes : la réforme de la pénibilité, des retraites, l'ANI, le pacte de responsabilité… Moi je ne regrette pas de ne pas avoir cautionné ces trucs-là, et même de les avoir dénoncés, car ça ne marche pas.

Les syndicats sont en crise aussi parce qu'ils ont du mal à représenter une large partie des salariés, de plus en plus précaires. Quel syndicalisme pour ces gens-là ?

Ce n’est pas facile. Mais je rappelle que mis à part deux périodes très brèves dans l’Histoire, 1936 et dans l'après-guerre, la syndicalisation de masse, ça n’a jamais existé en France. C’est dû à notre modèle de dialogue social. Vous avez un code du travail, des accords professionnels, de branches, des accords d’entreprises et des statuts nationaux pour les fonctionnaires. Quand un syndicat s’engage sur une signature, ça s’applique à tout le monde. Dans certains pays, seuls les adhérents bénéficient des accords signés. En France, si l'on s'engage, c'est un choix de conviction mais il n’y a pas d’avantages spécifiques à être syndiqué. Enfin il y a un vrai développement de la précarité et, chez nous, des CDD courts, avec plus de 80 % des nouveaux contrats en CDD. Dans ces conditions, ce n'est pas évident pour tout le monde de se syndiquer. 

D'accord, mais comment allez-vous chercher les gens ?

Quand on est implanté syndicalement dans les entreprises, on essaie de faire transformer les contrats courts en CDI. On y arrive parfois.

C'est la seule option ?

On se bagarre aussi contre une réforme du contrat de travail avec de la flexibilité pour tout le monde, comme on s'est bagarré sur les stages. Mais c'est comme pour les chômeurs. Un adhérent FO, il perd son boulot. Si le chômage perdure, même avec une carte quasi gratuite, la personne va psychologiquement se couper du monde, y compris du syndicat. Donc c'est dur de faire adhérer et de garder tous ces gens-là, je le reconnais. 

Vous avez été réélu lors du dernier congrès en février avec, disons-le, un score de république bananière. Est-ce une bonne nouvelle de n'avoir, à la tête de FO, qu'un seul candidat tout désigné ?

Attendez, je n'ai pas fait de campagne particulière, c'est une élection au second degré. C'est le parlement de FO qui vote, c'est-à-dire tous les responsables départementaux et de fédération. Leur choix est libre. Ils étaient satisfaits, c'est tout. Le jour où je partirai, il y aura du monde derrière, ne vous inquiétez pas. Et on ne fonctionne pas comme les partis politiques, à coups de sondages ou de campagnes de communication.

Au lendemain des attentats de Paris, il y a eu une crispation sur la question de l'islam en France et le débat autour de la laïcité a été ranimé. Le Parisien publiait une étude menée par Randstad la semaine dernière, qui établissait que les managers notamment seraient davantage confrontés au fait religieux en entreprise. Avez-vous des remontées du terrain dans ce sens et quelle est votre position à ce sujet ?

On en a, oui, parfois… La laïcité, pour moi, c'est quoi ? La tolérance, que chacun puisse réaliser son culte et sa croyance mais aussi une séparation nette des églises et de l’État. Donc, dans l'entreprise, je ne suis pas pour le port de signes religieux. De la même manière que nous n étions pas, à l’époque, favorables aux cellules politiques dans les entreprises. Attendez, on va faire quoi demain ? Un endroit pour les musulmans, un autre pour les bouddhistes ?

Cela veut dire exclure, de fait, la femme voilée du monde du travail ?

Ça veut dire qu'il faut des règles. Aujourd’hui, il y a une permissivité. Après, à FO, on a des camarades musulmans, des cathos, des mécréants, des libres penseurs… et tout ce petit monde vit ensemble. Au congrès de FO, personne ne vient voilé. On ne jetterait pas dehors quelqu'un qui le ferait, mais ça surprendrait. On a le droit de penser ce qu'on veut, mais nous devons être indépendants vis-à-vis des partis politiques, du patronat, des religions ou des philosophies. C'est dans nos statuts. Quand, en 2002, Marc Blondel dénonce les idées d’extrême droite mais refuse à appeler à un vote, il se prend un dessin dans Le Monde avec une croix gammée. Être indépendant, c'est assumer ça aussi. Y compris dans les moments difficiles.

BOITE NOIRECet entretien a été réalisé au siège de Force ouvrière à Paris mercredi 29 avril. Il a duré une heure. 

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Gérard Filoche : « Tôt ou tard vous aurez une explosion sociale »

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On ne refait pas Gérard Filoche. Il est entier. On le prend ou on le jette, et le PS n’arrive pas à choisir. Depuis trois ans, cet ancien inspecteur du travail, membre du bureau national du PS, tonne contre « les dérives du quinquennat » avec des accents proches du Front de gauche. Face à lui, Solférino hésite entre agacement et silence, et se contente le plus souvent de le qualifier d’archétype de la « vieille gauche ».

Filoche réplique à sa manière. La meilleure des défenses, c’est l’attaque : « L'ancien, le représentant du XIXe, c'est Macron… Le libéralisme, “Enrichissez-vous”, plus de règles, plus de code du travail, c'est Macron. Moi je suis moderne, moi je défend le droit du travail. Le droit du travail, c'est l'indice le plus développé de la civilisation. »

À propos du 1er Mai, qui n’est pas unitaire en 2015, et qui fait pâle figure en regard des mobilisations passées, Filoche relativise : « Les 1er Mai, ils ont eu des hauts et des bas depuis un siècle, il y a eu les grands, les géants, les petits, les unitaires et les divisés, mais le 1er Mai est toujours là, et il y en aura d’autres, de grands 1er Mai. La force du mouvement social resurgira tôt ou tard… Tôt ou tard, vous aurez une explosion sociale. C'est comme un tremblement de terre, vous aurez beau entasser les sédiments, vous aurez beau rogner le code du travail, vous aurez beau faire une loi Macron qui est une vraie rupture culturelle, vous ne l'empêcherez pas… »

N’assiste-t-on pas, dans toutes les élections, et dans le débat public, à une droitisation de la société ? « C'est pas que la société se droitise, c'est que la gauche fait pas son boulot. C'est que 70 % de la gauche s’abstient aux élections parce que la politique de Valls est en contradiction avec les attentes de millions et de millions de gens… »

Dans ce cas, pourquoi ceux qui sont à la gauche du PS ne profitent-ils pas électoralement d’un transfert de voix ? « L'électorat socialiste est fidèle au parti socialiste. Il pourrait être attiré par un autre secteur de la gauche, mais il faudrait que l'autre secteur de la gauche soit unitaire. Si l'autre secteur de la gauche tape à tour de bras sur le parti socialiste, il ne peut pas récupérer son électorat. Pour l'instant tout est figé parce que la division l’emporte sur l'unité. » 

Qui est responsable de la division, demande Mediapart ?

Réponse immédiate de Gérard Filoche : « Ah ça ! La politique de Valls et Macron sans aucun doute. On peut pas faire l'unité avec eux sur cette ligne. »

Pourquoi reste-t-il au PS ? « C’est mon parti, je suis légitime. 95 % des socialistes n’ont pas voté pour Manuel Valls. 95 % ne voteront jamais Macron. On n’a pas voté pour ce qui se fait en ce moment. Contrairement à ce qu’on entend, le congrès n’est pas plié. Il y a une incertitude, et du côté de Cambadélis on est fébrile aujourd’hui, car l’enjeu est historique. C’est maintenant qu’on peut changer les choses. On a une chance de sauver le quinquennat. »

Croit-il encore à la lutte des classes ? « La lutte des classes, c'est démodé ? Demandez au Medef s’il ne croit pas à la lutte des classes ! Tous les jours ils essaient de gratter quelque chose. Contre le SMIC, contre le contrat, contre les comités d'entreprise, contre les seuils sociaux. Tous les jours, le patronat mène la lutte des classes. La lutte des classes, c'est comme l'air qu’on respire. On ne peut pas l'éviter. »

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1er-Mai du FN : les ratés de Marine Le Pen

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C'est un coup d'arrêt dans la communication de Marine Le Pen. Le traditionnel défilé du FN en l'honneur de Jeanne d'Arc, ce vendredi, devait être « un 1er-Mai qui met en première ligne les élus du Front national » et souligne les bons résultats électoraux du parti, pour faire oublier la crise familiale et les déboires judiciaires de Jean-Marie Le Pen. Mais il a été marqué par plusieurs incidents qui entravent la « dédiabolisation » que veut afficher sa présidente, et par une foule clairsemée. Quelque 3 500 à 4 000 personnes ont défilé cette année, des chiffres bien inférieurs aux défilés précédents comme l'a relevé l'AFP.

« J'assume tout l'héritage du Front national », avait déclaré Marine Le Pen, en 2011, lorsqu'elle avait pris la tête du parti. Cette semaine, elle est apparue rattrapée par un héritage du Front national qu'elle n'a jamais condamné, et un président d'honneur qu'elle s'est jusqu'à présent refusée à exclure.

  • Les Femen violemment évacuées

La présidente du FN venait d'entamer son discours à la tribune lorsque trois "Femen" ont fait irruption au balcon du Grand Hôtel de Paris, donnant sur la place de l'Opéra. Les militantes féministes, seins nus et munies de mégaphones, ont fait le salut nazi et déployé des banderoles rouges « Heil Le Pen ! ». Déstabilisée, Marine Le Pen a interrompu son discours pendant quelques minutes, jusqu'à ce que quatre membres du service d'ordre du FN évacuent très violemment les militantes :

« Il est assez paradoxal quand on se dit féministe de venir perturber un hommage à Jeanne d’Arc », a tenté de répondre la patronne du FN. « Je crois que certaines vont être obligées d'aller se rhabiller », a-t-elle ajouté lorsque le service d'ordre est intervenu, avant de lancer « Que de surprises dans ce 1er-Mai ! »

Un membre du service d'ordre du FN après avoir évacué les Femen, au balcon de l'hôtel, Place de l'Opéra.Un membre du service d'ordre du FN après avoir évacué les Femen, au balcon de l'hôtel, Place de l'Opéra. © Reuters

Dans la foule, des insultes à l'égard des militantes fusent, comme l'ont rapporté nos confrères du Lab et du Parisien « Putain de salope, tuez-la ! » ; « Sale négresse de merde » ; « Nique ta mère sale pute » « Qu'ils les violent avec un bout de bois clouté »D'après l'AFP, sept interpellations ont eu lieu après l'incident, dont trois membres de la sécurité FN. 

Deux plaintes ont été annoncées, l'une de la part des Femen pour « violences, violation de domicile et arrestation arbitraire », l'autre de la part de Marine Le Pen pour « violences volontaires » et « atteinte à la liberté de manifester ».

Florian Philippot, le vice-président du FN, s'est lui fendu d'un tweet :

  • Des équipes de télévision de France 5 et Canal Plus agressées

Un autre incident a perturbé l'événement frontiste : l'agression de deux équipes de télévision, de Canal Plus et France 5, pendant le discours de Marine Le Pen. Alors que trois journalistes du « Petit Journal » de Canal Plus filmaient aux abords du carré VIP du Front national, l'eurodéputé Bruno Gollnisch a tenté de saisir leur perche et leur a donné des coups avec son parapluie :

Les journalistes ont ensuite été violemment pris à partie par des militants frontistes, avant d'être évacués par le service d'ordre du parti. « Sale journalistes de merde. Pédés de rouge » « Journoputes » « journalopes », ont lancé des militants.

Des militants FN s'en prennent à l'équipe du Petit Journal de Canal Plus.Des militants FN s'en prennent à l'équipe du Petit Journal de Canal Plus. © Mathieu Dehlinger

« Nos journalistes violemment molestés et évacués du défilé FN », a dénoncé vendredi après-midi le « Petit Journal » sur Twitter. De son côté, Bruno Gollnisch a justifié son acte, sur Francetv Info et Twitter :

Certains responsables ou militants du FN l'ont félicité :

Une équipe de France 5 a également été agressée lors du défilé, a annoncé la journaliste Anne-Sophie Lapix, qui présente « C à vous » :

  • Des membres de l'extrême droite radicale dans le cortège

Dans le cortège, on retrouve les slogans « officiels » du FN – « ni droite, ni gauche, Front national », « France Marine, Liberté », « Hollande t'es foutu, la jeunesse est dans la rue » –, mais aussi des éléments loin de l'image qu'entend donner Marine Le Pen : des militants distribuent le journal d'extrême droite Rivarol un homme porte un blouson des néonazis grecs d'Aube dorée ; un slogan « Communistes assassins » est visible ; des identitaires défilent avec leurs drapeaux.

Si ces drapeaux sont évacués par le DPS (Département sécurité protection), des membres de ce même service de sécurité poseront quelques minutes plus tard avec le leader identitaire Philippe Vardon, comme l'a noté notre confrère de La Croix :

  • Un discours axé sur la « France éternelle et le Travail » 

« Nous avons eu raison sur tout, absolument tout », a martelé Marine Le Pen dans son discours d'une heure. « Immigration, communautarisme, fondamentalisme islamiste... La France est aujourd'hui hors contrôle », a-t-elle décrété. À nouveau, elle a fustigé la « caste » et le « système », qui « se sent menacé », « ne travaille plus qu’à sa propre survie, au risque de mettre fin à notre pays ».

Avant de dérouler ses fondamentaux – dénonciation de la « technocratie bruxelloise », de l'« immigration massive », lien entre immigration et terrorisme –, la présidente du FN a longuement fait l'éloge de la « France éternelle et (du) Travail » « menacées par nos élites » et par « nos dirigeants (qui) récupèrent l’Histoire »« transforment leur politique en propagande mémorielle antipatriotique ».

Dans une longue partie « historique », elle a évoqué « l'âme de la France », « la force spirituelle de nos églises, aujourd’hui la cible des islamistes » et énuméré les « grands Hommes » qui ont fait « l'Histoire de France ». Si elle a notamment cité Jean Jaurès et Olympe de Gouges, des références traditionnellement utilisées par la gauche, elle s'est surtout attardée sur Jeanne d'Arc, pourtant au second plan dans ses précédents discours du 1er-Mai : « Se souvenir de Jeanne d’Arc, c’est se rappeler qui nous sommes et d’où nous venons, a-t-elle déclaré. Nous remercions Jeanne du sacrifice consenti, nous rendons hommage à la Sainte, la bergère, la guerrière, la patriote. (...) Fils et filles de France, prenez exemple sur la petite bergère qui, portée par sa foi en la France, a accompli des miracles. »

Pendant ce temps-là, des élus socialistes ont rendu hommage à Brahim Bouarram, mort le 1er mai 1995 après avoir été jeté dans la Seine par des militants d'extrême droite à l'issue du défilé du FN.

  • L'irruption de Jean-Marie Le Pen sur scène

Brouillé avec sa fille depuis ses déclarations sur RMC et dans Rivarol, le fondateur du FN n'était pas convié sur scène – Marine Le Pen avait préféré y installer les nouveaux élus départementaux –, et était cantonné à un siège au pied de la tribune, avec dirigeants et parlementaires. Vêtu d'une parka rouge, il s'est pourtant invité sur l'estrade, bras en l'air, alors que sa fille allait entamer son discours :

Outre ses récentes déclarations sur les chambres à gaz, à nouveau qualifiées de « détail » de l'Histoire, et sa réhabilitation du maréchal Pétain, Jean-Marie Le Pen embarrasse aussi son parti par ses ennuis judiciaires. Comme l'a révélé Mediapart lundi, le fondateur du FN a détenu un compte caché chez HSBC à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin. Il a également « omis » de faire figurer sur la déclaration de patrimoine un achat de lingot d'or à Paris. Ces éléments, aujourd'hui entre les mains du parquet de Nanterre, n'ont suscité qu'un lourd silence au Front national.

