Les choses se compliquent pour Marine Le Pen. Un juge d’instruction parisien a été chargé d’éplucher le fonctionnement de Jeanne (son micro-parti créé fin 2010) dans le cadre d’une information judiciaire contre X ouverte par le parquet de Paris pour « escroquerie en bande organisée », « faux et usage de faux » (comme l’a dévoilé Le Monde mardi 15 avril). Une enquête préliminaire avait déjà été ouverte fin 2013 et confiée à la brigade financière après un signalement de la Commission nationale des comptes de campagne. (Voir nos révélations de l'époque.)
Dès mardi après-midi, Marine Le Pen a réagi vertement sur Twitter : « Enquêtes, informations judiciaires, perquisitions, le pouvoir socialiste ne manque pas d'imagination face à son opposition politique. » Quelques minutes plus tard, la présidente du FN ajoutait : « Tout cela se terminera comme à chaque fois par un non-lieu ou une relaxe dans quelques mois, mais la calomnie aura rempli son rôle. »
Précautionneuse, Marine Le Pen n’est jamais apparue directement dans les statuts de Jeanne, mais elle en a toujours été la tête pensante – malgré les dénégations du mandataire financier, Steeve Briois (« Ça n'est pas son micro-parti ! » jurait-il à Mediapart en octobre dernier). Au FN, d’autres ont moins de pudeur : « Oui, Marine Le Pen a créé son propre micro-parti, nous avait ainsi expliqué Wallerand de Saint-Just, le trésorier du Front national, fin 2011. Il lui fallait une structure qui ne soit pas contrôlée par le FN pour recueillir des dons et des prêts des copains, des relations, de tous ceux qui ne veulent pas donner au FN. » Officiellement présidée par Florence Lagarde, une vieille amie de Marine Le Pen rencontrée sur les bancs de la faculté d’Assas, Jeanne a brassé quelque 9,5 millions d’euros en 2012, sans quasiment enregistrer d’adhérents.
Depuis l’ouverture de l’enquête préliminaire, Marine Le Pen a déjà rebondi en créant un nouveau « parti de poche », baptisé Promelec, dont elle assume cette fois la charge de secrétaire générale, avec Jean-Marie Le Pen comme président. (Voir nos révélations sur l’enquête préliminaire relative aux déclarations de patrimoine de celui-ci, ouverte par le parquet de Paris.)
Comme nous l’avions raconté, la justice s’intéresse notamment au vaste système de prêts fournis par Jeanne à de nombreux candidats FN lors des cantonales de 2011 et législatives de 2012, au taux particulièrement élevé de 6,5 %, et qui ont permis au micro-parti d’emmagasiner des intérêts importants. Surtout, certains de ces candidats ont pu intégrer ces charges financières dans la catégorie de leurs dépenses de campagne remboursables par l’État – une aubaine pour tout le monde sauf le contribuable.
Sollicitée, la Commission nationale des comptes de campagne nous confirme qu’elle a validé cette pratique sous certaines conditions, sans pouvoir dire à combien s’élève le montant des intérêts d’emprunt ainsi déclarés par l’ensemble des candidats FN en 2011 et 2012.
En parallèle, la Commission n’est toutefois pas restée les bras ballants, puisqu’elle a saisi le parquet de Paris avec cette interrogation en tête : est-ce qu’à force de multiplier ce genre d’opérations financières, Jeanne n’a pas enfreint le Code monétaire et financier qui « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel » ? La justice ne manquera pas d'y répondre.
Ses investigations portent visiblement sur un second volet : les prestations facturées par Jeanne aux candidats frontistes (notamment en matière de communication) et fournies par Riwal, l’entreprise d’un conseiller de l’ombre de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, ancien leader du GUD (organisation étudiante radicale) et proche du régime syrien.
Comme Mediapart l’a déjà détaillé, Jeanne a vendu ses « kits de campagne » à la pelle aux cantonales de 2011 et législatives de 2012 (impression de cartes postales, traitement de la photo du candidat, conception d’un petit journal de campagne, etc.), dans des conditions étonnantes. Facultatifs en 2011, ces "kits" sont devenus « obligatoires » pour nombre de candidats l’année suivante. Surtout, leur prix a dépassé les 16 000 euros pièce, permettant à Jeanne d’afficher 8 917 082 euros de recettes dans ses comptes de 2012.
Alors, l’entreprise de Frédéric Chatillon, qui a encore travaillé pour les municipales de cette année, a-t-elle facturé au prix du marché ? Au-dessus ? A-t-elle effectué l’intégralité des prestations payées ? Certains candidats ont-ils été bernés ? D’après Le Monde, les locaux de Riwal, qui a par ailleurs encaissé 1,66 million d’euros pendant la présidentielle, ont en tout cas été perquisitionnés le 7 avril dernier. Sollicité mardi par Mediapart (et depuis le mois d’octobre), ce très proche de Marine Le Pen n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Pour sa part, le premier trésorier de Jeanne, Olivier Duguet, ancien du GUD lui aussi, nous avait simplement déclaré : « Les comptes de Jeanne sont contrôlés et validés par deux commissaires aux comptes, qui n’ont découvert ni révélé aucune malversation, aucune anomalie, aucun détournement. »
Depuis, Mediapart a découvert qu’Olivier Duguet a été condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis pour « escroquerie » au préjudice de Pôle emploi (une escroquerie à 100 748 euros qui a bénéficié à trois personnes). Quant à son successeur au poste de trésorier de Jeanne, un certain Axel Loustau (patron d’une société de sécurité privée et ancien du GUD), il a été interpellé en avril 2013 lors d'affrontements survenus en marge d’une manifestation contre le mariage pour tous. Ainsi, c’est tout un clan d’anciens "gudards" qui se retrouve dans la lumière, bien malgré lui.
