L’UFC-Que Choisir saisit les pouvoirs publics du problème de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), maladie des yeux dont le traitement de référence, le Lucentis, commercialisé par Novartis, coûte près de 900 euros par mois. Alors qu’il existe un autre médicament aussi efficace et aussi sûr mais beaucoup moins cher, l’Avastin de Roche, la DGS (direction générale de la santé) a imposé en 2012 l’utilisation du Lucentis. En 2013, les remboursements de Lucentis par l’assurance maladie se sont élevés à 438 millions d’euros, ce qui fait de ce produit l’une des spécialités les plus coûteuses pour la collectivité. Selon l’UFC-Que Choisir, l’Avastin représente une économie potentielle d’au moins 300 millions d’euros par an.
Dans un communiqué, l’UFC-Que Choisir s'élève contre « un inadmissible statu quo » et presse le gouvernement « de publier sans délai le décret qui permettra aux autorités sanitaires d’enfin autoriser un traitement moins coûteux de la DMLA, l’Avastin ». Que Choisir a saisi l’Autorité de la concurrence, qui mène actuellement une enquête sur une possible entente entre Novartis et Roche. Ce dernier laboratoire n’a pas demandé d’extension de son AMM (autorisation de mise sur le marché), demande qui aurait permis de régler le problème. Il existe des liens anciens entre Novartis et Roche, deux laboratoires bâlois qui ont une longue histoire commune.
Les molécules qui ont donné l’Avastin et le Lucentis ont toutes deux été mises au point par la société californienne Genentech. Celle-ci a vendu à Novartis la licence du Lucentis pour le monde entier, sauf les États-Unis ; et elle a cédé l’Avastin à Roche, qui a ensuite acheté Genentech pour près de 50 milliards de dollars. De ce fait, Roche touche des royalties sur le Lucentis aux États-Unis, tandis qu’ailleurs c’est Novartis qui empoche les profits liés au même médicament. Ce chassé-croisé d'intérêts ne pousse pas les deux laboratoires à se concurrencer mutuellement.
L’autorité italienne de la concurrence, qui a entrepris une enquête en février 2013, a condamné en mars Novartis et Roche à une amende de 182,5 millions d’euros pour « entente illicite ». D’après l’autorité italienne, « les preuves accumulées montrent que depuis 2011, Roche et Novartis se sont entendus pour créer une différenciation artificielle entre produits et prétendre qu’Avastin est plus dangereux que Lucentis en vue d’influencer les prescriptions et les services de santé ». Cette entente aurait coûté 45 millions d’euros au système de santé italien en 2012.
À la suite de la décision italienne, le député de Haute-Garonne Gérard Bapt, membre de la Commission des affaires sociales, avait déjà appelé l’Autorité de la concurrence à se saisir de l’affaire, et avait aussi demandé une enquête de la commission européenne pour « entrave à la concurrence ». Gérard Bapt avait également adressé une lettre au directeur général de la santé, le professeur Benoît Vallet, dans laquelle il demandait le retrait de la circulaire de la DGS de juillet 2012, jugeant « inacceptable de continuer à tolérer la rente de situation organisée par deux laboratoires capitalistiquement liés, au détriment des assurés sociaux français ». Le professeur Vallet lui a répondu que les données médicales « ne permettent pas, dans l’immédiat, d’envisager favorablement l’emploi d’Avastin en hors AMM ».
La position de la DGS est d’autant moins compréhensible que plusieurs études, en France et à l’étranger, ont démontré que dans le traitement de la DMLA, l’Avastin et le Lucentis étaient d’efficacité équivalente et aussi bien tolérés l’un que l’autre. Les essais CATT aux États-Unis et IVAN en Grande-Bretagne avaient abouti à cette conclusion, qui a été confirmée par l’étude Gefal, menée par le CHU de Lyon sous la direction du professeur Laurent Kodjikian. Il n’y a donc apparemment plus d’argument scientifique justifiant d’interdire l’Avastin pour soigner la DMLA. Il est également difficile de comprendre pourquoi l’Ansm, l’agence responsable du médicament, est restée en retrait et a laissé la DGS imposer une interdiction qui ne profite qu’aux intérêts des deux laboratoires.
Sur le plan réglementaire, une manière de contourner l’absence d’indication de l’Avastin pour la DMLA consisterait à mettre en place une RTU, ou « recommandation temporaire d’utilisation ». Cette solution a été proposée dès la publication de la circulaire de la DGS, en juillet 2012. À l’automne 2012, Marisol Touraine, ministre de la santé, avait introduit une modification législative en ce sens dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Mais le décret mettant en place cette RTU, en souffrance depuis plus d’un an, n’est toujours pas passé.
Selon l’UFC-Que Choisir, « la passivité des pouvoirs publics et des autorités sanitaires dans ce dossier est aussi étonnante que préjudiciable pour les usagers de la santé ». L’UFC-Que Choisir estime que les parlementaires doivent faire « toute la lumière sur la responsabilité de ces errements », et demande la mise en place d’une commission d’enquête. Elle réclame aussi la publication rapide du décret sur les RTU qui permettra à l’ANSM d’autoriser l’Avastin dans le traitement de la DMLA.
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