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Attentats: la petite musique du pouvoir

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Un attentat déjoué justifie le vote de la loi renseignement : c’est le message que répète l’exécutif depuis mercredi 22 avril, et l’annonce de l’arrestation d’un étudiant en informatique, meurtrier présumé d’Aurélie Châtelain, une jeune femme de 33 ans. Mais aussi soupçonné d’avoir préparé l’attaque de deux églises catholiques. Depuis les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, le gouvernement a opté pour une stratégie claire. Il répète que la France est confrontée à des menaces inédites et laisse entendre qu’un attentat peut se produire à chaque instant. Un récit martial, martelé par un pouvoir socialiste, qui déclencherait sans doute les cris d’orfraie de la gauche si elle était dans l’opposition.

Est-ce pour ne pas être accusé, un jour, de n’en faire pas assez ? Pour répondre, via les chaînes d'info en direct, aux angoisses d’une opinion que le pouvoir estime forcément inquiète ? Pour imposer son propre agenda sécuritaire ou pour esquiver par avance les critiques sur les défaillances des services de renseignement ? Quoi qu’il en soit, François Hollande, Manuel Valls et son gouvernement risquent d’alimenter la peur, et de donner l’impression de vouloir en tirer un profit politique.

Mercredi 22 avril, le ministère de l’intérieur a annoncé lui-même avoir déjoué par hasard un « attentat » contre « une ou deux églises » à Villejuif (Val-de-Marne). Selon les premiers éléments de l’enquête, l’homme de nationalité algérienne a tué dimanche 19 avril Aurélie Châtelain dans sa voiture pour des raisons encore floues, avant de se tirer une balle dans la jambe. Il a alors appelé les secours qui ont découvert dans le coffre de son propre véhicule un arsenal de guerre. Le tireur présumé Sid Ahmed Ghlam était connu des services de police et faisait l’objet d’une surveillance pour avoir émis le souhait de partir en Syrie, puis entrepris un séjour en Turquie. « Des vérifications sur l’environnement de cet étudiant en informatique de 24 ans avaient été effectuées à deux reprises en 2014 et 2015, sans révéler d'éléments susceptibles de susciter l’ouverture d’une enquête judiciaire », affirme le ministère de l’intérieur.

Quelques heures plus tard, l’enquête judiciaire à peine ouverte, François Hollande tirait déjà des « conséquences » d’une affaire encore nébuleuse. « La première, c’est que nous sommes toujours sous la menace terroriste, pas seulement la France mais de nombreux pays. » « Deuxième conséquence », selon le chef de l’État : il faut voter la loi sur le renseignement, votée en première lecture à l’Assemblée nationale mais critiquée à cause de la surveillance massive qu’elle permet.

« Nous devons toujours améliorer notre capacité de renseignement, a ainsi assuré François Hollande. Dans l’état du droit d’aujourd’hui et dans l’état du droit de demain, dans le respect des libertés. Et c’est la raison pour laquelle il y a un texte en discussion, et je souhaite que ce texte puisse être adopté, et avec toutes les garanties, puisque j’ai moi-même saisi le Conseil constitutionnel pour qu’il n’y ait aucun doute sur la constitutionnalité de ce texte sur des points précis. » « Nouvel attentat déjoué hier et on chipoterait sur la loi renseignement ? », a lancé sur Twitter le président du groupe PS au Sénat, Didier Guillaume, un proche de François Hollande, alors que le texte suscite de nombreuses oppositions, dans la société civile mais aussi chez des parlementaires, y compris socialistes.

Pourtant, à ce stade, rien ne dit en quoi la nouvelle loi aurait permis, dans ce cas précis, de mieux cerner les agissements de Sid Ahmed Ghlam. Interrogé à ce sujet sur France inter jeudi matin, le premier ministre Manuel Valls s’est avancé : « Elle (la loi renseignement, ndlr) aurait donné plus de moyens aux services de renseignement pour effectuer un certain nombre de surveillances. » Sans plus de détails.

Le premier ministre a en revanche lourdement insisté sur la « menace », « extérieure et intérieure », qui « n’a jamais été aussi importante ». « Nous n'avons jamais eu à faire face à ce type de terrorisme dans notre histoire », a dit Manuel Valls. Selon lui, « cinq » attentats, en comptant cette dernière tentative, ont d’ailleurs été « déjoués ». Juste après les attentats de Paris, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve évoquait déjà ce nombre de cinq attentats déjoués en France depuis l’été 2013. Des actes sur lesquels aucune information n’a été donnée, et dont les chiffres se contredisent.

Jeudi, Manuel Valls a une nouvelle fois parlé de « guerre contre le terrorisme ». Une rhétorique belliciste convoquée à plusieurs reprises par le premier ministre depuis les attentats de janvier. « C’est toute la France qui est visée pour ce qu’elle est. C’est pour ça que nous devons faire la guerre aux terroristes, c’est pour ça que nous faisons la guerre au terrorisme, sans faire la guerre à ce que nous sommes », a affirmé le premier ministre.

Mercredi, devant une église de Villejuif, il a également estimé que s’en prendre aux catholiques revient à viser « l’essence même de la France » : « Vouloir s'en prendre à une église, c'est s'en prendre à un symbole de la France, c'est l'essence même de la France qu'on a sans doute voulu viser. » Ces propos ont été relevés par l’ancien ministre écologiste Pascal Canfin, qui a enjoint Manuel Valls à plus de « neutralité ». « Attention, quand on est Premier ministre de la République laïque, à ne pas dire que d'un côté, il y aurait des cultes liés à l'essence de la France et d'autres qui seraient en quelque sorte importés », a réagi Canfin sur RFI.

Une fois de plus, le premier ministre a convoqué sur France inter l’« esprit du 11-Janvier » : « Nous devons être plus forts que le terrorisme. Nous ne devons pas céder à la peur. (...) La meilleure réponse d’une démocratie comme la nôtre, c’est de ne pas céder à la peur et de garder l’esprit du 11-Janvier, c’est-à-dire la capacité des Français à se rassembler contre le terrorisme, contre la barbarie. »

Depuis janvier, le pouvoir socialiste, toujours plombé par une absence de résultats en matière économique et sociale, a régulièrement tenté de réanimer l’esprit unanimiste des grandes manifestations qui ont suivi les attentats de Paris, parenthèse politique où François Hollande a réussi à gagner des points de popularité dans les enquêtes d’opinion.

L’exécutif se plaît aussi à rappeler dès qu’il le peut l’aspect insaisissable des nouvelles menaces terroristes, moins organisées et plus fragmentées. En février, quand trois militaires avaient été agressés à Nice devant un centre communautaire juif par un homme radicalisé connu des services de renseignement, Bernard Cazeneuve avait parlé de « terrorisme en libre accès ». Un champ lexical qui entretient dans l’opinion l’idée d’un danger diffus.

En parallèle, le pouvoir socialiste a musclé son discours. Lors du débat sur la loi renseignement, un texte qu’il a défendu personnellement, Manuel Valls a reproché à ceux qui plaident pour une approche plus équilibrée ou refusent les nouvelles mesures de surveillance de ne pas avoir « le sens de l’État ». Une façon de les disqualifier sans autre forme de procès. « C’est quoi ce débat sur les libertés? », s’est agacé Manuel Valls jeudi sur France inter, semblant balayer d’un revers de main les nombreux opposants à sa loi, qui considèrent qu’elle constitue une atteinte profonde à la protection de la vie privée.

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Financement des campagnes FN: une nouvelle mise en examen

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La liste des mises en examen s'allonge dans l'enquête sur le financement des campagnes du Front national. C'est au tour d'une proche de Frédéric Chatillon, le principal prestataire du FN avec sa société Riwal, d'être mise en examen pour abus de biens sociaux, recel et blanchiment d'abus de biens sociaux, a indiqué l'AFP jeudi. 

Actionnaire de Riwal, Sighild Blanc, 32 ans, est associée avec Thibault Nicolet dans la société Unanime, une agence de communication de la nébuleuse Chatillon créée en 2011, qui a travaillé pour la campagne présidentielle de Marine Le Pen, comme Mediapart l'avait raconté. Cette toute jeune société a réalisé la maquette et l’impression de journaux du FN, pour plus de 152 000 euros.

L'une des factures d'Unanime pendant la campagne présidentielle de 2012.L'une des factures d'Unanime pendant la campagne présidentielle de 2012.

Depuis avril 2014, et à la suite d'un signalement de la commission des comptes de campagne, les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi épluchent le financement des campagnes du Front national, et notamment la présidentielle et les législatives de 2012. Ils soupçonnent un financement illégal et s'intéressent aux rôles joués par Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, et Riwal, la société de communication de son vieil ami Frédéric Chatillon.

Fondée en 2010, Jeanne est devenue la pièce maîtresse du dispositif électoral du FN, offrant des « kits électoraux » fabriqués par Riwal et des crédits aux candidats FN, avec le feu vert de l’état-major frontiste. Les enquêteurs se penchent sur ce système de prêts à un taux très élevé et de vente de kits de campagne, que Mediapart avait détaillé dès octobre 2013. Ils s'interrogent sur l'hypothèse de prestations surfacturées de la part de Riwal, au préjudice final de l'État, qui rembourse les frais de campagne.

Les investigations se poursuivent sur des fonds qui ont transité par Hong Kong et Singapour. Comme l'avait rapporté Le Monde, l'enquête a été élargie le 9 mars aux faits de financement illégal d’un parti politique, acceptation par un parti politique d’un financement provenant d’une personne morale et financement illégal de campagne électorale.

Depuis janvier, plusieurs mises en examen sont intervenues dans ce dossier. Proche de Marine Le Pen, et ancien président du GUD (Groupe Union Défense), une organisation étudiante d'extrême droite radicale, Frédéric Chatillon a été mis en examen à deux reprises, pour financement illégal de parti politique, escroqueries lors des législatives et de la présidentielle de 2012, faux et usage de faux, abus de biens sociaux et blanchiment. Sa société Riwal a également été mise en examen en tant que personne morale.

Les deux trésoriers successifs de Jeanne, Axel Loustau et Olivier Duguet, ont eux aussi été mis en examen récemment dans le cadre de cette enquête. L'expert-comptable Nicolas Crochet, commissaire aux comptes de Jeanne et conseiller économique de Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle, a quant à lui été mis en examen le 10 avril pour complicité d'escroquerie lors des législatives de 2012, financement illégal de parti politique et blanchiment d'abus de biens sociaux.

Très proche de Chatillon, Sighild Blanc est apparue comme directrice de publication du magazine Cigale, qui est au cœur de ce réseau de sociétés tenues par des anciens du GUD. Ce mensuel gratuit sur « l’art de vivre à la parisienne », distribué dans les boulangeries, et réalisé par l'équipe de Riwal, est édité par la société Taliesin, dont les actionnaires fondateurs ne sont autres que Frédéric Chatillon, son bras droit Jildaz Mahé O’Chinal, et l'ex-avocat Philippe Péninque, conseiller officieux de Marine Le Pen.

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Germain (PS) et Solère (UMP): la primaire peut-elle tout chambouler?

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Pour son 47e numéro, «Objections» vous propose un débat sur la primaire, organisée aujourd'hui par l'UMP après l'avoir été par les socialistes avant l'élection présidentielle de 2012. Ce dispositif de sélection du candidat à l'élection présidentielle pourrait bouleverser à terme l’organisation interne des partis politiques, et même des institutions.

Expérimentée par les socialistes en 2011, la primaire eut un retentissement énorme puis fut suivie d’une victoire électorale aux retombées moins triomphales. François Hollande a avec cette primaire bénéficié d’un principe qu’il avait auparavant combattu. Et Martine Aubry avait mis le dispositif en place alors qu’elle n’y était guère favorable. À la tête de son cabinet, Jean-Marc Germain, aujourd’hui député socialiste, avait suivi pas à pas la mise en place de toute l’opération.

Quatre ans plus tard, l’UMP s’y met aussi, dans un contexte un peu différent. Il y a ceux qui rêvent à voix haute de ce dispositif pour deux raisons : en premier lieu, la primaire passe pour un sésame vers l’Élysée (ce qui est une illusion…), et en second lieu ce système est le seul qui pourrait contrecarrer le retour de Nicolas Sarkozy. Sarkozy fait partie de ceux qui regrettent tout bas l’existence de la primaire, pour mille raisons dont une bonne dose d’intérêts partisans. Mais il a fini par s'y ranger. L’idée était trop avancée. Thierry Solère, député UMP des Hauts-de-Seine, qui n’est pas l’un de ses amis, fait partie du groupe qui la prépare. Cette primaire ouverte aura lieu à l’automne 2016.

C’est sur ce dispositif de type américain, sur ses conséquences, ses perspectives, et même sur la remise en cause du fonctionnement de la Ve République qu'il implique, que les deux hommes échangent dans cette émission.

Nos articles sur la primaire UMP sont ici

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La Parisienne Libérée: « Les socialistes résignés »

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LES SOCIALISTES RÉSIGNÉS

Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Citation : Benoît Hamon / itélé - 23.04.15

Laurence Ferrari
- Un attentat a été déjoué de manière fortuite dimanche, avec un homme qui projetait de s'attaquer à une église. Est-ce que le gouvernement a bien géré cette affaire et est-ce qu'il n'y a pas, comme le disent certains responsables de droite, une volonté de dramatisation de la menace terroriste pour faire voter le projet de loi sur le renseignement ?
Benoît Hamon - Nooon... Non, le projet de loi sur le renseignement, il sera voté, indépendamment de cela.
Laurence Ferrari - Vous le voterez ?
Benoît Hamon - Euh... En tout cas je ne voterai pas contre.
Laurence Ferrari - Donc vous vous abstiendrez ?
Benoît Hamon - Non non non non, je... Je n'ai pas pris ma décision, mais je ne voterai pas contre.
Laurence Ferrari (rires) - Si vous ne votez pas contre et si vous ne votez pas pour...
Benoît Hamon - Il y a "abstention" ou "pour" mais voilà, ce n'est pas le plus important. Un point qui m'avait gêné depuis le début, c'est le champ d'application de ce projet de loi. Parce qu'il concerne un champ très large, et pas justement seulement la lutte contre le terrorisme – y compris ce qui peut relever de violences publiques, ce qui peut relever de la protection d'intérêts économiques stratégiques ou scientifiques. Qui décide qu'un intérêt économique est stratégique ? Cette question-là, qui avait été soulevée par le juge antiterroriste Marc Trevidic notamment, est un point qui, à mon avis..., suscite toujours chez moi de la réserve.
Laurence Ferrari - Néanmoins...
Benoît Hamon - Mais je ne m'opposerai pas à ce texte.
Laurence Ferrari - D'accord.

Oui je sais, je sais, je sais
Mais je ne voterai pas contre cette loi
C'est pas la peine de m'expliquer
Je ne m'opposerai pas

Oui je sais, je sais, je sais
Je sais très bien où ça nous mène
Nos libertés sont menacées
Mais j'ai renoncé aux miennes

Inutile de crier comme ça
Inutile de vous fatiguer
Inutile de voter pour moi
Je suis socialiste résigné (bis)

Oui je sais, je me contredis
Je ne vois pas où est le problème
Que voulez-vous ? C'est la vie !
Et je gagne la mienne

Oui je sais, je sais, je sais
C'est comme pour la TVA
J'avais promis qu'au grand jamais...
Et finalement, voilà !

Inutile de crier comme ça
Inutile de vous fatiguer
Inutile de voter pour moi
Je suis socialiste résigné (bis)

Oui je sais, la surveillance
Les écoutes et les boîtes noires
C'est pas génial quand j'y pense
Mais j'ai besoin de m'asseoir

Oui je sais, je sais, bien sûr
C'est un texte totalitaire
Digne des pires dictatures
Qu'est-ce que je peux y faire ?

Inutile de crier comme ça
Inutile de vous fatiguer
Inutile de voter pour moi
Je suis socialiste résigné

Vous avez tort de vous moquer
Je parie que c'est à mon courant
Que tous les autres vont se rallier
Bientôt je serai président !

Mais si c'est mieux pour mon image
Je pourrais peut-être m'abstenir ?
Ça ne change rien, c'est l'avantage
Je vais y réfléchir ! (bis)

BOITE NOIRELes chroniques de la Parisienne Libérée sont placées sous licence creative commons pour les usages non commerciaux.

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Nucléaire : le jour où l’EPR expirera

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Chantier du bâtiment réacteur de l'EPR à Flamanville (©EDF).Chantier du bâtiment réacteur de l'EPR à Flamanville (©EDF).

Une menace méconnue plane sur le chantier de l’EPR, déjà mis en cause par les anomalies de fabrication révélées par l’autorité de sûreté du nucléaire (ASN) : la péremption de son décret d’autorisation. Publié le 10 avril 2007, le décret n° 2007-534 prévoit en son article 3 que « le délai pour réaliser le premier chargement en combustible nucléaire du réacteur est fixé à dix ans à compter de la publication du présent décret ». Soit le 11 avril 2017. Le problème, c’est qu’il semble fort improbable qu’à cette date le réacteur Flamanville-3 puisse être mis en service. Car il faut d’ici là que l’ASN autorise le chargement des combustibles, décision qui nécessite de nombreux essais. Or l’EPR de Flamanville est une tête de série. Il faudra le tester plus et plus longtemps que les équipements déjà opérationnels. Par ailleurs, le chantier accuse un retard important. Par exemple, le montage des circuits primaires et secondaires est peu avancé en ce printemps 2015. Bien qu’EDF affiche toujours sa volonté de mettre en service la centrale en avril 2017, plus grand monde n’y croit vraiment. L’année 2018 semble une échéance plus crédible.

Tout va surtout dépendre des résultats des nouveaux essais qu’Areva doit réaliser sur la calotte de la cuve témoin de l’EPR, après la révélation d’anomalies dans son acier. Ségolène Royal a demandé leur publication pour octobre 2015. Mais rien n’assure que ce calendrier soit respecté : il faut qu’Areva présente son programme de tests à l’ASN, que celle-ci le valide, puis que les tests se déroulent et enfin que l’IRSN (l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et l’ASN les analysent. Le processus pourrait déborder sur 2016. Si les anomalies sont confirmées, la réparation ou le changement de cuve, et sa nouvelle validation, pourrait prendre plusieurs années. Avant même la découverte des défauts sur la cuve, Philippe Jamet, commissaire à l’ASN, expliquait en 2014 aux députés que « par rapport à l’autorisation de mise en service prévue en 2016, c’est plus que tendu ».

Pierre-Franck Chevet, le directeur de l’ASN, a précisé aux parlementaires qui l’auditionnaient le 15 avril, qu’il venait de recevoir la demande de mise en service de l’EPR, envoyée quelques semaines plus tôt par EDF. Le dossier fait 40 000 pages. « L’instruction va être particulièrement lourde », a-t-il précisé, et impliquer toutes les forces disponibles : les membres des divers groupes permanents de l’autorité, l’IRSN et peut-être des experts internationaux.

« Si l’EPR n’est pas mis en service en avril 2017 se pose la question du statut juridique de l’installation, écrit la commission parlementaire d’enquête sur les coûts du nucléaire, pilotée en 2014 par les députés François Brottes et Denis Baupin. Le gouvernement aurait la possibilité d’annuler le décret, obligeant EDF à reprendre la procédure. » Concrètement, l’EPR ne deviendrait pas périmé d’un jour à l’autre, comme un morceau de viande avariée ou un produit laitier qui tourne rance. Mais il entrerait en zone juridique inconnue. « Le gouvernement a le choix [d’annuler le décret - ndlr] si la mise en service n’est pas effectuée », a expliqué Philippe Jamet en audition à l’Assemblée nationale en 2014, « d’un point de vue technique, un retard supplémentaire et au-delà de cette limite réglementaire, techniquement, n’aurait pas de conséquences du point de vue de la sûreté. »

Il semble bien peu probable qu’à un mois de l’élection présidentielle de 2017, le gouvernement socialiste annule l’autorisation de l’EPR qu’il a jusqu’ici toujours soutenu. Reprendre la procédure d’autorisation prendrait plusieurs années : étude d’impact, préparation d’un nouveau décret d’utilité publique, organisation d’un nouveau débat public. Après la catastrophe de Fukushima, nul ne peut présager de l’issue d’une consultation populaire portant sur l’opportunité d’installer près de chez soi le plus puissant réacteur atomique au monde.  

Mais la vacance de fait créée par l’expiration du décret pourrait provoquer une vulnérabilité juridique, souligne l’élu EELV Denis Baupin, pour qui des recours pourraient alors être déposés contre le réacteur. La loi de transition énergétique oblige l’exploitant, EDF, à demander au gouvernement l’autorisation de démarrer le réacteur 18 mois avant sa mise en service. Il peut aussi réclamer un prolongement de l’autorisation. C’est le ministère de tutelle, celui de l’écologie et de l’énergie, qui devra alors prendre cette décision.

Un gouvernement pourrait-il décider d’en finir avec l’EPR ? C’est ce que fit le gouvernement Jospin en 1997 avec Superphénix, le surgénérateur implanté à Creys-Malville (Isère). L’arrêt du réacteur à neutrons rapides découle d’un accord électoral entre les Verts et les socialistes, alors que la gauche s’apprête à reprendre le pouvoir, à la faveur de la dissolution parlementaire décidée par Jacques Chirac et Dominique de Villepin. La chronologie de cette décision, unique à ce jour par son ampleur symbolique dans l’histoire du nucléaire français, mérite d’être reconstituée.

Initié en 1976, ce réacteur à neutrons rapides et utilisant le sodium comme fluide caloporteur – une autre technologie que celle des centrales nucléaires françaises actuelles – était exploité par une société européenne, Nersa, regroupant trois grands actionnaires : le français EDF (51 %), l'italien ENEL (33 %) et le consortium SBK (16 %) rassemblant l'allemand RWE, le néerlandais SEP et le belge Electrabel. Très puissant pour l’époque, avec ses 1200 MW (contre 1600 pour l’EPR de Flamanville aujourd’hui), il ligue d’emblée contre lui une bonne partie des mouvements écologistes européens, qui lui reprochent aussi de tourner au plutonium, qui sert à fabriquer les armes nucléaires, et d’être particulièrement dangereux : il fonctionne au sodium qui s'enflamme au contact de l'air et explose au contact de l'eau. Le 31 juillet 1977, une manifestation d’opposants au surgénérateur se termine dans le sang : Vital Michalon meurt tué par la grenade d’un gendarme. C’est « la bataille de Malville ». Le réacteur devient un point de crispation du mouvement antinucléaire. Une fois élu en 1981, François Mitterrand ignore ces mobilisations et lance un ambitieux programme de construction de réacteurs atomiques. En 1986, Superphénix entre en activité.

Mais il rencontre de gros problèmes techniques. Il est immobilisé pendant des années, entre les travaux de réparation et les procédures de contrôle administratif. Cette vulnérabilité technologique et les coûts financiers galopants du site (épinglés par un rapport de la Cour des comptes en 1996) fragilisent la légitimité de la centrale et accordent plus de poids à la critique des Verts. En mai 1997, Lionel Jospin devient premier ministre. Dans la foulée, le gouvernement annonce sa décision de mettre un terme à l’activité de Superphénix. Vingt ans presque jour pour jour après la mort de Vital Michalon, Lionel Jospin déclare : « Le surgénérateur qu’on appelle Superphénix sera abandonné. » Des députés, emmenés par le socialiste Christian Bataille, veulent défendre le réacteur. La CGT proteste et lance une pétition de soutien à Superphénix. Mais le décret d’arrêt de la centrale est publié le 31 décembre 1998. EDF accepte de financer seul le démantèlement (10 milliards de francs, soit 1,5 milliard d’euros), mais en contrepartie, ne verse ni indemnités ni compensation aux autres actionnaires.

Des agents de Superphénix ont raconté à l’anthropologue et philosophe Christine Bergé comment ils avaient vécu cette mise à mort de la centrale, dans son livre Superphénix, déconstruction d’un mythe. « Nous lui avons fait un enterrement symbolique, avec une vraie pierre tombale », dit l’un d’entre eux. « La pierre existe toujours, plantée en terre près d’une des grilles de l’entrée », décrit la chercheuse. « À l’époque, il a fallu demander un psychologue pour que ceux qui avaient envie de parler puissent le faire, rapporte une médecin du site. Nous avons eu des consultations jusqu’en 2004. En 2003, certains ne voulaient pas qu’on casse la salle des machines. Ils ne pensaient pas qu’on allait vraiment arrêter. Ils disaient : "Je ne veux pas partir". C’était une histoire d’amour. Ils se serraient les coudes. » Un ingénieur raconte à l’auteure : « 1998, c’était en plein dans la période de mon anniversaire. On disait qu’on allait arrêter. Il fallait décharger le cœur ? Mais c’était un cœur de jeune homme ! » Pour Christine Bergé, gagnée par l’émotion de ses interlocuteurs, « tour à tour jugé monstrueux, arrogant ou bénéfique, exploit ou folie technique, Superphénix était le plus grand surgénérateur du monde, le plus grand chaudron de sodium en fusion. Comme tous les héros, il eut une naissance difficile et une fin tragique ». Le surgénérateur est encore aujourd'hui en phase de déconstruction.