Jusqu'à son discours, ce vendredi, Marine Le Pen est restée muette et a fui les caméras. Mercredi, elle s'est contentée d'expliquer au Monde qu'elle n'était « au courant de rien, c'est l'affaire personnelle de Jean-Marie Le Pen ». Face à l'absence de démenti de Jean-Marie Le Pen, qui a refusé de s'expliquer, le parti n'a pas caché son embarras.

Dirigeants et élus ont oscillé entre silence et inquiétude (lire notre article). « Je m’abstiendrai de tout commentaire là-dessus, je pense que c’est lui qui sera en mesure de se défendre et de dire ce qu’il a à dire sur le sujet », a répondu vendredi à iTélé le secrétaire général du parti, Nicolas Bay, en évoquant « un différend entre (Jean-Marie Le Pen) et l’administration qui ne concerne pas le Front national »« Je ne prends pas pour argent comptant ce que dit Mediapart, à plusieurs reprises on a eu des informations de Mediapart qui étaient extrêmement erronées, partielles ou partiales », a-t-il ajouté – sans dire lesquelles.

« On attend, comme tout le monde, l'expression [publique] de Jean-Marie Le Pen là-dessus, avait réagi mercredi Wallerand de Saint-Just, le trésorier du FN, interrogé par MediapartOn attend qu'il dise noir ou blanc, si c'est vrai ou pas. Hier il s'est exprimé de manière particulièrement elliptique (sur France Inter, ndlr). »

Le trésorier du FN admet que cette affaire « sera dans les esprits » lundi, lorsque le bureau exécutif du parti décidera s'il sanctionne ou non le président d'honneur du Front national. Alors que l'eurodéputée Marie-Christine Arnautu, proche de Jean-Marie Le Pen, a jugé « surréaliste » une éventuelle exclusion du fondateur du FN, Florian Philippot a estimé à l'issue du défilé qu'il venait « d'alourdir son dossier ».

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé vendredi à 20h40 avec l'annonce de l'agression d'une équipe de journalistes de France 5.

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D., détenu pour trafic de stupéfiants et aspirant djihadiste

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La voix est posée et polie. Mais D., la trentaine, est déterminé. Dès qu’il sera libéré, il ira rejoindre l’État islamique en Syrie, convaincu d’accomplir sur la terre du « Sham » (la Syrie et le Liban) l’ultime combat contre les mécréants avant l’Apocalypse. D. étant détenu, la conversation a lieu par téléphone, à l'initiative de ce jeune Français qui semble à la recherche d'une exposition médiatique.

La responsabilité du journalisme, notamment sur les questions de sécurité, est de donner à comprendre : ce travail inclut la connaissance de la menace. C'est pourquoi, comme Mediapart l'avait fait sur les lectures des frères Kouachi, nous avons choisi de laisser la parole à ce détenu anonymisé, et après nous être assurés de son parcours. Nous avons également sollicité en regard l’analyse du chercheur Romain Caillet.

Pourquoi vouloir parler à une journaliste qu’il classe parmi les « mécréants » ? Pour que « la vérité soit dite, surtout par rapport aux images qui égarent les musulmans », répond-il. « Il faut expliquer qu’il n’y a pas un islam radical et un islam modéré, clame D. Il n’y a qu’un islam : soit tu suis les hadiths et tu seras récompensé, soit tu es un modéré et tu ne seras pas récompensé. »

À sa première incarcération, D. avait autour de vingt ans. Il a été condamné à plusieurs reprises pour trafic de stupéfiants et violences, et est passé par près d’une dizaine de centres pénitentiaires. Issu d’une famille antillaise catholique sans difficultés économiques, D. a grandi dans un pavillon de banlieue. Son univers a basculé quand ses parents se sont séparés et qu’il a atterri dans un petit appartement. « J’ai commis des péchés et pas qu’à moitié, car je fais tout à fond, dit-il. J’ai fumé, trafiqué. J’ai délaissé tout ça pour Allah. » À l’âge de 18 ans, il dit avoir « ressenti l’envie de connaître l’islam, car mon entourage, les collègues étaient principalement musulmans ». Il aurait été approché par des « frères » du Tabligh, un mouvement de prédication né en Inde et arrivé en France dans les années 1960.

Porteur d’un islam littéral et rigoriste, ces ascètes quadrillent les banlieues françaises pour « réveiller une foi endormie par le confort, la luxure ou la morosité économique dans une société de surconsommation où l’argent prévaut », décrit une étude sociologique. Un mouvement peut-être fondamentaliste mais loin, très loin de l’action violente. Le mouvement Tabligh se cantonne au religieux. « Certains disent que c’est une secte, mais ils viennent dans les cités et vous invitent à écouter les rappels, à faire la prière », explique D. Qui dit y avoir trouvé une réponse à des interrogations théologiques : « Ma question était : "Jésus est-il vraiment le fils de Dieu ?" La logique me disait que Dieu unique ne peut pas engendrer. »

C’est derrière les barreaux que D. a basculé dans un islam prônant le djihad défensif et la lutte armée. « Au début, en prison, je faisais les prières et le ramadan mais sans gros investissement, dit-il. J’ai rencontré un détenu qui a voulu partir en Syrie mais il a été dénoncé par un ami. Il m’a présenté des frères en Syrie sur Internet. Par Facebook j’ai pu parler avec eux. L’un d’eux est mort en martyr il y a peu. » Il réfute le terme d’« endoctrinement en prison ». « Je crois que je serais devenu plus croyant dehors aussi, avance-t-il. C’est arrivé en prison parce qu’on a plus de temps pour apprendre, pour parler des vraies choses de la vie. On se focalise sur des sujets plus importants. »

Contrairement aux aspirants au départ qui pratiquent la taqiya (dissimulation), rasant leur barbe, D. n’est d’abord pas très discret en prison. « Comme je n’étais pas dans l’intention de suivre le chemin des moudjahidines, je descendais avec mes petits livres, j’avais la barbe, j’étais assidu pour la prière », explique-t-il. Aujourd’hui, D., qui s'est choisi un surnom musulman, dit toujours porter le sarouel et le khamiss (habit traditionnel pakistanais) dans sa cellule – « pour ma pratique personnelle, pas pour agresser ». Mais tente de se faire un peu oublier. Car il a récemment écopé d’un mois d’isolement pour prosélytisme. « Ils me reprochaient un entraînement intensif militaire en promenade, d’avoir des vidéos de propagande sur une clef USB et d’avoir fait des rappels à des détenus. » Depuis, il se méfie : « Selon les personnes, je tiens ou non ce discours. Celles qui sont les plus ouvertes, je leur fais les rappels, je me dois de leur dire la vérité. Si j’ai un doute qu’il s’agisse d’un apostat, je m’en cacherai. » Il dissimule également ses projets à sa famille : « Si j’arrive à aller là-bas, je garderai le contact sur Skype. »

Sa cellule aurait été fouillée après les attentats de Paris, comme celle de 80 autres détenus en France. « Ils m’ont pris des écrits concernant le djihad offensif et défensif, sur l’émigration, le comportement à avoir avec ses parents, des hadiths, et des versets du Coran. » Certains textes étaient « recopiés de vidéos » et D. s’en servait « pour faire les rappels, si un détenu a[vait] besoin de renseignements ». Son téléphone aurait également été confisqué. Mais il n’a pas lâché l’affaire pour autant : « Au sport, j’ai croisé un Français qui voulait des livres sur les fondements de la foi, les cinq piliers de l’islam. Comme il est converti depuis pas longtemps, il faut y aller crescendo. »

Son projet a le mérite de l’apparente simplicité : « Émigrer, combattre à l’étranger pour Allah et ne pas revenir », détaille-t-il volontiers. « L’émigration et le combat sont prioritaires, répète D. Si on se contente d’invocations, les choses ne changeront pas. Il faut souffrir pour ce résultat, mettre de côté la famille tout en restant dans l’obligation de subvenir à ses besoins. » Ses réponses sont truffées de références religieuses. Mais de la religion musulmane, il ne semble avoir retenu que le djihad, dans son acception guerrière (alors qu’il constitue à l’origine un questionnement et un combat intérieur). Les versets du Coran et les hadiths (actes et paroles de Mahomet) cités justifient tous le djihad défensif, c’est-à-dire l’obligation individuelle, pour chaque musulman, de défendre la terre d’islam lorsqu’elle est attaquée par des non-musulmans.

« Le prophète a dit "Le Sham, tenez-y, celui qui s’y refuse, qu’il rejoigne son Yémen" », récite D. Pour un aspirant djihadiste sans contact à l’étranger, l’EI est la solution de simplicité. « Je n’ai pas de contact avec une branche islamique comme Aqpa (Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, ndlr). Il faut qu’ils aient confiance en la personne. Alors qu’al-Bhagdadi (le chef de l’État islamique) a fait un appel à tous les musulmans du monde. On est obligé de le suivre. Si on lui porte allégeance même à distance, c’est comme si on lui portait allégeance sur place. N’importe quel acte que je ferai en France, à l’étranger, ce sera compté comme celui d’un musulman qui a porté allégeance à un dirigeant de l’EI. »

Peu importe donc que D. meure « sur le chemin ». « Que je meure ou pas, selon ce qu’Allah aura choisi, ce sera une victoire, je serai récompensé », dit-il. Là encore, au coin de la bouche, un verset du Coran est prêt à contrer toute objection : « Quiconque combat dans le sentier d'Allah, tué ou vainqueur, Nous lui donnerons bientôt une énorme récompense. » Car D. en est convaincu et le répète souvent : « Allah ne manquera pas à sa promesse. Je sais à quel point il me récompensera par les jardins et délices du paradis. »

À l’inverse, il est également persuadé que « celui qui ne veut pas combattre devra répondre de ses actes ». « Tant que les mécréants n’empiètent pas sur l’islam, il n’y a pas d’attaque, dit-il. Mais aujourd’hui les mécréants vont sur les terres d’islam en Palestine, en Syrie, en Irak. Le djihad devient obligatoire. »

D. vient de « rentrer un livre » en prison, « récupéré au parloir par un frère qui me l’a donné au sport » : Les Mérites de la région du Shâm. Écrit par Ibn Taymiyya, un théologien sunnite du XIIe siècle, cet essai est notamment vendu dans le XIe arrondissement de Paris, rue Jean-Pierre-Timbaud. « Ce n’est vraiment pas une lecture radicale, explique Romain Caillet. Ibn Taymiyya souligne le rôle particulier que jouera la région du Levant (Israël, Palestine, Syrie, etc.) dans l’Apocalypse. Certains s’en servent donc pour privilégier le djihad dans cette région sur un autre. » D’ailleurs, souligne le chercheur, les écrits de Ibn Taymiyya, qui « représentent 28 volumes », peuvent être interprétés « très différemment ». « Les oulémas d’Arabie saoudite se servent également d’Ibn Taymiyya pour justifier le fait de ne pas faire le djihad », remarque-t-il.

D. puise également ses « rappels » dans les nombreuses vidéos de propagande circulant dans les prisons françaises. « Dans certaines prisons, il y a beaucoup de vidéos qui tournent sur des clefs USB, explique-t-il. On peut avoir un ordinateur, il suffit de faire entrer une clef 3G pour aller sur Internet. Dans d’autres prisons, les gens ont peur. » Parmi la dizaine de « penseurs » qu’il cite, la plupart sont des combattants, plutôt que des chefs religieux. Leurs origines, du Soudan à l’Afghanistan en passant par la Syrie, dessinent aussi une géopolitique mondialisée du djihad. « Dans le courant djihadistes, les leaders djihadistes ont plus d’influence que les oulémas », explique Romain Caillet.

Outre al-Baghdadi, D. cite ainsi Muhammad Ali al-Jazouli, un imam soudanais qui s’est positionné en faveur de l’État islamique, puis Abu Sufyan as-Sulami, « un moine-guerrier devenu, à 30 ans, le théologien le plus influent de l’État islamique en Syrie », explique le chercheur. Côté Al-Qaïda, D. se réfère à Ayman al-Zaouahiri, chef d’Al-Qaïda depuis la mort d’Oussama Ben Laden, à Abu Yahya al-Libi, l'un des principaux dirigeants d’Al-Qaïda, tué en 2012 par un drone américain au Pakistan, ainsi qu’à Anwar al-Awlaqi, un imam yéménite lui aussi frappé par un drone en septembre 2011. Peu avant sa mort le 9 janvier 2015, Chérif Kouachi, l’un des auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo, a affirmé à BFM TV avoir été financé par cet imam membre d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique. Cet entretien avec BFM TV a eu lieu durant la prise d'otage de l'imprimerie à Dammartin-en-Goële.


D. n’hésite pas non plus à faire parler les morts, comme le Palestinien Abdallah Azzam, tué au Pakistan dans un attentat à la bombe en 1989. « Il est considéré comme le revivificateur du djihad, c’est lui qui a lancé la vague de combattants en Afghanistan en 1988, mais je ne suis pas sûr du tout qu’il aurait approuvé l’évolution du courant islamique sous la forme d’Al-Qaïda puis de l’État islamique », décrypte Romain Caillet. De façon plus inattendue, D. cite aussi le nom d’un citoyen allemand, Yassin Chouka, originaire du Maroc et parti avec son frère au Yémen puis au Pakistan, suspecté par les autorités américaines d’être membre du Mouvement islamique d’Ouzbékistan.

Que tirer de ce Who’s who du djihad ? « Soit ce détenu est très bien encadré par des pro-État islamique, soit il est lui-même très au fait de l’actualité, car il s’est bien gardé de citer le cheik Abou Mohammed al-Maqdissi, la principale référence du courant islamique, qui s’est prononcé en juillet 2014 contre la proclamation du Califat par Abou Bakr al-Baghdadi », remarque Romain Caillet. Inculpé et écroué en Jordanie en octobre 2014 pour « apologie d’organisations djihadistes », le prédicateur jordanien al-Maqdissi a été remis en liberté début le 5 février 2015, juste après la diffusion par l’État islamique de la vidéo du supplice du pilote jordanien.

D. n’a cependant pas vu cette vidéo, de même que « Faites exploser la France », la deuxième production de l’EI à l’intention des francophones. Dans ce clip diffusé début février 2015, un combattant cagoulé salue les attentats de Paris et exhorte les musulmans français à rejoindre le « Califat ». Mais D. en a entendu parler. « C’est un rappel de continuer à combattre les infidèles, approuve-t-il. Ça aura un impact sur les musulmans qui y répondront en agissant sur le territoire et ça fait peur à la France. Il faut mettre la peur dans le cœur du mécréant. Nos frères sont contents qu’on les appelle terroristes. »

D. condamne en revanche le sort réservé au pilote jordanien, brûlé vif dans une cage par l’EI vraisemblablement fin 2014. Non par un sursaut d’humanité, mais au nom de la même logique glaçante se fondant sur les avis des “jurisconsultes”. « Si la vidéo est vraie, c’est interdit en islam de brûler quelqu’un selon mes sources, critique D. Le prophète a dit "Il n’y a que Dieu qui peut punir ses créatures par le feu". » Mais tout espoir n’est pas perdu pour les tortionnaires. « Il suffit d’une explication authentique qui dit que les compagnons l’ont déjà fait, alors on peut le faire », poursuit D.

