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Nantes: une 3e personne grièvement blessée à l'œil à l'issue de la manif du 22 février

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Trois jeunes hommes grièvement blessés à l’œil, dont l'un éborgné et les deux autres avec peu de chances de retrouver la vision. Tel est le bilan du maintien de l’ordre de la manifestation du 22 février 2014 contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mission accomplie, comme l'annonçait fièrement le compte Twitter officiel de la direction départementale de la sécurité publique de Loire-Atlantique ?

Le premier blessé à s’être manifesté auprès de la presse, Quentin, un charpentier cordiste de 29 ans, a perdu son œil à la suite d'un tir policier vers 19 heures place de la Petite-Hollande, alors qu’il cherchait à se replier face à un barrage de CRS, selon son témoignage. Le second, Damien, coffreur maçon de 29 ans, a lui aussi été atteint à l’œil, tout près de la place de la Petite-Hollande. Depuis, il voit « juste des ombres ».

Près de huit semaines après avoir été touché, Emmanuel n'a pas recouvré la vue de son œil droit.Près de huit semaines après avoir été touché, Emmanuel n'a pas recouvré la vue de son œil droit.

Tous deux avaient croisé au CHU de Nantes un troisième blessé au visage. Il s’agit d’Emmanuel, 24 ans, un cuisinier originaire du Finistère qui était venu chercher du travail à Nantes. Il n’a pas encore déposé plainte, ni récupéré son dossier médical. « J’entreprends seulement ces démarches, car j’ai eu des problèmes financiers et de logement », explique Emmanuel, joint par téléphone.

Selon son récit, il a lui aussi été touché en fin d’après-midi, à proximité du CHU de Nantes. « Il y avait des groupes de personnes en confrontation avec les policiers, qui lançaient tout ce qui leur passait sous la main, dit-il. J’étais là en observateur, avec un sac à dos et un keffieh, près d’un arbre en bas de l’esplanade du CHU. Je suis resté car je ne comprenais pas l’énervement des policiers. » Le jeune cuisinier a reçu un projectile au visage, chuté et perdu connaissance. « Comme j’étais seul, il a fallu un temps avant qu’on me remarque, raconte-t-il. Un groupe de personnes a essayé de me tenir éveillé, et ils m’ont transporté à l’hôpital où ils m’ont gardé jusqu’au mercredi. À l’hôpital, j’étais complètement sonné, en train de vomir. Ils m’ont anesthésié pour faire une exploration de l’œil, mais il y avait trop de sang. Les premiers jours, la douleur était insoutenable. »

Selon lui, son arcade sourcilière a été fracturée. Près de huit semaines après la manifestation, il ne voit toujours pas de l’œil droit : « Je suis juste ébloui par des lumière vives. » « Pour les médecins, ça ressemble à un tir de Flashball, vu l’impact », dit-il.

Capture d'écran, policiers armés de Flashball et de deux LBD 40x46 à Nantes, le 22 févrierCapture d'écran, policiers armés de Flashball et de deux LBD 40x46 à Nantes, le 22 février © Groupe groix

Guillaume, 27 ans, était présent. C'est lui qui a amené Emmanuel au centre hospitalier universitaire voisin. Au total, ce plombier chauffagiste affirme avoir secouru 17 personnes dans l’après-midi. Venu avec des amis et leur camion sonore « pour passer un bon moment en manifestant pacifiquement », le jeune homme dit avoir été « dégoûté de voir autant de CRS tirer au niveau de la tête ».

Parmi les personnes qu’il a aidées, Guillaume se souvient de cinq « très blessées » : « Emmanuel, que nous avons porté aux urgences ; quelqu’un qui avait reçu un tir de Flashball au foie ; un autre à l’omoplate ; Quentin, qui était le plus grave de tous ; et un dernier qui avait été touché à la tempe et est resté sans connaissance durant une vingtaine de minutes. » Mais la plupart n’iront sans doute jamais déposer plainte : « Les trois quarts des gens que j’ai aidés m’ont dit avoir peur des représailles », explique Emmanuel. Lui-même a été interrogé par un commissaire nantais, puis par les enquêteurs rennais de l’IGPN. Il ne cache pas avoir, comme plusieurs manifestants, « renvoyé des projectiles » dont « une canette de bière pour aider une mamie à sortir des gaz lacrymos ».

Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché.Quentin évacué par des manifestants après avoir été touché. © Yves Monteil

Au total, la procureure de Nantes Brigitte Lamy affirme avoir reçu quatre plaintes pour violences, dont deux déposées par des journalistes, pour l’un délibérément touché au torse par un tir de Flashball et l’autre blessé aux jambes par des éclats de grenade. La délégation de l’IGPN de Rennes est chargée de ces enquêtes préliminaires.