L’EPR pourrait-il connaître la même mort mélodramatique ? En réalité, tout a changé par rapport à la fin des années 1990. Depuis, un nouveau cadre réglementaire a été conçu pour retarder le plus possible la mise à l’arrêt des réacteurs. En 2006, la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite « loi TSN », crée l’autorité de sûreté du nucléaire (ASN) et institue le premier régime légal complet des installations nucléaires de base. Mais elle prive aussi le pouvoir politique de la capacité de fermer les réacteurs pour des raisons autres que sécuritaires. « Aujourd’hui, la loi et les textes réglementaires font que la fermeture d’une centrale relève de la décision de l’exploitant et de l’ASN », expliquait à Mediapart Francis Rol-Tanguy, il y a deux ans, alors bien placé pour le savoir puisqu’il était le délégué interministériel à la fermeture de Fessenheim.

Alors qu’en 1997, le gouvernement de Lionel Jospin a pu décider de l’arrêt de la centrale de Creys-Malville en mettant en avant son coût excessif, aujourd’hui l’exécutif ne pourrait plus le faire. Le délai légal de clôture atteint quasiment quatre ans, soit presque autant qu’un quinquennat. C’est pour cela que les réacteurs de Fessenheim ne s’arrêteront pas d’ici la fin du quinquennat, quand bien même EDF en annoncerait la fermeture, comme le souhaite François Hollande.

Cette substitution du critère de sûreté aux critères de nature politique ou économique parmi les raisons légales de fermeture des réacteurs avait été obtenue de haute lutte par les énergéticiens, traumatisés par l’épisode Superphénix. Anne Lauvergeon, l’ancienne présidente d’Areva, s’en était ouvertement réjouie. Les parlementaires de l’époque, pour une part d’entre eux en tout cas, n’y avaient vu que du feu. Si bien que, facile et fréquente opération d’un point de vue technique, l’arrêt d’un réacteur est devenu un tabou politique. C’est la raison pour laquelle aucun arrêt de centrales ne figure dans la loi de transition énergétique de Ségolène Royal. Elle se contente de plafonner la puissance nucléaire installée (à 63,2 gigawatts), n’organise pas la fermeture des réacteurs nécessaires à la mise en œuvre de l’objectif de 50 % de nucléaire en 2025 et renvoie ces décisions à une programmation pluriannuelle énergétique adoptée par décret.

Avec cette contrainte, la mise en service de l’EPR de Flamanville entraîne nécessairement la fermeture de 1600 MW ailleurs sur le parc. Mais s’il n’est pas branché au réseau, une autre histoire peut commencer.

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Panneaux solaires: arnaque, cavalerie et 50 millions d'euros évanouis

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C'est l'histoire d'une cavalerie financière et d’une cécité troublante. Une cavalerie de près de 50 millions d'euros a ruiné de gros investisseurs (jusqu'à 2,5 millions d'euros) et une foule de petits ou tout petits épargnants, à l’image de cette grand-mère dont les 17 000 euros d'économie ont disparu. Quant à la cécité, ou la fascination, elle a frappé la chaîne des autorités précisément chargées de détecter les irrégularités ou les illusions, puis de les combattre : commissaires aux comptes fort bien rémunérés, dont l'un d'eux est président de l'ordre des experts-comptables de Paris-Île-de-France, gendarmes de la bourse, un greffier, un notaire, le tout dans la majestueuse lenteur de la justice.

Ce petit Madoff français apparaît dans la foulée du premier, dès 2007, à la fois ébloui et dépassé par le succès de sa propre affaire, et les millions qui vont avec. Il s’appelle Frédéric Errera, il a 34 ans à l’époque, il est gestionnaire de patrimoine et il crée l’entreprise Solabios qui fabrique de la finance à partir de panneaux solaires. Il prospère jusqu’en 2010, en promettant la poule aux œufs d'or à ceux qui cherchent un bon placement. Il entre en bourse, puis se fracasse et se met à l’abri dès 2012 en changeant de nationalité… Franco-Israélien, il est maintenant israélo-hollandais, et habite à Monaco.

Il n’est pas seul dans l’aventure. D’un bout à l’autre il est accompagné par l'amnésie, le laisser-faire de professionnels aguerris dont il sait s’entourer, qui sont pour le public des garanties morales et techniques. Un impressionnant aréopage d’avocats, de conseils, d’hommes de loi, et la présence quotidienne de deux commissaires aux comptes... Mais personne, ou presque, n’a eu l’idée de bouger quand le Titanic a foncé vers l'iceberg, détectable et détecté dès 2010. L’un de ces deux commissaires aux comptes, Stéphane Cohen, est pourtant président des experts-comptables d'Île-de-France, et il a pris en 2008 la tête d’une commission de lutte contre la fraude.

Lui et son collègue Said Yanis Khadiri sont aujourd'hui poursuivis devant le tribunal de grande instance de Paris par l'administrateur judiciaire chargé de la sauvegarde de l'entreprise, Pierre-Louis Ezavin. Ils sont accusés de « n'avoir pas empêché, et même pour l'un d'eux [Stéphane Cohen - ndlr] favorisé l'émission massive d'obligations alors que la société était déjà en situation irrémédiablement compromise ». Ezavin leur réclame 40 millions d'euros. 

Résultat : plus de mille personnes dépossédées, 521 plaintes déposées auprès du tribunal de Marseille par une association de victimes, l’AIS, association des investisseurs de Solabios. Une instruction a été ouverte, confiée au juge Pierre Philipon. Elle est, nous explique-t-on au tribunal et au commissariat, « complexe et délicate ».

Les documents auxquels Mediapart a eu accès ne sont pourtant pas un secret d'État. Il en existe d’autres. Ils sont connus de tous les protagonistes qui dégainent d’ailleurs chacun les leurs, et de toutes les autorités compétentes, alertées depuis longtemps, et à plusieurs reprises.

Une promesse mirifique

« Devenez propriétaire d’une parcelle solaire de 13 m² et gagnez 1 414 € /an net d’impôts. 8 % net de fiscalité. Prix parcelle : 17 677 € HT (Prix TTC : 21 142 €, remboursement TVA de 3 465 € au plus tard 9 mois après signature du contrat). Des revenus versés tous les trimestres et revalorisés à 1,5 % / an. » C’est l’offre qui circulait dans la presse en 2009, publiée par des conseillers en placement. Elle émanait donc de l’entreprise Solabios du jeune Frédéric Errera.

Entrée en bourse, Frédéric Errera au centreEntrée en bourse, Frédéric Errera au centre

Errera est rassurant. Plutôt rond, le ton feutré, presque hésitant, il apparaît timide à la télévision quand il vante son projet dans les chroniques de BFM Business, et n’a rien du bagout qu’on imagine chez le flambeur que dénonceront plus tard ses plus proches collaborateurs. Il a compris, comme d’autres, que le décret pris par Dominique de Villepin en 2006 ouvrait des perspectives illimitées. EDF devait racheter à 60 centimes d’euro le kilowatt-heure produit par les panneaux solaires installés par les particuliers.

Son idée est donc, au départ, de proposer au public de se constituer en “Société en participation” (SEP), de vendre des panneaux à ces SEP, lesquelles donnaient mandat à Solabios d’investir en leur nom. Plus tard, Solabios se subdivisera en un maquis impénétrable de holdings et filiales. Mais entre 2007 et 2010 la promesse de ce donnant-donnant est alléchante : versement d’une rente de 8 % pendant 10 ans avec au bout de ce délai la possibilité de rachat par Solabios de la quasi-totalité du prix de l’investissement. Ainsi pour 10 000 euros, le particulier avait la garantie contractuelle de recevoir 800 euros par an, et de revendre ses panneaux au prix de 8 700 euros, soit un gain total de 16 700 euros au bout de dix ans.

Faites le calcul. En dix ans, 10 000 euros deviendraient grosso modo 26 000, une culbute de plus de 150 %. Dès le 9 octobre 2009, un blogueur spécialisé exprime son scepticisme sur internet en parlant « d’arnaqueur » et d’« escroquerie », mais l’envie d’y croire est trop grande et transpire dans les commentaires de cet avertissement : « Solabios prend sa part du gâteau, mais ils me garantissent 8 % certifiés par un notaire… » ; « C’est triste, il y a toujours quelqu’un pour casser le travail de nos entrepreneurs… », etc.

De fait, porté par une vague qui conduit bien des propriétaires de l’époque à examiner la toiture de leur maison pour envisager d’y placer des panneaux et revendre leur électricité à EDF, Solabios prospère à vitesse grand V. En moins de quatre ans une pluie d’argent, presque 50 millions d’euros, est collectée. L’entreprise est admise en 2009 sur le marché libre Euronext et prépare en 2010 son entrée sur le marché Alternext. Solabios n’est donc pas une petite affaire bidouillée par un bonimenteur isolé. Elle est répertoriée, cotée, soupesée par les autorités boursières. Elle est contrôlée par deux commissaires aux comptes qui n’émettront de réserves publiques que lorsque les chaloupes seront mises à la mer.

Tout va merveilleusement bien. La fièvre du panneau solaire fait fondre les méfiances, l’argent rentre. Le problème, c’est qu’il sort aussi, mais pas par les mêmes tuyaux...

Les investisseurs sont souvent des retraités. Ainsi Jean Thomas, le président de l’AIS. Ancien chef d’entreprise, il a des problèmes avec ses caisses de retraite, et se tourne vers cet investissement pour compenser : « La plaquette était belle, on me parlait d’EDF, de l’État, du préfet qui donnait son autorisation, d’Axa qui assurait l’opération. C’était rassurant. » En 2010, il fonce en « plaçant » 200 000 euros. Beaucoup d’autres sont infiniment plus modestes. Une grand-mère confie par exemple ses 17 000 euros d’économie, le prix d’entrée minimal pour investir dans Solabios. Plus de mille personnes mordent à l’hameçon.

Le concept est si puissant qu’il n’attire pas seulement les particuliers. Frédéric Errera rencontre ainsi un jeune entrepreneur corse, Christian Giudicelli. Cet ingénieur en aéronautique a parié lui aussi sur le développement du solaire. Il installe des centrales, et son entreprise, Voltaïca, a connu une croissance impressionnante. Parti de rien son chiffre d’affaires atteint 7 millions d’euros en deux ans, quand il décide de s’associer à Solabios. Il y investira (et perdra pour l’instant) 2,5 millions d’euros. Devenu vice-président de Solabios, il envisagera d’y fusionner Voltaïca, avant de se raviser au vu des comptes qu’il découvrira en prenant ses fonctions, en 2011. Il s’en ira en avril 2012, dans des conditions que nous rapportons plus bas.

Pour l’heure, nous sommes donc en 2010 et l’entrée au sein de Solabios de ce jeune entrepreneur est une aubaine que la communication de Frédéric Errera salue dans un texte en direction de la presse. Si un tel spécialiste associe son entreprise à la sienne, c’est la preuve que Solabios a les reins solides. « J’ai été naïf, j’y ai cru, le secteur était porteur », regrette Christian Giudicelli qui a porté plainte, comme tant d’autres, et qui essaie de se reconstruire, la rage au ventre, tandis qu’Errera l’accuse de n’avoir pas tenu ses engagements.

Les centaines d’investisseurs, eux, n’ont d’abord ressenti qu’une grosse contrariété. Jean Thomas (le président de l’AIS) la raconte, dates à l’appui : « Je suis entré dans le système en mars 2010. Un an plus tard, inquiet de ne rien recevoir, je joins la Société qui m’explique qu’un retard sur un chantier a provoqué ce délai. Je reçois finalement le premier “loyer” de 1 800 euros, puis deux autres en 2012. Ce seront les derniers. Plus rien n’arrivera sur mes comptes. Le 27 septembre, je reçois un courrier : en dépit du contrat que nous avons signé, Solabios en difficulté me propose deux “solutions”. Soit je conserve ma SEP en l’état, mais je ne touche plus rien avant dix-huit mois et ma rétribution de 8 % est réduite à 3 %, soit j’accepte de la transformer en obligations convertibles en actions (donc j’abandonne ma propriété sur les panneaux solaires, en échange de valeurs boursières aux mains du seul Errera), je ne touche rien pendant “seulement” un an, et je conserve la promesse d’un intérêt à 8 %. Je refuse cette transaction, contrairement à la majorité des investisseurs, pour qui l’attrait des 8 % reste un argument décisif. »

Résumé de la situation : il a fallu patienter un an avant de recevoir la première mensualité, elles sont arrivées au compte-gouttes, et il faudra maintenant attendre douze ou dix-huit mois supplémentaires, pour espérer les prochaines. En fait, elles ne viendront jamais.

Juridiquement, ce qui se passe à Solabios entre 2011 et 2013 est une descente en vrille. Officiellement, selon la comptabilité certifiée en juin 2010 par les commissaires aux comptes, la situation est saine, et consolidée par l’arrivée de Voltaïca. Elle est examinée et validée par la société Genesta chargée de vérifier la solidité des entreprises candidates à l’entrée sur le marché Alternext. « Je me suis fié aux commissaires aux comptes, se défend son directeur, Hervé Guyot. Je n’étais pas chargé d’auditer. »

Solabios est cotée à 17 euros à partir du 31 mars 2011. Au bout de quelques semaines le cours se fracasse, et finit sa carrière en septembre 2013. L’action ne vaut plus alors que 0,79 euro. Solabios est successivement placée sous l’autorité d’un mandataire ad hoc, puis en procédure de sauvegarde, puis sous l’autorité d’un administrateur judiciaire. Elle est désormais en liquidation.

Ainsi la poule aux œufs d’or qui devait multiplier les pains, et gaver ses investisseurs, affiche plus d’1 million d’euros de pertes dès 2010, 7,4 millions en 2011, 6 millions en 2012, 5 millions en 2013, et ainsi de suite. Comment expliquer cette catastrophe financière ?

Il existe un déclencheur technique : la promesse de Solabios reposait sur le décret Villepin, à savoir le rachat du kilowatt-heure à 60 centimes d'euros. Or, en 2010, EDF divise ce prix par cinq. Frédéric Errera ne cessera de mettre en avant cet événement pour expliquer ses déboires. Mais le 2 mars 2011, à la veille de l’entrée en bourse, interrogé sur la chaîne marseillaise LCM, il assure tranquillement que cette baisse « lui paraît normale » car le prix d’achat des panneaux baisse également et compensera un manque à gagner, qu’il « avait anticipé ».

Ces aléas cachent en fait des problèmes comptables autrement plus concrets, et d’une tout autre ampleur. L’administrateur judiciaire Pierre-Louis Ezavin les découvrira deux ans plus tard. Désigné en octobre 2013 par le tribunal de commerce de Nice dans le cadre d’une procédure de sauvegarde, il décrit les faits dans un rapport daté du 2 octobre 2014 : « Sur 42 millions de fonds investis par les investisseurs, seuls 20 millions auraient servi à l’acquisition de centrales photovoltaïques. » 

Où est allé le reste de l’argent ? Me Ezavin donne des indications chiffrées : « Des rémunérations particulièrement importantes [ont été] versées à une société monégasque, Green Institut, pour près d’un million d’euros en trois ans. » Or qui est le gérant de cette société sise en principauté, avec laquelle Frédéric Errera a passé convention ? C’est Frédéric Errera lui-même… L’administrateur découvrira dans la foulée que le même homme jouait aussi des vases communicants en promenant de l’argent vers une myriade de sociétés, au Danemark ou dans l’État du Delaware (paradis fiscal aux États-Unis). Il avait même créé une trentaine de sociétés commerciales dont quinze ont été dissoutes… Depuis Monaco, Errera explique que cet argent ne faisait que transiter pour des raisons fiscales, et revenait ensuite à la maison mère.

Le patron de Solabios n’était pas égoïste. Il partageait l'argent des épargnants avec ses conseils. Bon mari, il payait son assistante (sa femme) 8 000 euros par mois, selon le rapport de l’administrateur. Il dit que c’est faux. Bon prince, il rémunérait aussi sans compter les avocats, conseils ou commissaires aux comptes. « 55 % du chiffre d’affaires en 2011, 91 % du chiffre d’affaires en 2012, 60 % du chiffre d’affaires en 2013 », précise Me Ezavin. « Ça coûte très cher d’entrer en bourse », réplique Errera à Mediapart. Ceux qui ont investi dans son affaire et perdu leur argent ne le contrediront pas...

 L’amnésie des commissaires aux comptes

Les deux experts-comptables de Solabios, Said Yanis Khadiri (qu’on a vu avec Emmanuel Macron dans l’émission de France 2 Des paroles et des actes) et Stéphane Cohen, aujourd’hui président de l’ordre des experts-comptables Paris-Île de France, ont touché à eux deux 1 million d’euros en trois ans de 2010 à 2012, c’est-à-dire 15 % du chiffre d’affaires de Solabios. Ils réclamaient encore à la société en perdition 150 000 euros pour l’année 2013. L’avocat de Stéphane Cohen, Me Olivier Pardo, ne dément pas la somme : « Les honoraires ont été validés par la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris lors d’un contrôle effectué le 8 avril 2013. »

Une si haute rétribution permet d’imaginer que chaque chiffre était vérifié au microscope. Des courriers et des échanges de mails que Mediapart a pu consulter prouvent que les experts-comptables ont effectivement débattu, dès 2010, des incohérences, puis des irrégularités, mais qu’ils se sont violemment opposés sur l’opportunité de les révéler. Il ressort de ces échanges que Stéphane Cohen faisait étroitement équipe avec le patron de Solabios et avec ses avocats, contre Said Yanis Khadiri qui prenait ses distances.

Said Yanis Khadiri auprès d'Emmanuel Macron, sur France 2Said Yanis Khadiri auprès d'Emmanuel Macron, sur France 2

Ainsi, le 2 juin 2010, au moment de clôturer les comptes des six premiers mois de l’année, décisifs pour l’entrée sur le marché Alternext, M. Khadiri fait part, par écrit, d’objections techniques portant sur des questions de facturations. L’avocat d’Errera, Johann Lissowski à l’époque, prévient aussitôt son client, lequel répond le même jour, à 19 heures 22 : « OK, j’ai vu avec Stéphane [Stéphane Cohen - ndlr], on va lui rentrer dans le lard après son rapport. »

Le “lard” sera courtois, mais enregistré par un micro clandestin. « Je me méfiais de lui, explique Errera. Il passait son temps à démolir Stéphane Cohen depuis que j’avais annoncé son arrivée officielle comme co-commissaire aux comptes, alors j’ai pris mes précautions, je le reconnais franchement. » La réunion a lieu à trois, le patron, l’avocat et le commissaire aux comptes Khadiri. Khadiri finira par donner des conseils pour “meubler” la comptabilité. L’enregistrement sera illico presto envoyé à l’autre (futur) commissaire aux comptes, par mail, sous le titre “Kiffe bien”. Réponse de Stéphane Cohen qui entrera en fonction le 1er juillet suivant : « Excellent, j’adore. » Finalement, les comptes seront validés le 30 juin.

Errera et Cohen se connaissent depuis 2008, et en 2009 le second est d’abord devenu commissaire aux compte d’une holding dépendant de Solabios. De lui Errera dit qu’il était chaleureux, qu’il lui disait tout le temps « Tu es mon pote » et lui donnait des conseils de gestion, notamment pour l’entrée en bourse. Une étroite proximité que dément catégoriquement l’avocat de l’intéressé (lire l’intégralité de son point de vue sous l’onglet “Prolonger”), et qui s’est maintenue jusqu’en 2012. Les échanges publiés en portent au minimum la trace. De même, l’entrée en bourse sur Alternext verra Stéphane Cohen plaider lui-même le dossier Solabios auprès de la société Genesta. Son directeur, Hervé Guyot, le confirme dans un courrier : « Effectivement, nous avons été en contact très réguliers avec Wingate [Stéphane Cohen, Peggy Huard] et avons eu de très nombreux échanges avec eux entre septembre 2010 et mars 2011, notamment. »

L’affrontement entre Cohen et Khadiri, et la proximité de Cohen et d’Errera culmineront l’année suivante, après l’entrée en bourse, l’effondrement du cours, la suspension des versements aux investisseurs, et l’inquiétude manifestée par l’AMF (Autorité des marchés financiers). Le 2 octobre 2011, Khadiri sonne, seul, l’alarme dans une lettre recommandée adressée à Errera, avec copie à son confrère Cohen. Le courrier se termine par cette phrase : « Compte tenu de la situation, nous pensons que les faits mentionnés ci-dessus sont de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la société. »

Les réponses écrites apportées par le PDG n’apaisent pas les réticences de Khadiri, ce qui met en colère Stéphane Cohen. « Khadiri nous mettait des bâtons dans les roues », raconte Errera. Cohen écrit au PDG, dans un mail daté du 25 octobre : « Il me vise. Je vais devoir lui répondre et cela va être très agressif. » Finalement, les comptes seront validés par “Steph” et Khadiri, le 30 novembre, malgré 7,4 millions de pertes. Il faudra attendre le mois de juin 2013, alors que le bateau coule depuis longtemps, pour que les deux hommes émettent enfin « des réserves » sur une série de conventions.

Stéphane Cohen, sur BFM BusinessStéphane Cohen, sur BFM Business

L’avocat de Cohen, dans sa longue explication intégralement publiée sous l'onglet Prolonger de cet article, met en avant des alertes multiples. Le lecteur constatera que la première n’est pas signée par lui, et que la seconde, celle de 2013, émet seulement « des réserves ».

Voilà pour la régularité comptable. Mais un autre acteur a tiré la sonnette d’alarme, très vite et très fort, et pour cause : c’est son propre argent qu’il voyait s’envoler. Christian Giudicelli, qui a apporté au total 2,5 millions dans l’aventure est celui qui a vécu au plus près le passage brutal des promesses de Solabios à la réalité de ses comptes.

Trois mois après l’entrée en bourse, Giudicelli écrit à Errera : « Nous vivons au-dessus de nos moyens. » Et il cite des honoraires d’avocat à hauteur de 338 000 euros en six mois, des honoraires divers (110 000 euros en six mois), des honoraires de conseil (212 000 euros en six mois), 12 000 euros de timbres, 2 000 euros de papier et de stylos par mois, des réparations informatiques pour 20 000 euros. Il a cette phrase définitive : « Nous payons les centrales d’hier avec les levées d’aujourd’hui et nous creusons chaque jour le déficit. » Un jugement qui fait écho à celui de l’administrateur Pierre-Louis Ezavin : « La société Solabios était déjà à la fin de l’exercice 2011 en situation irrémédiablement compromise. »

La situation est donc désespérée quelques mois seulement après l’entrée en bourse sur le marché Alternext. C’est pendant cette période que le PDG Errera se souvient soudain que sa maman est hollandaise, et il éprouve l’envie filiale d’acquérir cette nationalité, lui qui en détient déjà deux… Le 15 décembre 2011, l’homme devient hollandais. Le 3 février suivant, il déclare à l’ambassade de France à Monaco sa volonté de perdre la nationalité française en application des articles 23 et 23-1 du code civil.

Organise-t-il son insolvabilité ? Il tombe des nues quand Mediapart lui pose la question. « Mais pas du tout ! J’étais dégoûté de la France. » Dégoûté de la France mais pas de l’argent de ses investisseurs : il s’accrochera à son fauteuil avec la dernière énergie, jusqu’en 2014, allant même jusqu’à faire poser des scellés sur ses bureaux parisiens après avoir contraint ses derniers salariés à descendre dans le parking de l’immeuble sous la menace d’un maître-chien. Le siège sera transféré dans la riante cité de Beausoleil, qui domine… Monaco.

Les commissaires aux comptes ne l’ont sans doute pas su. À leur décharge, on constate dans cette affaire une amnésie générale des institutions chargées de veiller à la régularité des transactions. Ainsi, mis en minorité par son conseil d’administration le 23 septembre 2013, Frédéric Errera décrète la nullité de la décision, improvise un autre conseil avec des proches et des membres de sa famille, et court faire valider l’opération par un greffier du tribunal de commerce de Nice qui l’inscrit aussitôt au registre Kbis. Saisi par la partie adverse, le juge du même tribunal estimera qu’il n’a pas qualité pour juger de la validité de l’acte du greffier, ce que confirmera la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Autre absence de réaction dans la chaîne de contrôle, celle, encore plus étrange, d’un notaire de Bléneau, dans l’Yonne, François Dinet. Il a enregistré la vente du siège de Solabios (3 millions d’euros) sans remarquer que ce bâtiment était frappé par une hypothèque de 1 million d’euros, et a même versé cette somme à la société Green Institute de Monaco, détenue comme on le sait par M. Errera. Juste après son virement étourdi, Me Dinet a pris sa retraite. L’affaire est en justice.