Le chercheur Romain Caillet relève d’ailleurs que certains théologiens de l’EI ont pu justifier ce supplice en se fondant sur un autre hadith. « On trouve tout dans les avis des jurisconsultes, dans un sens comme dans l’autre », met en garde le chercheur. À l'origine, pourtant, D. assure ne pas aimer la violence, même s’il s’est « beaucoup battu dans sa jeunesse ». « Je partirai sans haine, dit-il. Celui qui a la haine ne sera pas agréé pour son acte. »

Comment pratique-t-il sa religion en prison ? D. évite les aumôniers musulmans qu’il considère comme des « mécréants ». « Ils sont de science, ont lu beaucoup de livres, mais ils parlent avec passion et non d’après la sunna et le Coran », désapprouve-t-il. Il cite plusieurs différends au sujet de la barbe – « Un aumônier m’a dit qu’elle n’est pas obligatoire » –, des départs en Syrie ou encore une critique que lui a adressée un aumônier « devant des détenus chrétiens ». Cela l'a profondément vexé. « Il ne faut jamais dénigrer un musulman devant un mécréant, décrète D. Si un aumônier fait un rappel à un musulman, il doit le faire à part, pas devant des détenus chrétiens. Sinon c’est annulateur de l’islam. »

De toute façon, D. est extrêmement méfiant envers ces aumôniers « attitrés par un gouvernement occidental ». « Vous pensez vraiment que l’Occident qui est sur une position laïque va nous donner des imams qui vont diriger les musulmans vers la vérité ? demande-t-il. Non, ils vont trouver quelqu’un qui explique l’islam en y incrustant la démocratie alors que ce n’est pas compatible. » Car pour lui, « toute personne qui met en cohérence islam et démocratie est un imposteur ».

Le détenu est tout aussi sceptique à l’annonce du renforcement du bureau de renseignement de la pénitentiaire. « Les surveillants en ont plus qu’assez de travailler car ils se font insulter tous les jours, dit-il. Ils ont déjà des problèmes avec les "cassos" [cas sociaux, ndlr], les drogués et les fous, ils vont devoir s’occuper des islamistes en plus ? Devant nous, les surveillants font comme si de rien n’était, car la majorité de la prison est musulmane. » Il poursuit : « Aujourd’hui, plusieurs détenus sont prêts pour le djihad et ne sont pas signalés. Quand ils arriveront à éradiquer les livres, les branchements internet et les téléphones, ça pourra peut-être stopper. »

Soudain, D. part dans une tirade antisémite et complotiste mêlant « les sionistes, les francs-maçons et la scientologie » qui « tirent les manettes ». Il s’agit à ses yeux de « la même couche, tous ceux qui sont au-dessus, qui sont cachés, qui utilisent des marionnettes comme le président de la République et le pape ». Mais le Coran ne dit rien sur les juifs ou la scientologie ? lui demande-t-on. « Ce n’est pas marqué dans le Coran », mais D. l’a entendu « de personnes savantes ». « Tous ceux qui sont contre l’islam sont dans le même sac, dit-il. Aujourd’hui les sionistes, les francs-maçons et les scientologues sont les plus enfoncés dans la mécréance. »

D. devait se marier en prison avec une « femme voilée » – c’est lui qui la présente ainsi – qu’il avait « connue en prison, par l’intermédiaire de proches à elle ». « Ça s’est fait par le bouche à oreille, elle était intéressée pour rencontrer un détenu et l’aider à passer cette épreuve, explique-t-il. Elle a toujours soutenu les gars de son quartier qui sont en prison, elle le ressent comme une injustice, c’est son combat. » Mais de parloir en parloir, le projet a échoué, à cause de « petits détails » selon D. « Beaucoup de musulmans se sentent bien en France et pensent qu’on peut y pratiquer son islam », résume D. Il conclut, de sa voix toujours aussi calme : « Je ne suis pas d’accord. » Et, poliment, souhaite une bonne soirée.

BOITE NOIRECet entretien a eu lieu par téléphone et a duré environ deux fois 45 minutes. J'ai vérifié le parcours de D. dans la mesure de ce qui était possible sans mettre en danger son anonymat. Le reste, qui relève uniquement de ses affirmations, est au conditionnel ou entre guillemets.

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Ces interprètes afghans que l’armée française a abandonnés

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Il dit « les amis français ». Jamais la France ou l’armée. Abdul vit à Kaboul, il a travaillé pendant douze ans pour les forces françaises comme interprète, de 2002 à décembre 2014, lorsque les derniers formateurs ont quitté le pays. « J’ai travaillé dans tous les domaines militaires », raconte cet ancien élève du lycée franco-afghan de Kaboul. Alors, quand le gouvernement français a mis en place une procédure de rapatriement pour ses anciens traducteurs, Abdul a cru qu’il avait toutes ses chances. Il a constitué son dossier, pour lui, sa femme et ses trois enfants. C’était en 2013. Un an plus tard, sa demande a été rejetée. Abdul n’aura pas de visa. Sur les 700 anciens auxiliaires civils de l’armée française en Afghanistan, 258 ont demandé à être rapatriés. Mais seulement 73 ont obtenu satisfaction.

« Après avoir étudié votre dossier avec une grande attention, il ressort que vous ne répondez pas aux critères exigés par l’administration française pour une telle relocalisation. Nous sommes donc au regret de vous annoncer que votre candidature n’a pas été retenue. Nous vous prions de croire néanmoins en notre profonde gratitude pour votre action aux côtés des forces armées françaises », ont écrit à Abdul l’ambassadeur de France et le commandant du contingent français en Afghanistan, dans un courrier daté du 27 mars 2014.

Ses états de service ne semblent pourtant pas en cause : Abdul a conservé précieusement de nombreux documents attestant de son travail pour l’armée française. Des photos, des attestations, des courriers de hauts-gradés. En 2005, il est ainsi qualifié d’interprète « disponible et travailleur », « d’un caractère affable et désintéressé », dans une lettre de félicitations signée du lieutenant-colonel en charge de la formation de l’armée afghane. L’année suivante, c’est un autre colonel, commandant du centre de formation interarmées au renseignement, qui estime qu’Abdul « mérite d’être particulièrement cité en exemple ». En 2008, encore, le commandant du détachement Epidote évoque ses « belles qualités humaines et professionnelles » et parle d’un « homme de ressources et de cœur ».

Depuis Kaboul, Abdul, qui accepte de témoigner à condition que son nom ne soit pas cité, ne comprend pas. « Personne ne veut nous expliquer pourquoi. Les militaires nous disent qu’ils ne sont pas responsables. Et nous n’avons pas accès à l’ambassade », explique-t-il. Puis : « C’est un peu triste… Pourquoi les amis français nous ont laissés en danger ? Je ne trouve pas la réponse. » À 51 ans, il veut quitter l’Afghanistan parce qu’il a peur : ceux qui ont travaillé pour la force internationale sont régulièrement menacés, par les talibans, ou des groupes rivaux qui se revendiquent de l’État islamique, par le gouvernement et ceux qui les traitent d’espions… La situation sécuritaire est catastrophique. « Tout le monde nous connaît, on a participé à des cérémonies officielles, on a vu nos noms, nos visages… Quand j’ai arrêté mon travail, j’ai trouvé une lettre de menaces devant ma porte… » Abdul dit qu’il ne sort presque plus de chez lui, qu’il déménage régulièrement avec sa famille pour éviter d’être repéré. « J’ai peur pour mes enfants. Si je meurs, que va-t-il se passer pour eux ? »

700 auxiliaires civils afghans ont travaillé pour l'armée française700 auxiliaires civils afghans ont travaillé pour l'armée française © Reuters

Il attend désormais que le gouvernement français réexamine sa demande : en mars dernier, un collectif d’avocats s’est créé dans la précipitation, après avoir découvert en lisant La Croix qu’une vingtaine d’anciens interprètes de l’armée française avaient manifesté à Kaboul. Très vite, les demandes affluent – 127 à ce jour, selon l’avocate Fenna Baouz, une des deux porte-parole du collectif. Leur idée : un recours devant la justice pour obtenir un visa d’asile, sur la base d’une jurisprudence récente à Nantes. Le temps de constituer leur dossier, les avocats alertent les médias, des élus, les ministères, d’anciens militaires ; ils ont écrit une lettre ouverte à François Hollande et lancé une pétition publique.

Jusqu’à la semaine dernière, les autorités françaises sont restées inflexibles sur la procédure de relocalisation mise en place en 2012 en vue du désengagement des forces françaises : une commission mixte a été installée à Kaboul avec des diplomates – l’ambassadeur de France la présidait – et des responsables militaires, pour examiner les dossiers « à l’aune de trois critères principaux : actualité de la menace, capacités d’intégration et services rendus », insiste le ministère des affaires étrangères, interrogé par Mediapart (lire notre boîte noire). Ceux qui remplissaient les critères ont reçu un visa, explique le Quai d’Orsay. À Paris, on insiste également sur le fait que 73 demandes acceptées, c’est déjà pas mal. Qu’avec leurs familles, cela fait 175 personnes accueillies, avec une carte de dix ans et un accompagnement social (sous-entendu : cela coûte cher).

L’an dernier, le député PS Jean-Louis Gagnaire avait déjà interrogé le ministère de la défense – en posant une question écrite, cette procédure qui oblige les ministères à répondre aux parlementaires mais sans contrainte de délai. « Pour l'armée française, la question de l'avenir de ces interprètes est d'autant plus sensible que notre histoire militaire reste marquée à jamais par l'abandon puis le massacre de milliers de harkis lors du retrait d'Algérie », estimait Gagnaire. Neuf mois plus tard, Jean-Yves Le Drian avait finalement répondu. Mais pour ne rien dire. Le ministre n’a fait que justifier le dispositif mis en place, sans jamais évoquer le sort réservé à la centaine d’auxiliaires déboutés. Dont certains n’ont jamais reçu de réponse, et d’autres un simple coup de téléphone ou un SMS !

Les critères de cette procédure suscitent l’incompréhension totale des auxiliaires de défense afghans déboutés. La réalité de la menace ? La situation sécuritaire à Kaboul est si catastrophique qu’ils ne voient même pas comment la France pourrait encore chipoter. La capacité d’intégration ? Ils étaient interprètes, beaucoup sont francophones et ont fait des études supérieures. À Paris, personne ne veut préciser ce dont il est question. Quant aux services rendus, les interprètes ont conservé, pour la plupart, de nombreux documents attestant de leur engagement auprès de l’armée française.

« Tout cela me fait rire ! Rien qu’en signant des contrats avec l’armée française pour gagner leur vie, ils ont mis leur vie en danger. Les extrémistes, quels qu’ils soient, nous menacent rien qu’en voyant un numéro français dans notre téléphone portable ou une carte de visite dans notre portefeuille ! Dans notre pays, on est humilié parce qu’on a travaillé avec les étrangers », témoigne Amanullah Omid, interprète de 2006 à 2009, qui vit en France depuis 2010 grâce à son emploi à l’ambassade d’Afghanistan à Paris. Quant aux services rendus, « personne ne peut rendre plus de services que ces interprètes qui étaient à côté des soldats sur le terrain, sur les champs de tir, dans les salles de cours ou derrière les ordinateurs à traduire des manuels de guerre ».

Il s’agace aussi d’entendre parler d’intégration : « Les interprètes fêtaient le Nouvel An avec les officiers, on a partagé avec eux les colis envoyés par leurs familles, on riait des fromages qui puent ; il y avait du chocolat et du vin rouge. Nous, on les invitait dans nos familles, dans nos mariages. L’intégration ne peut pas être plus importante que cela. » Et si la France peut craindre des interprètes infiltrés par les talibans, « c’est le problème de la DGSE ! Ils peuvent écouter nos téléphones, lire nos mails… C’est à eux de faire une blacklist », poursuit Amanullah Omid, 33 ans.

Les troupes françaises en Afghanistan peu avant leur retrait en 2012Les troupes françaises en Afghanistan peu avant leur retrait en 2012 © Reuters

Mais alors que ce « dispositif happy end » (le surnom donné par les autorités à la procédure) était censé être clos, le ministère affirme désormais que « des dossiers sont encore à l’étude ou susceptibles d’être déposés ». « Un dossier refusé une première fois peut éventuellement être réétudié et recevoir une réponse favorable si de nouvelles menaces sont apparues, directement liées aux fonctions tenues par ces personnes au service de la France », explique le Quai d’Orsay.

Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères, s’est même engagé à ce que les demandes soient examinées avant l’été. « La France a des devoirs envers ses personnels ; elle ne s'y dérobera pas. Si le fait d'avoir travaillé avec la France ne peut ouvrir un droit absolu à s'y installer, la réalité du risque encouru doit évidemment être prise en compte », a-t-il déclaré la semaine dernière. Une promesse également faite au collectif d’avocats par le cabinet de François Hollande à l’Élysée, qui les a reçus le 22 avril. Un nouveau rendez-vous est prévu lundi, au ministère des affaires étrangères, pour fixer les modalités concrètes de réexamen des dossiers. Enfin.

BOITE NOIRELe ministère des affaires étrangères a répondu à mes questions. Mais pas de réponse du ministère de la défense (qui renvoie sur le Quai d'Orsay), à Matignon et à l'Élysée (qui renvoie sur Matignon).

J'ai joint Abdul par téléphone à Kaboul. Il ne souhaite pas donner son identité par peur des représailles.

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Rythm&News n°7. Surveillance et austérité

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SOMMAIRE
L'algorithme :
mots-clefs pour une boîte noire
L'austérité c'est... : cortège de définitions
Fumigènes : le génie de la colère

La surveillance généralisée et la confiscation des budgets publics sont deux facettes complémentaires d'une même politique néolibérale. Depuis de nombreuses années déjà, nous vivons avec des poubelles transparentes signées Vigilance et Propreté. A quand une ligne de sacs Surveillance et Austérité ?

 

L'algorithme : mots-clefs pour une boîte noire (chanson)

Pendant la discussion du projet de loi relatif au renseignement, lors de la séance publique du 15 avril, la députée du Calvados Isabelle Attard a interpellé le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve sur le contenu de l'algorithme censé permettre une surveillance ciblée, en lui demandant comment il comptait concrètement s'y prendre pour choisir ses mots-clefs. Bernard Cazeneuve n'a pas jugé nécessaire de lui répondre sur le fond, préférant ironiser sur sa « compétence » et son « assurance ». Dans le doute, voici donc une première liste de mots-clefs à éviter désormais dans toutes vos correspondances.
N'oubliez pas non plus que toutes les personnes de votre « entourage » sont censées respecter la même liste que vous, sinon c'est peine perdue (Art. L. 852-1).



Télécharger le fichier audio

L'ALGORITHME : MOTS-CLEFS POUR UNE BOÎTE NOIRE
Paroles et musique de la Parisienne Libérée

[citation d'Isabelle Attard]
À tout moment, ce sont des humains qui vont donner les consignes et qui vont donner les mots-clefs. Vous mettez quoi dans l'algorithme ? Vous mettez quoi dans la formule ?

Akbar, prophète, quadrature du net
Séparation bancaire, sortir du Nucléaire
Tarnac, Areva, TAFTA, Cigéo
Guantanamo

Palestine, Israël, becquerel
Rémi Fraisse, EPR, dictature financière
ACAB, La Hague
J'espère que tu vas bien, l'insurrection qui vient

Tchernobyl, Vinci, Mox, Charlie
Gnu/Linux,  Cannabis, Qosmos, Amesys
Frontex, NSA, BNP Paribas
Neuilly, Vacances en Syrie

[Isabelle Attard]
Sans oublier que la formule, c'est pas une formule magique pondue par un ordinateur. Ce sont bien des humains qui sont derrière la création de ces algorithmes et qui vont les gérer aussi.

