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Hollande reprend en main l’exécutif

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C’est un double symbole. Après le remaniement gouvernemental, François Hollande a procédé au remaniement de son cabinet et les deux nominations annoncées mardi, celle de son secrétaire général Jean-Pierre Jouyet et celle du secrétaire général aux affaires européennes, signent sa volonté d’accroître sa mainmise sur l’exécutif.

« L'idée est de faire un changement qui s'inscrit dans le changement », a expliqué François Hollande au Monde, dans une formule improbable. Avant d’ajouter : « Dès lors qu'une nouvelle équipe s'installait à Matignon, je souhaitais qu'il y ait une nouvelle équipe à l'Élysée », pour former entre les deux têtes de l’exécutif« une cohérence absolue, une équipe quasiment fusionnelle, une véritable unité de commandement ».

Le départ de Pierre-René Lemas du secrétariat général, un poste stratégique sous la Ve République, était attendu depuis plusieurs semaines. Dans la majorité, il lui était parfois reproché d’être trop « techno », voire d’avoir manqué de « fluidité » dans sa relation avec Matignon. Au point que certains députés socialistes avaient fait de Lemas l’incarnation des « couacs » et du « manque de dialogue » avec la majorité.

Ces griefs étaient alimentés et relayés au sein même de l’Élysée où ses relations étaient notoirement mauvaises avec le conseiller politique de François Hollande, Aquilino Morelle. Pierre-René Lemas est pourtant un homme affable, discret, loyal, « chaleureux », « qui ne cherche pas à faire des coups », disent de lui ses collaborateurs. Proche de François Hollande – ils se sont connus au sein de la promotion Voltaire de l’Ena –, il va diriger la Caisse des dépôts (CDC).

Jean-Pierre JouyetJean-Pierre Jouyet © Reuters

Il y remplacera Jean-Pierre Jouyet qui le remplace à l’Élysée. Jouyet est un intime du président de la République, qui a fait partie des prises de guerre de la stratégie d’ouverture de Nicolas Sarkozy en 2007. Secrétaire d’État aux affaires européennes jusqu’à la fin 2008, il est de ceux qui ont, entre autres, géré la ratification du traité de Lisbonne, adopté en remplacement du traité constitutionnel européen, rejeté en 2005. Il a ensuite présidé l’Autorité des marchés financiers et s’est finalement réconcilié avec Hollande qui a souvent raconté avoir été blessé par le choix de son vieil ami, issu lui aussi de la promotion Voltaire.

En 2012, le nom de Jouyet avait déjà circulé pour le secrétariat général mais il avait été écarté à cause de son ralliement sarkozyste, à une époque où Hollande voulait être un « président normal » et prétendait incarner une rupture dans la pratique du pouvoir. Jouyet avait finalement pris la tête de la CDC et de la Banque publique d’investissement, créée par le gouvernement Ayrault.

Cette fois, il signe son grand retour, profitant à la fois de son intimité politique et amicale avec le président de la République et de sa compatibilité avec Manuel Valls. Les deux hommes ont tous deux œuvré au sein du cabinet de Lionel Jospin à Matignon, Jouyet comme directeur adjoint, Valls comme responsable de la communication. Il va également retrouver l’ex-plume de Jospin à Matignon, Aquilino Morelle. « Jean-Pierre Jouyet connaît tout le monde et est respecté de tout le monde, y compris dans l'opposition », a justifié Hollande mercredi.

À l’Élysée, où il prendra ses fonctions la semaine prochaine, Jouyet pourra aussi piloter la politique européenne de François Hollande. Les eurodéputés socialistes ont d’ailleurs salué dans un communiqué « l’arrivée de Jean-Pierre Jouyet » : « Ce fin connaisseur des affaires européennes saura reconnaître tout son rôle au Parlement européen et entretenir un lien précieux entre le Président de la République et l'instance élue des Européens. »

En réalité, c’est toute la politique européenne de l’exécutif qui fait l’objet d’un remaniement plus discret mais crucial. Au conseil des ministres, Philippe Léglise-Costa, jusque-là conseiller Europe du président, a été nommé mercredi secrétaire général aux affaires européennes (SGAE). Comme Libération l’avait révélé, cette organisation avait déjà été mise en œuvre par François Mitterrand en 1988, sous Michel Rocard.