La justice précisément… Elle a été sollicitée maintes et maintes fois, et saisie depuis longtemps par l’Association  des investisseurs de Solabios. La machine se met en route au printemps 2015, tout doucement. Le pôle financier examine le dossier, les policiers entendent et entendront les plaignants, dans la discrétion. Au tribunal, un connaisseur du dossier éclate de rire quand il apprend que Mediapart enquête : « Ah, Solabios… Vous en savez plus que nous, sans doute… Il y a de gros intérêts dans cette affaire, vous savez. »

Frédéric Errera, désormais hors de portée de la justice française, est toujours résident monégasque et n’a pas disparu du monde des affaires. Sur Viadeo.com il se présente ainsi : « Leveur de fonds pour PME cotées ou non. Secteur de l'industrie ou autres. Grande expérience des marchés boursiers et financiers en France et étranger. »

Cette carte de visite est accompagnée d’un message appétissant : « Entrepreneur dynamique, je suis à la recherche de partenariats qui me permettront de développer ma clientèle ainsi que celles de mes partenaires. Je suis dans un marché en pleine croissance (investissements en maisons de retraite médicalisées, énergie renouvelable ....). Contactez-moi vite. Leveur de fonds professionnel. Plus de 50 millions levés depuis 2006. » Le juge Pierre Philipon a peut-être intérêt à ne pas trop tarder. Une rechute est si vite arrivée...

BOITE NOIREL'avocat de Stéphane Cohen, Me Olivier Pardo, a pris contact avec nous après que son client a été joint sur son téléphone portable et s'est emporté en apprenant le sujet de cette enquête et les éléments essentiels en notre possession. Stéphane Cohen avait raccroché sur ces mots : « Faites attention monsieur, vous ne savez pas qui je suis... » Le contact a alors été franc, mais normal et courtois. Me Pardo nous a fait parvenir un long texte. Vous trouverez ci-dessous l'intégralité de sa réponse sous l'onglet Prolonger de cet article.

En ce qui concerne Frédéric Errera, il se défend de se soustraire à la justice par son changement de nationalité, et explique son insistance à garder le contrôle de Solabios par souci de ne pas abandonner les investisseurs qui lui ont fait confiance. Il affirme n'avoir jamais « flambé », s'être versé un salaire de 8 000 euros, et vivre très modestement dans 25 mètres carrés.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Espionnage d’intérêts français par le renseignement allemand : la France se tait

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Les services de renseignement extérieurs allemands (Bundesnachrichtendienst, ou BND) ont espionné des personnalités et des entreprises européennes pour le compte de l’agence américaine NSA. Les révélations du magazine allemand Der Spiegel, jeudi 23 avril, ont fait l’effet d’une bombe en Allemagne. Les auditions prévues ce jour-là devant la commission d’enquête du Bundestag sur les agissements de la NSA ont été immédiatement stoppées. Quelques heures plus tard, les informations du Spiegel ont été confirmées à certains députés par un proche de la chancelière Angela Merkel. La Chancellerie s’est fendue d’un communiqué reconnaissant, sans plus de précisions, des « déficits techniques et organisationnels au sein du BND » dont elle a exigé qu’ils soient « corrigés sans retard ». Le gouvernement a toutefois démenti tout « espionnage massif des citoyens allemands et européens ». Une formulation qui n’exclut pas la possibilité d’un espionnage ciblé.

L'article a été publié jeudi 23 avril sur le site du SpiegelL'article a été publié jeudi 23 avril sur le site du Spiegel


Depuis, le gouvernement allemand se terre dans le silence. La Chancellerie est en difficulté : elle a assuré n'avoir eu connaissance des interceptions illégales qu'en mars dernier. Dimanche 26 avril, le quotidien Bild am Sonntag a pourtant assuré, document à l'appui, que les dirigeants allemands ont été mis au parfum dès 2008. Les écologistes et Die Linke, dans l’opposition au Bundestag, la chambre basse du Parlement, demandent la démission du chef des services secrets. Die Linke exige que la justice ouvre une enquête pour « trahison ».

Cette vaste affaire d’espionnage s’ajoute aux révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, qui a prouvé en 2013, documents à l’appui, la collaboration active du renseignement allemand aux programmes mondiaux de surveillance de la NSA. Et, au passage, la mise sur écoute du portable de la chancelière Angela Merkel et de personnalités politiques allemandes par la NSA.

Selon Der Spiegel, la NSA a communiqué régulièrement « depuis plus de dix ans » au BND des requêtes précises (numéros de téléphone, adresses IP, adresses email, données de géolocalisation, etc.), que le service de renseignement allemand enregistrait dans son système. Une fois les informations récoltées, elles étaient transmises à la NSA. Certaines de ces requêtes ont concerné des intérêts allemands ou européens, ce qui outrepasse les prérogatives des services secrets allemands.

D’après Der Spiegel, les entreprises EADS et Eurocopter (aujourd’hui regroupées dans Airbus Group) et des « autorités françaises » ont fait l’objet d’une surveillance discrète. De même que certains « politiques », assurent des sources internes au BND, citées par l’hebdomadaire.

Depuis 2008, l’affaire était bien connue au BND, affirme Der Spiegel. Une première revue interne après l’affaire Snowden aurait fait apparaître 2 000 requêtes problématiques, sur les 800 000 adressées au total par la NSA. Un chiffre sous-estimé : d’après de nouvelles investigations menées pour le compte de la commission d’enquête parlementaire sur la NSA, créée voilà un an après l’affaire Snowden, ce sont en fait 40 000 requêtes de la NSA qui ont ciblé spécifiquement des intérêts allemands ou européens. « Il est clair qu’il s’agit là d’un espionnage organisé par les Américains », assure à Mediapart le député écologiste Konstantin von Notz, membre de la commission d’enquête allemande sur la NSA. « Si les autorités françaises ont en effet été espionnées, cela nécessite une explication rapide : soupçonnait-on les autorités françaises de terrorisme ? », s'insurge le président du groupe Die Linke au Parlement, Gregor Gysi. Cette semaine, de nouveaux témoins devraient être entendus dans cette affaire par la commission d'enquête parlementaire. Et la liste des fameuses données transmises devrait être examinée.

Ce nouveau scandale du renseignement avait été évoqué dès octobre 2014 par le quotidien Süddeutsche Zeitung. Auditionné par la commission d’enquête du Bundestag le 5 mars dernier, Dieter Urmann, responsable de 2006 à 2008 du département du BND qui filtre les données de communication, a lui-même confirmé l’espionnage d’Eurocopter, d’EADS, mais aussi de personnalités françaises, sans citer de noms.

Chez Airbus Group, l’ancien EADS, un porte-parole nous a dit vendredi 24 avril refuser de commenter des « rumeurs ». « Nous sommes au courant que notre société est la cible d’espionnage de toutes parts. Nous prenons les mesures adéquates. » Seul politique à avoir pour l’heure pris position ce côté-ci du Rhin, Jean-Luc Mélenchon a demandé qu’une « enquête soit aussi ouverte en France ». « Le gouvernement Merkel vient de reconnaître que les services secrets allemands ont agi en sous-traitants des espions américains de la NSA, assure Mélenchon. Cet espionnage est inadmissible (…) La complaisance à l’égard des États-Unis et du gouvernement allemand a assez duré ! »

Mais du côté des autorités françaises, on affiche pour l’heure un silence total. « On ne réagit pas sur ces affaires-là », répond à Mediapart le ministère de l’intérieur, en charge du renseignement en France. « Je n'ai aucune information sur ce sujet », nous a assuré ce week-end le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Romain Nadal. Le ministère de la défense, pourtant concerné au plus haut chef par l’espionnage de fleurons de l’industrie française, assure ne pas avoir « encore d'information précise à ce sujet », et juge difficile d'en avoir dans un « délai raisonnable ». Questionné à deux reprises depuis vendredi soir, l'Élysée n'a toujours pas réagi. Cette prudence rappelle la très grande discrétion des autorités françaises en 2013, lorsque les agissements de la NSA en Europe avaient été révélés par Edward Snowden. L'émotion passée, le différend avec les États-Unis avait été vite évacué.

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«BongoLeaks» : le rapport qui accuse le clan présidentiel au Gabon

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La preuve définitive de la mainmise sur l’économie de tout un pays, le Gabon, par la famille qui le dirige sans partage depuis bientôt un demi-siècle, les Bongo, tient en 256 pages. Pas plus. Mediapart publie en intégralité un rapport « strictement personnel et confidentiel » qui confirme et amplifie nos premières révélations sur la société Delta Synergie, boîte noire de l’économie gabonaise, dont l’un des principaux bénéficiaires est désormais l’actuel chef de l’État, Ali Bongo. Problème : selon l’article 14 de la Constitution du Gabon, « les fonctions du président de la République sont incompatibles avec l’exercice de toute […] activité à caractère lucratif ».

Commandé dans le cadre de la succession d’Omar Bongo, ancien dictateur du Gabon (1967-2009), père d’Ali et parrain de la Françafrique, ce rapport d’audit a été signé le 15 avril 2012 par deux avocats parisiens, Alain Fénéon et François Nouvion. Dès l’entame du rapport, la sensibilité de son contenu ne fait guère de doute : « Le cabinet se dégage de toute responsabilité si ce document devait être porté à la connaissance d’un tiers ou s’il entre en sa possession par quelque moyen que ce soit. »

Le voici :

Enregistrée au tribunal de commerce de Libreville sous le numéro 5768/B, Delta Synergie était contrôlée à 37 % par Omar Bongo de son vivant, comme Mediapart l’a déjà raconté. Actionnaire à hauteur de 10 % du temps de son père (décédé en juin 2009), Ali Bongo est passé post-succession à 19,25 % du capital. Ce qui fait de lui le principal actionnaire de Delta Synergie avec sa sœur Pascaline, ancienne directrice de cabinet de Bongo père. La fratrie Bongo compte au total 53 héritiers, mais seuls deux d’entre eux – Ali et Pascaline – sont légataires universels. Une grande famille, mais un petit monde.

“Cash machine” du clan Bongo qui dégage chaque année plusieurs milliards de francs CFA de dividendes, sans compter les immenses plus-values possibles sur des cessions d’actions, Delta Synergie permet surtout à la famille présidentielle de contrôler, parfois de manière totalement occulte, de larges pans de l’économie du pays. Son pays. Sa propriété. Pas un secteur n’est épargné par l’emprise de Delta Synergie : assurances, banques, agroalimentaire, sécurité, transport, médicament, BTP, agriculture, matières premières, immobilier, aviation d’affaires, textile, média, vente de gaz et de pétrole, bois…

Ali Bongo, en novembre 2009, à l'Elysée. Ali Bongo, en novembre 2009, à l'Elysée. © Reuters

Comme Mediapart l’a déjà rapporté, Delta Synergie a par ailleurs pris des participations dans cinq multinationales françaises très actives au Gabon (Veolia, Bolloré, Bouygues, Eramet et la BNP), lesquelles doivent profiter de leurs bonnes relations avec la famille régnante pour décrocher des marchés. Ce qui pose aujourd’hui la question d’une éventuelle complicité de ces grandes entreprises, qui n’ont pas donné suite à nos questions, dans un système de détournement de fonds sur lequel enquête la justice française depuis plusieurs années (affaire dite “des Biens mal acquis”).

Mais l’examen du rapport d’audit que nous publions, dont l’existence avait déjà été évoquée par Le Monde, offre une plongée inédite au cœur des secrets de Delta Synergie. Les principaux enseignements sont doubles : 1) contrairement aux éléments de langage diffusés par la présidence gabonaise depuis les premières révélations de Mediapart, Delta Synergie est tout sauf une société sans avenir financier et 2) les conflits d’intérêts entre un État dirigé par Ali Bongo et cette holding dont le principal actionnaire est Bongo Ali posent de très nombreuses interrogations, y compris légales.

Une société en particulier, dont Delta Synergie est actionnaire, semble aiguiser les appétits les plus féroces. Il s’agit de la Banque gabonaise et française internationale (BGFI), première banque d’Afrique centrale. Delta Synergie en détient 6,4 % du capital. Dans le rapport d’audit d’avril 2012, on peut notamment lire que la BGFI « annonce s’être fixé pour objectif de porter à 15 % la rentabilité de ses fonds propres ».

« En terme de taille, l’objectif est de porter le total du bilan au-delà de la barre des 2 000 milliards [3 milliards d’euros – ndlr] », annonce aussi le rapport, qui se félicite par ailleurs des « dividendes élevés » et des « perspectives d’évolution de la valeur de l’action ».

Entre 2009 et 2011, Delta Synergie a de fait dégagé avec ses seuls 6,4 % du capital de BGFI plus de 1,3 milliard de francs CFA de dividendes (2 millions d’euros). Un matelas confortable dans un pays où le salaire minimum plafonne douloureusement à 150 euros par mois.

L’étude des comptes de Delta Synergie devrait par ailleurs faire tousser jusque dans les rangs de l’opposition gabonaise. Pages 10 et 11 du rapport d’audit, on découvre ainsi que les deux enfants de celui qui se présente aujourd’hui comme le principal opposant politique d’Ali Bongo dans la perspective de l’élection présidentielle de 2016, Jean Ping, ont bénéficié en 2008 de 24 000 actions de la même BGFI cédées par… Delta Synergie. Il faut dire que la mère des enfants de Jean Ping n’est autre que Pascaline Bongo. Un tout petit monde, donc.

Au fil de ses 256 pages, l’audit de Delta Synergie laisse également apparaître un mélange des genres d’une rare ampleur entre affaires publiques et intérêts privés, un terrain propice à tous les trafics d’influence et délits d’initié possibles et imaginables.

Quelques exemples flagrants :

  • Delta Synergie est actionnaire à 50 % de la Socoba, dont l’une des filiales, la Coder, a obtenu auprès de l’État une concession pour la construction et l’exploitation pendant trente ans de deux barrages hydroélectriques, baptisés « Chutes de l’Impératrice » et « FEII ».
  • Ali Bongo, le président du Gabon et fils d'Omar.Ali Bongo, le président du Gabon et fils d'Omar. © Reuters
    La Raffinerie gabonaise de sel et dérivés (Ragasel), dont Delta Synergie est actionnaire à hauteur de 29 %, a profité pour l’installation de sa fabrique de sel d’un prêt de 4,3 milliards de francs CFA d’une banque espagnole, garanti par l’État gabonais. Et un deuxième prêt de 5,2 milliards de francs CFA consenti par la même banque a lui aussi été garanti par l’État du Gabon pour une autre usine.
  • Le rapport d’audit préconise en outre aux actionnaires de Delta Synergie, c’est-à-dire au président de la République du Gabon (entre autres), « d’œuvrer dans un sens permettant à Ragasel d’obtenir des pouvoirs publics […] un monopole sur les besoins en sel du marché gabonais ».
  • On découvre par ailleurs que le ministre des sports d’Ali Bongo, Blaise Louembe, est lui aussi actionnaire à titre personnel de Ragasel (2 %).
  • Delta Synergie est actionnaire à 17 % de la société PetroGabon, spécialisée dans le transport d’hydrocarbures. PetroGabon est aussi actionnaire (11,7 %) d’une filiale de Total au Gabon, la Sogara. Les avocats français, auteurs du rapport d’audit sur Delta Synergie, écrivent que l’objectif de PetroGabon « est d’obtenir des intérêts dans des contrats pétroliers susceptibles de générer des revenus importants ».
  • Delta Synergie, via une société baptisée la Compagnie du Komo dont elle détient 15 % du capital, est actionnaire de Toyota Gabon. Toyota a décroché le marché d’équipement automobile de plusieurs administrations gabonaises, selon des sources concordantes.
  • La Société africaine de remorquage portuaire du Gabon (Sarep), détenue à 54 % par Delta Synergie, a obtenu de l’Office des ports le remorquage de tous les navires entrant à Libreville. À la clé : un chiffre d’affaires d’un milliard de francs CFA par an. Le tout-puissant directeur de cabinet d’Ali Bongo, Maixent Accrombessi, apparaît en outre dans le rapport d’audit comme représentant d’une société, la SCI Kabala, actionnaire quant à elle à hauteur de 10 % de la Sarep. L’intéressé n’a pas donné suite à nos sollicitations.
  • Delta Synergie détient 51 % de la société d'agroalimentaire Ank Gabon, dont l’un des actionnaires minoritaires est un certain Jean-Pierre Lemboumba-Lepandou (10,05 %), par ailleurs conseiller d’Ali Bongo. Or, d’après l’audit de 2012, M. Lemboumba a personnellement négocié une subvention de 2,3 milliards de francs CFA directement avec… Ali Bongo. Le rapport évoque également des discussions pour obtenir une exonération d’impôt sur les sociétés.
Omar Bongo, ancien président du Gabon décédé en 2009.Omar Bongo, ancien président du Gabon décédé en 2009. © Reuters
  • La Manufacture gabonaise de vêtements (MGV) est détenue à 34,68 % par Delta Synergie. Ali Bongo est en plus actionnaire à titre personnel à hauteur de 9,25 % de la société, qui se trouve être celle qui fabrique, entre autres, les uniformes pour de nombreuses administrations gabonaises.
  • Parmi les entreprises contrôlées par Delta Synergie, on trouve aussi la Société gabonaise de services (SGS), détenue à 69,3 % par le clan Bongo. La SGS est spécialisée dans le gardiennage, la sécurité privée (notamment la protection d’ambassades…) et le transport de fonds. Parmi les actionnaires minoritaires, on trouve également l’actuel ministre de la défense d’Ali Bongo. Les auteurs de l’audit se félicitent dans leur rapport du « succès et de la croissance » de la SGS.

Depuis les premières révélations de Mediapart sur le système Delta Synergie, la présidence du Gabon est restée très discrète. Un proche d’Ali Bongo, Yves Fernand Manfoumbi, directeur de l’Agence nationale des grands travaux d’infrastructures du Gabon, s’est contenté de déclarer début avril sur l’antenne de RFI : « Nous sommes dans un pays libéral et le droit des affaires ne s’oppose pas à ce qu’une famille possède des participations dans une entreprise. » Non, mais la Constitution du Gabon, elle, le proscrit s’il s’agit du chef de l’État.

Gêné aux entournures, il ajoutait : « Delta Synergie n’est pas née avec Ali Bongo Ondimba. Il n’en est pas le seul actionnaire et décisionnaire. Il s’inscrit dans une dynamique de rupture et je ne le vois pas approuver que Delta Synergie puisse s’approprier une partie de l’activité économique. »

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MediaPorte : « Des bouées canard pour les migrants »

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1 700 personnes fuyant la guerre ou la misère ont perdu la vie depuis janvier 2015 en Méditerranée. Le conseil européen extraordinaire du 23 janvier a-t-il pris la mesure de l'urgence ? Réponse de Didier Porte.

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L'argent caché de Jean-Marie Le Pen en Suisse

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Cette fois, le majordome par qui le scandale arrive est « un garçon loyal » – selon l’expression d’un ancien dirigeant du Front national –, « un homme de confiance absolue » même, et qui n’a rien enregistré, contrairement à l’un de ses collègues chez les Bettencourt. 

Selon les informations obtenues par Mediapart, Jean-Marie Le Pen a détenu un compte caché chez HSBC, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin. Ce dernier est le trésorier des associations de financement Cotelec et Promelec – cette structure étant placée sous l'autorité conjointe de Marine Le Pen et de son père.

2,2 millions d’euros ont été déposés sur le compte de ce trust, dont 1,7 million sous forme de lingots et de pièces d'or. Le parquet de Nanterre a reçu ces éléments du service antiblanchiment Tracfin, alors qu'une enquête préliminaire est ouverte à Paris depuis fin 2013 sur le patrimoine du fondateur du FN. Un courrier daté de 2008, dans lequel M. Gérin reconnaît être l'ayant droit du trust, a été communiqué à la justice. 

Jany Le Pen, l'épouse de Jean-Marie Le Pen, aurait quant à elle clôturé un compte personnel au Crédit suisse en 2008. Ces informations pourraient donner une nouvelle dimension à la crise ouverte au Front national entre le père et la fille. Le 4 mai, le bureau exécutif doit décider s'il sanctionne ou non le président d'honneur pour ses déclarations à RMC et Rivarol. Sollicités par Mediapart, ni Jean-Marie ni Jany Le Pen n'ont donné suite à nos demandes.

Jean-Marie Le Pen et Gérald Gérin (à droite) au congrès du FN à Tours, le 15 janvier 2011.Jean-Marie Le Pen et Gérald Gérin (à droite) au congrès du FN à Tours, le 15 janvier 2011. © Reuters

Gérald Gérin, 41 ans, l'ayant droit du trust de Le Pen, a été formé au lycée hôtelier de Marseille. Un temps barman au Carlton de Nice, il est devenu, à 20 ans, le majordome du couple Le Pen, avant de faire ses débuts en politique, lors d’une première candidature aux législatives de 2007 à Vitrolles. À l’époque, l’Express souligne dans un portrait qu’il consacre au majordome que Gérin « possède même la signature » des comptes bancaires de Jean-Marie Le Pen. 

Gérald Gérin, candidat du FN aux législatives de 2012.Gérald Gérin, candidat du FN aux législatives de 2012. © dr

Élu au conseil régional PACA en 2010, candidat aux législatives dans les Bouches-du-Rhône en 2012, Gérald Gérin a été l’assistant parlementaire de Jean-Marie Le Pen, avant de devenir celui de la députée européenne Marie-Christine Arnautu, une proche du fondateur du FN. Il reste logé dans une annexe de la résidence de Jean-Marie Le Pen et son épouse Jany, la Bonbonnière, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) – théâtre d'un incendie, fin janvier. « Je suis un peu son deuxième cerveau, assurait M. Gérin à l’Express. Je le libère des tâches usuelles, mais non ménagères. » 

Gérald Gérin apparaît aujourd'hui dans l'organigramme du Front national, comme « assistant » au sein du cabinet du président d'honneur. S'il a obtenu procuration sur les comptes personnels, déclarés, de Jean-Marie Le Pen, le majordome est devenu en 2008 l’ayant droit d’un trust basé aux îles Vierges britanniques – « BVI » dans le jargon, Balerton Marketing Limited. Cette structure gérée depuis Genève par Me Marc Bonnant, l’un des avocats d’affaires de la place, a détenu un compte ouvert à la HSBC jusqu'en mai 2014. À cette date, le compte aurait été clôturé et les fonds transférés aux Bahamas, sur un compte ouvert auprès de la Compagnie bancaire helvétique (CBH).

Ainsi que l’a révélé l’affaire SwissLeaks, Me Bonnant a géré les neuf comptes ouverts à la HSBC pour le styliste italien Valentino Gavarini. Selon des documents en notre possession, il est aussi intervenu à la demande de HSBC Genève pour ouvrir des « sociétés BVI » à des clients de la banque. Joint par Mediapart, Me Bonnant a déclaré n'avoir « aucun compte pour M. Jean-Marie Le Pen », mais il s'est retranché derrière le secret professionnel concernant M. Gérin. Gérald Gérin, lui, a contesté être l'ayant droit du trust. Il a indiqué à Mediapart qu'il allait « demander des explications » à MM. Le Pen et Bonnant. 

La confiance de Jean-Marie Le Pen envers son majordome l'a conduit à le désigner, dans les années 2000, trésorier de son association de financement Cotelec, chargée de promouvoir son image et au-delà de soutenir financièrement le FN. Cotelec a ainsi prêté près de 3 millions d'euros au Front national en 2012, et plus de 4 millions en 2013. Mais Gérald Gérin est aussi, depuis décembre 2013, le trésorier d’un micro-parti commun à Marine et Jean-Marie Le Pen, Promelec – destiné à « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen ». La présidente du FN est secrétaire générale de cette association présidée par son père.

Gérald Gérin, l'assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, et le trésorier de son association de financement Cotelec.Gérald Gérin, l'assistant personnel de Jean-Marie Le Pen, et le trésorier de son association de financement Cotelec. © maritima.info

Le Front national est aujourd'hui confronté à une enquête judiciaire sans précédent sur le financement de ses campagnes. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi ont déjà mis en examen six personnes, prestataires du FN et responsables du micro-parti de Marine Le Pen, dans cette affaire. Mais la Brigade financière épluche parallèlement le patrimoine de Jean-Marie Le Pen, depuis fin 2013. Le parquet de Paris a en effet ouvert une enquête préliminaire à la suite d’un signalement de la Commission pour la transparence financière de la vie politique – remplacée aujourd’hui par la Haute Autorité. La commission avait évalué l’enrichissement personnel du fondateur du FN à 1 127 000 euros sur la période 2004-2009 couvrant sa précédente mandature au parlement européen, et elle l’avait jugé suspect au vu de ses revenus officiels.

Les informations sur la détention d'un trust non déclaré en Suisse pourraient conduire à ouvrir un nouveau front judiciaire. Des poursuites pourraient être engagées contre Jean-Marie Le Pen pour avoir transmis une « fausse déclaration » à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et/ou pour fraude fiscale.

En 2012, Mediapart avait révélé des anomalies dans les dépenses de campagne présentées par Gérald Gérin, en tant que trésorier de Cotelec, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Un voyage de onze jours en Thaïlande effectué par M. Gérin en août 2006 avait ainsi été inclus dans le compte de campagne présidentiel de Jean-Marie Le Pen en 2007. Le majordome avait indiqué que ce voyage visait à préparer dans ce pays une visite du candidat.