Greenpeace, VPN, Imouraren
Intermittent, Rassemblement

Non à l'aéroport, Train Castor
Zyed et Bouna, Basta !

Enercoop, ecstasy, guerre au Mali
Destruction massive, I can't breathe

Anarchie, écologie
Défense nationale, grève générale
OGM, Monsanto, sortie de l'Euro
Jihad, rendez-vous sur la Zad

RSA, chômage, cryptage,
Millisievert, lanceur d'alerte
Mediapart, officine
La police assassine
Solidarité avec les sans-papiers

Pesticides, zone humide
Alternatiba, 
49-3
Anticolonialisme, anticapitalisme
Audit de la dette, mosquée, fadettes
Place Beauvau, bisous, à bientôt.

L'austérité, c'est... (définitions)

Le mot austérité m'intrigue. Il me fait penser à la vie au couvent, à un pied en sandale sur un rocher couvert de glace, à une assiette presque vide, à une architecture dépouillée. Sa signification dans le champ politique et social mériterait d'être mieux définie et je trouve même étrange qu'on ait choisi ce terme, qui suggère plutôt une ascèse de type volontaire, alors qu'il s'agit de qualifier des politiques néolibérales ultra-violentes de destruction des services publics et des biens communs.
Le 9 avril dernier, des milliers de manifestants ont défilé en réponse à un appel intersyndical contre l'austérité. Je me suis donc rendue à la manifestation et j'ai demandé à des participants quel sens ils donnaient à ce curieux mot : austérité.

Pascal, manifestant
Sophie, fonctionnaire au ministère des finances
Eric, secrétaire national du Parti de Gauche
Sébastien, salarié d'ArcelorMittal à Fos-sur-Mer
Pascale, manifestante
Francois et Rémi, retraités de l'Arsenal de Lorient
David, pompier dans le Nord et son fils
Anne-Marie, militante au parti de gauche
Anne, mediacritique
Éric, jeune socialiste contre l'austérité
Virginie, salariée à la centrale nucléaire du Tricastin
Abdelkader, fonctionnaire territorial à Montreuil
Yannick, cheminot
Manuel, manifestant
Josiane, enseignante en maternelle à Vitry
Jean-François, élu fdg/ensemble au conseil général d'île-de-france
Paul, salarié ERDF
Agnès, infirmière retraitée

 

Fumigènes : le génie de la colère (variations)

Ce même 9 avril, il faisait un soleil magnifique sur le boulevard du Montparnasse. Soudain, j'ai approché mon appareil photo d'un fumigène et le monde s'est éteint. Dans le cadre, j'ai vu danser un génie rougeoyant entouré de gouttes de lumière. Un instant plus tard, un manifestant a frotté le fumigène et le génie est rentré dans sa lampe. Planche contact.

 


L’ensemble des contenus de la rubrique « Rythm&News » sont placés sous licence creative commons pour les usages non commerciaux. En cas de problème technique lié à la lecture des fichiers, vous pouvez essayer de les lire directement sur soundcloud (audio). Un grand merci à Mimoso qui m'a aidée à documenter les sujets abordés dans cette chronique. 

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Le maire de Sanary-sur-Mer en garde à vue

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Selon nos informations, Ferdinand Bernhard, le maire (divers droite) de Sanary-sur-Mer (Var), a été placé en garde à vue ce lundi 4 mai 2015 à la caserne Beauvau, à Marseille. Contacté par Mediapart, le parquet de Marseille confirme. Ferdinand Bernhard est entendu par les gendarmes de la section de recherche de Marseille dans le cadre d’une information judiciaire contre X... ouverte pour favoritisme, détournements de fonds publics, prise illégale d’intérêts, corruption et recel. Le parquet avait ouvert cette enquête le 28 mars 2012. C’est la juge d’instruction Christine Saunier-Ruellan, de la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille qui a hérité du dossier après le départ du juge Duchaine. En septembre 2014, les gendarmes avaient perquisitionné la mairie de Sanary.

En octobre 2012, la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur avait déjà rendu un rapport assassin sur la situation financière de la ville balnéaire, épinglant les « procédures atypiques » de la municipalité pour une période comprise entre 2001 et 2010, notamment « en matière d’achat, de recrutement ou d’urbanisme ». Les « insincérités comptables » étaient telles que les magistrats avaient dû rétablir la vérité des comptes, aboutissant à un déficit réel de 12,80 % pour l'année 2010. Ils pointaient de nombreuses irrégularités dans la passation de marchés publics (concernant la revue municipale, des prestations juridiques, ou encore le recrutement d'un collaborateur). 

La chambre régionale des comptes s’interrogeait également sur la trentaine de baux à construction de la commune signés par le maire. Et notamment un bail à construction, signé en février 2011, pour un futur hôtel 4-étoiles surplombant la mer. La ville s’est endettée sur 50 ans pour acheter ce terrain... avant de le céder quelques années plus tard, pour un loyer total du même montant (2,4 millions d'euros), à des investisseurs se faisant fort d’y construire et d’y exploiter un hôtel. Maire depuis 1989 de cette commune balnéaire de 17 000 habitants, Ferdinand Bernhard nous avait répondu lors de notre enquête en 2013 ne pas être plus inquiet que cela. « Depuis que je suis maire, j'ai dû être convoqué une quinzaine de fois à la police judiciaire sur la dénonciation de mes opposants. À chaque fois, j’ai découvert des choses sur moi-même ! » ironisait à l’époque l'élu divers droite (ancien Modem et UDF). Nous n'avons pas réussi pour l'instant à joindre son avocat Me Marc Rivolet.

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Les «Six heures contre la surveillance»

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Ce lundi 4 mai, de 16 heures à 22 heures, Mediapart a organisé une opération exceptionnelle « Six heures contre la surveillance »: débats, interpellations, chroniques, chansons, duplex. À la veille du vote solennel des députés sur le projet de loi sur le renseignement, il s'agissait de fédérer et relayer toutes les initiatives, de donner la parole à tous ceux qui s'inquiètent ou refusent un texte qui menace nos libertés individuelles et collectives.

Parallèlement à notre émission, un rassemblement s'est tenu place des Invalides, à Paris. Ce rassemblement était appelé par dix-huit organisations, qui participaient aussi à notre opération « Six heures contre la surveillance ».

 

  • 16h-18h. Nous sommes tous concernés (animé par Edwy Plenel)


La Parisienne Libérée et Jérémie Zimmermann
chantent en duo « Rien à cacher »

 

Julien Bayou (24 heures avant 1984) et Eliott Lepers (24 heures avant 1984)


Laurent Chemla (cofondateur de Gandi)


Thomas Guénolé et Katerina Ryzhakova (la pétition citoyenne)


Guillaume Chocteau
(Ressources-Solidaires)


Pierre Tartakowsky
(Ligue des droits de l'homme)


Dominique Curis
(Amnesty France)


 «Klaire fait grr»


Un épisode spécial de «Bonjour tristesse»


Florian Borg (Syndicat des avocats de France)


Laurence Blisson
(Syndicat de la magistrature)


Philippe Aigrain
(la Quadrature du Net)


Tristan Nitot
(fondateur de l'association Mozilla Europe et membre du Conseil national du numérique, signataire de l’appel Ni Pigeons, ni Espions)


Sophie Gironi
, directrice de la communication de Gandi (signataire de l’appel Ni Pigeons, ni Espions)


Bluetouff
(hackeur et co-fondateur de Reflets)

 

Montage à partir du documentaire «Citizen Four»

  • 18h-19h15. Nous sommes tous mobilisés (Animé par Frédéric Bonnaud et Edwy Plenel)

Intervenants
Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières
Aurélie Filippetti, députée socialiste et ancienne ministre de la culture
Eva Joly, députée européenne (EELV)
Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique

 

  • 19h30-22h. Combattre pour nos libertés (animé par Frédéric Bonnaud et Mathieu Magnaudeix). 

Premier débat :

 

Avec :
Pouria Amirshahi
, député socialiste
Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne
Benjamin Bayart, French Data Network
Clémence Bectarte, Fédération internationale des droits de l'homme

Deuxième débat :

Avec :
Mathieu Burnel
, activiste, proche du Comité invisible
Dominique Cardon, sociologue
Anthony Caillé, CGT-Police
Antoine Chuzeville, SNJ syndicat national des journalistes

Troisième débat :

Avec :
Sergio Coronado
, député EELV
Adrienne Charmet-Alix, La Quadrature du Net
Éric Beynel, Union syndicale solidaire
Laurence Parisot (ancienne présidente du Medef)

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 Près de 800 acteurs du numérique, parmi lesquels OVH, le plus grand hébergeur français, mais aussi Mediapart, ont signé un appel intitulé « Ni pigeons, ni espions ». « Nous, acteurs du numérique, sommes contre la surveillance généralisée d'Internet », dit cet appel, « mettre Internet massivement sous surveillance, c’est ouvrir la porte à un espionnage incontrôlable, sans aucune garantie de résultat pour notre sécurité. »

Outre ces acteurs et les associations de défense de nos droits numériques (la Quadrature du Net, l'Observatoire des libertés et du numérique) qui, toutes, dénoncent ce texte, outre les autorités administratives indépendantes (CNIL, CNNum, CNCDH, Défenseur des droits) qui ont multiplié les réserves ou oppositions, les citoyens commencent massivement à se mobiliser. Une pétition en ligne exigeant le retrait du projet de loi a déjà recueilli 115 000 signatures le 24 avril à 12 heures.

Mediapart, depuis le début de l'examen parlementaire de ce texte, n'a eu de cesse d'en souligner les dangers pour nos libertés individuelles. Lire ci-dessous :

Loi sur le renseignement: un attentat aux libertés, par Edwy Plenel
Notre dossier complet: les Français sous surveillance

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MediaPorte: «Salopards de Républicains !»

Des femmes journalistes dénoncent le sexisme des politiques

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« Aux Quatre-colonnes, la petite salle où circulent députés et bons mots au cœur de l’Assemblée nationale, c’est un député qui nous accueille par un sonore: "ah mais vous faites le tapin, vous attendez le client ". Ou un autre qui nous passe la main dans les cheveux en se réjouissant du retour du printemps. (…) Dans une usine, c’est un ministre qui s’amuse de nous voir porter des chasubles bleues réglementaires et glisse que "ce serait mieux si vous n’aviez rien en dessous". Ou un conseiller ministériel qui demande, au retour des vacances, si nous sommes "bronzée vraiment partout". » Dans une tribune publiée dans Libération, seize journalistes politiques (dont l’auteure de ces lignes – lire notre boîte noire et ce billet de blog), au nom d’un collectif de 40 consœurs, dénoncent le sexisme des hommes politiques. Un machisme diffus, permanent, quotidien, qui touche tous les partis et tous les échelons du pouvoir. Et qui concerne trop d’élus ou de responsables politiques pour qu’il ne soit qu’un phénomène marginal, cantonné à quelques brebis égarées.

Les témoignages, concordants, sont édifiants : « C’est l’éminence grise d’un ancien président qui nous offre de nous entretenir, faisant miroiter grands hôtels, practices de golf et conférences internationales, au nom de notre "collaboration" passée. À table, c’est un poids lourd de la vie politique française qui plaisante avec nos collègues hommes sur les ambitions des uns et des autres "le matin en se rasant" avant de se tourner vers nous : "et vous, vous rêvez de moi la nuit ?" C’est un ami du président qui juge les journalistes "d’autant plus intéressantes qu’elles ont un bon tour de poitrine" ou un ministre qui pose sa main tout au bas de notre dos en murmurant "ah mais qu’est-ce que vous me montrez là ?" », rapporte cette tribune.

« Nous pensions que l’affaire DSK avait fait bouger les lignes et que les habitudes machistes, symboles de la ringardise citoyenne et politique, étaient en voie d’extinction. Las… Bien sûr, ces manifestations de "paternalisme lubrique" ne tombent pas sur nous toutes tous les jours. Une grande partie de l'establishment politique fait montre d'une éthique personnelle et professionnelle qui lui évite le faux-pas. Nous avons aussi conscience que nous faisons notre travail dans des conditions extrêmement privilégiées par rapport à la majorité des Françaises (..). Mais le fait que ces pratiques, qui sont le décalque de ce qui se passe tous les jours dans la rue, les usines ou les bureaux, impliquent des élus de la République chargés de fabriquer la politique nous pousse aujourd’hui à les dénoncer. Ils sont issus de toutes les familles politiques sans exception, naviguent à tous les niveaux de pouvoir et n'ont droit à aucune impunité. Comme les autres », précisent les signataires, de médias aussi divers que l’AFP, le JDD, France Inter, France Culture, France 3, Libération, Le Monde, Mediapart, Le Parisien, L’Obs, Paris Match, RMC ou Radio Classique.

Quatre ans après l’affaire DSK, rien ou si peu n’a donc changé : à l’époque pourtant, il semblait que la parole s’était enfin libérée. À l’Assemblée, dans les partis, au gouvernement… Les caquètements d’un député de droite l’an dernier à l’Assemblée nationale pour moquer l’intervention d’une élue écologiste, Véronique Massonneau, avaient aussi suscité une vive émotion (lire notre Machoscope). Preuve que des pratiques encore très présentes devenaient plus intolérables. Mais la presse, longtemps, s’est tue : en 2011, nous avions ainsi essayé à Mediapart de faire parler des journalistes témoignant de l’attitude sexiste et très insistante de Dominique Strauss-Kahn.

Alors que bruissaient dans les rédactions de nombreuses anecdotes (ne pas envoyer de femme seule l’interviewer, laisser la porte ouverte, etc.), personne n’avait osé nous le raconter. Par crainte, peur des moqueries ou, parfois, avec un sentiment de culpabilité de ne pas l’avoir dénoncé à l’époque. Ou parce que collent à la peau des femmes journalistes politiques les préceptes anciens de Françoise Giroud qui, rappelle la tribune, « était alors persuadée que les hommes politiques se dévoileraient plus facilement face à des femmes », de préférence jeunes et belles. « Nous ne sommes pas la génération Giroud », écrivent les signataires de la tribune.

De ce point de vue, la tribune publiée dans Libération marque une rupture – du moins, faut-il le souhaiter. Mais parce que les relations entre politiques et journalistes ne sont que le reflet de ce qui se passe dans l’ensemble de la société, les auteures préviennent : « Tant que la politique sera très majoritairement aux mains d’hommes hétérosexuels plutôt sexagénaires, rien ne changera. »

BOITE NOIREJ’ai signé cette tribune parue dans Libération. Je m'en explique dans un billet de blog.

La tribune est signée par 16 journalistes politiques en leur nom, et soutenue par une vingtaine d’autres qui ont préféré conserver l’anonymat, soit parce qu’elles sont précaires, soit parce qu’elles craignent le manque de soutien de leur rédaction. Au total, près de 40 personnes dans près de 30 médias sont à l’origine de cette tribune.

J’ai aussi participé au collectif Prenons la Une, qui milite à la fois pour une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité femmes-hommes dans les rédactions. J’avais à l’époque déjà écrit un article.

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Avec les manifestants, place des Invalides

Renseignement : les dangers d'un texte attentatoire à nos libertés

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Un des débats de notre opération exceptionnelle « Six heures contre la surveillance », organisée le lundi 4 mai.

  • Combattre pour nos libertés (animé par Frédéric Bonnaud et Mathieu Magnaudeix).

