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L’armée enfin sommée de combattre les violences sexuelles

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« Une armée exemplaire et tolérance zéro. » C’est la promesse faite mardi par le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, après la remise d’un rapport sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées et l’annonce d’un plan de lutte. Une première pour une institution jusque-là sourde aux alertes des associations, que la publication récente d’un livre a remises en pleine lumière.

C’est cet ouvrage, La Guerre invisible (Les Arènes/Causette, 2014), écrit par les deux journalistes Leïla Minano et Julia Pascual, qui est à l’origine de l’enquête interne au ministère de la défense lancée il y a un mois et confiée à l’inspecteur général des armées, Didier Bolelli, ainsi qu'au contrôleur général des armées Brigitte Debernardy.

Nous avions rendu compte de l'ouvrage le 18 mars dernier, dans La Boîte à idées :

Dès la sortie du livre, « François Hollande et Jean-Yves Le Drian en ont parlé », rapporte un proche du président de la République. Selon cette source, les deux hommes ont tout de suite choisi de réagir vite et d’envoyer « un message très clair ». D’autant plus que l’armée française est la plus féminisée d’Europe, avec 15 % de femmes dans ses rangs. « Pour nous, c’est un problème politique, un problème de commandement et un problème juridique », expliquait à l’époque un spécialiste des questions de défense. Avant d’indiquer : « Nous n’avons pas été surpris par le livre. On en entendait parler, par des bruits. »

Jusque-là, pourtant, le ministère de la défense n’en avait rien dit publiquement. Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs refusé les demandes d’interview des deux auteures de La Guerre invisible. « Comme ses prédécesseurs il n’avait jamais répondu aux lettres d’alerte des associations. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Il y a eu une permanence de l’attitude des ministres de la défense successifs dans l’ignorance du phénomène. C’est une question d’institution qui a sa culture et a du mal à en changer », explique à Mediapart la journaliste Julia Pascual.

C’est dire la petite révolution annoncée mardi. Le rapport d’enquête, remis à Le Drian, confirme l’enquête des deux journalistes, à la fois sur les cas de violences et de harcèlements, sur le climat machiste (« les propos à connotation sexuelle et sexiste, les plaisanteries graveleuses sont répandus au point de n’être presque plus remarqués par le personnel féminin »), sur le caractère particulièrement réactionnaire de certains élèves de Saint-Cyr ou sur le risque entraîné par la consommation d’alcool dans les casernes ou en opérations extérieures. Il confirme aussi les défauts dans les signalements de faits, l’opacité et la faiblesse des sanctions.

Parmi les dix mesures présentées par Le Drian devant 200 cadres supérieurs des armées réunis aux Invalides, la plus spectaculaire est sans conteste l’inscription du harcèlement moral et sexuel dans le Code de la défense et le Code du soldat. Elle sera effective après un amendement du gouvernement dans le projet de loi sur l’égalité femmes-hommes de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, qui revient jeudi devant le Sénat en deuxième lecture. « Il n’y figurait pas, cela manquait », a sobrement expliqué Le Drian.

Le ministre a également insisté sur les sanctions qui doivent être harmonisées, prises sans attendre une éventuelle décision judiciaire et « dans un délai maximum de quatre mois suivant le signalement des faits ». Pour les actes de violence et les agressions sexuelles, elles doivent être de « groupe II ou III » (de la privation de solde pendant quelques jours, à la radiation). Jusque-là, bien souvent, les auteurs de tels agissements – allant parfois jusqu’au viol –  étaient bien plus légèrement punis, quand ils l’étaient, avec seulement des jours d’arrêt.

Les écoles de formation sont également sommées de faire des efforts. Le rapport de la mission d’enquête est à ce sujet sidérant. Dans certains établissements (les auteurs ne citent pas d’exemple, mais Saint-Cyr est particulièrement visé), « le risque d’agression sexuelle ou de harcèlement est particulièrement faible ». « Le problème, grave, est autre : un ostracisme très développé, maquillé sous les termes d’“indifférence courtoise”, y frappe les élèves féminines en raison de leur sexe, au nom de prétendues traditions, sous prétexte de concurrence faussée par des barèmes sportifs avantageux pour les filles et parce qu’une “femme n’a pas sa place dans l’armée”. Les rapporteurs ont constaté au cours des tables rondes qu’ils ont eues avec des garçons à quel point un certain nombre de ces jeunes sont fermés à la réalité contemporaine de la Défense », explique le rapport.

Jean-Yves Le Drian a d’ailleurs confirmé mardi sa volonté de poursuivre la féminisation des forces armées françaises. Et un dernier tabou vient de tomber : le ministre de la défense a annoncé que, pour la première fois en 2017, des femmes seront affectées dans un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.

Le Drian a également annoncé la mise en place d’une cellule dédiée pour recueillir les témoignages des victimes et participer à l’enquête, ainsi que la production de statistiques sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées. Là encore, il s’agit d’une première en France. « Il n’y a pas d’omerta mais il n’y a pas non plus de visibilité suffisante » de ces violences, a justifié le ministre.

Tout le paradoxe dans la position de la Défense réside dans le décalage entre des mesures annoncées, parfois attendues depuis de longues années par les associations, et la prudence qui perdure du langage choisi par les autorités. Le Drian ne prononce jamais le mot « viol » et préfère parler d’agression. Les procédures passées, qui ont souvent peu puni les auteurs de harcèlement ou de violences, ne seront pas revues.

À plusieurs reprises mardi, devant les cadres des armées, devant la presse et devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, Le Drian a insisté sur l’absence « d’omerta » et sur le fait que les cas de violences et de harcèlement « sont rares ». Il ne dispose pourtant d’aucune statistique et il a souligné dans son discours que l’on « estime qu’en France, dans les cas graves de viols et d’agressions sexuelles, un cas sur sept seulement fait l’objet d’une plainte ». « Bien entendu il y a un chiffre noir », estime aussi le contrôleur général des armées Brigitte Debernardy. Elle a donné rendez-vous l’an prochain pour un premier bilan.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Request Policy


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