« Je me suis rendu dans les différents complexes et résidences hôtelières de Bangkok (Bayan Tree, Sukotai, etc.) afin d’étudier les différentes propositions que pourraient nous offrir ces établissements selon nos besoins (chambres, salle de réunion, banquets, transport, salon de cocktail). Le voyage a coûté, chambre, minibar, téléphone et voyage inclus, 3 482 euros », avait alors déclaré M. Gérin à Mediapart, expliquant qu’un coup d’État survenu par la suite en Thaïlande avait remis en cause le voyage de M. Le Pen.

En tant qu'assistant parlementaire européen, Gérald Gérin devrait aussi répondre aux questions des policiers chargés de l'enquête ouverte à la suite du courrier du président du parlement européen à la ministre de la justice Christiane Taubira, concernant des emplois fictifs présumés du FN au parlement.

Le patrimoine de Jean-Marie Le Pen et son éventuelle fortune cachée ont déjà fait l’objet de nombreuses interrogations, qu’il s’agisse de l'héritage du cimentier Lambert qui l’a rendu millionnaire dans les années 1970, de son compte suisse ouvert à l’UBS dans les années 1980, ou encore de sa relation avec le banquier genevois Jean-Pierre Aubert, mis en cause pour blanchiment au début des années 1990.

Le compte de Jean-Marie Le Pen à l’UBS avait été ouvert en mars 1981 par son vieil ami Jean-Pierre Mouchard, un éditeur qui fut le trésorier de Cotelec avant Gérald Gérin, jusqu’en 1997. Comme Mediapart l’avait dévoilé, le même homme avait utilisé dans les années 1990 les services de plusieurs sociétés offshore, Overseas Property Services Limited à Gibraltar, et la panaméenne Hadret al Raiss.

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La fortune à géométrie variable de Jean-Marie Le Pen

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« En 60 ans de vie politique, exclusivement dans l’opposition, il a eu 17 contrôles fiscaux, il a été décortiqué jusqu’à la moelle. » Interrogée par Mediapart en 2013 sur le patrimoine de son père, et notamment son compte en Suisse ouvert à l'UBS en 1981, Marine Le Pen ne cachait pas son agacement. « Vous savez combien de procédures Jean-Marie Le Pen a intentées ? Il a dû en intenter 70 et il a dû obtenir 40 condamnations. J’en ai quatre tomes et ce n’est qu’une partie. » « Ce n’est pas parce qu’on a un père, un frère, qu’on connaît l’intégralité des détails de leur existence patrimoniale », prenait tout de même soin de préciser la présidente du Front national.

Depuis l’héritage du richissime Hubert Lambert en 1976, Jean-Marie Le Pen n’a cessé de faire l’objet de vérifications fiscales, de subir des pénalités, et de les contester. Alors que sa détention d’un premier compte à l’UBS a été révélée en 1992, l’existence de sa fortune cachée en Suisse n’a pas été confirmée jusqu’à aujourd’hui. Révélées lundi par Mediapart, la découverte d'un trust entre les mains de son majordome, Gérald Gérin, et la détention de fonds sur un compte HSBC jusqu'en 2014, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), changent aujourd'hui la donne.

Jean-Marie Le Pen est visé depuis fin 2013 par une enquête préliminaire destinée à établir son patrimoine réel. L’analyse comparative de ses déclarations de patrimoine par la Commission pour la transparence de la vie politique – remplacée depuis par la Haute autorité –, et les distorsions qu’elle y a trouvées avaient conduit la commission à transmettre le dossier au parquet.

« Que les Français se rassurent, si une enquête est réellement ouverte, opportunément 6 semaines avant les élections municipales et 3 mois avant les élections européennes, elle se conclura par une fermeture du dossier au motif que mon patrimoine est parfaitement transparent et que rien d'anormal n'est à signaler, comme à chaque fois », déclarait, sûr de lui, Jean-Marie Le Pen, en février 2014, à l’annonce de l’ouverture de cette enquête.

Prétendre que ce patrimoine est « parfaitement transparent », c’est oublier trente ans de parties de cache-cache de Le Pen avec les médias, sur fond d’offensives fiscales.

 

  • L’évaluation chaotique de sa fortune

L’interrogation publique surgit, en octobre 1985, lors de l’émission « L’Heure de vérité », lorsque Jean-Marie Le Pen assure que son « patrimoine est tel » qu’il n’est « pas astreint à faire la déclaration sur les grandes fortunes » (voir la vidéo à 44'15).

Le fondateur du Front national ayant hérité en septembre 1976 de la fortune d’Hubert Lambert, fils d’un célèbre cimentier décédé brutalement à 42 ans, sa déclaration « sur l’honneur » à la télévision attire l’attention. Jusqu’alors éditeur d’une petite maison de disques (SERP) spécialisée dans la musique militaire, Le Pen est devenu millionnaire à la fin des années 1970, en héritant de la propriété de Lambert à Montretout, à Saint-Cloud, alors évaluée par la presse entre 4 et 10 millions de francs, ainsi que d’une partie de ses avoirs bancaires – estimés entre 20 et 30 millions de francs. Il paraît donc difficile qu’il échappe à l’impôt sur les grandes fortunes (IGF) qui s’applique à partir de 3,5 millions de francs de patrimoine.

« Ma conviction profonde est que M. Le Pen ne dit pas tout », commente alors Henri Emmanuelli, ministre du budget. Mais Le Pen ne fera pas sa déclaration à l’IGF en 1985 et 1986, idem pour l’impôt sur la fortune (ISF) par la suite de 1989 à 1993. Et le fisc opérera un redressement à ce sujet.

Durant ces années, le divorce de Le Pen avec sa première épouse, Pierrette Lalanne – prononcé le 18 mars 1987 –, fait apparaître une autre dimension de l'héritage Lambert : sa face cachée. Dans deux entretiens – Genève home information (GHI) en décembre 1987, puis Rolling Stone en avril 1988 –, l’ex-épouse assure, avec moult détails, que l’héritage Lambert comptait « une autre partie », non déclarée, en Suisse : 40 millions de francs. Le Pen évoque alors des « calomnies » mais aucune enquête n’est ouverte.

Le grand entretien de Pierrette Le Pen publié dans Rolling Stone, le 13 avril 1988.Le grand entretien de Pierrette Le Pen publié dans Rolling Stone, le 13 avril 1988.

« Vous réalisez un article sur le compte en Suisse de Jean-Marie Le Pen, ah bon ? Ah oui c’était les dires de Madame Le Pen, a ironisé le fondateur du FN, interrogé par Mediapart en 2013. Mais elle a démenti tout cela depuis longtemps ! » Pierrette Le Pen a pourtant longtemps confirmé ses dires sur la fortune cachée, notamment lors d'un entretien vidéo en avril 1998 avec Karl Zéro (voir à 6'10) :


À quelques mois de la présidentielle de 1995, Jean-Marie Le Pen livre pour la première fois son évaluation de la fortune dont il a hérité, lors d’une émission télévisée : 17 millions de francs hors impôts, assure-t-il. « L’État en a prélevé 12 millions et m’a laissé 5 millions », explique-t-il. De cette somme restante – qu’il évalue en francs constants à 20 millions en 1995 –, il déclare avoir dépensé les trois quarts pour sa campagne politique.

Sept ans plus tard, Le Pen rend public – à l’approche de la présidentielle de 2002 cette fois – un patrimoine de 3,2 millions d'euros, et assure qu’il paie 4 116 euros d'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). On apprend qu’il a déclaré 291 950 francs (44 507 euros) de revenus pour l’année 2000, ce qui l’a conduit à payer 4 201 euros d’impôts sur le revenu en 2001.

Si l’on se fie à son ISF, sa fortune fond les années suivantes. Son ISF passe à 1 897 euros en 2005, puis à 1 643 euros en 2006. En 2013 pourtant, la Commission pour la transparence de la vie politique met au contraire en évidence une augmentation de son patrimoine, pour 1,1 million d'euros, entre 2004 et de 2009, comme l'avait révélé Mediapart. Le président d’honneur du FN se justifie en invoquant, entre autres, un versement de son association Cotelec, et la remise gracieuse par l’État d’une dette fiscale. Ces faits sont le point de départ de l’enquête préliminaire confiée à la brigade financière.

L'évaluation de la propriété de Montretout, le bijou de famille de l'héritage Lambert à Saint-Cloud – un bâtiment principal de 430 m2, des dépendances de 350 m2, sur un parc de 4 670 m2 – a fait l'objet d'estimations contradictoires. En 2006, elle est estimée à 6,45 millions d’euros par Le Canard enchaîné, qui annonce sa mise en vente. La vente n’aura pas lieu, mais en juillet 2012, l’acte de donation de Jean-Marie Le Pen d’une partie de ses parts de la SCI à deux de ses filles, Marine et Yann Le Pen, fait apparaître l’estimation officielle de la propriété : 1 795 200 euros. Marine Le Pen et sa sœur obtiennent alors 350 parts supplémentaires de la SCI du pavillon de l’Écuyer, propriétaire du bien.

  • Ses secrets en Suisse

Par leur précision, les déclarations de Pierrette Lalanne sur la fortune cachée de son ex-mari pouvaient être le point de départ d’une enquête. Même si, à l’époque, la Suisse n’aurait pas apporté sa collaboration sur le fondement d’une fraude fiscale présumée.

L’ex-épouse de Le Pen prétend que les fonds secrets de l’héritage Lambert étaient entre les mains d’une fondation, Saint-Julien, sise à Fribourg, et qu’une partie des fonds, 30 millions, a été déplacée de l’UBS sur un compte ouvert chez un autre banquier genevois, Jacques Darier. Elle assure avoir eu la signature sur ce compte et aussi qu’une partie des héritiers d’Hubert Lambert ont été dédommagés par Le Pen grâce à ce magot.

Jacques Darier n’est pas un inconnu des douanes françaises. En novembre 1985, il avale une liste de clients devant les douaniers qui l’interpellent. Il est remis en liberté après le paiement d’une caution de 15 millions de francs. Selon Pierrette Lalanne, le banquier supervisait lui-même les mises à disposition pour le couple. L’ex-épouse l’appelait d’une cabine téléphonique, et lui demandait « des petits nègres », ce nom de code signifiant des unités de 10 000 francs. C’est le fils du banquier, Pierre Darier, qui se charge, selon elle, d’acheminer l’argent. Après avoir succédé à son père, il poursuivra sa carrière jusqu’en 2003 au sein de la banque Lombard Odier Darier Hentsch & Cie.

En 1991, le nom de Le Pen resurgit en Suisse, à l’occasion de l’incarcération d’un autre banquier genevois, Jean-Pierre Aubert, mis en cause pour blanchiment d’argent de la drogue du cartel de Cali. Ce gérant de fortune fréquente certaines figures d’extrême droite, comme le directeur de Minute, Serge de Bekecht, ou le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme, et il s’est rapproché de Le Pen, qui l’invite à son mariage avec Jany Paschos, le 31 mai 1991. Des photos sortent. Des collaborateurs du banquier certifient que des opérations bancaires ont été effectuées pour Le Pen. L’un d’eux est condamné pour diffamation, faute de preuves.

En 1992, l’hebdomadaire L’Événement du Jeudi publie, en revanche, le fac-similé d’ouverture d’un compte à l’UBS en mars 1981 au nom de Le Pen, par l’un de ses meilleurs amis, éditeur comme lui, Jean-Pierre Mouchard. Ce dernier est en outre le premier trésorier de l’association de financement Cotelec.

Le premier document, daté du 10 mars 1981.Le premier document, daté du 10 mars 1981.

En 2013, alors que l’existence de ce compte est une nouvelle fois évoquée par Mediapart, Jean-Marie Le Pen, qui l’avait contestée jusqu’alors, justifie son ouverture par un « prêt » que lui aurait consenti à l’époque l’UBS, pour les besoins de sa maison de disques. L’« opération » est selon lui « passée sous le contrôle de l’administration française ».

La thèse du prêt reste hautement improbable : le compte a été ouvert en 1981, et environ 2 millions de francs s’y trouvaient encore placés, entre 1984 et 1986, pour des opérations de placement à terme. De nombreuses interrogations n'ont pas été levées, d'autant que Le Pen n'a pas rendu public le document de prêt qu'il affirme avoir obtenu, ni indiqué les conditions précises de cet « emprunt ». On ignore par ailleurs si ce compte a été fermé ou non.

 

  • Ses divergences avec le fisc
Jean-Marie Le Pen lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2014.Jean-Marie Le Pen lors du défilé du 1er-Mai du FN, en 2014. © Reuters

Ses déclarations de l’IGF et de l’ISF ne sont pas ses seuls litiges fiscaux. « Au début des années 1980, Le Pen a subi un contrôle fiscal déclenché ad hominem, assure son ancien avocat fiscaliste, Allain Guilloux. Il s'agissait de régler le compte de Le Pen, qui se présentait à la présidentielle. »

L’administration fiscale qui vérifie ses déclarations de 1978 à 1981 repère des « omissions » ces années-là, en particulier de revenus d’opérations boursières – 754 351 et 391 489 francs – retrouvés dans les comptes de la société de bourse Huet. À la même époque, le fisc découvre un total de 591 500 francs déposés en espèces sur son compte. Le Pen « n’apporte pas la preuve de l’origine de ces sommes », ni de leur caractère non imposable, il est donc redressé.

En 1995, au terme d’une longue procédure fiscale, Le Pen est finalement condamné à régler 1 million de francs. Il va contester ces redressements devant la cour administrative d’appel en 1998, puis devant le conseil d’État en 2001, sans succès. Et il opte pour une demande de remise gracieuse, plaidée auprès de Brice Hortefeux et de Nicolas Sarkozy, et finalement obtenue, en juin 2006, au vu de l’ancienneté des faits.

La gestion de la propriété de Montretout a été l’autre objection du fisc au contribuable Le Pen. « Il était le locataire de cette maison qui était détenue par une SCI, poursuit Allain Guilloux. Il payait donc un loyer pour assurer les charges. Il n’y avait rien de frauduleux. »

L’administration estime pourtant que les « déficits fonciers » déclarés par Le Pen de 1978 à 1981 doivent être redressés compte tenu « de la prise en compte de l'avantage consenti au contribuable par la société civile immobilière dont, avec son épouse, il détenait la quasi-totalité des parts ». « Il tenait en location son habitation principale, moyennant un loyer anormalement bas », résume le conseil d’État en 2001. Le Pen pourtant l’emporte dans cette affaire parce que le conseil d'État juge que l’administration n’a pas valablement fondé le redressement sur une « description précise des maisons ».

L’enquête préliminaire ouverte à Paris sur le patrimoine de Jean-Marie Le Pen, initialement axée sur d'éventuelles omissions dans ses déclarations, semble prendre en compte aujourd'hui différents sujets jusqu'alors mis de côté par les autorités françaises, tels que le compte en Suisse dévoilé en 1992 ou les contestations formulées lors des héritages dont le fondateur du FN a bénéficié.

La communication au parquet de Nanterre d'éléments nouveaux relatifs au trust détenu par le majordome de Jean-Marie Le Pen à Genève pourrait provoquer l'ouverture d'une nouvelle enquête plus décisive sur la fortune cachée du leader d'extrême droite. Et pourquoi pas permettre aux juges de remonter aux secrets de l'héritage Lambert.

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Médicaments : ce qu'il faut changer

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Mise en relief par le scandale du Mediator, la question de l’indépendance des experts est la clé de la confiance des citoyens dans leur système de santé. Confiance mise à mal par la révélation des multiples conflits d’intérêts qui affectent le contrôle des médicaments. Le monde de l’expertise apparaît aujourd’hui marqué par l’emprise des laboratoires et le mélange de genre entre activités privées et missions de service public. Et cela, dans un contexte de recul général du pouvoir de l’État, alors que la puissance de l’industrie pharmaceutique ne cesse de croître : elle a franchi, en 2014, le seuil de 1 000 milliards de dollars (924 milliards d’euros) de chiffre d’affaires mondial. 

© Mutuelleprevoyancesante.fr

Marisol Touraine, ministre de la santé, a entrepris d’améliorer la transparence des relations entre experts et industrie. Prolongeant la loi sur le médicament de Xavier Bertrand en 2011, le nouveau projet de loi santé voté par l’Assemblée impose pour la première fois aux professionnels de santé de déclarer les montants de leurs conventions avec les industriels (ils devront figurer dans la base de données Transparence-santé). Une avancée incontestable, mais qui ne peut à elle seule suffire à faire reculer l’influence omniprésente de l’industrie pharmaceutique.

Pas moins de neuf professeurs hospitaliers sont mis en examen pour avoir conseillé le groupe Servier, fabricant du Mediator, alors qu’ils exerçaient ou avaient exercé des fonctions de contrôle du médicament. Plusieurs enquêtes de Mediapart ont révélé qu’à peine sorti du cabinet de Claude Évin, ministre de la santé de 1988 à 1991, Jérôme Cahuzac offrait ses services de consultant aux laboratoires. Que le conseiller politique de François Hollande, Aquilino Morelle, avait travaillé pour une firme américaine et pour le laboratoire danois Lundbeck, alors qu’il était membre de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales). Ou encore que François Lhoste, membre du comité qui fixe les prix des médicaments depuis 1993, avait en parallèle conseillé personnellement Jacques Servier, fondateur du groupe qui porte son nom.

En avril 2014, dans un rapport présenté à l’Académie nationale de pharmacie, le professeur Gilles Bouvenot, ancien président de la Commission de transparence – l’une des principales instances de contrôle des médicaments – s’inquiétait « du foisonnement et de la diffusion incontrôlables, dans les médias et sur Internet, d’informations souvent contradictoires sur les médicaments, y compris sur les vaccins », ainsi que d’une « perte de confiance dans les messages des institutions officielles ».

Comme l’a révélé Mediapart, Gilles Bouvenot, avec Bernard Avouac qui a présidé la même commission avant lui, ainsi que des membres de la Commission d’autorisation de mise sur le marché, a pendant des années organisé des réunions secrètes pour donner des conseils rémunérés à des laboratoires.

Ces abus sont le fait d’une minorité d’acteurs peu scrupuleux, mais ils traduisent aussi le déséquilibre structurel entre l’industrie et les pouvoirs publics. Le lobbying pharmaceutique s'exerce dans tous les secteurs de la santé où il existe un marché important, des traitements contre l'Alzheimer à la prévention de l'ostéoporose, ou aux vaccins destinés à éviter les cancers du col de l'utérus. François Hollande lui-même, en présentant le Plan cancer, a vanté les mérites des vaccins contre les papillomavirus (Gardasil, Cervarix), en les présentant comme les premiers vaccins anticancéreux (ce qui est faux : le vaccin contre l'hépatite B vise à prévenir le cancer du foie).

« On n’a pas toujours observé une telle omniprésence et une telle toute-puissance de l’industrie pharmaceutique, dit Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire. Ce n’était pas le cas lorsque l’on a découvert la pénicilline, l’insuline ou les sulfamides, qui ont pourtant été des progrès majeurs. Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique est partout parce que la société lui a laissé prendre cette place. Ce n’est pas une fatalité. » Si le phénomène est mondial, la situation française comporte des spécificités. Examinons les facteurs, à la fois nationaux et internationaux, qui expliquent le poids excessif des laboratoires pharmaceutiques.

Trois instances principales contrôlent l’utilisation des médicaments en France : la Commission d’autorisation de mise sur le marché (AMM), qui donne son feu vert à la commercialisation d’un produit (lorsque celle-ci n’a pas été décidée au niveau de l’EMA, l’Agence européenne des médicaments) ; la Commission de pharmacovigilance, qui surveille les risques d’un produit commercialisé ; et la Commission de transparence, qui évalue le service rendu par un produit (SMR) et le progrès qu’il apporte (ASMR, ou amélioration du service médical rendu) ; les avis de la Commission de transparence jouent un rôle crucial dans la fixation du prix des médicaments.

Comme les grandes réformes commencent par le langage, les deux premières commissions ont été rebaptisées dans le cadre de la refonte de l’agence du médicament, devenue l’ANSM : la Commission d’AMM s’appelle désormais la « Commission d’évaluation initiale du rapport bénéfice risque des produits de santé », et celle de pharmacovigilance est devenue la « Commission de suivi du rapport bénéfice risque des produits de santé ». Le progrès saute aux yeux…

Les trois instances sont censées agir en synergie pour garantir que seuls les bons produits soient commercialisés et que ceux qui ont des effets indésirables graves soient rapidement retirés du marché. En réalité, elles peuvent très bien s’ignorer mutuellement. Elles ne dépendent même pas toutes les trois d’une administration unique. Alors que les deux premières commissions sont intégrées à l’ANSM, la troisième siège depuis 2005 au sein de la HAS, la Haute Autorité de santé.

« L’autorisation de mise sur le marché n’est pas liée au progrès apporté par le médicament, souligne Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire. Cela relève d’une logique européenne et internationale, qui répond au vœu des firmes. Ces dernières ne souhaitent pas que la commercialisation soit conditionnée à une amélioration thérapeutique. Cela leur permet de mettre sur le marché des médicaments qui n’apportent rien, ou qui sont la quasi-réplique de produits plus anciens (ce que l’on appelle des "me too"). »

Le siège de la Haute autorité de santé, à Saint-Denis La PlaineLe siège de la Haute autorité de santé, à Saint-Denis La Plaine © DR

Le « saucissonnage » qui segmente la procédure d’AMM, l’analyse des effets indésirables et l’évaluation du progrès thérapeutique nuisent à une vision d’ensemble de la situation d’un médicament. Le fonctionnement bureaucratique des trois commissions se traduit par des prises de décision dissociées, ce qui dilue les responsabilités. L’affaire du Mediator en fournit un exemple caricatural. En 2006, tandis que l’Agence du médicament, qui s’appelle alors l’Afssaps, a lancé une enquête de pharmacovigilance sur le benfluorex, la Commission de la transparence réévalue le service médical rendu par le produit.

Dans un document préparatoire (non divulgué à l’époque), la Commission note que « le benfluorex est un dérivé de la fenfluramine(ex-Ponderal) et de la dexfenfluramine (ex-Isoméride), deux anorexigènes amphétaminiques retirés du marché du fait d’effets indésirables graves… ». Elle observe que le produit a été retiré du marché en Espagne du fait de « troubles cardiaques graves, semblables à ceux observés avec la fenfluramine et la dexfenfluramine ».

Bref, c’est exactement l’argumentaire qui devrait conduire à retirer immédiatement le Mediator. Pourtant, les experts de la Commission de transparence, imperturbables, poursuivent leurs travaux, tout en notant que leurs collègues de la pharmacovigilance ont « souhaité une réévaluation du rapport bénéfice/risque du produit »

Jusqu’à 2012, l’Agence du médicament s’est beaucoup appuyée sur les travaux de la Commission d’AMM et de la Commission nationale de pharmacovigilance, qui étaient composées d’experts externes, principalement des professeurs hospitaliers. Beaucoup de ces experts entretenaient de nombreux liens d’intérêts avec les firmes pharmaceutiques. Et beaucoup ont siégé dix ans ou plus dans la même commission, sont passés de l’une à l’autre, ou ont cumulé des mandats.

Les travaux de l’Agence du médicament dépendaient donc pour une grande part d’un groupe d’experts se renouvelant peu et largement financés par l’industrie. L’Agence ne disposant pas de budgets importants pour payer ses experts, ces derniers étaient fort peu rémunérés pour leur travail dans les commissions, ce qui les encourageait évidemment à multiplier les études pour l’industrie, beaucoup plus lucratives.

« L’ANSM n’a pas les moyens de payer ses experts, observe le professeur François Chast, chef du service de pharmacie clinique du groupe hospitalier Cochin/Hôtel-Dieu, et coauteur du livre La Vérité sur vos médicaments. Elle verse des honoraires de quelques dizaines d’euros quand une firme paiera deux mille ou trois mille euros pour le même temps de travail. Une partie de la solution au problème de l’expertise est que l’ANSM ait plus d’argent. »

Ce n’est pas la solution adoptée aujourd’hui. Dans un contexte de réduction des effectifs et des budgets, la politique de l’agence consiste à se reporter sur son expertise interne et à faire de moins en moins appel aux experts externes. Ce choix se justifie par le souci de réduire les liens avec l’industrie. Malheureusement, l’ANSM applique cette politique alors que le nombre d’experts internes n’a pas augmenté, d’où une surcharge de travail, alors que les agents de l’ANSM travaillent déjà en flux tendu.

Pour le docteur Dominique Dupagne, créateur du site atoute.org et membre de l’association Formindep, il faudrait créer un corps d’experts indépendants de l’industrie. Idée partagée par Bruno Toussaint et par la revue Prescrire, qui proposait en 2011 de « renforcer le nombre et la compétence des experts indépendants des firmes, notamment en développant une recherche clinique financée sur fonds publics ». Elle proposait aussi de « renforcer considérablement l’expertise interne des agences ».

