Évolution de palais, au PS. Ce mardi soir, dans une salle au sous-sol de l'Assemblée nationale, le conseil national du parti socialiste a élu à sa tête Jean-Christophe Cambadélis, 62 ans, par 147 voix (67,1 % des exprimés, seuls 230 des 302 votants ont participé au scrutin, onze se sont abstenus). À huis clos. Le nouveau premier secrétaire a proposé une « direction resserrée » d'une grosse trentaine de membres (contre 88 sous Harlem Désir), où l'on trouve très peu de hollandais, et a constaté « le départ de la majorité » du courant des proches de Benoît Hamon (« Un monde d'avance ») et des membres de la « motion Stéphane Hessel ». Avec l'aile gauche du PS (emmenée par Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel), ceux-ci ont présenté un candidat commun contre lui : il s'agissait du premier secrétaire fédéral de la Nièvre, Sylvain Mathieu, qui a recueilli 72 voix (32,9 %). Un score non-négligeable pour un inconnu, candidat de consensus entre Maurel et les amis de Hamon.
Malgré l'alerte de l'association Anticor, rappelant les condamnations passées de Cambadélis « en janvier 2000 à cinq mois de prison avec sursis et environ 15 000 euros d’amende, pour avoir bénéficié d’un emploi fictif » et « en juin 2006 à six mois de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende, après avoir été reconnu coupable de recel d’abus de confiance », la question éthique n'a jamais été abordée par les cadres socialistes. Bien trop occupés à justifier ou dénoncer la légitimité démocratique d'une désignation aux airs de putsch estudiantin sur le retour.
Contrairement à ce que Cambadélis avait laissé entendre il y a une semaine, les militants ne seront pas consultés directement sur ce choix décidé en haut lieu par l'exécutif, après l'exfiltration de Désir au secrétariat d'état aux affaires européennes. En tout cas, pas tout de suite. Des « états-généraux militants » devraient être organisés à l'automne, a confusément expliqué « Camba » lors de sa conférence de presse, au cours desquels « la feuille de route » du nouveau premier secrétaire serait soumise au vote.
Impossible de savoir aujourd'hui si des « feuilles de routes concurrentes » pourront être déposées, notamment par l'aile gauche. Cette dernière réfléchit à l'hypothèse d'organiser une pétition militante afin d'obtenir un congrès extraordinaire, mais sans trop y croire non plus. En attendant que le flou s'éclaircisse, Cambadélis a bien l'intention de reprendre en main le parti.
« Les Français, comme les militants, nous ont dit : “Occupez-vous de nous” », a expliqué le nouveau patron de Solférino. Alors, il entend « reformuler le socialisme » et, pour cela, prendre le temps de « faire remonter l'ensemble des interpellations recensées lors des porte-à-porte militants des municipales, pour construire des réponses collectives ». Puis, en « discuter avec les premiers fédéraux », avoir des « rendez-vous téléphoniques réguliers » avec des cadres locaux du parti, charger chaque secrétaire national d'un territoire… En résumé : contrôler l'appareil.
« On veut repolitiser un discours qui s'est trop technocratisé, assure le député Christophe Borgel, ami fidèle des années Mnef et Unef. La loyauté au gouvernement passe par le débat et parfois l'expression de désaccords dans le parti. » Ce serait une façon d'apporter sa pierre à la réussite du deuxième temps du quinquennat, et à la rationalisation de la communication voulue par Manuel Valls. Avec toujours cette idée fixe chez le dirigeant socialiste, que « ce n'est pas la ligne qui a été sanctionnée aux municipales », mais « le manque de crédibilité et d'efficacité ». C'est aussi une manière de se réapproprier des débats ayant trop tendance à se tenir dans le groupe socialiste, entre des députés de plus en plus opposés à jouer les godillots. Et ce, alors que le nouveau ministre des relations avec le parlement, Jean-Marie Le Guen (un proche de très longue date de « Camba »), a brutalement réaffirmé la primauté de l'exécutif, devant le groupe PS, mardi matin.