Retrouvez l'ensemble de nos articles sur l'argent des Le Pen page suivante
- La justice enquête sur le micro-parti de Marine Le Pen (20 novembre 2013)
Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur le fonctionnement de "Jeanne", le micro-parti au service de Marine Le Pen, qui affichait 9,5 millions d'euros de recettes en 2012. La justice a été saisie par la Commission des comptes de campagne et des financements politiques.
- Le micro-parti de Marine Le Pen : des euros par millions (22 octobre 2013)
Le micro-parti de la patronne du FN, lancé fin 2010, a encaissé plus de 9 millions d'euros en 2012, selon les informations de Mediapart. Quasiment dépourvu d'adhérents, ce parti de poche fait travailler la société d'un conseiller officieux de Marine Le Pen, l'ancien responsable du Gud, Frédéric Chatillon.
- L'escroquerie à Pôle emploi du trésorier du micro-parti de Marine Le Pen (25 février 2014)
Trésorier de Jeanne, le micro-parti de Marine Le Pen, jusqu’en mars 2012, Olivier Duguet a été condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis dans une affaire d'escroquerie au préjudice de Pôle emploi dont le montant s'élève à plus de 100 000 euros.
- La « GUD connection » tient les finances de Marine Le Pen (17 octobre 2013)
Marine Le Pen a confié à la galaxie des anciens du GUD, groupuscule étudiant d'extrême droite radicale, de nombreux postes financiers, leur conférant la haute main sur la trésorerie du parti. Au centre de cette nébuleuse : Frédéric Chatillon, dont la société a perçu 1,6 million d'euros pendant la campagne présidentielle, d'après des documents consultés par Mediapart.
- La justice enquête sur la fortune de Jean-Marie Le Pen (6 février 2014)
Les déclarations de patrimoine de Jean-Marie Le Pen sont entre les mains des investigateurs de la brigade financière. D'après des informations obtenues par Mediapart, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire après un signalement en novembre dernier de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. L'autorité indépendante ne s'expliquait pas l'enrichissement de l'eurodéputé.
L'équipe de Marine Le Pen a envisagé de contester la décision de la commission chargée de contrôler les comptes de campagne des candidats à la présidentielle. En cause déjà : les intérêts du prêt de Jeanne à Marine Le Pen. La candidate y a finalement renoncé.
- Financement des partis : Le Pen et Alliot-Marie épinglés (22 janvier 2014)
Les comptes du micro-parti de Jean-Marie Le Pen ont été déclarés « non conformes » par la Commission chargée des financements politiques (en même temps que ceux de Michèle Alliot-Marie). Le « parti de poche » du président d’honneur du Front national aurait tout bêtement expédié son dossier « hors délai ».
- Activisme et business : l'engagement pro-Assad des proches de Le Pen (9 septembre 2013)
Farouchement opposée à une intervention militaire en Syrie, Marine Le Pen s'est toujours refusée à condamner le régime syrien. Dans son parti comme dans son entourage, ils sont plusieurs à soutenir publiquement Bachar al-Assad. Certains travaillent même avec le régime.
- L’argent syrien d’un proche de Marine Le Pen (9 juillet 2012)
Proche de Marine Le Pen et prestataire de services de sa campagne 2012, Frédéric Chatillon a fait l’objet d’un signalement Tracfin et d’une enquête confiée à la brigade financière sur des fonds reçus du régime syrien. L’enquête a été close en avril. Il dénonce « une opération politique ».
- Jean-Marie Le Pen, son compte suisse et son trésorier (10 avril 2013)
L’ancien trésorier du micro-parti de Jean-Marie Le Pen, l’éditeur Jean-Pierre Mouchard, a utilisé les services de plusieurs sociétés offshore. Le même homme avait ouvert en 1981 un compte suisse à l’UBS pour Le Pen. À Mediapart, Marine Le Pen et son père justifient l’ouverture du compte par « un emprunt souscrit » à la banque suisse.
Nos articles sur Frédéric Chatillon et Axel Loustau :
- « Néonazi » : le témoignage qui accuse un proche de Marine Le Pen (3 février 2014)
Dans une attestation détaillée, un ex-militant du GUD raconte la « haine maladive des juifs » de Frédéric Chatillon, ancien leader de cette organisation, devenu conseiller officieux de Marine Le Pen et prestataire du FN : liens avec Robert Faurisson et Dieudonné, dîners « hommages » à Hitler, « soirées "pyjamas rayés" », connexions avec le régime syrien.
- « Néonazi » : Frédéric Chatillon est débouté de sa demande (12 février 2014)
Dans un livre, le journaliste Frédéric Haziza assimilait Frédéric Chatillon aux « néonazis » et au « négationnisme ». Le conseiller officieux et vieil ami de Marine Le Pen a été débouté de sa demande de supprimer plusieurs extraits de l'ouvrage.
Axel Loustau, ancien du GUD et président de Vendôme Sécurité, prestataire de service du FN, a été interpellé lors d'affrontements avec la police et de violences contre les journalistes en marge du rassemblement contre le mariage pour tous.
Et notre ebook, L'argent des Le Pen, qui rassemble les enquêtes de Mediapart consacrées aux finances
des Le Pen et leur parti.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Request Policy