Intervenants:
Pouria Amirshahi, député socialiste
Isabelle Attard, députée Nouvelle Donne
Benjamin Bayart, French Data Network
Clémence Bectarte, Fédération internationale des droits de l'homme


Retrouvez la vidéo intégrale des « Six heures contre la surveillance » en cliquant ici

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La politique, une affaire de mâles

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À l’Assemblée nationale, le mardi après-midi, jour des fameuses questions au gouvernement, les députés sont presque tous là : c’est retransmis à la télé. De 14h30 à 16 heures, la salle des Quatre-Colonnes est le lieu d’un curieux rituel. Des parlementaires en veste-cravate (obligatoire) trouvent sans difficulté les micros et les caméras, qui n’attendent que ça. Il y a les députés squatteurs, que radios et télés peuvent « lancer » sur n’importe quel sujet ; les adeptes des formules qui claquent ; les vedettes, qui distillent de rares et brefs oracles, recueillis comme du nectar par la presse ravie. À de rares exceptions près, les élus qui se livrent à ce déluge verbal (dont une grande partie sera jetée illico au rebut par des journalistes à la recherche de la bonne phrase) sont tous des hommes, les véritables maîtres des lieux.

Ces jours-là, dans la salle des Quatre-Colonnes, il y a bien sûr des femmes journalistes maniant caméra, micro ou calepin. Beaucoup de celles que j'y croise régulièrement ont d’ailleurs signé la tribune parue ce mardi 5 mai dans Libération, qui raconte fort bien le sexisme de certains mâles en politique.

Mais les députées, elles, ne se risquent guère dans la « fosse aux lions », comme elles disent parfois. Quand elles passent par là (il y a d’autres chemins plus discrets pour se rendre à l’hémicycle), c’est en rasant les murs ou en regardant par terre. Il y a bien des exceptions, comme Elisabeth Guigou, trois fois ministre depuis 1990, présidente de la commission des affaires étrangères, très sollicitée pour commenter les guerres de la France ou les sujets européens. Mais elle cache la masse des anonymes, ces femmes représentant la République que vous ne verrez jamais à la télé.

« Un jour, avec d’autres députées, on a fait le test, raconte Chaynesse Khirouni, députée PS de Meurthe-et-Moselle élue en 2012, active à l’Assemblée et pourtant peu connue. Nous nous sommes installées salle des Quatre-Colonnes, on a attendu. On n’osait pas aller vers les journalistes, personne n’est venu nous voir. Pourtant, ce qu’on a à dire ne me semble pas forcément moins intéressant que certains hommes qui piaffent tout le temps. » Dans les premiers mois du quinquennat Hollande, les journalistes ont vite identifié dans la majorité les forts en gueule, les tchatcheurs, très à l’aise : Eduardo Rihan-Cypel, le sniper gouvernemental aussi langue de bois que prompt à dégainer ; le grognon Pascal Cherki, adepte des bonnes formules ; Jérôme Guedj, resté « frondeur en chef » alors qu’il n’est même plus député, etc. Ceux-là sont devenus des bêtes médiatiques, multi-invités des plateaux. Aucune femme n’a connu ce sort. À l’Assemblée, quand il s’agit de capter la lumière, les hommes gagnent à tous les coups.

La faute à qui ? Aux hommes, qui n’ont jamais douté de leur valeur quand les femmes, même représentantes de la Nation, se posent mille fois la question de leur légitimité. Aux médias, qui vont toujours vers les mêmes (ceux qui crient le plus fort) et adorent raconter les concours d’ego des coqs de la politique (nos Montebourg, Hamon, Valls offrent en cela de beaux spécimens). À un système politique macho bien sûr, où les femmes n’ont obtenu le droit de vote qu’en 1944, où le pouvoir reste mâle, sorte d’héritage lointain de la loi salique qui écartait les femmes du trône.

Omnipotent sur la scène intérieure, chef des armées, le président de la République (un “neutre” qui jusqu’ici a toujours été masculin) doit aussi être le “viril en chef”, à la fois guide et protecteur. Même surjouée et artificielle, l’exacerbation d’une « identité hétérosexuelle, blanche et virile » ne constituait-elle pas une ressource politique dont a joué Nicolas Sarkozy ? Et François Hollande, combien de fois les journalistes ou ses adversaires ont-ils dépeint sa passion fatigante de la synthèse, ses petits calculs, sa prudence légendaire comme autant de preuves d’une sorte de mollesse de Roi fainéant, si peu virile face au « matador » Manuel Valls ?

Dans ce paysage masculin, les femmes restent minoritaires malgré quinze ans de lois sur la parité. Les gouvernements sont certes paritaires, mais elles restent des exceptions au Parlement, à la tête des départements, des grandes villes et des conseils régionaux. Les rituels du pouvoir sont imprégnés d’une geste, d’un imaginaire, dont les acteurs n’ont même pas conscience. Vu de la tribune de presse, les séances de questions au gouvernement à l’Assemblée s’apparentent à un déluge de cris et de vociférations, de pupitres que l’on tape, de députés (beaucoup à droite, certains à gauche) rouges de trop hurler. Au Parlement, les femmes semblent à peine tolérées. Depuis 2012, les rapporteurs des textes importants sont presque tous des hommes. Le congé maternité n’existe pas, l’écologiste Eva Sas l’a appris à ses dépens. Chaque année, Chaynesse Khirouni doit insister pour que la rentrée parlementaire ne percute pas la rentrée des classes. « Beaucoup de députés n’ont plus d’enfants à charge parce qu’ils sont grands, ou alors ils ont délégué leur éducation. »

Avec les journalistes hommes, des députés pensent créer la connivence à coup de plaisanteries sexistes. Dans un documentaire récent, diffusé sur France 5, la coprésidente du groupe écologiste Barbara Pompili raconte la fois où un collègue qui l’avait appelé « jeune fille » (elle lui avait donné du « vieil homme » en retour) a cru bon de préciser : « Je suis vieux mais je bande encore. » Avec son Machoscope, Mediapart a recensé au fil des mois tous ces éclats de sexisme : le « cotcotcodec » lancé à l’écologiste Véronique Massonneau, le « qui c’est cette nana ? » d’un sénateur UMP à l’attention de la ministre Laurence Rossignol, ou le « MST » dont un député de droite a accablé Marisol Touraine alors qu’elle défendait la loi santé.

Qu’une tête féminine émerge et c’est l’hallali. L’écologiste Cécile Duflot, moquée par des députés de droite pour sa robe à fleurs à l’Assemblée lors d’une de ses toutes premières prises de parole ministérielle, est volontiers dépeinte, y compris par les journalistes, en arriviste insupportable alors qu’elle fait juste de la politique, avec ce que cela veut dire de rapport de force et de billard à trois bandes. Dans ce monde d'hommes, les femmes restent vues comme des intruses. Et les femmes journalistes comme des accompagnatrices. Je me rappellerai toujours l’un de mes premiers dîners de journaliste politique, à l’été 2012, avec le ministre du travail Michel Sapin, tout juste nommé. Nous étions plusieurs journalistes, plusieurs hommes, deux femmes. Au début du dîner, le ministre a insisté assez lourdement pour qu’une femme journaliste s’assoie à sa gauche. Comme si c’était évident. Comme s’il lui fallait absolument être en “bonne” compagnie.

À lire mes consœurs, ce genre de demandes reste monnaie courante. 

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Robert Ménard pris dans la nasse du fichage ethnique

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Une étoile jaune barrée d'un croissant. C'est le symbole qu'a brandi mardi soir un élu communiste en plein conseil municipal, à Béziers, pour protester contre les déclarations de Robert Ménard. « Dans ma ville, il y a 64,9 % des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles », a lancé le maire sur France 2, lors de l'émission « Mots croisés », lundi soir. Devant les élus, Robert Ménard s'est refusé à toute explication. L'opposition UMP a demandé sa démission. 

Soit l'édile tripatouille illégalement dans les fichiers des écoles de sa ville pour recenser les enfants musulmans. Soit il s'agit d'un nouveau coup de communication sur le dos des musulmans. Par ses propos, Robert Ménard, soutenu par le Front national, a mis le feu aux poudres. Connu pour ses dérapages xénophobes en tous genres, celui qui se revendique républicain s’attaque cette fois à l’article 1 de la Constitution française qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En distinguant plusieurs catégories de Français, et notamment ceux de supposée confession musulmane des autres, il contrevient à l’un des principes fondateurs de la société française. 

Ce chiffre pour le moins précis de 64,9 %, Robert Ménard l’a lâché lors d'une émission consacrée aux divisions au sein du Front national. Interrogé par des internautes pour savoir d’où il tenait ce pourcentage, il a répondu ceci : « Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire a les noms classe par classe, des enfants. Je sais que je n’ai pas le droit mais on le fait. » Il a ajouté quelques mots sur sa “méthodologie”: « Les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier une évidence. » Autrement dit, les prénoms dont la consonance a été jugée « musulmane » ont été séparés des autres.

Mardi 5 mai, sur BFM-TV, le maire de Béziers enfonce le clou. Avec un autre chiffre. En hausse. « Dans certaines écoles, il y a plus de 80 %, presque 100 %, d’enfants d’origine musulmane, maghrébine. Là, vous n’intégrez plus personne ! » Il enchaîne en assurant faire le même constat au centre pénitentiaire avec les « gens d’origine maghrébine ou d’Afrique noire ». Mais, entre temps, il semble avoir compris que la notion de comptage ou de fichage ethnique risque de lui valoir des problèmes. « Nous n’avons établi aucune liste, assure-t-il, nous avons essayé de savoir ce qu’il en est dans les écoles. Les deux tiers des enfants qui fréquentent les écoles publiques en maternelle et en primaire sont des enfants issus de l’immigration. Je trouve que c’est trop. » Interrogé sur ses motivations, il botte en touche en affirmant vouloir « aider les enfants », puis reprend : « Oui, j’ai le droit de savoir combien il y a d’immigrés dans ma ville [parce que] oui, il y a trop d’immigration en France. »

Une enquête préliminaire a été ouverte pour « tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique », sous l’autorité du parquet et confiée au SRPJ de Montpellier à la suite de ces propos hors la loi, comme l’édile en convient lui-même. En France, les statistiques ethniques sont en effet proscrites. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés interdit la collecte et le traitement de « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les options philosophiques, politiques ou religieuses, ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». La loi prévoit toutefois des dérogations. Autorité administrative indépendante chargée de garantir le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) étudie au cas par cas les demandes des chercheurs et des instituts de sondage, en fonction de leur finalité, du consentement des personnes interrogées et de l’anonymat des données.

La question est de savoir si un dénombrement nominatif a bel et bien été réalisé. Une perquisition était en cours en fin d’après-midi à la recherche de documents prouvant l’existence ou non du « fichier ». Que pourrait conclure la justice en l’absence de telles traces ? Robert Ménard pourrait-il être poursuivi s’il a évoqué un chiffre au hasard ? En fin de matinée, mardi, la mairie de Béziers a publié ce qui ressemble à un démenti. « La mairie de Béziers ne constitue pas et n’a jamais constitué de fichiers des enfants scolarisés dans les écoles publiques de la ville. Le voudrait-elle qu’elle n’en a d’ailleurs pas les moyens. Il ne peut donc exister aucun “fichage” des enfants, musulmans ou non », affirme-t-elle. « Le seul fichier existant à notre connaissance recensant les élèves des écoles publiques de la ville est celui de l’Éducation nationale. C’est donc à elle, et elle seule, de rendre publique cette liste. Elle ne le fera certainement pas au prétexte de motifs juridiques », poursuit-elle, renvoyant curieusement la balle à l’État.

Pour Serge Slama, maître de conférence en droit public à Nanterre, il ne fait guère de doute que les propos de Robert Ménard tombent sous le coup de la loi de 1978. Deux cas sont envisageables : soit le maire a détourné de leur finalité des fichiers des écoles, soit il a lui-même créé son propre fichier. Si le fichage est avéré, l'édile peut être sanctionné par la Cnil et être poursuivi en justice pour des faits passibles de cinq ans de prison et jusqu'à 300 000 euros d'amende. Reste la troisième option : « Il a fait ça sur un coin de feuille détruite aussitôt, de la statistique sauvage en quelque sorte, en se demandant dans quelle case mettre les Sarah et les Inès », ajoute Serge Slama.

Au regard de l’ensemble de ses déclarations, le maire est-il passible d’autres sanctions ? « Il paraît évident que ses propos sont répréhensibles au regard de la loi de 1978, confirme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l'Université Paris Ouest et membre du Gisti. Pour le reste, c’est moins sûr. » L’article 225-1 du Code pénal considère comme une discrimination « toute distinction opérée entre des personnes physiques ou morales à raison de leur origine (…), de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La discrimination est avérée lorsqu’elle aboutit à un refus d’accès ou à un accès différencié à un bien ou à un service.

Or, dans la situation présente, le maire n’a pas précisé l’usage qu’il compte faire de son « fichier ». Danièle Lochak rappelle toutefois que ses propos sur la préférence nationale sont juridiquement contestables. « À diplôme, à équivalence, à niveau identique, bien sûr je choisirais un Français » plutôt qu’un étranger, a-t-il déclaré. « On peut considérer qu’il s’agit de la provocation à la discrimination », estime-t-elle. Le maire pourrait-il être poursuivi pour incitation à la haine liée à l’origine ? Pas évident, étant donné qu’il déclare cyniquement que son objectif est d’« aider les enfants » dans les quartiers en difficulté.

Quels que soient les risques juridiques encourus, les propos tenus recréent une distinction entre « eux » et « nous ». « À force d’amalgames et de sous-entendus, ils entretiennent l’idée que l’immigration est un problème et que les musulmans sont un problème. Il mélange tout, les musulmans, les maghrébins, les personnes d’origine africaine, les immigrés. La confusion généralisée contribue à nourrir le rejet à l’égard de tout ce qui ne serait pas tout à fait français », indique Danièle Lochak.

L’opprobre a été général. Mardi après-midi, à l’Assemblée nationale, Manuel Valls a fustigé « la réalité de l’extrême droite », tandis que le président François Hollande, en voyage en Arabie saoudite, a estimé que « le fichage d’élèves » est « contraire à toutes les valeurs de la République ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a exprimé son « indignation »« Un tel fichage est interdit par la loi. Ficher des enfants selon leur religion, c’est renvoyer aux heures les plus sombres de notre histoire », a-t-il martelé. « Par ses propos inadmissibles, le maire de Béziers a franchi une ligne jaune et se place délibérément en dehors des valeurs de la République », tranche-t-il.

La ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a elle affirmé que cette situation n’était « pas normale »« C’est le vrai visage du Front national, de l’extrême droite, qui ressort », a-t-elle ajouté. Au Parti socialiste, des membres du conseil national ont annoncé avoir saisi la Cnil et le Défenseur des droits. Seul ou presque à monter au créneau en faveur du maire de Béziers, Florian Philippot, vice-président du FN, a regretté une « polémique totalement vaine »« Il a consulté des prénoms dans un registre d'école dans une optique de lutte contre le communautarisme », a-t-il expliqué.

Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014.Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014. © M.T. / Mediapart

Du côté des associations, la Ligue des droits de l’homme a dénoncé un « délinquant qui s’assume »« Le maire de Béziers, constate-t-elle, fiche les élèves de sa commune par leurs prénoms pour identifier les musulmans. Outre l’imbécillité intrinsèque d’une telle démarche, celle-ci est bien évidemment totalement illégale, comme le maire l’a reconnu lui-même. Si Béziers est sous la coupe d’un individu sans autre perspective que d’attiser la haine et la discrimination, elle reste néanmoins assujettie aux lois de la République. C’est pourquoi la LDH engagera les procédures nécessaires contre Robert Ménard et espère que le parquet de Montpellier, la Cnil et le préfet de l’Hérault feront de même. »

Au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la porte-parole, Elsa Ray, indique que son association a saisi la Cnil et a l’intention de déposer plainte « Cette personne n’en est pas à son coup d’essai. Il enchaîne les épisodes limites voire clairement haineux à l’égard des musulmans. Il ne peut pas se croire au-dessus des lois. Cette surenchère islamophobe est insupportable. Il est temps que cela s’arrête. »

À Béziers, les réactions à gauche comme à droite ont été vives. « Tout le monde ne parle que de ça », raconte à Mediapart Alain Renouard, ancien directeur de la médiation à la mairie, mis à la porte par Robert Ménard, et proche de l’UMP locale. « Je n’ai pas la preuve qu’un fichier existe bel et bien, mais ce que je sais, c’est que Robert Ménard dispose de listing. Les fichiers, cela fait partie de ses pratiques. Dernièrement, il a demandé aux directeurs des écoles primaires de distribuer un document demandant aux parents de se positionner pour ou contre le tablier obligatoire, avec nom et prénom de chacun sur la feuille », indique ce père de trois élèves. « Il stigmatise les populations. Aujourd’hui, les musulmans, demain, les juifs. Il instrumentalise les médias. Ce qui compte pour lui, c’est qu’on parle de lui, en bien ou en mal, peu importe. »

Cofondateur du collectif Union citoyenne humaniste et candidat PS aux départementales, Christophe Coquemont, qui lutte au quotidien contre les effets d’un FN municipalisé, est tout aussi « affligé ». « Est-ce qu’il a été poussé dans ses retranchements et fait une pirouette en sortant un chiffre de son chapeau ? Tout est possible. Y compris qu’il ait constitué un fichier spécialement pour cela », indique à Mediapart ce militant qui par ailleurs déclare avoir été surpris par le niveau du chiffre « trop élevé » lancé en pâture. « 64,9 % : cela me paraît bien au-dessus de la réalité. »

L’entendre affirmer qu’il agit de la sorte pour « aider les enfants » l’a écœuré. « Il passe son temps à stigmatiser les musulmans. Il est pour la préférence nationale, il supprime les subventions au CCAS ou aux associations qui travaillent dans les quartiers en difficulté. Robert Ménard défend une République pétainiste. Il a une vision bien particulière de l’identité française, celle de l’extrême droite, une identité française nationale chrétienne », résume-t-il.

« Auparavant, on avait du mal à déterminer s'il s'agissait d'une posture ou d'une conviction. Aujourd'hui, il est vraiment entré en croisade et le revendique, explique à Mediapart l'élu socialiste Jean-Michel du Plaa. Il ne rend plus de comptes à personne, mène sa bataille et fait constamment référence aux racines judéo-chrétiennes de la France. »

« S'agit-il du retour du régime de Vichy à Béziers ? » a réagi de son côté le conseiller municipal (RPF) Brice Blazy, qui a lâché Robert Ménard à l’automne pour rejoindre la droite. Dans son communiqué, l’élu « demande solennellement au représentant de l'État à Béziers (Mr le Sous-Préfet) de bien vouloir jouer son rôle ». Le maire « n'a eu de cesse de se rapprocher des thèses de l'extrême droite, du FN (dont il ne se dit pas encarté) », dénonce Brice Blazy en pointant les « dérives » de cette majorité et un « populisme » qui « conduit à terme à une ruine intellectuelle et économique certaine ».

Dès son élection, Robert Ménard a mis en place ce qu’il appelle sa « révolution municipale » – comparée par ses opposants à « la Révolution nationale de Pétain ». Il en avait dessiné les contours sur son blog en 2012, en décrivant un centre-ville « délabré », où « les paraboles punaisent les façades d’immeubles occupés par des pauvres, des Maghrébins, des gitans » et où « les bourgeois ont fui ». « Les personnes que je rencontre ne me parlent que de ça. Elles se vivent en insécurité, étrangères à leur propre ville », « elles veulent juste se sentir chez elles », écrivait-il alors.

Son début de mandat s’est traduit par une longue série de mesures ultra-droitières : armement de la police municipale ; arrêté anti-crachats ; interdiction d'étendre le linge sur les façades des immeubles visibles des voies publiques ; couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans ; retour du « rappel à l'ordre », auquel Ménard a joint un arrêt du versement des aides sociales de la ville en cas de non-réponse aux convocations ; suppression de l'étude surveillée du matin aux enfants de chômeurs ; retrait des aires de jeux à la prochaine dégradation.

Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014.Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014. © dr

« C’est un laboratoire d’extrême droite qu’il met en place, car tout cela stigmatise les immigrés et les pauvres », estimait en janvier le conseiller municipal communiste Aimé Couquet, interrogé par Mediapart. « Il envoie des messages subliminaux : le linge aux fenêtres, les paraboles, etc. Une majorité de gens comprend “on va se débarrasser des Arabes” », jugeait de son côté Jean-Michel du Plaa. Les pourcentages, par ailleurs, le travaillent. Midi Libre rappelle ainsi de récents propos à la tonalité analogue : « Dans le vieux Béziers, avec 80 % de femmes voilées, tu ne vois que ça. »

Ce « nouvel état d’esprit » voulu par Ménard s’est accompagné de marqueurs idéologiques forts : l'arrivée d’“identitaires” dans son cabinet, dont son directeur de cabinet, André-Yves Beck, l'ancien idéologue de Jacques Bompard passé par plusieurs groupuscules d'extrême droite radicaux ; la nouvelle ligne du journal municipal, arme de communication forte ; des conférences pour « libérer la parole » dont les invités (Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Laurent Obertone) cultivent le même logiciel réactionnaire ; des attaques répétées à l'encontre des médias.

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Le vote confus des députés sur le projet de loi Renseignement

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Après avoir suscité l’opposition de la quasi-totalité de la société civile, le projet de loi renseignement a été adopté, mardi 5 mai, par une très large majorité à l’Assemblée.

Voté par 438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions (cliquer ici pour accéder au détail du scrutin), le texte a cependant réussi, comme lors des débats, à transcender les clivages politiques et à diviser les groupes. Aucune formation, hormis le groupe radical dont les 17 élus ont voté pour, n’a réussi à imposer une consigne de vote à l’ensemble de ses élus.

Au parti socialiste, sur les 288 députés, 252 ont voté pour, 10 contre, 17 se sont abstenus et 7 n’ont pas pris part au scrutin. On retrouve, parmi les opposants, les principaux élus ayant exprimé leurs craintes durant les débats, comme Aurélie Filippetti, Jean-Patrick Gilles ou encore Pouria Amirshasi. Plus étonnant, certains opposants ont créé la surprise, comme Benoît Hamon qui avait notamment critiqué les finalités du renseignement telles que définies dans le projet de loi, et qu’il jugeait alors beaucoup trop larges. Mardi matin sur Twitter, le député a annoncé qu’il voterait finalement le texte. « Le champ d’application du #PJLRenseignement pose question », explique-t-il « mais je ne m’opposerai pas à ce texte. »

Considéré par beaucoup d’internautes comme l’un des rares députés défenseurs des libertés numériques, Christian Paul a de son côté reçu une volée de messages lorsqu’il a annoncé sur son blog, quelques heures avant le vote, son intention de s’abstenir. « Je ne veux pas rompre le dialogue à ce stade, explique-t-il à Mediapart. Le projet de loi renseignement va pouvoir continuer à évoluer. Le travail parlementaire doit se poursuivre. Nous aurions voté contre, et après ? Certes, le vote contre de principe permet de prendre date, de marquer les positions. Je le respecte. Mais ce n’est pas mon approche. »

Le député PS de la Nièvre, qui préside la commission sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, avait interpellé, au mois d’avril dernier, Manuel Valls sur la question des « boîtes noires », ces algorithmes que les services auront le droit d’imposer aux fournisseurs d’accès à internet et aux fournisseurs de services afin de détecter les futurs terroristes via une analyses des métadonnées. Or, dans un courrier en date du 5 mai, Manuel Valls a répondu en laissant la porte ouverte à de nouveaux amendements lors du passage du texte au Sénat. « La lettre du premier ministre permet d’ouvrir certaines évolutions, notamment sur la question du stockage, ou non, des données analysées par l’algorithme », estime Christian Paul. « Nous sommes au milieu du gué, et mon but est que chaque étape du processus législatif soit utile. Je préfère mettre les mains dans le moteur, maintenir le dialogue », affirme-t-il.

Chez les Verts, Sergio Coronado, l’un des députés les plus actifs lors des discussions, s’est lancé dans un véritable réquisitoire lors des explications de vote. Ce texte « encadre, oui. Mais pas assez, pas suffisamment », a-t-il affirmé. Il légalise des technologies « de grandes ampleurs et très intrusives » et « autorise d’autres services à utiliser ces techniques ». Quant au recours offert par le texte aux citoyens, celui-ci « est pour le moins virtuel ». Sergio Coronado a donc appelé ses collègues à maintenir l’équilibre entre « assurer la sécurité de nos citoyens et défendre leurs libertés fondamentales ». Au moment du vote, le groupe écologiste s’est pourtant divisé, avec 11 voix contre, 5 pour et 2 abstentions.

Au sein du groupe de la gauche démocrate et républicaine, 12 députés ont voté contre le projet de loi et 3 pour. Lors des explications de vote, son orateur, André Chassaigne, avait notamment fustigé la procédure d’urgence qui « n’est pas à la hauteur de l’enjeu » et s’était inquiété d’une « surveillance massive du trafic internet », tout en qualifiant le nouvel organisme de contrôle des écoutes, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), de « leurre ».

Devant l’hémicycle, le représentant de l’UMP Éric Ciotti a, lui, apporté un soutien sans faille au projet de loi renseignement. « La guerre contre le terrorisme nécessite de dépasser les clivages politiques, a-t-il affirmé devant l’hémicycle. Il est de notre devoir de mieux protéger notre pays. » « Notre groupe (…) prendra ses responsabilités en soutenant très largement le projet de loi », a-t-il assuré. En fin de compte, 143 députés UMP ont voté le texte, 35 s’y sont opposés et 20 se sont abstenus. L’UDI s’est quant à elle divisée entre 17 pour, 11 contre et 2 abstentions.

Désormais adopté par l’Assemblée, le projet de loi renseignement doit être transmis au Sénat puis, en cas de modification du texte, à une commission mixte paritaire qui, en raison de la procédure d’urgence, aura le dernier mot. Si l’adoption définitive du texte ne fait guère de doute, de nombreux opposants font aujourd’hui porter leurs espoirs sur une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel. François Hollande s’est déjà engagé, à la fin du mois d’avril, à saisir les Sages. Mais de nombreux élus ne comptent pas attendre une éventuelle intervention du chef de l’État.

La semaine dernière, les députés UMP Laure de La Raudière et Pierre Lellouche avaient annoncé leur intention de déposer leur propre recours. Lors d’une conférence de presse organisée mardi matin, les deux élus ont annoncé avoir largement dépassé les soixante signatures nécessaires pour former une saisine. Pas moins de 75 élus, dont 66 UMP, 8 UDI se sont déjà joints à l’initiative. Reste à savoir si celle-ci réussira à rassembler l’ensemble des groupes politiques. Jusqu’à présent, seule l’apparentée écologiste Isabelle Attard a signé la saisine. D’autres, à gauche, pourraient hésiter à s’unir à leurs collègues de droite. Fervent opposant au projet de loi, le socialiste Pouria Amirshahi refuse, lui, de signer la saisine. Dans un communiqué, il précise qu’il adressera lui-même « un mémorandum fondé en droit » au Conseil constitutionnel. « J’éclairerai, ainsi, en temps venu, le jugement des Sages en leur remettant des observations », estime-t-il.

Pour compliquer encore un peu les choses, la saisine devrait recevoir le soutien de députés ayant pourtant voté pour le projet de loi. Ainsi, François Fillon expliquait mardi matin sur RTL être « très embarrassé » par le texte. « La rédaction du texte est trop large mais il est nécessaire », estime-t-il. En conséquence, « je voterai ce texte car je ne veux pas priver mon pays des moyens de la lutte contre le terrorisme », explique l’ex-premier ministre. Mais dans le même temps, il affirme : « J'ai confiance dans le Conseil constitutionnel. Et si jamais la question posée par le président de la République, puisqu'il y a encore un doute sur sa nature, n'était pas suffisamment large, eh bien, les parlementaires saisiraient eux-mêmes le Conseil. »

Dans un communiqué commun, les 5 députés Verts ayant voté en faveur du projet de loi (Éric Alauzet, Denis Baupin, Christophe Cavard, François-Michel Lambert et François de Rugy) précisent de leur côté que leur vote « n’est pas dénué de doute », et s’engagent à favoriser une saisine des Sages. « Si la saisine présidentielle ne portait pas sur ces points précis, nous serons prêts à nous associer à une saisine parlementaire du Conseil constitutionnel fondée sur ces interprétations – quand bien même nous ne les ferions pas nôtres », affirment-ils, sans préciser toutefois s’ils se joindraient à l’initiative UMP.

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Robert Ménard pris dans la nasse du fichage religieux

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Une étoile jaune barrée d'un croissant. C'est le symbole qu'a brandi mardi soir un élu communiste en plein conseil municipal, à Béziers, pour protester contre les déclarations de Robert Ménard. « Dans ma ville, il y a 64,9 % des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles », a lancé le maire sur France 2, lors de l'émission « Mots croisés », lundi soir. Devant les élus, Robert Ménard s'est refusé à toute explication. L'opposition UMP a demandé sa démission. 

Soit l'édile tripatouille illégalement dans les fichiers des écoles de sa ville pour recenser les enfants musulmans. Soit il s'agit d'un nouveau coup de communication sur le dos des musulmans. Par ses propos, Robert Ménard, soutenu par le Front national, a mis le feu aux poudres. Connu pour ses dérapages xénophobes en tous genres, celui qui se revendique républicain s’attaque cette fois à l’article 1 de la Constitution française qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». En distinguant plusieurs catégories de Français, et notamment ceux de supposée confession musulmane des autres, il contrevient à l’un des principes fondateurs de la société française. 

Ce chiffre pour le moins précis de 64,9 %, Robert Ménard l’a lâché lors d'une émission consacrée aux divisions au sein du Front national. Interrogé par des internautes pour savoir d’où il tenait ce pourcentage, il a répondu ceci : « Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire a les noms classe par classe, des enfants. Je sais que je n’ai pas le droit mais on le fait. » Il a ajouté quelques mots sur sa “méthodologie”: « Les prénoms disent les confessions. Dire l’inverse, c’est nier une évidence. » Autrement dit, les prénoms dont la consonance a été jugée « musulmane » ont été séparés des autres.