Là encore, il s’agit d'un poste clef qui a la main sur une administration inconnue du grand public mais forte de 220 personnes, chargée de mettre en musique les orientations européennes dans toutes les politiques publiques. Léglise-Costa va cumuler les deux fonctions, de conseiller Europe de François Hollande et de SGAE. Il remplace à ce poste Serge Guillon, qui cumulait, lui, avec le poste de conseiller Europe de Jean-Marc Ayrault à Matignon.

Le glissement des fonctions revient de fait à enlever une partie du pouvoir à Matignon pour le transférer à l’Élysée. Et ce même si l’administration elle-même reste rue de Varenne – juridiquement, aucun service ne peut être directement rattaché à la présidence en raison de l’article 20 de la Constitution stipulant que le « gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».

« Le SGAE ne change pas d’escarcelle, il continuera à travailler en direct avec Matignon. Mais nous souhaitions accélérer les circuits de prise de décision. Cela va dans le sens de tout ce qui se met en place avec la nouvelle étape (du quinquennat, ndlr) : le resserrement et la cohérence », explique-t-on à l’Élysée où l’on confirme que la transformation du SGAE est un « souhait et un projet porté par le président de la République ».

Ce choix est loin de faire l’unanimité. Ses partisans, confortés par un rapport du Conseil d’État de 2007, plaident le bon sens : les traités européens ont progressivement renforcé le rôle du conseil européen qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement. En France, et c’est une exception européenne, c’est le président de la République qui s’y rend, et non le premier ministre. Or l’administration est précisément à Matignon. Sans compter le rôle crucial joué par Bercy sur la trajectoire des finances publiques et le programme de stabilité. Et sans le rôle, au moins de représentation, du ministre délégué aux affaires européennes.

« Aujourd’hui, l’Europe, c’est l’Élysée et Bercy. Le rôle du chef de l’État a changé. Il négocie – il ne se contente plus de valider les grandes orientations autour d’un café avec ses partenaires. Changer le SGAE doit permettre une meilleure rationalisation du travail de l’exécutif », défend le député PS Christophe Caresche, auteur d’une note adressée en 2012 à Jean-Marc Ayrault. Philippe Léglise-Costa peut également se prévaloir d’avoir déjà travaillé avec Jean-Pierre Jouyet : il était numéro 2 de la représentation française à Bruxelles sous Nicolas Sarkozy, quand le nouveau secrétaire général était secrétaire d’État aux affaires européennes.

À l’inverse, l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot est furieux. « C’est une confusion des rôles incroyable qui dit l’insupportable légèreté de François Hollande sur l’Europe », tempête-t-il. Pour lui, nommer un « pur techno », en poste à Bruxelles sous Sarkozy, est un signe de plus de la désertion politique des sujets européens. « À part au tout début du quinquennat, François Hollande n’a plus organisé de réunions de ministres sur l’Europe. C’est devenu seulement une question technocratique, ce n’est plus un enjeu politique. Tout cela est minable », poursuit l’écologiste.

Un avis partagé par un négociateur français sur les dossiers européens. « Ce choix montre que l’Élysée ne comprend pas ce que faisaient Matignon et le SGAE. À l’Élysée, Philippe Léglise-Costa est un bon négociateur avec une culture très bruxelloise mais il ne connaît pas la partie franco-française. Il ne fait pas les réunions avec les présidents de région, il ne gère pas les 90 dossiers d’aides d’État, de l’Euro 2016 à la SNCM… Tout cela est le signe de la volonté plus large de l’Élysée de mettre la main sur les arbitrages et de contourner Matignon », explique cette source qui a souhaité rester anonyme.

Jadot s’en remet d’autant moins que la nomination d’Harlem Désir comme secrétaire d’État aux affaires européennes a consterné de nombreux élus au parlement européen où l’ex-chef du PS faisait figure de porté disparu. Sans même parler de sa gestion calamiteuse du parti majoritaire depuis 18 mois. « Hollande veut mettre un recalé du gouvernement à Bruxelles (Pierre Moscovici, ndlr) et le recalé du PS aux affaires européennes, c’est minable ! » insiste l’eurodéputé. Le rêve d'Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon de s'appuyer sur Manuel Valls pour engager une réorientation de la politique française en Europe en prend aussi un coup.

Mais en recentrant les pouvoirs à l’Élysée, François Hollande poursuit le lent processus entamé voilà plusieurs mois et clarifie un point : à la fin, il sera le seul responsable, du succès comme de la défaite.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Morts dans la nature


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