Sur le fond, rien ne devrait fondamentalement changer. Les axes définis par le nouveau premier secrétaire (lire ici son discours), comme autant de thèmes des futures conventions qu'il promet d'organiser d'ici le prochain congrès prévu fin 2015, conviennent à la nouvelle majorité du PS : « fracture territoriale » (ou l'affirmation de la récente préoccupation péri-urbaine), « entreprises » (« Il est temps de moderniser notre doctrine à ce sujet », dit Cambadélis) et « culture » (une perche tendue aux « aubrystes urbains », au même titre que l'annonce d'une « université permanente de la transition écologique »).
Il n'est rien de prévu en revanche sur la politique salariale, l'international, les questions d'intégration ou les institutions. À l'écouter, le PS pourrait enfin mettre des mots sur l'aggiornamento idéologique indicible, qu'il connaît depuis l'arrivée de Hollande au pouvoir, et plus encore de Manuel Valls à Matignon.
À la tête du parti, Cambadélis tente une synthèse d'un nouveau genre, que l'on retrouve dans son organigramme de direction. Le strausskahnien a le soutien des « reconstructeurs » (proches de DSK, Fabius et Aubry, avec qui il avait pris le PS en 2008 au congrès de Reims), des « vallsistes » (Carlos Da Silva, Luc Carvounas, Clotilde Valter, Samia Ghali), des « peillonistes » (Marc Mancel, Eduardo Rihan-Cypel) et des « moscovicistes » (Karine Berger, Émeric Bréhier, Matthias Fekl). On retrouve même des membres de la « gauche populaire » (comme François Kalfon) et un ami d'Arnaud Montebourg (Patrice Prat). Incarné, cet alliage n'est pas des plus innovants. Il fleure même bon les années 1970, et le « Kostas » (son pseudonyme trotskyste tendance OCI) de « l'Unef de la grande époque ».
« Il a fait un discours d'apparatchik en ne parlant que d'organisation, note un conseiller national le connaissant de longue date. C'est fou, il est resté le même. Maintenant, on va voir s'il sait encore verrouiller comme avant… » Celui qui est davantage habitué aux "off" avec les journalistes qu'aux débats télévisés et aux grands discours s'est tout de même éloigné du lambertisme, depuis qu'il a basculé au PS en 1986, et qu'il fut n°2 de Lionel Jospin en 1995, puis bras droit de Dominique Strauss-Kahn dans les années 2000. Il n'empêche, certains de ses choix interrogent déjà sur la modernité et le renouvellement proclamés au micro, comme autant de clins d'œil au siècle dernier, à contre-temps.
Les trois « directeurs d'étude » qu'il a ainsi choisis pour l'entourer symbolisent ses divers compagnonnages stratégico-idéologiques, avec un furieux look seventies : Alain Bergougnioux (65 ans) et Alain Richard (69 ans), tous deux rocardiens historiques, ainsi que Henri Weber (69 ans), ancien leader de Mai-68 (également trotskyste, mais tendance LCR) puis fabiusien de choc.
Pour parfaire l'ambiance, la mission d'organiser un « comité de liaison » avec les autres partis de gauche a été confiée à Julien Dray, un « jeunot » de 59 ans, ancien leader trotskyste de la charnière des années 1980, passé ensuite au PS de Jean-Luc Mélenchon à François Hollande, avant d'errer à nouveau sur le flanc gauche du PS. « Camba » et « Juju », tous deux fraîchement débarqués au PS, avaient « piloté » ensemble les manifs lycéennes contre la loi Devaquet, en 1986. Près de trente ans plus tard, les voici réunis pour tenter de redorer le blason crépusculaire de ce même PS, mais aussi de leurs carrières claires-obscures.
Signe de la confusion des âges semblant troubler Cambadélis, celui-ci a commis « un lapsus jospinien » à la tribune du conseil national, confondant 1977 avec… 1917. Pas sûr toutefois que cette prise du Palais d'hiver solférinien apporte aux socialistes des lendemains qui chantent.
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