On en est loin. L’ANSM n’a même pas obtenu les 80 emplois supplémentaires qui devaient lui être alloués. Quant au financement public de la recherche clinique, il demeure très faible (voir plus loin).

Créée en 1993, à la suite de l’affaire du sang contaminé, l’Agence du médicament devait être une institution indépendante et puissante, un peu à l’image de la FDA américaine (Food and Drug Administration). Avec un millier de salariés, elle a quinze fois moins d’effectifs que la FDA et son budget de 150 millions d’euros est 25 fois plus faible (pour des populations dans un rapport de 1 à 5). Certes, la FDA ne s’occupe pas que des médicaments, elle contrôle l’alimentation. Mais même en réunissant l’ANSM et l’Anses, l’agence française de la sécurité alimentaire, on n’obtiendrait qu’un tout petit organisme comparé à la FDA. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la FDA soit un modèle parfait et qu'il n'y ait pas de scandales sanitaires aux États-Unis. Mais face à la puissance de l’industrie pharmaceutique, il faut une certaine force de frappe pour se faire entendre.

Manquant de moyens, l’Agence du médicament a vu son pouvoir grignoté par l’Agence européenne, qui gère une grande partie des demandes d’AMM. Elle a aussi perdu une partie de ses prérogatives avec la création de la HAS. Sans oublier la DGS, la Direction générale de la santé qui, bien que n’étant pas en charge du médicament, intervient lorsqu’elle le juge nécessaire, non sans une certaine opacité. La DGS a interdit par une circulaire en 2012 l’utilisation de l’Avastin de Roche dans le traitement de la DMLA, maladie de la rétine, alors que ce traitement était beaucoup moins cher que le Lucentis, molécule concurrente de Novartis, et ne présentait pas de risque particulier.

La recherche clinique consiste à mener des études sur des patients pour évaluer l’effet d’un médicament, comparer plusieurs traitements, mesurer l’influence d’un facteur épidémiologique, etc. Cette recherche est à la fois publique et privée, mais quelques chiffres montrent l’ampleur du déséquilibre en faveur de l’industrie.

En 2011, sur 871 essais autorisés par l’ANSM, 69 % avaient un promoteur industriel et 31 % un promoteur institutionnel. Dans le cas d’une promotion industrielle, tous les coûts incombent à l’entreprise. Autrement dit, plus des deux tiers des essais cliniques sont entièrement financés par l’industrie, tandis que le tiers restant a un financement mixte.

Un bâtiment de la FDA (Food and Drug Administration) à Silver Spring, Maryland Un bâtiment de la FDA (Food and Drug Administration) à Silver Spring, Maryland © DR

Cette proportion ne reflète pas le véritable rapport de force. Selon l’organisation Aviesan (Alliance nationale pour les sciences de la vie et la santé), les essais cliniques de médicaments et de dispositifs médicaux promus par l’industrie représentent 3 milliards d’euros par an en France. Or, les fonds publics alloués à la recherche clinique n’atteignent pas, au total, 200 millions d’euros par an (la principale source, le PHRC ou programme hospitalier de recherche clinique, fournit 90 millions d’euros annuels).

Autrement dit, l’industrie investit quinze fois plus que l’État dans la recherche clinique. À titre indicatif, l’ANSM dispose d’une capacité de financement de la recherche de 6 millions d’euros par an…

Le Leem, syndicat de l’industrie pharmaceutique, estime à 500 millions d’euros par an les investissements industriels pour les études cliniques industrielles à l’hôpital. Ce chiffre couvre les honoraires des investigateurs, le personnel payé pour suivre les essais, le remboursement des surcoûts versés à l’établissement, la mise à disposition des molécules… Des ressources appréciables, à l’heure où l’hôpital public connaît de graves difficultés financières.

« Cette situation résulte de choix politiques, estime Bruno Toussaint. Un leitmotiv des autorités académiques est d’encourager les chercheurs hospitaliers à trouver des financements privés. On a abandonné la recherche clinique aux firmes. Pourquoi ne donne-t-on pas davantage de place à la recherche publique ? Pourquoi, par exemple, ne valorise-t-on pas les travaux de pharmacovigilance dans les carrières des chercheurs ? »

Les professionnels de santé qui travaillent avec les firmes disent souvent que les bons experts sont ceux qui ont de nombreux contrats industriels. De fait, c’est en faisant des études cliniques que les experts se forment et progressent. En ne développant pas la recherche clinique sur fonds publics, on abandonne donc aussi la formation des experts à l’industrie.

Plus de 90 % des études cliniques sont menées à l’hôpital. La très grande majorité des experts sont des professeurs hospitaliers. L’hôpital joue donc un rôle clé dans l’expertise, ce qui n’a pas échappé aux firmes pharmaceutiques. Une enquête menée par la revue professionnelle Le Pharmacien de France décrit l’hôpital comme un « cheval de Troie » de l’industrieLes firmes ont bien compris que les hôpitaux sont leaders d’opinion pour les prescriptions : quand une ordonnance est faite à l’hôpital, les médecins de ville la suivent.

D’où une tactique utilisée par les laboratoires : « Proposer à un établissement de santé leur médicament à bas prix, voire gratuitement, pour emporter les appels d’offres hospitaliers, afin de placer leur produit et de le faire prescrire. » Le but du jeu étant, dans un deuxième temps, d’influencer la prescription en ville où sera poursuivi le traitement, à des prix plus élevés.

D’une manière générale, les firmes sont aux petits soins avec les services hospitaliers. Elles ciblent les étudiants et les internes, financent des préparations aux concours ou des formations, offrent des cadeaux… Selon un témoignage recueilli par Mediapart, dans certains services, les visiteurs médicaux mettent à disposition des médecins la carte de crédit du laboratoire, pour les menus frais du week-end…

Irène Frachon, lanceuse d’alerte du Mediator, et pneumologue au CHU de Brest, observe « une influence des firmes sur la formation des internes, qui ont du mal à exercer leur esprit critique vis-à-vis des médicaments ». Elle souligne que malgré tous ses efforts, Xavier Bertrand, auteur de la loi sur le médicament de 2011 après le scandale du Mediator, n’a pas réussi à bannir les visiteurs médicaux des hôpitaux. Ils y sont toujours.

« Les services hospitaliers sont littéralement allaités par l’industrie, résume Bruno Toussaint. Ce n’est pas le travail de l’industrie de financer la recherche, de payer les professeurs, de subventionner les associations de patients, de s’occuper de la formation des internes et de l’information médicale. Du coup, elle se détourne de son métier de base, fabriquer des médicaments de qualité en maintenant l’approvisionnement. On parle de corruption, d’influence, et en même temps on voit des ruptures de stocks de médicaments. Il faudrait encadrer davantage les firmes. »

Mais au-delà de l’intention louable affichée par Marisol Touraine d’améliorer la transparence, existe-t-il une véritable volonté politique de modifier le rapport de force entre les pouvoirs publics et l’industrie pharmaceutique ? Une volonté politique pour tout à la fois améliorer les synergies entre les trois instances principales qui contrôlent l’utilisation des médicaments en France, avoir une ambitieuse politique de recherche clinique sur fonds publics pour contrecarrer le poids de la recherche privée, augmenter substantiellement les moyens et financements de l’Agence du médicament, et enfin, encadrer véritablement les firmes pharmaceutiques ?

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Compte en Suisse : les Le Pen fuient les médias

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Pour la première fois, les dirigeants du Front national désertent les micros et caméras. Après les révélations de Mediapart, lundi, sur l’argent caché de Jean-Marie Le Pen en Suisse, via son majordome, l’état-major du FN a alterné silence et déclarations prudentes.

À Strasbourg pour la session plénière du parlement européen, Marine Le Pen a évité les caméras pour échapper aux questions, comme l'ont rapporté nos confrères du Monde et des Dernières Nouvelles d'Alsace, présents sur place :

Ce mardi matin en effet, une demi-douzaine de journalistes attendaient la présidente du FN et la délégation frontiste à l'entrée droite de l'hémicycle, pour les interroger sur ce compte caché qu'a détenu Jean-Marie Le Pen chez HSBC, puis à la Compagnie bancaire helvétique (CBH), à travers un trust placé sous la responsabilité légale de son majordome, Gérald Gérin.

« Des collègues, dont certains venus spécialement de Paris, faisaient le pied de grue à la sortie de l'hémicycle, pour interroger Marine Le Pen. Ils ont pris une autre entrée que l'entrée habituelle », raconte à Mediapart Anne-Camille Beckelynck, journaliste aux Dernières Nouvelles d'Alsace.

« Le FN était au courant qu'on était là, BFM-TV avait fait une demande très tôt ce matin, Marine Le Pen n'avait pas répondu. On était postés à droite, comme d'habitude, ses gardes du corps sont venus discuter avec nous, on s'est rendu compte ensuite que les eurodéputés FN étaient tous rentrés par l'entrée gauche », confirme à Mediapart Yannick Olland, le correspondant de RTL.

À la fin des votes, nos confrères parviennent à croiser la présidente du FN dans les couloirs, accompagnée du vice-président Florian Philippot. « J'ai demandé si je pouvais poser une petite question, elle m'a répondu "non" et est partie rapidement. D'habitude on peut lui parler, elle fume sa cigarette électronique devant l'hémicycle, elle est abordable, témoigne Yannick Olland. Florian Philippot a répondu à BFM qu'il avait déjà tout dit hier sur iTélé à ce sujet. Aucun eurodéputé FN n'a parlé. »

Lorsque les journalistes aperçoivent Gérald Gérin, l'homme de confiance de Jean-Marie Le Pen, aujourd'hui au cœur des révélations, l'assistant se dérobe lui aussi. « Il est passé, on a voulu lui poser une question, sa députée (il est l'assistant parlementaire de Marie-Christine Arnautu, ndlr) nous a répondu "non, là il doit m'expliquer tous les votes, on doit travailler". »

Ces derniers mois, la présidente du FN n’a eu de cesse de dénoncer une « manipulation politique » et des « calomnies » lorsqu'elle était interrogée sur les enquêtes judiciaires visant son parti – qu'il s'agisse de l’affaire des financements de campagne de son parti, ou de celle des assistants frontistes soupçonnés de fraude au parlement européen. Elle avait également jugé « délirant » le lien entre le Front national et la Russie qu’évoquaient des textos d’un responsable du Kremlin, dévoilés par Mediapart en mars. « Délirant » aussi, selon elle, le besoin de 40 millions d’euros que le Front national aurait évoqué dans ses discussions avec les Russes, selon nos informations.

Cette fois-ci, la présidente du FN, en froid avec son père, s’est bien gardée de tout commentaire. « Ce n’est pas parce qu’on a un père, un frère, qu’on connaît l’intégralité des détails de leur existence patrimoniale », avait-elle déjà pris soin de préciser lorsque Mediapart l’avait interrogée en avril 2013 sur le compte en Suisse de Jean-Marie Le Pen, ouvert à l’UBS en 1981.

De son côté, le principal intéressé a tout simplement refusé de s’expliquer. Après un silence total sur le sujet, en dépit de nombreuses sollicitations médiatiques – dont Mediapart –, Jean-Marie Le Pen n'a accordé que quelques mots à France Inter, pour dire qu’il n’était « pas tenu de (s)’expliquer sur ce que dit n’importe qui, en particulier les organes para-policiers qui sont chargés de semer la perturbation dans la classe politique ». Le fondateur du FN s’est contenté de dénoncer une « offensive générale qui est lancée contre nous ». « C’est comme ça qu’ils gagnent leur croûte : ils manient le scandale, le “on-dit”… Voilà, c’est tout… », a-t-il ajouté avant de raccrocher.

Les Le Pen au congrès du FN en novembre 2014.Les Le Pen au congrès du FN en novembre 2014. © Reuters

Au Front national, ce silence des Le Pen inquiète. « On tombe un peu des nues, confie à Libération un membre du bureau politique frontiste. Si les faits sont avérés, c’est une situation grave. Ce qui me semble inquiétant, c’est le silence de Jean-Marie Le Pen : d’habitude, il est le premier à réagir sur ce genre de sujet. » Un autre membre du bureau politique rapporte au quotidien « une lassitude des cadres de se sentir pilonnés, un sentiment d’être dans l’œil du cyclone ».

La consigne semble en tout cas avoir été passée dans les rangs du FN : aucune déclaration sur le sujet. De nombreux dirigeants et élus frontistes brillent depuis deux jours par leur silence. 

Sollicité par Mediapart, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, est lui aussi resté muet. « Je n’ai aucune idée de quoi il s’agit, a-t-il répondu au site américain Politico, lundi. La seule chose qui me vient à l'esprit est une vieille affaire impliquant l'héritage de Le Pen et un compte suisse il y a des années... affaire que nous avons gagnée. J’ai du mal à joindre Jean-Marie Le Pen, en fait. »

C’est aussi la réponse qu’a fait le Front national à plusieurs de nos confrères, parlant d'« une vieille affaire » et semant le trouble en évoquant un autre compte suisse, ouvert à l'UBS en 1981 pour Jean-Marie Le Pen par son vieil ami, Jean-Pierre Mouchard, et révélé en 1992. Mais au sein du parti, « l’article (sur le compte suisse) circule », raconte à Mediapart un responsable frontiste, sous couvert d’anonymat. Ce que je savais, c’est que Jean-Marie Le Pen avait de l’argent en Suisse, mais qu'il l'avait emprunté, on m'avait dit que c’était légal ».

Sollicité, le député européen Bernard Monot, « stratégiste » économique de Marine Le Pen, n’a pas non plus décroché son téléphone. L'eurodéputé, que nous avions interrogé mi-avril sur le poids financier de Jean-Marie Le Pen au sein du parti, avait rappelé que le président d'honneur du FN « a(vait) quand même sauvé le Front lorsqu'il était au bord de la faillite », grâce à « ses deniers personnels » et aux prêts de Cotelec, son micro-parti.

Mais il en est un qui n’est pas resté muet : Florian Philippot, le vice-président du FN, en conflit ouvert avec le fondateur du parti. Tout en assurant qu’il ne pouvait « pas croire que cela soit vrai », le bras droit de Marine Le Pen a tenté de mettre une barrière étanche entre la présidente du FN et le « dossier fiscal personnel » de son père. Interrogé lundi soir sur iTélé (voir la vidéo ci-dessous à 6'35), il explique n'être « pas du tout au courant ».

« J’ai appris comme vous cet après-midi, je ne sais pas du tout si c’est vrai, ça me paraît étrange connaissant Jean-Marie Le Pen, je crois qu’il s’en expliquera, c’est une affaire personnelle, qui le concerne. J'ai eu Marine Le Pen au téléphone qui est très surprise et qui n'en connaissait rien non plus et qui attend, comme nous tous, des éclairages et des explications de Jean-Marie Le Pen », a-t-il assuré. « C’est à lui (...) de donner des explications », a-t-il répété.

Quelques minutes plus tôt, le vice-président du FN précisait qu’il n’avait « pas de contacts avec Jean-Marie Le Pen », qu’il souhaitait sa « retraite du champ politique » et que le président d'honneur du FN ne serait « pas sur scène » lors du traditionnel discours du 1er-Mai du parti.

Au Front national, certains n’ont pas caché leur agacement face aux questions. « Je n’ai aucune déclaration à faire sur un sujet sur lequel je ne sais rien, a répondu à Mediapart l’eurodéputé Bruno Gollnisch. J’en parlerai avec (Jean-Marie Le Pen), là il n’est exceptionnellement pas en session au parlement européen car son médecin le préconise. Je ne vais pas vous répondre, votre média n’est là que pour nuire au Front national », a-t-il lâché avant de raccrocher.

Questionné sur iTélé lundi soir, Gilbert Collard, qui venait assurer la promotion de son Dictionnaire de la langue de con, s’en est pris à Mediapart (voir la vidéo ci-dessous à 4'30) : « Il y a un mot que j’ai oublié dans le dictionnaire de la langue de con, c’est “mediaparter”. Parce que vous êtes en train de “mediaparter”. (...) Vous considérez que ce que dit Mediapart – qui ferait bien entre parenthèses de payer la TVA qu’elle doit au fisc – est vrai. C’est peut-être vrai, c’est peut-être faux. » « Moi, a priori, par ma formation, tant qu'un juge ne m’a pas dit que l’infraction existe, je n’ai pas de raison d’y croire », a ajouté l'avocat, qui avait défendu Pierrette Lalanne, lors de son divorce avec Jean-Marie Le Pen, en 1987.

Lorsque le journaliste Olivier Galzi lui précise que des éléments détaillés ont été transmis au parquet de Nanterre par l’organisme anti-blanchiment Tracfin, Gilbert Collard se fait plus prudent : « Bien évidemment, si la démonstration judiciaire, et non pas mediapartienne, est apportée, c’est autre chose. Mais pour l’instant, moi, je suis dans l’incapacité de dire si ce que Mediapart dit est vrai. Pourquoi accorderais-je du crédit à un organe de presse qui nous est hostile, qui s’est trompé souvent ? »

Les adversaires politiques du Front national ne se sont pas privés de commenter l’affaire. Sur France Info, mardi matin, l’UMP Valérie Pécresse s'est dite « totalement scandalisée ». « Il serait intéressant de savoir si madame Le Pen va accepter l'héritage politique et l'héritage fiscal de son père », a indiqué l’ancienne ministre du budget.

« J'aimerais bien savoir ce qu'en pense madame Le Pen qui, je le rappelle, bien qu'elle dise qu'elle n'a rien à voir avec cette affaire, était censée être l'héritière de toute cette fortune », a estimé le député socialiste Pouria Amirshahi sur Sud Radio. « Si cette affaire n'avait pas été révélée, jamais elle n'aurait eu à redire du fait qu'elle aurait été la destinataire principale de cet argent dont j'aimerais bien savoir par ailleurs d'où il provient. » Jean-Marie Le Pen « n'a jamais été mains propres et tête haute », a ajouté le député, en référence au slogan historique du Front national.

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Les derniers secrets de l'affaire Dassault

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Il avait tout, sauf la démocratie avec lui. Dans Dassault Système, un livre d’enquête à paraître jeudi 30 avril aux éditions Robert Laffont, les journalistes Sara Ghibaudo (France Inter) et Yann Philippin (ex-Libération, aujourd’hui à Mediapart) décortiquent à la manière d’entomologistes de la chose publique les ressorts de la chute de l’un des hommes les plus puissants de France, Serge Dassault.

Patron de l’empire industriel qui porte son nom, sénateur UMP et propriétaire du Figaro, le milliardaire est mis en examen depuis un an pour « achat de votes », « complicité de financement illicite de campagne électorale » et « financement de campagne électorale en dépassement du plafond autorisé ». En un mot, la justice le soupçonne d’avoir acheté la démocratie. Plus précisément d’avoir mis en place dans la commune populaire de Corbeil-Essonnes (Essonne) un système organisé de corruption électorale qui a permis à l’héritier de Marcel Dassault de devenir à trois reprises, à partir de 1995, maire de la ville, après s’être longtemps cassé les dents devant l’urne.

Serge Dassault, au Sénat, le 28 octobre 2010.Serge Dassault, au Sénat, le 28 octobre 2010. © Reuters

Historique, politique, judiciaire, sociale et même psychologique, l’enquête de nos deux confrères offre à comprendre, révélations à la clé, toutes les facettes de l’affaire Dassault. Car il s’agit tout à la fois de l’histoire d’un fils qui voulait faire mieux que son père, d’un homme qui ne sait pas ce qu’est un Caddie mais veut conquérir le cœur des quartiers populaires de l’Essonne, d’un politique prêt à tout, d’un avionneur paternaliste aux dérapages vertigineux, l’histoire, aussi, d’un système aux échos quasi mafieux qui, un jour, implose. Conséquence : à Corbeil-Essonnes, l’argent a aussi la couleur du sang. Les balles sifflent pour le magot.

Les auteurs de Dassault Système ont ainsi cerné leur personnage : « Un milliardaire jovial et accessible, mais qui tend à considérer que sa puissance le place au-dessus des lois. Et un politique paternaliste qui pense qu’à la façon du XIXe siècle, l’argent est un moyen naturel de conquérir les cœurs. » Dans les bonnes feuilles que publie Mediapart, on découvre comment Serge Dassault a su profiter pendant longtemps de mains agiles et protectrices au sein de la magistrature pour empêcher l’éclatement du scandale. Bienvenue dans le système D.

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Dassault Système

Selon que vous serez puissant ou misérable… L’adage s’applique à merveille au justiciable Serge Dassault. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, à partir de 2007, les dossiers concernant le milliardaire n’avancent pas ou si peu : classements sans suite, document perdu, enquête préliminaire qui traîne… Il faut attendre 2013 pour que l’enquête soit enfin confiée à des juges d’instruction […]

Ce n’est qu’à la fin des années 2000 que les affaires sensibles pour Dassault arrivent sur le bureau des procureurs. Dans l’univers florentin et très hiérarchisé du parquet, Jean-Claude Marin est une figure de proue […] Brillant technicien au sens politique aiguisé, il lui a été reproché, même s’il s’en défend, d’avoir épargné des personnalités de droite. Il est promu en 2006 procureur de Paris, le poste le plus prestigieux du parquet. […]

En juin 2009, c’est une grenade dégoupillée qui atterrit au parquet de Paris. Le 8 juin, l’élection de Dassault est invalidée par le Conseil d’État pour « dons d’argent d’une ampleur significative ». Le 16 juin, soit huit jours plus tard, la patronne de la Brigade de répression du banditisme (BRB), Hélène Dupif, transmet à Jean-Claude Marin un rapport intitulé « Corruption de vote ».

En enquêtant sur un gang de braqueurs de camions, les policiers ont découvert par hasard que l’un d’entre eux, placé sur écoutes, était un agent électoral de Serge Dassault. Ses conversations téléphoniques, qui couvrent l’ensemble de la campagne municipale 2008, sont accablantes : ce délinquant se démène pour inciter à voter Dassault, en échange d’un permis de conduire à 2 400 euros et d’un logement social. La maire-adjointe Cristela de Oliveira et un employé municipal ayant touché de l’argent de Dassault semblent également concernés […]

Le commandant qui suit l’enquête à la BRB précise que ces écoutes n’apportent qu’un « éclairage partiel sur le fonctionnement de l’équipe municipale ». « Afin de réunir les éléments constitutifs d’un délit de corruption de vote, d'autres recherches plus larges sont nécessaires, dans le cadre d'une enquête distincte, diligentée par un service spécialisé et territorialement compétent », conclut-il.

Le tribunal de Paris, avec son prestigieux pôle financier, est le mieux outillé pour gérer le dossier. En tant que JIRS (pôle régional), Paris est d’ailleurs compétent pour traiter les affaires complexes survenues hors de son territoire. Mais les achats de votes n’en font pas partie. Les faits ayant eu lieu dans l’Essonne, Jean-Claude Marin se dessaisit au profit du procureur d’Évry, Jean-François Pascal.

Le rapport de la BRB arrive bien à Évry. Le problème, c’est qu’il manque le « soit-transmis ». Sans ce courrier officiel, la transmission est invalide […] Tant qu’il n’a pas le précieux papier, le procureur Pascal n’a pas le droit de traiter le dossier. Mais curieusement, le parquet d’Évry ne demande pas de nouveau soit-transmis. C’est ainsi qu’aucune enquête n’est ouverte, et que le rapport de la BRB a pris la poussière au parquet d’Évry pendant plus d’un an… Jean-François Pascal n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce sujet.

Plusieurs magistrats nous ont confirmé qu’une affaire visant Dassault fait partie des dossiers dits « signalés », qui doivent remonter, via la hiérarchie policière et judiciaire, jusqu’aux ministères de la Justice et de l’Intérieur, voire jusqu’à l’Élysée. D’autant que le président Sarkozy suit semble-t-il de très près les affaires judiciaires : « À l’époque, les dossiers sensibles étaient gérés directement au Château », raconte un haut fonctionnaire alors en poste à la Chancellerie.

S’il n’a pas observé d’intervention, ce témoin se souvient de l’émoi qui a saisi le cabinet de la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, dans les jours qui ont suivi l’arrêt du Conseil d’État invalidant l’élection de Dassault : « J’ai perçu une inquiétude assez forte à l’idée d’une future enquête sur des achats de votes à Corbeil. » « Michèle Alliot-Marie et plusieurs de ses collaborateurs de l’époque n’ont aucun souvenir de ce rapport d’écoutes téléphoniques », dément l’un de ses proches, précisant que l’ex-ministre « a toujours fait en sorte que la justice fonctionne en toute indépendance et n’a jamais donné d’instructions dans un dossier individuel » […]

Le feuilleton ne s’arrête pas là. Le 11 janvier 2010, le procureur d’Évry reçoit un rapport de la Sûreté départementale (SD) d’Évry. Lors d’une perquisition, les policiers sont tombés par hasard sur trois chèques signés par Jacques Lebigre [proche collaborateur de Serge Dassault – ndlr] à la petite amie d’un délinquant de Corbeil, pour un total de 8 500 euros. Le jeune homme a admis être le bénéficiaire de l’argent, et a raconté ses relations très intéressées avec l’ex-directeur de campagne de Dassault. « On l’aide quand ça chauffe dans nos quartiers [et] dans la période des élections », a-t-il dit aux enquêteurs. En échange, « quand on a besoin d’argent, il nous aide ».

