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Santé : pour le Medef, 10 milliards d’économies, ce n'est pas assez !

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C’est inédit : le Medef a réuni, jeudi 9 avril, tous les acteurs privés de la santé, dont les représentants de puissantes fédérations patronales : celles de l’industrie pharmaceutique (Leem), de l’hospitalisation privée (FHP), des sociétés d’assurance (FFSA). À l’issue d’un après-midi de débat, auquel étaient conviés des représentants de l’assurance maladie, les vice-présidents du Medef Geoffroy Roux de Bézieux et Jean-François Pillard, chargés du social, ont dévoilé la contribution de l’organisation patronale à la « stratégie nationale de santé » du gouvernement, qui vise à réorganiser l’offre de soins, et à la recherche des 10 milliards d’euros d’économies sur les dépenses d’assurance maladie.

10 milliards d’économies n’est pas un effort suffisant pour le patronat : il propose donc 15 à 20 milliards. Avec en prime, une diminution de 10 milliards d’euros des dépenses d’assurance maladie, qui se retrouveraient à la charge des malades et des cotisants des complémentaires santé. Au programme donc : un colossal recul de l’assurance maladie solidaire au profit des acteurs du privé. Sans que ceux-ci ne consentent à un quelconque effort de maîtrise des dépenses de santé, alors qu’ils sont les grands bénéficiaires des colossales exonérations de cotisations sociales prévues dans le pacte de responsabilité (lire ici notre article : Au mépris de la Sécurité sociale).

« L’essentiel des efforts de la régulation de la dépense a été jusqu’ici porté par les acteurs privés : médicaments, dispositifs médicaux, médecins libéraux », estime le Medef. Aux autres donc de consentir des milliards d’euros d’économies. Cette attitude tranche avec la relative bonne volonté des autres acteurs de la santé : la Fédération hospitalière de France, qui représente les hôpitaux publics, estime par exemple possible, à la condition de réformes structurelles, d’économiser 5 à 7 milliards d’euros en 5 ans, sans dégrader la qualité des soins et les conditions de travail.

Le patronat reprend à son compte les réformes structurelles esquissées par la stratégie nationale de santé du gouvernement : un « hôpital recentré sur les cas lourds et complexes », et une médecine de ville « mieux structurée et mieux organisée ». Mais le Medef exclut tout effort de la part des cliniques privées : selon lui, 7 à 10 milliards d’euros sont possibles grâce à une « réduction des capacités hospitalières publiques ». Alors que les cliniques privées représentent plus de la moitié de la chirurgie, le Medef ne dit pas un mot des nombreux actes chirurgicaux inutiles, par exemple les césariennes programmées, plus souvent pratiquées dans les cliniques privées (9,4 % des accouchements) que dans le public (6,6 %) ; ou encore la multiplication par 15 en 20 ans des opérations du canal carpien (de 9 537 interventions en 1995 à 142 405 en 2005, selon l’Académie de médecine).

Têtu, le secteur privé continue à réclamer la « convergence tarifaire », c’est-à-dire l’alignement des tarifs du privé sur ceux du public. L’hôpital est en effet mieux rémunéré, ce qui se justifie par les missions de service public qui lui incombent (les urgences notamment), quand les cliniques privées se concentrent sur les activités les plus rentables (la chirurgie en particulier). Le Medef propose même d’ouvrir la possibilité pour le privé de reprendre des hôpitaux publics en « quasi-faillite ». La situation des cliniques privées n’est pourtant pas florissante : comme les hôpitaux publics, environ un tiers sont en déficit, et leur rentabilité est tombée en 2011 à 1,9 %, un taux insuffisant pour satisfaire les gourmands fonds de pension internationaux, actionnaires de grands groupes tels que la Générale de santé.

Le syndicat patronal poursuit encore son obsession de la « responsabilisation » du patient, en proposant d’instaurer de nouveaux tickets modérateurs, franchises et autres jours de carence dans la fonction publique. Et il ne digère pas la généralisation du tiers payant chez les médecins libéraux en 2017 : les patients n’auront plus à avancer les frais. Qu’importe si de nombreuses études prouvent que l’absence d’avance de frais est avant tout une mesure de justice sociale, et si l’explosion actuelle de la fréquentation des urgences s’explique aussi par la difficulté d’une partie de la population à avancer le prix d’une consultation.

Il faut aussi rationaliser le nombre de caisses d’assurance maladie, affirme encore le patronat. Elles ont pourtant déjà fait des efforts considérables (48 caisses primaires ont fusionné ces dernières années) et l’assurance maladie se prévaut de coûts de gestion limités à 4 % de ses recettes. Le Medef ne dit en revanche pas un mot des considérables et opaques frais de gestion des 649 organismes de complémentaire santé (Le Monde vient de lancer une enquête auprès de ses lecteurs. Le seul coût de la publicité et du marketing représente déjà 15 % du montant des cotisations !).

La puissante industrie pharmaceutique ne propose rien non plus pour limiter les dépenses de médicaments excessives et inutiles. Les anomalies persistent pourtant, comme vient de le rappeler l’assurance maladie dans une étude sur les médicaments de ville qu’elle vient de dévoiler : parmi 8 pays européens, la France continue à avoir la 1re dépense de médicaments par habitant en 2013. Le médicament le plus coûteux pour l’assurance maladie est le Lucentis (428 millions d’euros), ce traitement contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge, qui pourrait être remplacé par un traitement 20 fois moins cher. Le 3e médicament le plus cher est lui aussi une dépense inutile : c’est le Crestor (342 millions d’euros), le seul anticholestérol qui n’est pas un générique.

L’essentiel pour le Medef est que le système solidaire continue à financer l’innovation pharmaceutique. Qu’importe là encore si le coût de certains nouveaux médicaments frôle des niveaux insoutenables, même pour les systèmes de santé des pays les plus développés. Le Sofosbuvir, nouveau médicament révolutionnaire contre l’hépatite C, dont souffrent 230 000 personnes en France, coûte aux environ de 55 000 euros par patient (780 euros le comprimé). Quant aux nouvelles thérapies ciblées contre les cancers, l’oncologue Jean-Paul Vernant, auteur du dernier plan cancer, a publiquement jugé leur prix « immoral » dans une interview accordée à La Croix, à la suite d’oncologues nord-américains.

Les acteurs du privé ont du chemin à faire pour prétendre « assurer l’avenir du système en conjuguant efficience, innovation et responsabilité » : c'est le titre de la contribution qu’ils viennent de verser au débat public.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Request Policy


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