Mardi 5 mai, sur BFM-TV, le maire de Béziers enfonce le clou. Avec un autre chiffre. En hausse. « Dans certaines écoles, il y a plus de 80 %, presque 100 %, d’enfants d’origine musulmane, maghrébine. Là, vous n’intégrez plus personne ! » Il enchaîne en assurant faire le même constat au centre pénitentiaire avec les « gens d’origine maghrébine ou d’Afrique noire ». Mais, entre-temps, il semble avoir compris que la notion de comptage ou de fichage ethnique risque de lui valoir des problèmes. « Nous n’avons établi aucune liste, assure-t-il, nous avons essayé de savoir ce qu’il en est dans les écoles. Les deux tiers des enfants qui fréquentent les écoles publiques en maternelle et en primaire sont des enfants issus de l’immigration. Je trouve que c’est trop. » Interrogé sur ses motivations, il botte en touche en affirmant vouloir « aider les enfants », puis reprend : « Oui, j’ai le droit de savoir combien il y a d’immigrés dans ma ville [parce que] oui, il y a trop d’immigration en France. »

Une enquête préliminaire a été ouverte pour « tenue illégale de fichiers en raison de l’origine ethnique », sous l’autorité du parquet et confiée au SRPJ de Montpellier à la suite de ces propos hors la loi, comme l’édile en convient lui-même. En France, les statistiques ethniques sont en effet proscrites. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés interdit la collecte et le traitement de « données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les options philosophiques, politiques ou religieuses, ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ». La loi prévoit toutefois des dérogations. Autorité administrative indépendante chargée de garantir le respect de la vie privée, des libertés individuelles et des libertés publiques, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) étudie au cas par cas les demandes des chercheurs et des instituts de sondage, en fonction de leur finalité, du consentement des personnes interrogées et de l’anonymat des données.

La question est de savoir si un dénombrement nominatif a bel et bien été réalisé. Une perquisition était en cours en fin d’après-midi à la recherche de documents prouvant l’existence ou non du « fichier ». Que pourrait conclure la justice en l’absence de telles traces ? Robert Ménard pourrait-il être poursuivi s’il a évoqué un chiffre au hasard ? En fin de matinée, mardi, la mairie de Béziers a publié ce qui ressemble à un démenti. « La mairie de Béziers ne constitue pas et n’a jamais constitué de fichiers des enfants scolarisés dans les écoles publiques de la ville. Le voudrait-elle qu’elle n’en a d’ailleurs pas les moyens. Il ne peut donc exister aucun “fichage” des enfants, musulmans ou non », affirme-t-elle. « Le seul fichier existant à notre connaissance recensant les élèves des écoles publiques de la ville est celui de l’Éducation nationale. C’est donc à elle, et elle seule, de rendre publique cette liste. Elle ne le fera certainement pas au prétexte de motifs juridiques », poursuit-elle, renvoyant curieusement la balle à l’État.

Pour Serge Slama, maître de conférences en droit public à Nanterre, il ne fait guère de doute que les propos de Robert Ménard tombent sous le coup de la loi de 1978. Deux cas sont envisageables : soit le maire a détourné de leur finalité des fichiers des écoles, soit il a lui-même créé son propre fichier. Si le fichage est avéré, l'édile peut être sanctionné par la Cnil et être poursuivi en justice pour des faits passibles de cinq ans de prison et jusqu'à 300 000 euros d'amende. Reste la troisième option : « Il a fait ça sur un coin de feuille détruite aussitôt, de la statistique sauvage en quelque sorte, en se demandant dans quelle case mettre les Sarah et les Inès », ajoute Serge Slama.

Au regard de l’ensemble de ses déclarations, le maire est-il passible d’autres sanctions ? « Il paraît évident que ses propos sont répréhensibles au regard de la loi de 1978, confirme Danièle Lochak, professeure émérite de droit public à l'Université Paris Ouest et membre du Gisti. Pour le reste, c’est moins sûr. » L’article 225-1 du Code pénal considère comme une discrimination « toute distinction opérée entre des personnes physiques ou morales à raison de leur origine (…), de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La discrimination est avérée lorsqu’elle aboutit à un refus d’accès ou à un accès différencié à un bien ou à un service.

Or, dans la situation présente, le maire n’a pas précisé l’usage qu’il compte faire de son « fichier ». Danièle Lochak rappelle toutefois que ses propos sur la préférence nationale sont juridiquement contestables. « À diplôme, à équivalence, à niveau identique, bien sûr je choisirais un Français » plutôt qu’un étranger, a-t-il déclaré. « On peut considérer qu’il s’agit de la provocation à la discrimination », estime-t-elle. Le maire pourrait-il être poursuivi pour incitation à la haine liée à l’origine ? Pas évident, étant donné qu’il déclare cyniquement que son objectif est d’« aider les enfants » dans les quartiers en difficulté.

Quels que soient les risques juridiques encourus, les propos tenus recréent une distinction entre « eux » et « nous ». « À force d’amalgames et de sous-entendus, ils entretiennent l’idée que l’immigration est un problème et que les musulmans sont un problème. Il mélange tout, les musulmans, les Maghrébins, les personnes d’origine africaine, les immigrés. La confusion généralisée contribue à nourrir le rejet à l’égard de tout ce qui ne serait pas tout à fait français », indique Danièle Lochak.

L’opprobre a été général. Mardi après-midi, à l’Assemblée nationale, Manuel Valls a fustigé « la réalité de l’extrême droite », tandis que le président François Hollande, en voyage en Arabie saoudite, a estimé que « le fichage d’élèves » est « contraire à toutes les valeurs de la République ». Le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a exprimé son « indignation »« Un tel fichage est interdit par la loi. Ficher des enfants selon leur religion, c’est renvoyer aux heures les plus sombres de notre histoire », a-t-il martelé. « Par ses propos inadmissibles, le maire de Béziers a franchi une ligne jaune et se place délibérément en dehors des valeurs de la République », tranche-t-il.

La ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a quant à elle affirmé que cette situation n’était « pas normale »« C’est le vrai visage du Front national, de l’extrême droite, qui ressort », a-t-elle ajouté. Au Parti socialiste, des membres du conseil national ont annoncé avoir saisi la Cnil et le Défenseur des droits. Seul ou presque à monter au créneau en faveur du maire de Béziers, Florian Philippot, vice-président du FN, a regretté une « polémique totalement vaine »« Il a consulté des prénoms dans un registre d'école dans une optique de lutte contre le communautarisme », a-t-il expliqué.

Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014.Robert Ménard, dans son bureau à la mairie de Béziers, le 6 novembre 2014. © M.T. / Mediapart

Du côté des associations, la Ligue des droits de l’homme a dénoncé un « délinquant qui s’assume »« Le maire de Béziers, constate-t-elle, fiche les élèves de sa commune par leurs prénoms pour identifier les musulmans. Outre l’imbécillité intrinsèque d’une telle démarche, celle-ci est bien évidemment totalement illégale, comme le maire l’a reconnu lui-même. Si Béziers est sous la coupe d’un individu sans autre perspective que d’attiser la haine et la discrimination, elle reste néanmoins assujettie aux lois de la République. C’est pourquoi la LDH engagera les procédures nécessaires contre Robert Ménard et espère que le parquet de Montpellier, la Cnil et le préfet de l’Hérault feront de même. »

Au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la porte-parole, Elsa Ray, indique que son association a saisi la Cnil et a l’intention de déposer plainte « Cette personne n’en est pas à son coup d’essai. Il enchaîne les épisodes limites voire clairement haineux à l’égard des musulmans. Il ne peut pas se croire au-dessus des lois. Cette surenchère islamophobe est insupportable. Il est temps que cela s’arrête. »

À Béziers, les réactions à gauche comme à droite ont été vives. « Tout le monde ne parle que de ça », raconte à Mediapart Alain Renouard, ancien directeur de la médiation à la mairie, mis à la porte par Robert Ménard, et proche de l’UMP locale. « Je n’ai pas la preuve qu’un fichier existe bel et bien, mais ce que je sais, c’est que Robert Ménard dispose de listings. Les fichiers, cela fait partie de ses pratiques. Dernièrement, il a demandé aux directeurs des écoles primaires de distribuer un document demandant aux parents de se positionner pour ou contre le tablier obligatoire, avec nom et prénom de chacun sur la feuille », indique ce père de trois élèves. « Il stigmatise les populations. Aujourd’hui, les musulmans, demain, les juifs. Il instrumentalise les médias. Ce qui compte pour lui, c’est qu’on parle de lui, en bien ou en mal, peu importe. »

Cofondateur du collectif Union citoyenne humaniste et candidat PS aux départementales, Christophe Coquemont, qui lutte au quotidien contre les effets d’un FN municipalisé, est tout aussi « affligé ». « Est-ce qu’il a été poussé dans ses retranchements et fait une pirouette en sortant un chiffre de son chapeau ? Tout est possible. Y compris qu’il ait constitué un fichier spécialement pour cela », indique à Mediapart ce militant qui par ailleurs déclare avoir été surpris par le niveau du chiffre « trop élevé » lancé en pâture. « 64,9 % : cela me paraît bien au-dessus de la réalité. »

L’entendre affirmer qu’il agit de la sorte pour « aider les enfants » l’a écœuré. « Il passe son temps à stigmatiser les musulmans. Il est pour la préférence nationale, il supprime les subventions au CCAS ou aux associations qui travaillent dans les quartiers en difficulté. Robert Ménard défend une République pétainiste. Il a une vision bien particulière de l’identité française, celle de l’extrême droite, une identité française nationale chrétienne », résume-t-il.

« Auparavant, on avait du mal à déterminer s'il s'agissait d'une posture ou d'une conviction. Aujourd'hui, il est vraiment entré en croisade et le revendique, explique à Mediapart l'élu socialiste Jean-Michel du Plaa. Il ne rend plus de comptes à personne, mène sa bataille et fait constamment référence aux racines judéo-chrétiennes de la France. »

« S'agit-il du retour du régime de Vichy à Béziers ? » a réagi de son côté le conseiller municipal (RPF) Brice Blazy, qui a lâché Robert Ménard à l’automne pour rejoindre la droite. Dans son communiqué, l’élu « demande solennellement au représentant de l'État à Béziers (M. le Sous-Préfet) de bien vouloir jouer son rôle ». Le maire « n'a eu de cesse de se rapprocher des thèses de l'extrême droite, du FN (dont il ne se dit pas encarté) », dénonce Brice Blazy en pointant les « dérives » de cette majorité et un « populisme » qui « conduit à terme à une ruine intellectuelle et économique certaine ».

Dès son élection, Robert Ménard a mis en place ce qu’il appelle sa « révolution municipale » – comparée par ses opposants à « la Révolution nationale de Pétain ». Il en avait dessiné les contours sur son blog en 2012, en décrivant un centre-ville « délabré », où « les paraboles punaisent les façades d’immeubles occupés par des pauvres, des Maghrébins, des gitans » et où « les bourgeois ont fui ». « Les personnes que je rencontre ne me parlent que de ça. Elles se vivent en insécurité, étrangères à leur propre ville », « elles veulent juste se sentir chez elles », écrivait-il alors.

Son début de mandat s’est traduit par une longue série de mesures ultra-droitières : armement de la police municipale ; arrêté anti-crachats ; interdiction d'étendre le linge sur les façades des immeubles visibles des voies publiques ; couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans ; retour du « rappel à l'ordre », auquel Ménard a joint un arrêt du versement des aides sociales de la ville en cas de non-réponse aux convocations ; suppression de l'étude surveillée du matin aux enfants de chômeurs ; retrait des aires de jeux à la prochaine dégradation.

Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014.Robert Ménard et Eric Zemmour à Béziers, le 16 octobre 2014. © dr

« C’est un laboratoire d’extrême droite qu’il met en place, car tout cela stigmatise les immigrés et les pauvres », estimait en janvier le conseiller municipal communiste Aimé Couquet, interrogé par Mediapart. « Il envoie des messages subliminaux : le linge aux fenêtres, les paraboles, etc. Une majorité de gens comprend “on va se débarrasser des Arabes” », jugeait de son côté Jean-Michel du Plaa. Les pourcentages, par ailleurs, le travaillent. Midi Libre rappelle ainsi de récents propos à la tonalité analogue : « Dans le vieux Béziers, avec 80 % de femmes voilées, tu ne vois que ça. »

Ce « nouvel état d’esprit » voulu par Ménard s’est accompagné de marqueurs idéologiques forts : l'arrivée d’“identitaires” dans son cabinet, dont son directeur de cabinet, André-Yves Beck, l'ancien idéologue de Jacques Bompard passé par plusieurs groupuscules d'extrême droite radicaux ; la nouvelle ligne du journal municipal, arme de communication forte ; des conférences pour « libérer la parole » dont les invités (Éric Zemmour, Philippe de Villiers, Laurent Obertone) cultivent le même logiciel réactionnaire ; des attaques répétées à l'encontre des médias.

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Le Pen: les dessous financiers du clash père-fille

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 « J’ai honte que la présidente du Front national porte mon nom, s’est plaint Jean-Marie Le Pen, mardi, sur Europe 1. Je souhaiterais d'ailleurs qu’elle le perde le plus rapidement possible. Elle peut le faire soit en se mariant avec son concubin, soit peut-être avec monsieur Philippot ou avec quelqu'un d'autre. Mais moi je ne souhaite pas que la présidente du Front national s'appelle Le Pen. (...) Je ne reconnais pas de lien avec quelqu'un qui me trahit d'une manière aussi scandaleuse. »

Alors que Marine Le Pen a martelé, dimanche, que le conflit en cours « n’est pas une affaire familiale » mais « une affaire politique », Jean-Marie Le Pen aimerait pouvoir retirer à sa fille l’usage de son nom… première étape de son exclusion de son cercle familial. Suspendu lundi du Front national, le président d'honneur a dénoncé « une félonie » et promis de passer « à l’attaque ».

Il risque fort de chercher à priver Marine Le Pen de ce qu’il lui offrait jusqu’à présent : un soutien financier à travers ses micro-partis, et surtout la perspective de l’héritage d’une partie de sa fortune. Anticipant sa succession, Jean-Marie Le Pen avait d’ailleurs déjà rendu sa fille copropriétaire, avec sa sœur Yann, d’un quart de son hôtel particulier de Montretout, en excluant l’aînée, Marie-Caroline, à qui il reprochait de l'avoir trahie en partant avec son mari dans le camp de Bruno Mégret, en 1998. Le patriarche avait alors mené une guerre financière (et judiciaire) à sa fille sur la question de la maison familiale de la Trinité-sur-Mer et sur les parts de sa société d'édition.

  • Un héritage à risque pour Marine Le Pen

La question a surgi dans la bouche d’adversaires politiques : « Il serait intéressant de savoir si madame Le Pen va accepter l'héritage politique et l'héritage fiscal de son père », s'est interrogée l’ex-ministre du budget Valérie Pécresse après la révélation par Mediapart d’un compte caché de son père en Suisse, via son majordome, et la détention d’1,7 million d’euros de lingots et pièces d’or.

Si l’héritage ne semble pas d’actualité, vu la santé affichée par l’homme à la parka rouge ce 1er Mai, on peut prévoir de fortes tensions entre l’administration fiscale et Jean-Marie Le Pen compte tenu des procédures déclenchées par les communications de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et du service anti-fraude Tracfin à la justice. « Écoutez, je pense que là en l’occurrence, il va y avoir probablement des éléments entre l’administration fiscale et Jean-Marie Le Pen, si ces faits sont justes », a d’ailleurs commenté Marine Le Pen dimanche, jugeant « indécent » d’évoquer « le décès de celui qui reste [son] père ».

En tout état de cause, l’administration demandera à Le Pen, et le cas échéant à ses héritiers, le recouvrement de sa dette fiscale. La décision d’accepter l’héritage reviendra alors à Marine Le Pen et ses sœurs. L’enquête judiciaire pourrait mettre au jour d’autres pans de la fortune de son père. Pierrette Le Pen avait notamment dénoncé, dans les années 1980, l’existence de comptes cachés en Suisse, issus de l’héritage du cimentier Hubert Lambert.