Le procureur Pascal suit personnellement le dossier. Quelques jours avant la transmission du rapport, il demande aux policiers d’assurer leur enquête en récupérant une copie des chèques et les relevés de comptes bancaires de Lebigre. C’est à cette occasion que la SD 91 remarque que deux semaines avant l’élection de septembre 2009, Lebigre a commencé à procéder à « l'émission régulière d'un certain nombre de chèques à gros montant ». Malgré ces constatations des policiers, Jean-François Pascal n’ouvre pas d’enquête. Il n’a pas souhaité s’en expliquer.

Serge Dassault, milliardaire, sénateur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, est au centre de plusieurs enquêtes judiciaires.Serge Dassault, milliardaire, sénateur et ancien maire de Corbeil-Essonnes, est au centre de plusieurs enquêtes judiciaires. © Reuters

Il faudra que Tracfin prenne le relais pour débloquer l’affaire. L’office anti-blanchiment de Bercy s’est livré à son tour à un examen très détaillé des comptes de Lebigre. Autour des élections de 2008 et 2009, Jacques Lebigre a encaissé la bagatelle de 156 537 euros « venant de comptes ouverts au nom de M. ou Mme Serge Dassault ». Il a retiré une partie de cet argent en liquide et a signé des chèques à des entreprises, des associations ainsi qu’à une trentaine d’habitants de Corbeil […] Le 7 juin 2010, l’office anti-blanchiment adresse son rapport à la nouvelle procureur d’Évry, Marie-Suzanne Le Quéau.

L’affaire prend de l’ampleur, il faut ouvrir une enquête. Reste à savoir qui va la traiter […] Après arbitrage du procureur général, c’est Jean-Claude Marin qui est chargé de lancer une enquête préliminaire à Paris. Elle est confiée à la DNIFF, l’office anti-corruption de la police judiciaire.

Une fois dessaisie, la procureur d’Évry entreprend d’aider son collègue parisien. Elle fouille dans les archives à la recherche de dossiers connexes, et retrouve les deux rapports de police auquel son prédécesseur n’avait pas donné suite. Marie-Suzanne Le Quéau les envoie au parquet de Paris. C’est ainsi que les écoutes téléphoniques et la procédure sur les trois chèques de Lebigre ont enfin été versées à la procédure.

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Les placements en or du clan Le Pen

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À travers le trust entre les mains de son majordome, Jean-Marie Le Pen a détenu secrètement, selon nos estimations, l’équivalent d’une cinquantaine de kilos d’or en Suisse – si l’on prend le cours actuel. Vraisemblablement sous forme de certificats. Mais il en a aussi acheté très ouvertement et par chèque en France. Selon les informations obtenues par Mediapart, il a notamment acheté directement un lingot à la société CPoR devises, rue Lafayette, à Paris. Le lingot d’un kilo vaut actuellement 34 820 euros – selon le site de cette entreprise.

Et le fondateur du Front national a « oublié » de mentionner cet achat dans sa déclaration de patrimoine, qui permet pourtant aux personnalités politiques de préciser la quantité de métaux précieux qu’elles détiennent, le cas échéant, dans la catégorie « biens mobiliers divers ». « Ce sont des valeurs, donc elles doivent être déclarées, au-delà de 10 000 euros », confirme-t-on à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), tout en se refusant à commenter la déclaration de Jean-Marie Le Pen dont le contenu est, comme pour celles des autres élus, « confidentiel et encore en cours de vérification ».

Sur le formulaire de déclaration de patrimoine de la HATVP, une catégorie est dédiée aux bijoux, or et pierres précieuses.Sur le formulaire de déclaration de patrimoine de la HATVP, une catégorie est dédiée aux bijoux, or et pierres précieuses. © HATVP

Ces déclarations de patrimoine des parlementaires, mises en place par le nouveau dispositif de la HATVP, seront consultables sur demande en préfecture ces prochaines semaines.

Visiblement elle aussi attirée par l’or, Marine Le Pen a, quant à elle, au contraire déclaré la détention de pièces d’or dans sa déclaration de patrimoine, effectuée à l’occasion de la présidentielle de 2012. La présidente du FN avait précisé détenir 3 000 euros en napoléons, soit – au cours actuel – une quinzaine de pièces de 20 francs or. Elle s'est abstenue pour l'instant de toute déclaration sur l'affaire du compte caché de son père.

Mais Gérald Gérin, le majordome de Jean-Marie Le Pen et l’ayant droit officiel du trust détenu en Suisse, a lui aussi procédé en France à des achats et des reventes de pièces et de lingots qui intriguent, et ce pour une valeur de 90 000 euros environ. M. Gérin, qui a contesté avoir été informé de sa position dans le trust, a disposé jusqu’à une date récente, selon nos informations, de la procuration sur les comptes personnels de Jean-Marie Le Pen, ainsi que l’usage de deux cartes bancaires attribuées au président d’honneur du FN.

« Billets d'avion, voitures, hôtels, choix des costumes et des cravates – en tandem avec Jany, l'épouse du chef, mais c'est "toujours" lui qui fait les valises... – Gérald veille aussi sur la ligne de son mentor, conformément aux conseils de son diététicien suisse, écrivait l’Express en 2007. Il connaît son dossier médical et possède même la signature de ses comptes bancaires – vraie preuve de confiance, quand on connaît l'attachement de Le Pen à l'argent. » Gérald Gérin, l’assistant de Jean-Marie Le Pen, dispose en outre d’un logement dans l'annexe de la « bonbonnière » de Jany Le Pen, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). 

Si Jean-Marie Le Pen achète de l’or, via son majordome ou directement, c’est officiellement pour se prémunir à titre personnel de la crise à venir, car il pronostique que les gouvernements vont couler « avec l’euro ». Dans son « journal de bord » vidéo du 20 octobre 2011, le président d’honneur du FN conseillait à ses auditeurs d’acheter de l’or ou de l’argent : « Si j’ai un conseil à vous donner c’est d’acheter de l’or ou de l’argent, pour se mettre à l’abri de ce qui est arrivé aux Argentins, à savoir que du jour au lendemain on vous annonce que vous avez droit de retirer à la banque 500 euros, pour le mois ! » – en ligne sur le site du FN, voir à 9’53 :

Lors de cette émission, Jean-Marie Le Pen a d’ailleurs brandi un livre dont la couverture figure un lingot d’or, un ouvrage de l'économiste hongrois Antal Fekete, Le Retour du standard or, paru en 2011, prédisant une fin prochaine de l’argent papier.

Quelques mois après son père, en janvier 2012, Marine Le Pen prône elle aussi un retour du système monétaire « à l’étalon or » : « Les monnaies papier vont s'effondrer. Qu'est-ce qui serait assez rassurant pour les remplacer ? Le métal », commente-t-elle, en précisant qu’elle a consulté – elle aussi – Antal Fekete. Plus récemment, en novembre 2014, la présidente du FN s’est fendue d'une lettre au gouverneur de la banque de France préconisant un audit détaillé sur la solvabilité de la France mais aussi « un inventaire complet des quantités d’or physique affichées actuellement à 2435 tonnes ainsi que leur qualité (numéro de série, pureté, barres "Good Delivery"…), réalisé par un organisme français indépendant (à définir). Cet inventaire, sous contrôle d’huissier, devra indiquer le pays dans lequel les réserves d’or sont stockées, en France ou à l’étranger. »

Marine Le Pen « exhorte » en outre la banque de France « à procéder au rapatriement urgent sur le sol français de la totalité de nos réserves d’or se trouvant à l’étranger ». Elle pourrait désormais demander aussi à son père de le faire …

Le fondateur du Front national est amateur, depuis longtemps, des placements financiers. À la fin des années 1970, il a ainsi omis de déclarer au fisc des gains boursiers significatifs – un total de 1,1 million de francs. Il aurait aussi beaucoup perdu sur un coup boursier opéré sur le sucre. Par la suite, Jean-Marie Le Pen avait désigné comme son « conseiller économique personnel » un ancien de la société de bourse Hauvette, également spécialiste des matières premières.

À nouveau sollicité mercredi, le président d'honneur du FN n'a pas répondu à nos questions. Questionné également par de nombreux médias, Jean-Marie Le Pen n'est sorti de son silence que mardi midi, pour déclarer à France Inter qu’il n’était « pas tenu de [s]’expliquer sur ce que dit n’importe qui, en particulier les organes para-policiers qui sont chargés de semer la perturbation dans la classe politique ». Le fondateur du FN a dénoncé une « offensive générale qui est lancée contre nous ».

Questionné au sujet du compte caché en Suisse, le trésorier du Front national, Me Wallerand de Saint-Just, a déclaré à Mediapart qu'il « tombait de sa chaise », « tout en doutant par principe » de nos informations. « Même en tant qu'avocat de Jean-Marie Le Pen, je n'ai jamais été mêlé à ses affaires personnelles, a-t-il commenté. Il a toujours eu un avocat fiscaliste. » Me Saint-Just rapporte la teneur de son échange avec Marine Le Pen au sujet de l'affaire : « Elle dit que c'est embêtant, mais que c'était son affaire à lui. » « Mais ça tombe à un moment où il y a une distance entre eux », relativise-t-il, en précisant que le Front national « attend, comme tout le monde, l'expression [publique] de Jean-Marie Le Pen là-dessus ». « On attend qu'il dise noir ou blanc, si c'est vrai ou pas. Hier il s'est exprimé de manière particulièrement elliptique (sur France Inter, Ndlr) ».

La présidente du FN sera sous les projecteurs, vendredi, lors de son traditionnel discours du 1er mai. Le trésorier du FN admet que cette affaire « sera dans les esprits » le 4 mai, lors de la réunion du bureau exécutif qui doit décider d'éventuelles sanctions contre le président d'honneur du FN au sujet de ses déclarations à RMC et Rivarol.

La communication au parquet de Nanterre d'éléments nouveaux relatifs au trust détenu par le majordome de Jean-Marie Le Pen à Genève pourrait provoquer l'ouverture d'une nouvelle enquête, qui s'ajouterait à celle déjà en cours depuis fin 2013 sur son patrimoine, et axée sur d'éventuelles omissions dans ses déclarations. Des poursuites pourraient être engagées contre Jean-Marie Le Pen pour avoir transmis une « fausse déclaration » à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et/ou pour fraude fiscale.

La loi du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique a désormais prévu des sanctions pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d'amende pour le fait « d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine » ou d’en fournir « une évaluation mensongère ».

BOITE NOIREMise à jour, mercredi à 14h55: Wallerand de Saint-Just précise que le Front national n'attend pas l'expression publique de Marine Le Pen mais de Jean-Marie Le Pen, et nous précise: « On attend qu'il dise noir ou blanc, si c'est vrai ou pas. Hier il s'est exprimé de manière particulièrement elliptique (sur France Inter, Ndlr) ».

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Contre la surveillance, la question démocratique

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La démocratie n’est qu’un mot creux si elle se réduit au choix, tous les cinq ans, de représentants. Et d’autant plus, en France, où ces derniers sont abaissés par un système présidentiel qui les soumet au bon vouloir d’un seul, aux majorités automatiques, aux obéissances contraintes. Pour affronter la complexité du monde et ses défis, une démocratie vivante suppose une délibération permanente favorisant des majorités d’idées, exige des contre-pouvoirs forts et respectés, appelle une relation avec la société qui ne se réduise pas aux propagandes communicantes et, au contraire, permette de donner droit aux expertises citoyennes, ces connaissances et doléances nées de l’expérience vécue.

S’il est un sillon qu’a toujours prétendu creuser la gauche, dans sa pluralité, depuis qu’en 1981, elle a découvert l’exercice durable du pouvoir, c’est bien celui-là. Elle pouvait être décevante sur les terrains sociaux, économiques, écologiques, européens, etc., du moins prétendait-elle étendre le champ des libertés individuelles et collectives. Loin de l’en faire dévier, les abus de pouvoir présidentiels sous François Mitterrand – des écoutes de l’Élysée à l’affaire Greenpeace – avaient même renforcé cette exigence dans sa famille politique. Avec l’actuel pouvoir socialiste, incarné par François Hollande et Manuel Valls, c’en est fini de cette ambition. Quatre mois à peine après un sursaut citoyen autour de la liberté de dire, d’agir et de penser, ils font chantage aux attentats, donc à la peur, pour restreindre cette liberté, la mettre sous surveillance généralisée et, ainsi, contraindre la société à rentrer dans le rang, à se soumettre et à obéir (lire ici mon précédent article sur cet attentat aux libertés).

Au pas de charge, Janvier 2015 s’est transformé en Septembre 2001 : l’occasion terroriste qui fait le larron sécuritaire. Le projet de loi relatif au renseignement marque une rupture sans précédent non seulement dans l’histoire politique de la gauche du demi-siècle écoulé mais aussi pour l’avenir de notre démocratie, quels qu’en soient les gouvernants demain : sans consulter ni écouter la société, sans l’entendre alors que la protestation de ses acteurs citoyens est générale, une loi bâclée et précipitée, votée dans l’urgence, risque d’offrir au pouvoir exécutif, via les services secrets et les techniques numériques, un champ d’arbitraire infini dans le contrôle des individus, de leurs communications, de leurs fréquentations, de leurs convictions, de leurs engagements, de leurs curiosités.

L’indifférence, voire le mépris, du pouvoir face aux protestations – par exemple, celles, collectives, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (lire ici) ou de l’Observatoire des libertés et du numérique (lire là) – témoignent bien plus que d’un entêtement aveugle et sourd. Ils confirment un profond recul de la conviction démocratique de nos gouvernants socialistes, leur crainte du pluralisme, leur goût du secret, leur inclination autoritaire, leur peur du débat. La loi sur le renseignement consacre une régression que laissaient déjà entrevoir des atteintes inédites aux libertés d’opinion (avec la loi antiterroriste votée fin 2014 et celle annoncée sur le racisme – lire ici et ), mais aussi de manifestation et de réunion (avec la banalisation depuis 2014 des interdictions préalables – lire ici et ).

Mais cette éclipse de l’idéal démocratique se retrouve aussi bien dans l’avènement d’un parlementarisme de caserne, avec le recours au 49.3 ou à la procédure accélérée pour faire taire les oppositions. Elle se prolonge dans la gestion interne du parti au pouvoir, le PS, dont le premier secrétaire, toujours non élu par les adhérents, refuse le débat avec les courants critiques pour le congrès de juin et appelle de ses vœux un fait majoritaire qui mette fin à toute dissidence, imposant un esprit de parti caporaliste. Elle se traduit également par cette accoutumance au secret sur les enjeux d’intérêt – et d’argent – public comme en témoigne l’opacité de la procédure d’élection des présidences de l’audiovisuel public par le CSA – dont le président est lui-même nommé par le seul chef de l’État.

En contrepoids, on serait bien en peine de trouver, à l’heure des potentialités participatives, documentaires et informatives de la révolution numérique, une quelconque avancée sur le terrain du droit de savoir depuis que François Hollande a été élu président de la République. Tandis que la France ne dispose toujours pas d’une loi fondamentale sur le droit d’accès des citoyens à toute information d’intérêt public, à l’instar des FOIA américain (lire ici) ou britannique (lire là), la diabolisation d’Internet, de son agora sans frontières, de ses réseaux sociaux et des citoyens qui s’y expriment, est devenue l’obsession de gouvernants qui se comportent en propriétaires de l’esprit public, redoutant ce « n’importe qui » de l’idéal démocratique qui, aujourd’hui, fait enfin valoir ses droits – sans privilège de condition, de fortune, de naissance, d’origine, de diplôme…

Pis, alors même qu’il entend mettre à la merci d’un État de surveillance nos secrets privés et intimes, l’actuel gouvernement n’a cessé de vouloir renforcer le secret qui protège l’ordre établi, aussi bien politique qu’économique, contre les curiosités légitimes des citoyens. C’est ainsi que l’extension du domaine du secret défense sous le pouvoir précédent à des lieux industriels et au renseignement intérieur n’a pas été remise en cause. Tout comme la promesse d’une loi protégeant vraiment le secret des sources des journalistes, à l’inverse de celle actuellement en vigueur, a été sans cesse repoussée dans l’agenda parlementaire, sur pression du gouvernement.

Sans compter l’empressement de ce dernier à imposer à la hussarde une sacralisation du secret des affaires qui, si elle advenait, empêcherait toute enquête audacieuse sur les dégâts du capitalisme et les abus de ses oligarques. Nul hasard évidemment si cette priorité figurait dans le dernier rapport de la Délégation parlementaire au… renseignement, animée par le député Jean-Jacques Urvoas, promoteur de l’actuelle loi liberticide (à lire ici). Lequel rapport, où Edward Snowden est décrit – ou plutôt calomnié – comme « un idiot utile au service des groupes terroristes », s’ouvre sur une citation du très peu démocrate Napoléon, faisant l’éloge des espions.

Napoléon, cet ennemi farouche de la liberté de la presse qui rêvait d’une France où il n’y ait plus « qu’un seul parti » et qui ne souffrait pas « que les journaux disent ni fassent rien contre nos intérêts ». Napoléon, symbole de ce césarisme dictatorial contre l’héritage duquel la gauche des libertés, des droits démocratiques et sociaux, n’a cessé de se dresser. Napoléon donc, devenu la référence des zélotes du pouvoir en place.

Le bonapartisme autoritaire n’aurait pas renié cette récente saillie du président du groupe socialiste au Sénat, un fidèle de François Hollande, s’en prenant à ceux qui « chipotent » sur les libertés face au terrorisme (lire ici). Le plus grave, c’est que le propos n’ait pas soulevé plus d’indignation. Car quand le souci démocratique devient à ce point secondaire pour les élus de la nation, c’est une pédagogie de l’exception qui s’installe, celle des États de siège et d’urgence, des pouvoirs spéciaux en somme. Celle qui, dans l’aveuglement, la résignation ou l’indifférence, peut conduire aux pires abus des démocraties devenues de très basse intensité – les États-Unis l’ont vécu après 2001, la France le sait depuis la guerre d’Algérie.

Tout comme la SFIO des années 1950, égarée au point d’en perdre l’honneur, c’est à la démocratie comme idéal sans cesse inachevé et comme exigence sans cesse renouvelée que ce pouvoir tourne le dos. On n’en finirait pas de convoquer tous les penseurs de la démocratie, y compris les plus modérés, qui illustrent l’héritage intellectuel ainsi bradé. C’est Alexis de Tocqueville redoutant le « despotisme doux » d’une démocratie où « les citoyens sortent un moment de la dépendance pour indiquer leur maître, et y rentrent » alors que « s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ». C’est Henri Bergson rappelant que la démocratie « s’est introduite comme protestation dans le monde » tandis que « la formule d’une société non démocratique serait “Autorité, hiérarchie, fixité” ».

C’est Pierre Mendès France évoquant « cette “tyrannie douce” dont parlait Tocqueville » à laquelle « conduisent insensiblement une information biaisée, une répression d’abord modérée, des tribunaux d’exception ou, en tout cas, rendus dociles, une législation ambiguë qui sera progressivement interprétée et déviée, des machinations et des provocations policières, des atteintes insidieuses aux libertés ». Pour Mendès France, cette tentation est indissociable, en France, de la « personnalisation du pouvoir » qui, en encourageant « la Nation à croire que tout sera résolu par un homme, sans qu’elle intervienne elle-même, choisisse et décide », livre la démocratie « à une couche de la population, à une élite, à une avant-garde ».

C’est, plus près de nous, le philosophe Claude Lefort pensant la démocratie comme lieu du conflit, de la contradiction et de la pluralité – et non pas du conformisme, de l’obéissance et de l’homogénéité. C’est le sociologue Edgar Morin renchérissant par un appel à une « démocratie participative » face à un système représentatif « en voie de dévitalisation », marqué de plus par un sévère « aplatissement de la pensée politique ». C’est l’historien Pierre Rosanvallon souhaitant l’avènement d’une « souveraineté complexe », aux instances pluralistes et diversifiées afin de permettre « l’accroissement de l’influence de la société dans le processus politique » tandis que, de fait, la seule élection de représentants, qui plus est soumis au pouvoir sans partage du premier d’entre eux, la marginalise et la dépossède (retrouver ici nos entretiens avec Pierre Rosanvallon et là sa critique du projet de loi sur le renseignement).

C’est enfin, tout récemment, le constitutionnaliste Dominique Rousseau appelant (ici, sur Mediapart) à une « démocratie continue » face à un système institutionnel, celui de la Cinquième République, devenu « dangereux » en ce qu’il installe les gouvernants dans une « situation d’autisme politique » où pouvoir de décision et responsabilité politique sont déconnectés. En somme, une « démocratie sans le peuple » où les changements de cap d’un président s’émancipant du mandat qui lui a été confié, au point de ne plus mener la politique de sa majorité électorale, ne sont soumis à aucune validation dans les urnes.

Tous ces maux ne datent pas d’aujourd’hui. Mais, allant à rebours de l’espérance des électeurs de 2012 face à l’hystérisation de la présidence Sarkozy, la présidence Hollande sous le gouvernement Valls, loin d’y remédier, les accentue, les systématise et les radicalise. Confrontée à ses échecs et à son impopularité, elle a choisi de faire fi des alarmes et litière des espoirs en optant pour la solution de facilité : la politique de la peur, celle qui se sert des menaces terroristes pour instaurer un État d’exception. Le mot n’est pas trop fort pour décrire un État où le pouvoir exécutif étend de façon démesurée ses prérogatives secrètes en se mettant à l’abri des procédures de la justice et des enquêtes de la presse.

Avec le même aveuglement idéologique que les néoconservateurs américains, ce pouvoir transforme la lutte antiterroriste en guerre sans fin, la traque policière en défi militaire, la répression ciblée en mobilisation générale. Renonçant à une appréhension complexe du monde, il opte pour ce simplisme guerrier qui ne distingue plus que des amis et des ennemis. Ce faisant, il se place lui-même en opposition conflictuelle avec sa propre société, sa diversité ethnique et sa pluralité culturelle, appréhendant ses classes populaires comme des classes dangereuses et sa jeunesse indocile comme un désordre menaçant.

À rebours de tous les combats de la gauche contre les idéologies réactionnaires qui sacrifient les idéaux de liberté à une illusion de sécurité, le projet de loi relatif au renseignement entend officialiser la « société punitive » qu’entrevoyait Michel Foucault dans son cours au Collège de France de 1972-1973 (voir ici). C’est une société, expliquait le philosophe, où « le système de contrôle permanent des individus » est « une épreuve permanente, sans point final », « une enquête, mais avant tout délit, en dehors de tout crime ». « C’est une enquête de suspicion générale et a priori de l’individu », insistait-il, « qui permet un contrôle et une pression de tous les instants, de suivre l’individu dans chacune de ses démarches, de voir s’il est régulier ou irrégulier, rangé ou dissipé, normal ou anormal ».

Cette surveillance généralisée est une arme de coercition éthique et politique. En privant l’individu de sa part secrète d’autonomie, elle l’invite à se conformer aux normes dominantes, à ne jamais se rebeller, à rester dans le rang, à se soumettre et à obéir. « Privé, c’est libre en secret », énonçait Thomas Hobbes dans son Léviathan (1651), définition dont la portée politique dépasse la seule dimension intime de la vie privée. Préserver notre for intérieur du pouvoir d’État est la condition première des émancipations futures. Si nous voulons non seulement rester libres mais surtout inventer les libertés nouvelles, il nous faut impérativement préserver de toute inquisition étatique cet espace où nous pouvons penser à part et à l’écart, contre et ailleurs, en dehors et en retrait.

Les documents de la NSA américaine révélés par Edward Snowden montrent que tel est bien l’enjeu démocratique de la surveillance de masse, et non pas l’efficacité antiterroriste qui lui sert de prétexte. Loin d’être ciblée, elle vise tous azimuts, jusqu’aux gouvernants alliés, aux entreprises étrangères, aux concurrents économiques, aux journalistes indociles, aux citoyens protestataires, aux idées dissidentes, etc. La menace devient indistincte et, par conséquent, la suspicion générale. Au lieu de mettre au service de la société les potentialités démocratiques de la révolution numérique, il s’agit de les confisquer au service du pouvoir exécutif, avec la complicité des grands opérateurs économiques. Désormais, qui tiendra le pouvoir disposera du savoir, s’appropriant cette connaissance panoptique tandis que le droit de savoir des citoyens sera entravé, ne cessant de se heurter à des secrets barricadés, de défense ou des affaires.