« C’est l’omerta, déplore Nathalie Torselli, mère de Quentin qui a perdu son œil. On ne sait pas combien de personnes ont été blessées, certaines ont peur de déposer plainte. » Sur la page Facebook d’appel à témoignages créée, d’autres manifestants affirment, photos à l’appui, avoir été atteints par des tirs de Flashball au visage : sur le crâne avec neuf points de suture, sur la joue ou encore à la lèvre. « Là où j’ai vu le plus de blessés, c’est sur l’esplanade d’herbe entre la station de tram Commerce et Hôtel-Dieu, quand les CRS ont repoussé les manifestants vers le parking Petite-Hollande, raconte Emmanuel. J’ai vu tout et n’importe quoi. Il y a une cartouche de gaz lacrymo qui a atterri dans la poussette d’une petite fille de trois ans et qui était à deux doigts de mettre le feu à sa robe en polyester. J'ai aussi vu un père avec ses deux enfants de 5 et 7 ans qui pleuraient, ils croyaient que c’était la guerre civile. »

Rappelons que les instructions de novembre 2012 relatives au Flashball superpro et au LBD 40×46 (sa nouvelle version beaucoup plus puissante et précise) imposent aux policiers, « après usage de l’arme et en cas d’interpellation », de s’assurer sans délai de l’état de santé de la personne touchée et de la garder sous une surveillance permanente.

Côté « casseurs », la justice a mis les bouchées doubles. Dès le lendemain de la manifestation, une cellule d’enquête spéciale d’une trentaine de policiers (selon la presse locale) était mise en place, avec appel à témoins et aux médias, pour tenter d’identifier les manifestants violents. Le lundi 24 février, le directeur de cabinet du préfet, interrogé par Mediapart, estimait leur nombre à un millier de personnes, ayant « le profil traditionnel de ceux qu'on rencontre sur la Zad, allant de modérément à extrêmement violents avec des méthodes qui s'apparentent à celles des Black Blocs ».

© "Bvur" est l'acronyme de brigade des violences urbaines (et non de bavure)

Le 24 février, cinq personnes ont été condamnées en comparution immédiate à des peines allant jusqu’à six mois de prison ferme pour des jets de projectiles contre les forces de l'ordre. Le 1er avril, après une deuxième vague d’interpellations, quatre autres hommes ont été condamnés en comparution immédiate pour des dégradations et des violences commises. L’un d’eux, un militant de 22 ans, a écopé d’un an de prison ferme avec mandat de dépôt pour des jets de projectiles sur des policiers, sans victime identifiée, et pour des canettes fumigènes sur lesquelles son ADN a été retrouvé. Il a reconnu « quelques pierres et trois fumigènes dans une période de dix minutes, mais contre le mur anti-émeute, pas sur des personnes », a expliqué sa compagne à Reporterre. D'autres interpellations pourraient avoir lieu. « Les investigations continuent », indique Brigitte Lamy.

Au sein du collectif du 22 février, qui s’est formé autour des manifestants blessés, certains réclament l'interdiction des lanceurs de balles de défense et la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de cette manifestation. « Deux moments semblent se dessiner, explique Luc Douillard, 55 ans, père de Pierre, le lycéen nantais mutilé par un tir de lanceur de balles de défense en 2007. La police a d’abord laissé faire, avec des bris de vitrine, un départ de feu sur les cabanons de la société de transports en commun. Vu le nombre de policiers en civil, ils auraient facilement pu arrêter les casseurs qui étaient une dizaine. Puis, en fin d'après-midi, les policiers se sont lâchés et ont commis des violences graves sur des innocents. »

Il s'inquiète également d'entraves aux secours par les forces de l'ordre, comme le montre cette vidéo tournée par le photographe Yves Monteil. On y voit des CRS et un camion à eau poursuivre, gazer et asperger d'eau à haute pression des manifestants dans une petite ruelle. Levant les bras pour signaler un blessé, ces derniers tentent en vain de mettre à l'abri Quentin, qui vient juste d'être touché à l'œil par un tir policier. 

La présence de policiers cagoulés du GIPN (Groupe d'intervention de la police nationale) avec des boucliers d'assaut et eux aussi armés de LBD 40×46 interroge également, même au sein des professionnels du maintien de l'ordre contactés. Certes, cette unité d'élite régionale peut « intervenir à l'occasion d'opérations de maintien de l'ordre nécessitant l'utilisation de techniques et de moyens spécifiques », mais est-ce normal de le faire sans matricule, ni aucun moyen d'identification ?

Contactée, la préfecture de Loire-Atlantique n’a pas souhaité répondre à nos questions, la « justice étant saisie ». Elle rappelle « néanmoins la violence des faits qui se sont produits à l'occasion de cette manifestation, violence qui a pu être constatée par tous les témoins et s'est traduite, outre les dégâts importants relevés dans les quartiers où elle s'est déroulée, par de nombreux blessés de part et d'autre ». Selon la préfecture, « 130 policiers et gendarmes ont été pris en compte par les services médicalisés des unités, 27 ayant dû être adressés au CHU. Lequel a également recensé l'admission de 40 manifestants touchés à des degrés divers ».

BOITE NOIREContacté lundi matin, le directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique ne nous a pas répondu pour l'instant. Le collectif du 22 février tient une conférence de presse mardi 15 avril, à 11 heures, à Nantes.

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