À peine remis de leur cécité municipale, les instituts de sondage, toujours extralucides, nous proposent désormais leurs visions pour les européennes, avec l’annonce d’un duel entre l’UMP et le Front national, le PS étant à la ramasse. Ils ont moins de chance de se tromper. Leurs pronostics sont moins aléatoires pour les élections générales que pour les élections locales.
La perspective d’une forte poussée de l’extrême droite est clairement envisageable. En mai 2014, le parti de Marine Le Pen pourrait bel et bien créer l’événement. Mais attention, cet événement prévisible doit être placé dans son contexte. Sur l’échelle de Richter des séismes politiques, les élections européennes provoquent plus souvent des secousses passagères que des fractures définitives.
Si les européennes pesaient en profondeur sur le destin des hommes et des partis politiques, Bernard Tapie serait en effet devenu président de la République, et les radicaux de gauche auraient mangé le parti socialiste. En 1994, Tapie avait frappé les esprits avec ses 12 %, à une encablure du PS de Michel Rocard à la dérive. Un an plus tard, pourtant, Lionel Jospin sortait en tête au premier tour des élections présidentielles.
En 1999, c’est Charles Pasqua et Philippe de Villiers qui montraient leurs muscles à la télévision. C’en était fini du RPR mené par un "loser", Nicolas Sarkozy, scotché à 12,8 % quand les souverainistes de droite atteignaient les 13,08, et que la liste Chasse et pêche d’un certain Jean Saint-Josse, qui tenait le monde au bout de son fusil, rassemblait presque 7 %. Tsunami ! Fracture ! Plus rien ne serait jamais pareil, disaient les commentateurs. Trois ans plus tard, le RPR remportait la présidentielle, se transformait en UMP, et conservait tous les pouvoirs après avoir gagné les municipales en 2001…
Et 2009, quelle émotion ! Le raz-de-marée d’Europe écologie, 16,2 %, qui talonne un PS humilié, mené par Martine Aubry. Une montée fantastique qui laisse présager des rééquilibrages majeurs à gauche. Trois ans plus tard, François Hollande est élu président de la République, et les écologistes, représentés par Eva Joly, plafonnent à 2,3 %.
Tout se passe comme si les européennes étaient vécues comme une récréation, voire un défouloir, en cas de crise à droite ou à gauche. En 1994, les socialistes venaient de subir une défaite historique, en 1999, le RPR avait raté la dissolution, en 2009, le PS sortait à peine du calamiteux congrès de Reims et de la défaite de 2007. Autant les grandes élections nationales mettent en jeu un réflexe de vote utile, autant ce rendez-vous européen paraît vécu comme un vote inutile, dans lequel on manifeste son humeur plutôt que ses choix, et son indifférence plutôt que son appartenance. Dans un contexte d’abstention croissante en France, les élections européennes, qui sont passées de 60 à 40 % de participation en un tiers de siècle, sont les plus délaissées.
Est-ce à dire qu’une victoire de Marine Le Pen aurait une portée minime ? Oui et non. Oui, en regard de ce qui précède, et qui invite à relativiser les résultats. Non, car les feux de paille européens ont tout de même connu une exception.
En 1984, un parti presque inconnu avait fait sensation. C’était le Front national de Jean-Marie Le Pen, 11 % dans toute la France, 21 % à Marseille, ville de Gaston Defferre, devant le PS… Trente ans plus tard, le FN est toujours là, et le mois dernier il a refait le même coup aux socialistes marseillais.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 22/04/2014