Au Congrès du FN à Tours, le 16 janvier 2011.Au Congrès du FN à Tours, le 16 janvier 2011. © Reuters
  • Les copropriétaires de Montretout dans le même bain

En octobre déjà, Marine Le Pen avait quitté la propriété familiale de Montretout, installée sur les hauteurs de Saint-Cloud, sur fond de brouilles avec son père. La demeure, au cœur de l’héritage Lambert, est une prise de risque fiscal pour la présidente du FN, par les estimations contradictoires dont elle a fait l’objet.

En 1994, le fondateur du FN a fait entrer sa benjamine au capital de la Société civile immobilière du Pavillon de l’Écuyer, qui gère cette propriété, à la faveur du retrait d’un de ses amis. Il a validé aussi l’entrée de sa fille Yann, en 2008, lors de la revente des parts de son ex-femme, Pierrette Lalanne. En juillet 2012, il est allé plus loin en faisant donation à Yann et Marine Le Pen de 350 parts chacune (142 800 euros), en les faisant profiter des dernières semaines de l’abattement à 159 325 euros – cet abattement en faveur des bénéficiaires retombera à 100 000 euros en août 2012.

Selon l’acte de donation consulté par Mediapart, Jean-Marie Le Pen a pris en charge les frais de notaire, mais il s’est aussi curieusement engagé à prendre à sa charge « les conséquences d’un redressement fiscal éventuel ».

En 2008, les parts étaient estimées à 200 euros lors de l’entrée de Yann Le Pen – ce qui revenait à évaluer la propriété à 800 000 euros... –, mais elles ont grimpé à 408 euros, en 2012, lors des donations – portant l'évaluation officielle de Montretout à 1 795 200 euros.

La valeur des donations à Marine Le Pen et sa sœur a été en réalité fortement minorée. En effet, la propriété constituée par un bâtiment principal de 430 m2, des dépendances de 350 m2 et un parc de 4 670 m2 a été estimée par des agents immobiliers consultés en 2006 par Le Canard enchaîné à 6,45 millions d’euros. Le prix au mètre carré dans le parc de Montretout est aujourd’hui de 7 738 euros, et l’on peut donc aisément doubler ou tripler l’estimation servant de base à l’acte de donation à Marine et Yann Le Pen.

Cet acte mentionne aussi une clause, classique, de révocation « pour cause d’ingratitude ». Jean-Marie Le Pen pourrait être tenté d’y recourir, mais pour cela il faudrait que sa fille ait « attenté » à sa vie, ou qu’elle se soit rendue « coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves », ou qu’elle « lui refuse des aliments ».

  • Ces micro-partis qui vont suspendre leur aide

Deux robinets peuvent être fermés par le fondateur du FN. Créé avant le début des hostilités, en décembre 2013, le micro-parti « Promelec » était destiné à « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen », et ce micro-parti possède une association de financement « Jean-Marie Le Pen-Promelec ». Impossible pour l’instant de savoir quelles sommes brasse cette nouvelle association, dont les comptes, communiqués à la commission des comptes de campagne (CNCCFP), ne seront consultables que l’année prochaine.

Cette structure est entre les mains du président d’honneur suspendu : si Marine Le Pen en est la secrétaire générale, c’est Jean-Marie Le Pen qui la préside, et les postes de trésorier et de secrétaire général adjoint ont été confiés à deux de ses proches : son majordome Gérald Gérin et sa secrétaire personnelle Micheline Bruna. Marine Le Pen pourrait donc en être facilement écartée.

Le micro-parti Cotelec, l’autre levier de financement, créé en 1988, pour soutenir l'activité politique de Jean-Marie Le Pen, a permis de réunir et de prêter près de 3 millions d'euros au Front national en 2012, et plus de 4 millions en 2013. Et cet outil risque de faire cruellement défaut au parti (lire notre article).

C’est à travers lui que Jean-Marie Le Pen a obtenu deux millions d’euros d’une obscure société chypriote, dissimulant des intérêts russes, afin d’avancer des fonds à des candidats frontistes aux européennes. « Cotelec est une plateforme de financement pour aider nos candidats à se présenter », résumait à Mediapart l'eurodéputé Bernard Monnot, « stratégiste » économique de Marine Le Pen.

Le micro-parti a obtenu autour de 200 000 euros de dons chaque année (239 464 euros en 2011, 256 200 en 2012, 176 026 en 2013). Il a aussi eu régulièrement recours à des emprunts pour subvenir aux besoins du FN – 1 169 264 euros en 2011, 2 338 971 euros en 2012, 1 891 023 euros en 2013.

L’entourage de Marine Le Pen semble s’être préparé, financièrement, à sa rupture avec le patriarche. « Cotelec n’a pas vocation à prêter au Front national, il l’a fait dans les moments de difficultés financières, on a tout remboursé, donc il n’a plus spécialement de poids dans le parti, a expliqué le trésorier du FN Wallerand de Saint-Just à Mediapart. Cotelec comme Jeanne se sont désormais spécialisés dans les prêts aux candidats du Front. »

La création, dès 2010, de l’association de financement Jeanne, animée par le réseau des anciens activistes du GUD proches de Marine Le Pen, marque cette prise d’autonomie. Mais cette structure et ses satellites, tenus par la même mouvance, sont aujourd’hui au cœur d’une enquête pour financement illicite, abus de biens sociaux et blanchiment. Cinq personnes, ainsi que le prestataire Riwal, et le micro-parti Jeanne, ont déjà été mis en examen par les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi.

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé mercredi 6 mai à 11h50 avec la mise en examen du micro-parti Jeanne dans l'affaire du financement des campagnes du FN.

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Une enquête pour corruption ouverte contre GDF-Suez

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Leur victoire avait été célébrée en grande pompe. Le 7 mai 2014, la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, annonçait en conférence de presse le résultat du second appel d'offres de l'État pour l'éolien offshore. C’est un consortium mené par GDF-Suez, Areva, l'énergéticien portugais EDP et Neon Marine, qui remportait la mise. Une revanche pour Gérard Mestrallet, le directeur général de GDF-Suez (désormais baptisé Engie), qui souhaitait reprendre la main sur ce juteux marché face à son concurrent historique, EDF.

Mais les coulisses de cette réussite industrielle ne semblent pas être si propres que l'énergie produite par le futur parc maritime. C'est en tout cas ce que semble penser la justice qui vient d'ouvrir à Montpellier une information judiciaire pour corruption active, passive et abus de biens sociaux – un juge devrait être bientôt désigné. Cette enquête fait suite au dépôt d'une plainte, en juillet dernier, par la Société de participation dans les énergies renouvelables (SOPER), actionnaire minoritaire de la Compagnie du Vent, leader de l'éolien lui-même détenu à 60 % par GDF-Suez.

Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, le 26 février 2015. Gérard Mestrallet, PDG de GDF-Suez, le 26 février 2015. © Reuters

Dans le viseur des enquêteurs, les honoraires que la multinationale a versés à un mandataire ad hoc pour s'assurer de son vote lors d'un conseil d'administration de sa filiale, la Compagnie du Vent, pour lui permettre de répondre à l'appel d'offres. Le mandataire a perçu un montant bien plus élevé que la normale dans ce type d'intervention, ce qui a fini par éveiller les soupçons.

L'événement est cocasse : c'est une erreur de destinataire qui va mettre la SOPER sur la piste d'une éventuelle corruption. Le 12 octobre 2011, la société reçoit du tribunal de commerce de Montpellier un référé validant la rémunération de l'administrateur judiciaire. L'actionnaire y découvre alors que 23 920 euros ont été versés à Me Emmanuel Douhaire, au titre de ses honoraires, au lieu des 6 000 euros évoqués par l'ordonnance du tribunal lors de sa nomination. Une différence de près de 300 %.

Intrigué, l'avocat de la SOPER obtient la saisie de l'ensemble des informations échangées entre le mandataire et l'entreprise publique. Parmi les documents saisis, des échanges de mails entre le directeur juridique de GDF-Suez, Claude Dufaur, et l'administrateur judiciaire, Me Douhaire, qu'a pu consulter Mediapart. Ils révèlent que la négociation de ses honoraires s'est faite directement avec la multinationale.

Pourquoi GDF Suez a-t-il eu recours à un mandataire judiciaire ? La réponse tient dans le conflit qui oppose depuis plusieurs années le géant de l'énergie à la SOPER. Gérée par le fondateur de la Compagnie du Vent, Jean-Michel Germa, la SOPER avait refusé en mai 2011 de transférer à GDF Suez l'ensemble de ses études financées et réalisées depuis plusieurs années sur ce projet. M. Germa estimait la situation trop défavorable à son entreprise sur un si juteux marché.

De son côté, GDF-Suez, agacé par la situation, décide alors de le démettre de ses fonctions et l'assigne en référé pour abus de minorité. D'où la désignation d'un mandataire par le tribunal de commerce de Montpellier, le fameux Me Douhaire, pour régler le différend.

Le mandataire a notamment pour mission de représenter la SOPER à la prochaine assemblée générale de la Compagnie du Vent et voter en son nom sur le projet de transfert des études et personnels vers GDF-Suez. Dès la nomination du mandataire, GDF-Suez s'empresse de lui transmettre une série de documents pour qu'il prenne connaissance du dossier. Et c'est sans avoir même pris le temps d'écouter les positions de la SOPER, la société qu'il est pourtant censée représenter, que le mandataire va voter.

Le jour de l'assemblée générale, l'administrateur judiciaire vote alors en faveur de GDF-Suez. Une décision entraînant le transfert de l'ensemble des études et personnels affectés au projet du Tréport. Ce qui constitue une cession de fait de la branche de l'éolien offshore de la Compagnie du Vent. À l'époque, Jean-Michel Germa estime le préjudice à près de 245 millions d'euros pour la société.

L'enjeu financier est alors considérable pour GDF-Suez qui s'apprête à investir 2 milliards d'euros dans le projet offshore, avec à la clé une rentabilité assurée. La construction va en effet générer d'importantes marges pour ceux qui y participeront. Au niveau de la fourniture des turbines, puis de leur maintenance pour Areva. Puis au niveau de la maîtrise d'œuvre pour la construction du parc, attribuée à Vinci. Enfin, l'électricité produite sera revendue à EDF pendant vingt ans au tarif de 175 euros/MWh. Des prix de rachat exorbitants assurant une rente exceptionnelle et déjà dénoncée par la Commission de la régulation de l'énergie.

Contacté par Mediapart, Me Douhaire estime « avoir réalisé l’ensemble des missions qui lui ont été confiées par la justice ». Et se justifie : « Les 23 920 euros d’honoraires ont été validés par ordonnance du tribunal du commerce. » Même son de cloche chez GDF Suez, qui se retranche derrière la décision du tribunal. « Le mandataire a demandé l’accord de GDF-Suez sur ses honoraires définitifs, nous le lui avons donné », explique la direction du groupe.

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Financement du FN: le micro-parti de Marine Le Pen mis en examen

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Le micro-parti Jeanne, l'association de financement politique de Marine Le Pen, a été mis en examen mardi 5 mai en tant que personne morale, pour « escroqueries » et « acceptation par un parti politique d'un financement par une personne morale », a dévoilé Le Monde. Ces poursuites concernent les multiples irrégularités du dispositif de financement des législatives de 2012, en particulier la vente de kits de campagne par le groupe Riwal animé par des proches de Marine Le Pen et les prêts octroyés par Jeanne aux candidats frontistes.

Le secrétaire général de Jeanne, l'eurodéputé Jean-François Jalkh, par ailleurs vice-président du FN en charge des élections, représentait l'association lors de cette mise en examen au pôle financier du palais de justice de Paris. M. Jalkh risque lui-même d'être poursuivi à titre personnel pour les rémunérations qu'il a perçues du cabinet du commissaire aux comptes de Jeanne, Nicolas Crochet. Les salaires versés par ce cabinet, Amboise Audit, sont l'une des irrégularités apparues lors de l'enquête, comme l'a raconté Mediapart.

« Je persiste à vous dire que nous n'avons rien à nous reprocher », a réagi Marine Le Pen mercredi devant plusieurs journalistes français, lors d’un déplacement à Prague. « C'est une mesure administrative absolument classique depuis que la loi a permis la mise en examen des personnes morales », « ce sont les choses qui sont dans la ligne, attendues », a-t-elle ajouté.

Depuis avril 2014, et à la suite d'un signalement de la commission des comptes de campagne, les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi épluchent le financement des campagnes du Front national, et notamment celui de la présidentielle et les législatives de 2012. Ils soupçonnent un financement illégal et s'intéressent aux rôles joués par Jeanne et Riwal, la société de communication de Frédéric Chatillon, un proche de Marine Le Pen.

Fondée en 2010 pour assurer une autonomie financière à Marine Le Pen, Jeanne est présidée par Florence Lagarde, une amie de fac de la présidente du FN. L'association est devenue la pièce maîtresse du dispositif électoral du Front national, offrant des « kits électoraux » fabriqués par Riwal et des crédits aux candidats FN, avec le feu vert de l’état-major frontiste. Les enquêteurs se penchent sur ce système de prêts octroyés à un taux élevé et le prix de vente de ces kits de campagne, que Mediapart avait détaillé dès octobre 2013. La surfacturation de ces prestations par les animateurs de Riwal, au préjudice final de l'État, qui rembourse les frais de campagne, a déjà donné lieu à leur mise en examen pour « escroquerie ».

Les investigations se poursuivent sur des fonds qui ont transité par Hong Kong et Singapour. Comme l'avait rapporté Le Monde, l'enquête a été élargie le 9 mars aux faits de financement illégal d’un parti politique, acceptation par un parti politique d’un financement provenant d’une personne morale et financement illégal de campagne électorale.

Depuis janvier, les juges ont procédé à cinq mises en examen dans ce dossier. Proche de Marine Le Pen, et ancien président du GUD (Groupe Union Défense), une organisation étudiante d'extrême droite radicale, Frédéric Chatillon a été mis en examen à deux reprises, pour financement illégal de parti politique, escroqueries lors des législatives et de la présidentielle de 2012, faux et usage de faux, abus de biens sociaux et blanchiment. Sa société Riwal a également été mise en examen en tant que personne morale.

Les deux trésoriers successifs de Jeanne, Axel Loustau et Olivier Duguet, ont aussi été mis en examen dans le cadre de cette enquête. L'expert-comptable Nicolas Crochet, commissaire aux comptes de Jeanne et conseiller économique de Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle, a quant à lui été mis en examen le 10 avril pour complicité d'escroquerie lors des législatives de 2012, financement illégal de parti politique et blanchiment d'abus de biens sociaux. 

Le Monde avait révélé, mi-avril, quelques échanges téléphoniques, interceptés par les enquêteurs au printemps 2014, entre les dirigeants de Jeanne et Riwal. Lors de ses écoutes, Axel Loustau, le trésorier de Jeanne, signalait à Frédéric Chatillon, l'agacement de Marine Le Pen face à cette enquête. « J’viens d’avoir Marine, elle est un peu agacée », déclarait Loustau. « Elle est au courant de tout depuis le début… », rétorquait Chatillon. « Nous faut qu’on ferme notre gueule, concluait Loustau. J’vais te dire, avant qu’on soit mis en examen hein, moi, chez Jeanne, j’ai les couilles propres. »

Le moral du trésorier de Jeanne et de la fine équipe des communicants de Marine Le Pen était reparti à la baisse, à l'automne 2014, après la vague de perquisitions effectuées par les enquêteurs au siège de leurs entreprises.

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé mercredi 6 mai à 14h55 avec la réaction de Marine Le Pen, en déplacement à Prague.

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