Tous ceux qui douteraient encore de la dangerosité de cet engrenage pour la société et ses libertés politiques doivent lire le témoignage de Glenn Greenwald sur l’affaire Snowden, Nulle part où se cacher (JCLattès, voir ici). S’appuyant sur les archives de la NSA, il répond de façon pédagogique à la question : « En quoi un État de surveillance est-il nocif ? » « Tout ici, explique-t-il, tend à mettre en lumière le marché implicite qui est offert aux citoyens : ne remettez rien en question et vous n’aurez rien à craindre. Occupez-vous de vos affaires, et soutenez, ou du moins tolérez ce que nous faisons, et tout ira bien. En d’autres termes, si vous souhaitez rester vierge de toute accusation, vous devez éviter de provoquer les autorités qui manient ces pouvoirs de surveillance. C’est un marché qui invite à la passivité, à l’obéissance et à la conformité. L’option la plus sûre, le moyen d’avoir la garantie qu’on vous “laisse tranquille”, c’est de garder le silence, de ne pas se montrer menaçant et de rester docile. »

S’agissant de la presse, dont la liberté est au service du droit de savoir des citoyens, le projet de loi sur le renseignement est une menace directe. Prises en tenaille entre la propagande des communicants et l’espionnage des services, les vérités qui « portent la plume dans la plaie », selon la célèbre formule d’Albert Londres, auront encore plus de mal à s’imposer dans l’espace public, voire à simplement émerger. Le champ de la surveillance, tel qu’il est défini par l’article 1er du projet de loi (retrouver ici sa version définitive), recouvre toutes les enquêtes sensibles menées par Mediapart, sans exception, qu’elles concernent la diplomatie étrangère, la vie économique ou la politique intérieure. Karachi, Kadhafi, Dassault, Tarnac, Sivens, Bettencourt, Cahuzac, ventes d’armes, industrie pharmaceutique, établissements bancaires, etc. : toutes les révélations qui font notre réputation pourraient être entravées par cette surveillance généralisée, sans compter qu’en France, les pistes qu’elles ouvrent n’épargnent pas le cœur du pouvoir d’État, la présidence de la République.

On nous opposera que les journalistes, tout comme les magistrats, avocats et parlementaires, sont explicitement exclus du champ de la surveillance. C’est faux, puisque le texte donne au premier ministre (nommé par le président) le droit d’autoriser toutes « les techniques de recueil du renseignement » envers un journaliste selon une appréciation dont il sera le seul juge, l’avis de la commission de contrôle n’étant que consultatif. Pour avoir été témoin (et victime) de l’affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée sous la présidence Mitterrand, je sais d’expérience combien les contrôles sont fragiles, sinon vains, quand le pouvoir exécutif fait lui-même les questions et les réponses. On maquille les demandes de surveillance, on invente des prétextes pour les documenter, on se barricade derrière le secret défense, on enfume les instances de contrôle, insuffisantes ou complaisantes, et si, d’aventure, le complot est éventé, on s’empresse d’inventer une légende calomniatrice pour justifier l’injustifiable.

L’histoire de France nous a habitués à ce que des pouvoirs de droite, conservateurs par réflexe, autoritaires par habitude, s’en prennent aux libertés. Mais ce n’était pas une fatalité sans retour puisque l’opposition de gauche devenait l’alternative en disant non à ce « coup d’État permanent ». Aussi quand c’est au tour d’une majorité élue par la gauche d’y céder avec le zèle des convertis et le soutien de la droite, le désastre est bien plus grand. Combattre la loi sur le renseignement, ce n’est pas seulement refuser la surveillance généralisée. C’est aussi sauver la République comme espérance et exigence démocratiques.

BOITE NOIREMediapart s’associe et participe à toutes les initiatives unitaires et citoyennes contre le projet de loi relatif au renseignement. Tous les syndicats de journalistes appellent les parlementaires à voter contre ce texte (lire ici la lettre que le principal d’entre eux, le SNJ, suggère d’adresser aux élus).

Lundi 4 mai, veille du vote à l’Assemblée nationale, cette mobilisation prendra plusieurs formes, dont en direct de Mediapart « Six heures contre la surveillance », de 16 h à 22 h, ainsi qu’un rassemblement place des Invalides à Paris, à 18 h 30. Toutes les précisions sont ici.

Sous l’onglet « Prolonger », j’ai ajouté deux vidéos de conférences, l’une à l’Université Populaire de Nantes, l’autre aux « Ernest » de l’ENS-Ulm à Paris, où je reviens plus en détail sur l’écosystème de la démocratie, aujourd’hui bien mis à mal dans cette démocratie de basse intensité qu’est, plus que jamais, notre pays, la France.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Réponse de Jérôme Lambert sur le projet de loi sur le renseignement

Patrick Buisson traîne l’UMP en justice

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Pestiféré, fâché avec la terre entière, Patrick Buisson n’a plus grand-chose à perdre. Pour gagner de l’argent, il est donc prêt à tout. D’après nos informations, l’ancien « hémisphère droit » de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé traîne aujourd’hui l’UMP devant la justice pour exiger le règlement de factures qu’il estime impayées. Une bataille d’avocats est ainsi programmée pour le mois de juin prochain devant la 4e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris (celle du droit des obligations).

Alors que Patrick Buisson a été remercié par Jean-François Copé à la fin 2012 (ou début 2013), après des années de « bons » et loyaux services, il semble considérer que son contrat avec l’UMP n’a pas été résilié en bonne et due forme. Jean-François Copé y aurait mis fin verbalement…

On comprend que Patrick Buisson s’y accroche. Passé avec l’UMP via sa société Publiopinion, ce marché lui rapportait à l’époque 31 993 euros par mois pour des commandes de sondages et pour de l’analyse d’opinion – soit quasiment 400 000 euros par an.

Après une phase d’inertie au lendemain de son éviction, Patrick Buisson a décidé de se rebeller. Au printemps 2014, il aurait ainsi adressé une première mise en demeure à Jean-François Copé, son ancien « poulain », afin de réclamer le paiement d’une liasse de factures au titre de l'année 2013. Quelques mois plus tard, il franchissait un pas supplémentaire en assignant le parti.

Celui-ci refuse depuis de payer ces mensualités – qu'il a tout de même provisionnées. Considérant ne rien devoir à Patrick Buisson, l'UMP argue du fait qu’aucune prestation correspondant à ces drôles de factures n’a jamais été livrée.

En choisissant aujourd’hui d’étaler ces affaires sur la place publique, Patrick Buisson donne l’impression de jouer une revanche contre l’actuel président de l’UMP, Nicolas Sarkozy. En mars 2014, en effet, les deux hommes s’étaient affrontés dans les prétoires par avocats interposés, après que la presse avait dévoilé des enregistrements réalisés par Patrick Buisson en toute clandestinité à l’Élysée, son petit dictaphone planqué dans la poche, au grand dam de Nicolas Sarkozy (Mediapart avait récupéré des extraits dans la foulée du Canard enchaîné et d’Atlantico, puis publié un article ici).

Trahis, l’ancien président et son épouse (qu’on entendait aussi sur les bandes) avaient illico déposé plainte pour atteinte à la vie privée et obtenu 10 000 euros d’indemnités chacun. Si Nicolas Sarkozy avait renoncé à réclamer son dû, Carla Bruni avait humilié Patrick Buisson en lui envoyant un huissier à TF1 (où l’ancien journaliste d’extrême droite continue de diriger la chaîne Histoire).

À vrai dire, à l’origine, c’est Nicolas Sarkozy lui-même qui avait « infiltré » Patrick Buisson à l’UMP, au début de l’année 2010 (comme le racontent nos consœurs Ariane Chemin et Vanessa Schneider dans leur biographie de ce dernier, Le Mauvais Génie). À l’époque, le conseiller « sondages »  de l’Élysée venait de se faire épingler par la cour des comptes, qui jugeait son contrat à la présidence « exorbitant » – une information judiciaire sur des soupçons de « favoritisme » et de « détournements de fonds publics » est toujours en cours (voir notre dossier sur cette « affaire des sondages »).

Contraint de réduire la voilure à l’Élysée, Nicolas Sarkozy s’était donc arrangé pour que le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, compense le « manque à gagner » de Patrick Buisson via un contrat de 10 000 euros par mois. À peine Jean-François Copé arrivé à la tête du parti, fin 2010, un avenant au marché avait ensuite fait tripler ce montant. D’après Ariane Chemin et Vanessa Schneider, Patrick Buisson se gaussait ainsi auprès de certains amis : « C’est rigolo, non, de piquer de l’argent à un juif ? »

BOITE NOIRESollicité par Mediapart, Patrick Buisson n'a pas souhaité faire de commentaire.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Réponse de Jérôme Lambert sur le projet de loi sur le renseignement

L’imposture universitaire de Jean-Christophe Cambadélis

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À la suite de la publication sur Mediapart le 17 septembre 2014 des bonnes feuilles de mon livre À tous ceux qui ne se résignent pas à la débâcle qui vient (Don Quichotte Éditions), établissant que Jean-Christophe Cambadélis avait soutenu un doctorat de 3e cycle de sociologie sans disposer des diplômes préalables (lire Les diplômes usurpés de Jean-Christophe Cambadélis), le premier secrétaire du Parti socialiste avait cherché à réfuter mes informations. Dès cette époque, j’avais fait valoir que ses dénégations étaient confuses et n’infirmaient en rien l’essentiel de mon enquête (lire Doctorat usurpé : Cambadélis s’enferre dans ses mensonges).

Et j’avais raison ! Poursuivant mes recherches, j’ai découvert de nouveaux documents qui permettent d’y voir plus clair. Ils font apparaître qu’en 1981-1982, Jean-Christophe Cambadélis s’est inscrit dans d’obscures conditions à l’Université du Maine pour passer un DESS de « gestion des coopératives et des mutualités », en même temps que Jean-Michel Grosz et Olivier Spithakis, qui seront, avec lui, en 2006, les condamnés vedettes du procès de la Mnef. Et cet épisode secret, dont le dirigeant socialiste n’a jamais parlé et qu’il a expurgé de son curriculum vitae officiel, est lourd de sens : il vient confirmer que le premier secrétaire du Parti socialiste s’applique de très longue date à cacher la vérité sur son parcours universitaire.

Avant d’examiner les nouveaux documents sur lesquels j’ai mis la main, il est utile d’avoir à l’esprit les premières révélations de mon enquête, ainsi que les démentis de Jean-Christophe Cambadélis.

Dans mon livre, j’ai donc révélé que dans sa jeunesse, du temps où il était un militant trotskiste de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) – comme je l’étais moi-même –, Jean-Christophe Cambadélis avait fait fabriquer à son nom un faux « Diplôme universitaire » (DU) à en-tête de l’Université du Mans, dont il s’était ensuite servi pour pouvoir s’inscrire à l’Université de Paris VII, et soutenir ultérieurement, en juin 1985, un doctorat de 3e cycle en sociologie.

J’avais aussi révélé que si Jean-Christophe Cambadélis avait ensuite régulièrement soutenu sa thèse de 3e cycle, il n’en était pas moins irréfutable qu’il s’agissait d’un doctorat de complaisance puisqu’il lui avait été attribué par un jury dont deux membres au moins sur trois étaient des proches : le sociologue Pierre Fougeyrollas (1922-2008), qui était membre comme lui de la direction de l’OCI et qui avait accepté d’être son directeur de thèse ; et le sociologue Gérard Namer (1928-2010), qui était socialiste et avec lequel il avait beaucoup bataillé les mois précédents pour implanter Force ouvrière à l’Université. Un étonnant jury donc qui entretenait des liens multiples avec l’étudiant auquel il s’apprêtait à délivrer un doctorat. De cette thèse très médiocre, écrite en quelques mois, grâce à une compilation de textes de l'époque de l'OCI et de Force ouvrière, j'avais révélé l'introduction : cette introduction est ici.

Quand Mediapart a publié les bonnes feuilles de mon livre, et notamment les extraits révélant que Jean-Christophe Cambadélis n’avait pas obtenu régulièrement les diplômes requis pour soutenir un doctorat de 3e cycle, l’intéressé a vivement contesté mes informations, mais en publiant des démentis nébuleux et donnant des versions de l’histoire changeant parfois d’un jour à l’autre.

Le premier démenti a été publié par Jean-Christophe Cambadélis le 17 septembre 2014 (on peut encore le consulter ici sur son blog personnel). On y apprenait que Jean-Christophe Cambadélis avait d’abord bénéficié d’une dispense de licence : « Il y a près de quarante ans, étudiant en licence, j’ai obtenu une dérogation de l’Université Paris VII-Jussieu – signée par le Président de l’Université de l’époque Jean-Jacques Fol – pour m’inscrire en maîtrise, c’était légal et usuel, dans le cadre d’une inscription sur compétences acquises. J’ai obtenu ma maîtrise puis j’ai passé mon doctorat de 3e cycle. »

Et ce même 17 septembre 2014, quelques heures plus tard, Jean-Christophe Cambadélis s’expliquait sur son communiqué, en apportant ces précisions à la faveur d’un entretien avec le journaliste du Point Emmanuel Berretta – entretien que l’on peut consulter ici.

Il faut relire avec attention ce que Jean-Christophe Cambadélis confiait au journaliste, car les propos qu’il tenait étaient stupéfiants. Cela commençait par de la moquerie : « Il manque une pièce à Laurent Mauduit qui a été induit en erreur. Je n'ai pas produit de faux diplôme de l'université du Mans, jurait-il. J'ai bénéficié d'une dérogation pour "compétences acquises" signée par le président de l'université de Jussieu, Jean-Jacques Fol, afin de passer de la licence à la maîtrise alors que je n'avais pas validé toutes mes matières. Ce document, manifestement, Laurent Mauduit ne le possède pas. »

Et puis cela se poursuivait par ces propos qui laisseront sans voix tous les étudiants qui travaillent dur pour obtenir leurs diplômes, sans espérer de passe-droits ou de faveurs : « Normalement, j'aurais dû redoubler. Ça me faisait suer. J'ai donc demandé cette dérogation et je l'ai obtenue. C'est une pratique tout à fait légale et courante. Puis, ensuite, ma scolarité a repris son cours : j'ai eu ma maîtrise, etc., jusqu'à mon doctorat. »

« Ça me faisait suer »… Ainsi donc, Jean-Christophe Cambadélis a d’abord franchi l’étape de la licence, sans avoir à passer ses examens. C’est du moins la première version qu’il a donnée. Il faut toutefois relever qu’il n’a jamais produit la dispense de licence qu’il a d’abord évoquée à deux reprises, dans ce communiqué puis dans cet entretien.

Mais le lendemain, jeudi 18 septembre 2014, Jean-Christophe Cambadélis a changé de version. Affichant sur son blog sa volonté de faire « la transparence » sur son DEA et son doctorat, il a rendu publics plusieurs documents universitaires (que l’on peut retrouver ici). Et à cette occasion, on a découvert que Jean-Christophe Cambadélis n’avait pas passé régulièrement sa maîtrise, contrairement à ce qu’il avait dit la veille, mais qu’il avait également obtenu une dispense. Et cette fois, la dispense de maîtrise en question, en date du 3 mai 1983 – il faut retenir la date car on verra que le détail a son importance –, a été présentée par l’intéressé : on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous :


 

Au total, Jean-Christophe Cambadélis a donc donné des explications passablement embrouillées sur son cursus, puisque, devenant étudiant à l’automne 1970 à l’Université de Paris X Nanterre, il n’a évoqué aucun titre universitaire obtenu dans les dix années suivantes. Puis, si l’on se fie à ses propres déclarations, on comprend qu’il a obtenu à Paris VII Jussieu une dispense de licence, sans doute pendant l’année universitaire 1981-1982 ; puis une dispense de maîtrise le 3 mai 1983 ; ce qui lui permettra d’obtenir un DEA au printemps 1984, puis un doctorat en juin 1985, décerné par un jury qui lui était acquis.

À l’automne dernier, Jean-Christophe Cambadélis, loin d’apporter la preuve de la régularité de son parcours universitaire, a donc laissé beaucoup de questions dans l’ombre. En somme, on a pu penser qu’il avait obtenu un doctorat de complaisance, sinon un doctorat usurpé.

Pour ma part, je n’ai pourtant pas voulu en rester là. Ces zones d’ombre qui sont apparues dans les déclarations de Jean-Christophe Cambadélis, j’ai voulu les cerner. En clair, j’ai jugé utile de poursuivre mon enquête. Je m’y suis donc employé de deux manières : d’abord, en essayant d’obtenir par toutes les voies appropriées prévues par la loi les documents universitaires susceptibles d’éclairer le cursus de Jean-Christophe Cambadélis ; ensuite, en poursuivant mon enquête journalistique.

Dans le premier cas, je n’ai pour l’instant obtenu aucun résultat notable. Comme la loi l’autorise, j’ai adressé le 23 octobre 2014 à la présidente de l’Université de Paris VII « une demande de communication par dérogation de documents d’archives publiques non librement communicables ». En clair, j’ai demandé à pouvoir consulter le dossier universitaire de Jean-Christophe Cambadélis pour les années 1982-1985. Habituellement, ces documents ne sont pas accessibles. Seuls le sont ceux qui ont trait aux délibérations collectives, celles des jurys, des conseils d’université ou conseils scientifiques. Mais les documents qui concernent le dossier personnel d’un étudiant ne le sont pas. Le seul moyen d’y accéder est de faire une demande de dérogation. C’est donc cette voie que j’ai d’abord utilisée. Expliquant que je voulais vérifier la réalité du parcours universitaire d’un dirigeant politique, astreint à une obligation d’exemplarité publique, j’ai fait valoir que je ne cherchais pas à avoir connaissance d’un élément touchant à la vie privée de l’étudiant Jean-Christophe Cambadélis mais d’un fait d’intérêt public ayant trait à l’honnêteté d’un dirigeant politique.

(Cliquer sur la lettre pour l'agrandir)

Presque cinq mois plus tard, le 12 mars 2015, j’ai reçu une réponse des Archives (que l’on peut consulter ci-contre) m’informant que ma demande était rejetée, l’Université de Paris-Diderot ayant « émis un avis défavorable ». Toujours comme la loi l’autorise, j’ai donc saisi le 24 mars la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), pour que ma demande de dérogation soit acceptée. J’ai appris, par la suite, que ma demande serait examinée par la CADA lors de sa séance du 7 mai prochain. 

Si par la voie officielle, je n’ai donc pour l’instant abouti à rien, mon enquête, en revanche, a été fructueuse. C’est Jean-Christophe Cambadélis, lui-même, qui m’a mis sans le vouloir la puce à l’oreille. Car, bousculé par mon enquête, il a lâché, dans le feu des premières polémiques, une petite phrase à laquelle personne n’a pris garde mais qui, moi, m’a intrigué. Contestant avoir fait fabriquer un faux « diplôme universitaire » (DU) à en-tête du Mans, il a néanmoins admis, lors du même entretien au Point, que l’Université du Maine ne lui était pas totalement inconnue : « Quant à l'université du Mans, Cambadélis affirme s'y être en effet inscrit en DESS d'économie sociale, mais, compte tenu de ses activités militantes au sein de l'Unef, il ne s'est pas présenté à l'examen. Par conséquent, il n'a, affirme-t-il, aucun diplôme de l'université du Mans », expliquait l’hebdomadaire, retraçant l’entretien qu’il avait eu avec le premier secrétaire du PS.

Ainsi donc, Jean-Christophe Cambadélis a fini par valider un chaînon de mon récit, en admettant s’être inscrit en DESS au Mans. Mais pourquoi s’inscrire au Mans, alors que ses activités de l’époque, à la présidence de l’Unef depuis 1980, le forçaient à vivre à Paris ? Et surtout, comment a-t-il pu s’inscrire en DESS, qui est un diplôme de niveau équivalent à celui du DEA et qui exige donc, pour y accéder, d’avoir une maîtrise ou un diplôme du même niveau ?

Cette question, je l’ai posée à l’Université du Maine, mais je me suis heurté au même refus : on m’a fait valoir que l’on pouvait me transmettre des listes d’étudiants reçus à un examen mais qu’il n’était pas possible de me transmettre des données personnelles concernant un étudiant en particulier.

Mes recherches ont tout de même été couronnées de succès. Car j’ai fini par apprendre, au lendemain de la publication de mon livre et du débat qu'il avait suscité, qu'un document circulait parmi les enseignants-chercheurs de l'Unité de formation et de recherche (UFR) de droit et de sciences économiques de l'Université du Maine, document qui attestait que Jean-Christophe Cambadélis cachait la réalité de son parcours universitaire. Ce document qui atteste de la curieuse inscription de Jean-Christophe Cambadélis en DESS à l'Université du Maine, l'un de ces enseignants-chercheurs a bien voulu me le remettre.  C’est ce document que l’on peut télécharger ici ou consulter ci-dessous :

D’après les informations que j’ai pu recueillir, ce document date du mois d’octobre 1982. Il confirme que l’étudiant Jean-Christophe Cambadélis a bel et bien été inscrit en DESS à l’Université du Maine pour l’année 1981-1982. Frappé d’un tampon « ABANDON », le document vient également confirmer que Jean-Christophe Cambadélis n’a pas été au terme de ce cursus et qu’il n’a donc pas obtenu ce DESS.

Mais comment Jean-Christophe Cambadélis a-t-il bien pu s’inscrire en DESS au Mans en 1981-1982 ? Ce document est, en vérité, très embarrassant pour Jean-Christophe Cambadélis. D’abord, il vient effectivement confirmer qu’il cache depuis le début la vérité sur son parcours universitaire. Car jusqu’à présent, le premier secrétaire du PS avait suggéré que pour cette même année 1981-1982, il s’était inscrit en licence à l’Université de Paris VII Jussieu et que, craignant de redoubler, il avait demandé une dispense, ce qui lui avait été accordé. Jean-Christophe Cambadélis se serait-il donc inscrit dans deux universités différentes pour cette même année 1981-1982 ? Étrange ! Et dans un cas, s’y serait-il inscrit pour y passer une licence et dans l’autre pour passer… un DESS ? Doublement étrange…

Car pour pouvoir prétendre obtenir un DESS, il fallait avoir au préalable obtenu précisément une licence, puis une maîtrise. Alors, comment Jean-Christophe Cambadélis s’y est-il pris pour s’inscrire au Mans en 1981-1982, puisqu’il n’a obtenu sa dispense de maîtrise que… le 3 mai 1983 ? Il n’y a, en vérité, que deux hypothèses. Jean-Christophe Cambadélis aurait-il aussi obtenu au Mans en 1981 une dispense de maîtrise – une troisième ? Mais dans ce cas, on ne comprend plus très bien pourquoi cette même dispense de maîtrise, il l’aurait de nouveau demandée deux ans plus tard à Paris VII Jussieu. Aurait-il, là aussi, obtenu une autorisation du président du Mans pour une inscription exceptionnelle en DESS ? Ou alors, l’étudiant se serait-il inscrit en DESS au Mans de manière irrégulière, sans disposer des diplômes antérieurs requis ? Le faux « diplôme universitaire » (DU) dont m’ont parlé plusieurs témoins, aurait-il été fait pour cela ?

Ces questions, je les ai posées à Jean-Christophe Cambadélis. On trouvera sous l'onglet « Prolonger » associé à cette enquête les points précis sur lesquels j'ai interrogé, par courriel, le premier secrétaire du PS. Mais à l'heure où cet article est mis en ligne, je n'avais reçu aucune réponse.

Étonné par cette inscription en DESS au Mans, qui semble incohérente pour un président de l’Unef dont l’essentiel des activités se déroulait à Paris, j’ai par ailleurs cherché à en savoir plus sur ce cursus. Et ce que j’ai découvert n’est pas moins intrigant. Dans une formule elliptique, Jean-Christophe Cambadélis a expliqué dans le même entretien au Point qu’il s’agissait d’un « DESS d'économie sociale ».

En fait, l’intitulé du DESS, que j’ai retrouvé, est plus précis que cela. Il s’agissait du « DESS Gestion des coopératives et des mutualités ». C’est un universitaire du Mans, le professeur Albert Pasquier (1915-2005), qui l’a créé, en l’adossant à un organisme qu’il avait créé en 1978, le Collège des études coopératives, associatives et mutualistes (CECAM) qui, pour conduire ses recherches, recevait des subventions de diverses associations, coopératives et mutuelles. L’un des organismes donateurs aurait-il donc pu être la Mnef, la célèbre mutuelle étudiante qui va connaître une lente dérive tout au long des années 1980, avant de connaître dans le courant 1990 une faillite retentissante, qui va éclabousser de très nombreux dirigeants étudiants ? Je n’ai retrouvé personne qui ait des souvenirs assez précis de l’époque pour m’éclairer sur ce point de manière indiscutable.

Découvrant l’existence de ce DESS, j’ai demandé à l’Université du Maine si je pouvais accéder à la liste des étudiants qui avaient obtenu ce diplôme l’année où Jean-Christophe Cambadélis s’y était inscrit. Et comme dans ce cas, une dérogation n’est pas nécessaire car il s’agit de documents publics, j’ai pu obtenir la liste des étudiants qui ont obtenu un DESS « Gestion des coopératives et des mutuelles » au terme de cette même année universitaire 1981-1982. Une liste stupéfiante ! La voici :

                                            (Cliquer sur les documents pour les agrandir)

Ce document nous fait découvrir un épisode encore inconnu de la vie tumultueuse de la Mnef. Car on apprend que les principaux dirigeants de la Mnef de l’époque ont eu l’étrange idée de s’inscrire ensemble dans ce même DESS. Tous les dirigeants de la Mnef ou plus précisément, une bonne partie de ce qui va devenir le clan Cambadélis-Le Guen.

