C’était le 8 juillet 2009, à Montreuil. Vers 22 heures, des policiers dispersent une cinquantaine de manifestants, qui, à l’issue d’un dîner festif, s’étaient rassemblés devant une clinique évacuée le matin même par les forces de l'ordre. Trois fonctionnaires tirent au Flashball. Plusieurs personnes, qui s’enfuyaient, sont touchées. L’une d’elles, Joachim Gatti, réalisateur de 34 ans, perdra son œil.
Près de cinq longues années plus tard, le parquet de Bobigny a fini par rendre, le 4 avril 2014, ses réquisitions. Mediapart a pu consulter ce document. Alors que trois policiers étaient mis en examen pour violences volontaires, Sylvie Moisson, procureur de la République, ne demande le renvoi devant les assises que d’un d’entre-eux, l'agent de la brigade anticriminalité de Montreuil (Bac) qui a mutilé Joachim Gatti.
« Devant le caractère accablant du dossier, la police et la justice ont décidé de lâcher un policier et de lui faire porter toute la responsabilité, laissant croire qu’il s’agit là d’un acte isolé, d’un accident en somme », a regretté le collectif du 8 juillet, qui rassemble plusieurs des personnes blessées. Il rappelle que « tous les tirs étaient dirigés vers nos visages. Nous avons été touchés à la nuque, à la clavicule, au front et à l’œil. Tous les tirs auraient pu nous blesser grièvement. »
Au total, ce 8 juillet 2009, trois policiers avaient fait usage à six reprises de leur Flashball. En toute illégalité, selon l'ex-commissaire de Montreuil, qui a reconnu selon les réquisitions que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur arme ». Selon le commissaire, « les fonctionnaires ont dû se méprendre sur le cadre d’intervention ». Ni lui, ni son lieutenant de police, qui dirigeait l’intervention, n’avaient cependant pensé à rappeler cette règle à leurs troupes. Sur le terrain, « dans un contexte de feux d’artifice », le lieutenant n’aurait d’ailleurs « pas perçu » les tirs de Flashball de ses hommes.
Vers 22 heures, voyant qu’une « cinquantaine » des convives du dîner festif se dirigeaient vers la clinique, sept policiers de l’Unité mobile de sécurité de Montreuil appellent des renforts. Ils sont rejoints par des agents des Bac de Montreuil et de Rosny-sous-Bois, du groupe de sécurité de proximité, de la brigade de nuit et de la brigade de jour. Soit 28 fonctionnaires au total, pas vraiment spécialistes du maintien de l'ordre. Ils reçoivent, selon le réquisitoire, « une pluie de projectiles, des canettes lancées en cloche ». Les manifestants se dispersent rapidement vers la place du marché de Montreuil, où les tirs de projectile cessent, de l’aveu même du lieutenant. C’est pourtant à ce moment qu’un policier de la Bac de Montreuil tire à deux reprises au Flashball. Atteint au visage, Joachim Gatti tombe au sol, avant d'être relevé par des manifestants, l’œil en sang.
Le policier, aujourd’hui âgé de 38 ans, affirme avoir tiré pour protéger ses collègues qui procédaient à une interpellation et qui « étaient toujours caillassés » par un groupe qui « continuait à avancer ». Le fonctionnaire, passionné par son métier et champion de France en équipe de tir à la carabine, a également assuré ne pas s’être rendu compte qu’il avait blessé quelqu’un. Une version « peu compatible » avec celle de sa propre hiérarchie et de plusieurs riverains interrogés par l’IGS (inspection générale des services), relève le parquet.
Les témoins, qui ont assisté à la scène Place du marché, ont effet décrit « une ambiance bon enfant » avec des manifestants qui « reculaient ». Aucun n’a vu de jets de projectiles. Et selon plusieurs riverains, « les policiers ne pouvaient pas ne pas voir le blessé, il avait chuté immédiatement et il n’y avait personne autour de lui », indique le réquisitoire. Dans leurs rapports, obligatoires après chaque utilisation du Flashball, aucun des trois policiers tireur n’a pourtant fait mention de blessés. Et ils se sont encore moins portés à leurs secours...
La procureure écarte donc « l’état de légitime défense », constatant que « l’information n’a pas permis de retenir l’existence de jets de pierre contemporains ». « Même si tel avait été le cas », précise-t-elle, l’usage à deux reprises d'une « arme non létale, mais susceptible de causer de graves blessures en direction d’un groupe compact de personnes à une distance de l’ordre de 8 à 10 mètres (…) n’aurait pu constituer les circonstances d’une riposte proportionnée à l’attaque ».
Cinq autres personnes affirment avoir été atteintes par des tirs de Flashball ce soir-là : à la jambe (deux jours d’ITT), à la clavicule (deux jours d’ITT), en haut du bras (un jour d’ITT), et pour le dernier au poignet, alors qu’il tentait de se protéger en ramenant ses mains sur sa tête, à la vue d’un policier en position de tir. Une experte de l’Institut national de police scientifique de Paris (INPS), désignée par la juge d’instruction, a estimé que quatre de ces blessures étaient compatibles avec un tir de Flashball.
Concernant ces cinq autres victimes, la procureure de Bobigny a toutefois requis un non-lieu à l’encontre des trois policiers mis en examen, «aucun lien n’ayant pu être établi entre les blessures (…) et les tirs de Flashball ». C’est désormais au juge d’instruction en charge du dossier de décider s’il suivra ou non ces réquisitions.
BOITE NOIREL'avocat du policier tireur, contacté jeudi soir, n'était pas joignable avant lundi.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Morts dans la nature