Aux côtés de Jean-Christophe Cambadélis, on découvre ainsi dans la liste des étudiants qui ont suivi ce DESS un premier nom, celui de Jean-Michel Grosz. Officiellement socialiste, mais agissant secrètement comme « sous-marin » pour le compte de l’OCI, Jean-Michel Grosz avait été, en 1975, l’un des fondateurs d’une minuscule structure, le « Comité pour un syndicat des étudiants » (COSEF), en association avec d’autres jeunes mitterrandistes, dont Jean-Loup Salzmann (actuel président de l’université de Paris-XIII et président de la Conférence des présidents d’université – et fils d’un ami personnel et conseiller de François Mitterrand à l’Élysée), Jean-Marie Le Guen (actuel secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement), ou encore Patrick Mennucci (actuel chef de file des socialistes marseillais). Le Cosef ralliera bientôt l’Unef, en 1980, lors d’un congrès dit de réunification.

Jean-Michel Grosz est donc l’un des pions importants dans l’association que forment dès cette époque Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Marie Le Guen – association qui a pour vitrine publique l’Unef mais comme véritable quartier général la très riche Mutuelle nationale des étudiants de France. Jean-Michel Grosz est un pion à ce point important du dispositif des deux amis qu’il devient dès février 1979 président de la Mnef.

Dans la liste des heureux récipiendaires de ce DESS, on relève un deuxième nom inattendu, celui d’Olivier Spithakis. Très proche de Jean-Christophe Cambadélis dès la fin des années 1970, il fait son entrée au Bureau national de la Mnef en février 1979 comme administrateur délégué, puis en devient le trésorier en 1982, avant d’en devenir quelque temps plus tard le véritable patron exécutif, avec le titre de secrétaire général.

Et puis, dans cette même liste, on relève le nom d’Emmanuel de Poncins, qui lui aussi, en ce début des années 1980, est l’une des figures de proue de la Mnef, avec le titre de secrétaire général en 1982, puis de trésorier en 1983. Enfin, il faut encore relever le nom d'Alain Secreto, un proche d'Olivier Spithakis, qui deviendra ultérieurement commissaire aux comptes de certaines structures de la Mnef et dont le rôle avait été évoqué en 1999 par ma consœur Armelle Thoraval, à l'époque à Libération, dans l'une de ses enquêtes que l'on peut retrouver ici.

En somme, autour de Jean-Christophe Cambadélis, on trouve dans ce listing une bonne partie de l’état-major de la Mnef, celui-là même qui va une décennie plus tard conduire la mutuelle étudiante vers des diversifications sulfureuses et pour finir vers une faillite scandaleuse. C’est l’aspect le plus surprenant de ce listing : on y retrouve presque tous les futurs condamnés les plus connus du procès de la Mnef, qui ponctuera cette folle équipée.

Que l’on se souvienne ! Le vendredi 2 juin 2006, c’est toute la « génération MNEF », ou presque, qui est condamnée par la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, dans l’un des volets de l’affaire qui porte sur les emplois fictifs. Les deux principaux dirigeants de la Mnef, Olivier Spithakis et Jean-Michel Grosz, écopent ainsi de deux ans de prison avec sursis, et respectivement de 50 000 et 150 000 euros d’amende. Pour la majorité des autres prévenus, des peines inférieures à six mois d’emprisonnement avec sursis sont prononcées, couvertes par la loi d’amnistie du 3 août 1995, votée au lendemain de l’élection présidentielle.

Jean-Christophe Cambadélis figure dans ce dernier lot. Dans ses attendus, le jugement rappelle qu’il a été salarié de la Mutuelle interprofessionnelle de France (MIF), une filiale de la MNEF, « en qualité de sociologue du 1er avril 1989 au 9 avril 1993, pour une rémunération mensuelle brute d’environ 13 753 francs ».

Mais le jugement relève tout aussitôt « qu’aucun contrat de travail n’a été signé entre Jean-Christophe Cambadélis et la MIF ; [...] que l’activité de Jean-Christophe Cambadélis pour la MIF, telle qu’elle résulte des éléments matériels du dossier et de ses propres déclarations, apparaît avoir été très épisodique et ne permet pas de justifier, même a minima, un salaire attribué sur la base d’un emploi à plein-temps sur une période de quatre ans, la période de 1989-1990 n’ayant pas été visée par la prévention au motif que les salaires de cette période auraient été inconnus, ce qui est contredit par la fiche de paie d’avril 1989 [...] ; qu’il y a lieu d’entrer en voie de condamnation contre Olivier Spithakis et Jean-Christophe Cambadélis pour les faits qui leur sont reprochés d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance concernant les salaires perçus par ce dernier de janvier 1991 au 9 avril 1993, et, compte tenu des éléments ci-dessus, de condamner Jean-Christophe Cambadélis à la peine de six mois d’emprisonnement assortie du sursis et 20 000 euros d’amendes [...] pour les faits qualifiés de : recel d’objet obtenu à l’aide d’un abus de confiance ».

À l’époque, c’est pour Jean-Christophe Cambadélis la deuxième sanction pénale qui le frappe, puisque le 28 janvier 2000, il avait déjà été condamné à cinq mois d’emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d’amende par le tribunal correctionnel de Paris pour « recel d’abus de biens sociaux, en percevant des rémunérations sans contrepartie de travail ». Cette condamnation sanctionnait Jean-Christophe Cambadélis pour un emploi fictif obtenu auprès d’un dénommé Yves Laisné, un ancien du Front national – un emploi fictif qu’il n’avait pas hésité à solliciter au moment même où il lançait le… « Manifeste contre le Front national » !

Jusque-là inconnue, cette inscription de Jean-Christophe Cambadélis dans ce DESS au Mans a donc pour effet de nous replonger dans l’histoire sombre de cette « génération Mnef » que Lionel Jospin avait gardée à distance mais que François Hollande a placée aux avant-postes.

Et puis, elle constitue sans doute l’explication des cachotteries du premier secrétaire du PS sur son cursus universitaire chaotique : la clef de l’énigme, en quelque sorte. Car si d’aventure cette inscription en DESS au Mans avait été irrégulière, Jean-Christophe Cambadélis aurait pu craindre à l’époque que cela ne soit un jour découvert. Ce qui aurait pu l’inciter à renoncer à passer ce DESS pour jouer une autre solution proposée par Pierre Fougeyrollas : le parrainer à Paris VII pour obtenir une dispense de licence puis une dispense de maîtrise, avant de passer un DEA et obtenir du doctorat décerné par un jury ami.

En tout cas, cette nouvelle pièce du puzzle permet de mieux comprendre la réalité du parcours universitaire du docteur Jean-Christophe Cambadélis : il a tout de l’imposture !

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Un nouveau fichier de police pour les beaux yeux du PSG

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Que risque le ministère de l’intérieur à créer un fichier sans autorisation, en violant la loi informatique et libertés de 1978 ? Rien. Au pire, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), alertée par des citoyens, s’en aperçoit et lui demande de le régulariser. C’est exactement ce qui vient de se passer pour le fichier « stade » qui semble avoir été créé sur mesure par la préfecture de police de Paris pour le Paris Saint-Germain (PSG). Suite à un contrôle de la Cnil, est en effet paru le 15 avril 2015 un arrêté « portant autorisation d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “fichier Stade” ». Un recours a été déposé ce 29 avril par la Ligue des droits de l'homme (LDH) devant le Conseil d'État. « Confondant ainsi suspect de terrorisme et supporters sportifs, le ministère de l’intérieur peaufine son fichage généralisé de la population dans une sorte de boulimie dont les libertés individuelles sont les premières victimes », dénonce l'association dans un communiqué.

Depuis quand ce fichier existait-il ? La préfecture de police de Paris ne nous pas répondu. « La date exacte nous est par définition inconnue mais "la mise en œuvre du traitement STADE" (en réalité, un traitement de données poursuivant les mêmes finalités) a été constatée en contrôle en janvier 2013 à la Préfecture de Police, explique de son côté la Cnil. Ce contrôle faisait suite à des plaintes reçues à partir d’août 2012. Il a généré le dépôt d’un dossier de demande de fichier. » Des dizaines de supporters du club parisien, pourtant non interdits de stade, se voyaient en effet régulièrement refoulés lors de matches du PSG.

Ce fichier vise à « prévenir les troubles à l’ordre public » et « les atteintes à la sécurité des personnes et des biens » à l’occasion de toutes les manifestations sportives de Paris et de la petite couronne ainsi que de tous les matchs du PSG, au Parc des Princes ou à l’extérieur. Il servira également à « faciliter la constatation de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ».

La cible est très large et le nombre d’informations collectées impressionnant. Peut être enregistrée toute personne « se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel », y compris des mineurs à partir de 13 ans. C'est flou. Interrogé par la Cnil, le ministère de l’intérieur a répondu qu’il s’appuierait sur « le comportement d'ensemble à l'occasion des rencontres sportives, la tenue vestimentaire, les accessoires portés ou la détention de billets d'accès aux tribunes réservées aux supporters ». « On ne parle pas de hooligans mais de supporters, pointe Me Cyril Dubois, l’un des avocats des supporters historiques du PSG. En Coupe d’Europe, plusieurs millions de Français deviennent supporters du PSG… » 

Au moindre soupçon, la préfecture de police pourra lister pour cinq ans les activités publiques, déplacements, « blogs et réseaux sociaux » d'un simple supporter, ainsi que les « personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l'intéressé ». Elle pourra également alimenter cette base en piochant dans les données d’autres fichiers (antécédents judiciaires, prévention des atteintes à la sécurité publique, personnes recherchées et fichiers gérés des services de police étrangers). « Par ce biais peut être collecté un nombre important et détaillé d’informations sur ceux-ci et notamment leur activité syndicale, convictions religieuses, engagements politiques…», s'inquiète l'avocat.

Seuls les policiers de la cellule "Stade" de la préfecture de police de Paris auront plein accès à ce fichier. Mais, outre les préfets et les services de police étrangers, les clubs et fédérations sportives pourront être destinataires de « tout ou partie des données ». Lesquelles ? « Il faut comprendre : à l'exclusion des identités des personnes ne faisant pas l'objet d'interdiction de stade », a assuré dans L’Équipe le commissaire Antoine Boutonnet, patron de la division nationale anti-hooliganisme (DNLH).

Une réponse qui ne convainc pas du tout les avocats de supporters du PSG. Car le PSG a déjà, depuis 2006 et comme tous les clubs sportifs, communication des interdits de stade recensés dans le Fichier national des interdits de stade (Fnis). Quelle est dont l’utilité d’un nouveau fichier ? « Le but inavoué est de ficher les supporters contestataires, ceux que la direction du PSG a identifiés comme indésirables mais qui ne sont pas interdits de stade », avance Me Cyril Dubois. Qui ne doute pas que « vu la porosité entre le PSG et la préfecture de police de Paris, il y aura communication de photos, d’amis, etc. ».

Dans son avis du 4 décembre 2014 sur le fichier Stade, la Cnil pointait « la difficulté de définir de manière objective un supporter et, par conséquent, le risque d'enregistrer dans le traitement un nombre important de personnes, sans justification ». Elle relevait aussi que ce fichier, qui recense des « signes physiques particuliers et objectifs » considérés comme des données sensibles, doit, selon la loi informatique et liberté de 1978, faire l’objet d’un décret en Conseil d’État et non d’un simple arrêté. Ces données peuvent en effet faire apparaître les origines raciales ou ethniques des personnes fichées.

Deux associations, l'Association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters (Adajis) et la Ligue des droits de l’homme (LDH), contestent devant le Conseil d'État la légalité du fichier. Mandaté par la LDH, Me Cyril Dubois vient de déposer ce 29 avril un recours contre l’arrêté de création du fichier pour « atteinte grave et immédiate au droit au respect de la vie privée des individus ». « C’est un fichier qui mélange des mineurs et des majeurs, avec des motifs beaucoup trop larges, mêlant police judiciaire et police administrative », estime Pierre Tartakowsky, président de la LDH. Il s’inquiète aussi de l’accès des employés du PSG (et des stadiers employés en sous-traitance) à ces données sensibles. Sans aucun garde fou. « C’est un abandon de pouvoirs régaliens à des personnes de droit privé dont l’objectif n’est pas de garantir la sécurité des personnes, s’alarme le militant. On peut supposer qu’ils sont a priori honnêtes, mais, contrairement aux fonctionnaires de police, ils ne sont pas assujettis à aucun devoir de réserve ou de confidentialité ! »

Depuis 2010, le Paris Saint-Germain, racheté un an plus tard par un fonds souverain qatari, a réussi à écarter du Parc des Princes ses supporteurs contestataires, aidé, au nom de la lutte contre le hooliganisme, par un arsenal législatif de plus en plus répressif et par des autorités policières très proches du club. En 2013, comme l'avait révélé Mediapartle patron de la DNLH, le commissaire Antoine Boutonnet, avait ainsi participé à la fête du titre de champion du PSG avec Jean-Philippe D’Hallivillée, le responsable sécurité du PSG, dans un bar de nuit parisien, puis dans un hôtel particulier du XVIe.

S’agit-il encore de lutter contre des actes violents ou d’appuyer la politique commerciale d’un club ? Quelle était la nécessité d’un nouveau fichier du point de vue de l’ordre public alors que la police dispose déjà d'un fichier de « Prévention des atteintes à la sécurité publique » (Pasp) dont les finalités sont très proches ? D’autant que suite au plan Leproux de 2010, la situation s’est pacifiée au Parc des Princes. « Alors qu’à mon arrivée en 2012, le maintien de l’ordre autour du Parc des Princes nécessitait dix ou douze unités, on en est aujourd’hui à trois unités et, de mon point de vue, on pourrait même descendre à deux unités, les matches étant de plus en plus tranquilles », a reconnu le 5 février 2015 Bernard Boucault, le préfet de police de Paris, lors de son audition par la commission parlementaire d’enquête sur le maintien de l’ordre.

Ce fichier ressemble donc fort à un beau cadeau de la préfecture de police au PSG, alors que le club tente lui-même, en vain, de régulariser depuis trois ans sa propre liste noire de supporters indésirables. En novembre 2012, alerté par des supporters, la Cnil avait découvert dans les locaux du PSG l’existence d’une liste noire de quelque 2 000 supporters « suspendus », alors qu’ils ne faisaient l’objet d’aucune interdiction judiciaire ou administrative de stade. Certains de ces noms avaient été communiqués au club par la préfecture de police de Paris sur la base de « vérifications ou de contrôles d’identité opérés par les forces de l’ordre à l’occasion des précédentes rencontres du club à domicile ou à l’extérieur ».

© Reuters

Le club avait tenté de régulariser ce traitement de données personnelles, mais s’était heurté au refus de la Cnil en janvier 2014 au motif que de telles « attributions régaliennes » relevaient « de la compétence exclusive des pouvoirs publics et des juridictions ». Ce qui n'a manifestement pas empêché le PSG, selon plusieurs témoignages, de continuer à « blacklister » certains supporters, résiliant arbitrairement leur abonnement ou ne validant pas leurs achats de place sur Internet. Comme l’a révélé L’Équipe, l'autorité administrative indépendante a d’ailleurs mené fin 2014 deux nouvelles descentes dans les locaux du PSG. Des sanctions ou une action en justice sont-elles envisagées ? « C’est en cours d’instruction », se contente-t-elle d’indiquer. L’amende maximale s’élève à 150 000 euros, comme pour le géant américain Google puni le 8 janvier 2014.  

Sous couvert de réponse au risque terroriste, le projet de loi sur le renseignement, en cours d’adoption au Parlement, se préoccupe lui aussi de la mise sous surveillance des supporters les plus violents. Parmi les nouveaux motifs justifiant le recours à des techniques de surveillance intrusives (écoutes administratives, sonorisations, balises GPS, Imsi catchers, etc.), la prévention « des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale » vise directement les groupes identitaires et les hooligans. « Je pense à des groupes de hooligans extrêmement violents », a justifié Bernard Cazeneuve lors de l'examen en séance publique. Selon le dernier rapport de la délégation parlementaire au renseignement, le renseignement territorial (ex-RG) dispose déjà d’un quota de 108 interceptions de sécurité pour lutter « contre l’économie souterraine et contre le hooliganisme ».

Le problème est là encore que la frontière entre hooligans et supporteurs est très floue. «Le hooliganisme dans l’esprit du grand public, ce sont les violences liées au football, nous expliquait le sociologue Nicolas Hourcade en 2013. Mais la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) se préoccupe aussi beaucoup de gens qui boivent de l’alcool, fument du cannabis, critiquent le PSG sur leurs banderoles ou amènent des fumigènes au stade. On utilise donc le mot de hooliganisme et les mêmes sanctions administratives pour punir des faits sans commune mesure.»

Lors de son audition par la commission parlementaire sur le maintien de l’ordre, le ministre de l’intérieur avait été plus loin, effectuant un lien surprenant entre supporters et fondamentalistes musulmans. « Comme on l’a vu au cours de certaines manifestations de juillet 2014, certaines franges de l’islamisme radical peuvent faire cause commune avec des groupes de supporters de football liés à des mouvements identitaires », avait déclaré Bernard Cazeneuve le 3 février 2015. Il faisait vraisemblablement référence à la Gaza Firm, un collectif opportuniste qui s’était greffé sur les manifestations pro-palestiniennes à l’été 2014. Son porte-parole Mathias Cardet, proche d’Alain Soral, se présente comme un ancien hooligan. Beaucoup de membres de la Gaza Firm étaient issus des supporters ultras du PSG. De là à y voir une union entre l’islamisme radical et des supporters de foot, la boîte à fantasmes est ouverte…

« Au final, ce sont beaucoup de services mobilisés et d'argent dépensé pour surveiller de très près et empêcher d'accéder au stade des gars dont les éventuels délits ne sont pas susceptibles d'entraîner des poursuites, souligne James, 39 ans, porte-parole de l’Association de défense et d'assistance juridique des intérêts des supporters (Adajis). Et ce, juste pour appliquer la politique commerciale discriminante du PSG. » Côté politique, seul le député socialiste Christian Paul, co-président de la commission « numérique et libertés » de l’Assemblée, s'est pour le moment exprimé, évoquant dans l’émission DirectPolitique un « déni démocratique ».

BOITE NOIREContactée lundi, la préfecture de police de Paris vient de nous répondre ce jeudi matin (après publication de l'article) qu'il fallait adresser nos questions au ministère de l'intérieur.

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Ecoutes de la NSA : le stupéfiant silence de la France

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En Allemagne, les agissements illégaux des services de renseignement, soupçonnés d'avoir espionné « pendant des années » des « fonctionnaires de haut rang » de l'Élysée, du Quai d'Orsay et de la Commission européenne, sont en train de virer à l'affaire d'État. Mais en France, alors qu'une loi très musclée sur le renseignement est en passe d'être votée ce mardi 5 mai par l'Assemblée nationale, ces révélations suscitent au contraire un intérêt bien faible. L'exécutif reste évasif, et les politiques français semblent ne pas s'en inquiéter, du moins à ce stade.

L'affaire a éclaté la semaine dernière quand l'hebdomadaire Der Spiegel a révélé que des entreprises européennes (EADS), des personnalités politiques européennes et des « autorités françaises » avaient été écoutées par le service de renseignement extérieur allemand, le BND (Bundesnachrichtendienst), pour le compte de l'agence de renseignement américaine NSA, déjà au cœur des révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden. Au moins 40 000 requêtes illégales visant des intérêts européens auraient été commandées par la NSA et effectuées par le BND. Dans un premier temps, la Chancellerie a admis des failles. Mais elle a assuré n'avoir été mise au parfum qu'en mars 2015.

En France, ces premières révélations n'ont suscité que très peu d'intérêt (lire notre article)« Je n'ai aucune information sur ce sujet », nous a assuré le week-end dernier le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Romain Nadal. L'Élysée n'avait alors même pas répondu à nos sollicitations. Silence également dans la classe politique, à l'exception du coprésident du parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a dénoncé un « espionnage inadmissible ». « François Hollande doit demander à Angela Merkel de présenter des excuses à la France », indique Mélenchon dans un communiqué, rappelant que « l’espionnage des institutions et moyens de la diplomatie de la France est un crime puni par le code pénal comme atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation » et demandant l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire et d'une enquête judiciaire.

Alors que l'Élysée et le Quai d'Orsay sont désormais nommément cités, c'est toujours le silence chez nous. « Nous sommes en contact étroit avec nos partenaires allemands, qui ont indiqué publiquement procéder à une clarification interne sur les éléments rapportés par la presse », nous a répondu par SMS mercredi soir le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal. Sollicités à nouveau ce jeudi 30 avril, le Palais de l'Élysée et le Quai d'Orsay n'avaient rien dit de plus quand cet article a été mis en ligne. Quant aux politiques de tous bords, ils restent silencieux – les vacances parlementaires et le pont du 1er mai n'arrangent rien. Jeudi, le député écologiste Christophe Cavard, questionné par Mediapart, a tout de même jugé ces révélations « si elles sont confirmées, surréalistes et choquantes ». « C'est incroyable d'imaginer que le renseignement allemand nous espionne pour le compte de la NSA, et intolérable d'imaginer que les deux locomotives de l'Europe en sont encore à s'espionner les uns les autres. »

Par contraste, en Allemagne, où l'affaire Snowden a révélé la participation active du BND aux programmes de surveillance globaux de la NSA, hors de tout contrôle démocratique, ces révélations en cascade font des vagues. Déjà largement égratigné par les révélations d'Edward Snowden, le BND a été critiqué de toutes parts.

La presse allemande, particulièrement opiniâtre comme elle l'a été au moment de l'affaire Snowden qui a scandalisé une partie de l'opinion allemande, s'intéresse aussi à ce que savait exactement le gouvernement. Le 14 avril, le ministre de l'intérieur, Thomas de Maizière, avait démenti devant le Parlement tout espionnage économique. Certains députés, en particulier de l'opposition, l'accusent donc d'avoir menti à la représentation nationale. « Des ministres ont déjà démissionné pour moins que ça », rappelle la Süddeutsche Zeitung. De Maizière, un proche d'Angela Merkel, aurait été mis au courant des activités illégales du BND dès 2008, alors qu'il dirigeait la Chancellerie fédérale, un poste stratégique dans l'appareil d'État puisque son titulaire a la main sur les services secrets.

La chancelière Merkel, qui s'était officiellement offusquée en 2013 des pratiques de la NSA, et dont le portable a été écouté par l'agence américaine, est en première ligne. « L'affaire concerne désormais directement la Chancellerie », affirme à Mediapart le député écologiste Konstantin von Notz. Des médias affirment qu'elle est au courant depuis des années de l'espionnage de dirigeants européens, mais que ses services n'ont rien fait pour brider le BND par peur de briser la collaboration avec les États-Unis. « Il faut clarifier tout cela », a prudemment commenté Angela Merkel lundi dernier lors d'un déplacement en Pologne, alors qu'elle avait évité jusqu'ici de prendre la parole. Avec les révélations de la Süddeutsche Zeitung, ce jeudi, la pression se fait plus intense. Christian Flisek, député SPD membre de la commission d'enquête sur la NSA, a demandé ce jeudi 30 avril à Angela Merkel de « mettre tous les faits sur la table » et de communiquer les documents secrets qu'elle conserve. « La chancelière doit s'excuser » auprès des Européens espionnés, a exhorté le chef du parti libéral FDP, l'ancien partenaire de coalition de Merkel entre 2009 et 2013.

Les députés de la commission d'enquête, tenus au secret, aimeraient notamment se voir communiquer la liste des fameuses requêtes commanditées par la NSA. « Ces listes doivent être mises à notre disposition, dit von Notz, membre de la commission d'enquête NSA. C'est à cette aune que nous jugerons si la chancelière est sérieuse lorsqu'elle réclame que toute la lumière soit faite sur cette affaire. » Tenus au secret, les huit députés, issus de tous les groupes parlementaires, se plaignent de leurs faibles moyens d'investigations : depuis un an, les agents du BND qu'ils interrogent ne répondent à leurs questions que de façon évasive, et la Chancellerie caviarde avant chaque audition une bonne partie des documents qu'elle porte à leur connaissance. « L'ampleur exacte de l'affaire n'est pas encore connue », insiste le Spiegel.

Dans cette affaire, le SPD social-démocrate, partenaire de coalition de Merkel, n'est pas à l'abri des éclaboussures : c'est l'actuel ministre des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, issu de ses rangs, qui a fixé les modalités de la collaboration des services secrets avec la NSA après le 11 septembre 2001. Il occupait alors le poste de chef de la chancellerie fédérale, auprès de l'ancien chancelier Gerhard Schröder.

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