La logique majoritaire l’a emporté. La centaine de députés qui avaient menacé de ne pas voter la confiance à Manuel Valls sont finalement rentrés dans le rang. Seuls onze se sont abstenus, tous issus de l’aile gauche : une première sous la Ve République.
Quelques heures plus tôt, le nouveau premier ministre leur a servi ce mardi 8 avril un discours économiquement très orthodoxe, au cours duquel le mot “gauche” n’a été prononcé qu’après 40 minutes – pour réclamer « l’apaisement » après l’épisode du mariage pour tous. Quant au pacte de responsabilité et aux 50 milliards d’économies qu’ils critiquaient vivement, ils sont toujours là, intacts.
À 15 heures pile, Manuel Valls grimpe à la tribune : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France », commence le premier ministre. La droite, déchaînée, le restera pendant les 45 minutes d’un discours parfois laborieux, sans grandes envolées.
Valls passe en revue la « peur lancinante du déclassement » des Français, leurs « visages noués » et leurs « gorges serrées ». S’attarde sur la délinquance, les « fractures communautaristes », les « actes anti-juifs, anti-musulmans, anti-chrétiens, homophobes ».
Puis il entre dans le dur : le pacte de responsabilité, une baisse massive de cotisations patronales pour les salariés au Smic et, au-delà, la confirmation de 50 milliards d’économie. Il annonce aussi des réformes territoriales d’ampleur (la suppression de la moitié des régions au 1er janvier 2017 et des départements en 2021, etc.). Les écologistes applaudissent bruyamment. Les socialistes, déjà sortis lessivés des municipales, sont beaucoup moins enthousiastes : ce sont autant de mandats potentiels qui s'envolent. Valls évoque brièvement l’Europe, la politique monétaire de la Banque centrale européenne (« moins expansionniste que ses consœurs »), et l’euro « trop élevé ». Sur le banc des ministres, Arnaud Montebourg acquiesce ostensiblement.
Manuel Valls promet à plusieurs reprises d’associer davantage le Parlement. C’est pourtant la première fois qu’un premier ministre fait une déclaration de politique générale sans qu’un ministre chargé des relations avec le Parlement ne soit désigné. La première fois aussi que le chef du gouvernement s’invite à la réunion du mardi matin qui fixe l’agenda de l’Assemblée, entorse à la séparation des pouvoirs.
À la fin de son discours, Valls cite « Valmy », « 1848 », « la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis ». Le PS applaudit. Pour l’exaltation, il faudra repasser, mais le vote, peu avant 19 heures, est sans appel : 306 “oui”, 239 “non”.
UMP et centristes ont presque tous voté non. Le PS et les radicaux de gauche ont massivement voté “oui”. Dix des 17 écologistes aussi. Parmi eux les coprésidents, François de Rugy, Barbara Pompili ou encore la présidente de la commission des affaires européennes, Danielle Auroi, qui admet avoir « subi des pressions de la part de certains socialistes » (sans que cela n’explique son vote, dit-elle).
De Rugy ne verse toutefois pas dans l’euphorie : « Sur l'écologie, c'était un peu court. Sur les allégements de cotisations et les économies budgétaires, les inquiétudes ne sont pas levées. Sur le pacte de responsabilité, la majorité reste à construire. Sur la réforme territoriale comme sur la transition écologique, nous sommes prêts à dépasser les conservatismes à gauche et à droite, dans une alliance des réformateurs. Bref, notre confiance est critique et conditionnelle. »
Six écologistes s’abstiennent : Sergio Coronado, Eva Sas, ou encore Noël Mamère. Les plus à gauche. « Je plains les amis qui votent la confiance, dit Mamère dans les couloirs. La fin des cotisations est une incitation à la précarité. La transition écologique, ça a duré 25 secondes... Il n'y a rien de nouveau dans le ciel de la Hollandie. Les écologistes qui ont fait les yeux de Chimène à Manuel Valls ne voient pas qu'ils sont en train de tomber dans un piège. Ces propositions alléchantes ne sont que de la com. Il enfile les lieux communs comme on enfile des perles. » « Le gouvernement nous ressert les méthodes qui ne marchent pas depuis vingt ans », déplore Isabelle Attard, partie depuis à Nouvelle Donne. La seule du groupe écolo à voter contre.
Quant au Front de gauche, qui s'était abstenu en juillet 2012 lors du vote de confiance à Jean-Marc Ayrault, il l'a cette fois rejetée. « Ce qui est mou est flou », déplore André Chassaigne, le président du groupe, qui met en garde contre « l’immense colère qui monte dans le pays, la détestation de tout un système politique » et appelle à la constitution d’une « majorité alternative » à la gauche du PS.
Mardi, dès 16 heures, certains socialistes se sont employés à faire le service après-vente – ce qu’ils n’avaient pas fait le 3 juillet 2012, lors du discours inaugural d’Ayrault.
Les éléments de langage tournent en boucle : « Audace », « énergie ». « Sévèrement burné », ose même un député. « Vous nous trouverez à vos côtés pour mettre en œuvre (...) la promesse du Bourget », lance Bruno Le Roux, le chef des députés PS. Sur une chaîne d’info, Malek Boutih, qui détestait Jean-Marc Ayrault, applaudit « sa clarté, son dynamisme, son professionnalisme, sa modernité. (...) Désormais l’équipe gouvernementale a un capitaine et une direction. » Philippe Doucet, ex-ségoléniste, maire sortant d’Argenteuil battu aux municipales, dégaine la méthode Coué : « Pour moi, le compte y est. De toute façon, dès lors que vous ne votez pas la confiance, vous votez la défiance... Valls nous permet de rebondir. » Mais en réalité, aucun socialiste ne surjoue l’euphorie. L’atmosphère est tristoune, les mines graves.
Dimanche soir, à Matignon, l’aile gauche du PS avait prévenu : dissocier le pacte de responsabilité et le vote de confiance serait un minimum. Elle n’a pas été entendue. « Le président de la République avait indiqué le 14 janvier qu’il engagerait sa responsabilité sur ce pacte. C’est donc ce que je fais aujourd’hui devant vous », lance Valls. Difficile d’être plus explicite. À la fin du discours, plusieurs représentants de l’aile gauche (Mathieu Hanotin, Pascal Cherki, Pouria Amirshahi) restent ostensiblement assis, avant de se lever comme leurs collègues. Henri Emmanuelli se lève mais n’applaudit pas.
« Sur le fond, c'est du Schröder, sur la forme tout est verrouillé. Après une telle branlée électorale, si on continue, c'est qu'on n'a pas compris », se désole Pascal Cherki. « Le système de la Ve République écrase, mais il y a une conscience générale qu'il faut changer de cap. »
Finalement, une bonne part de l’aile gauche s'abstient : Pascal Cherki, Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte (suppléante de la ministre des outre-mer George Pau-Langevin), Barbara Romagnan, Jérôme Guedj, etc. Les rappels à l’ordre matinaux du président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux n’y ont rien fait. L’Élysée s’attendait à une dizaine d’abstentions, et le Rubicon du vote "contre" n’est pas franchi. De toute façon, la menace des sanctions n’a jamais fonctionné dans le groupe socialiste. Encore moins au lendemain d’une débâcle électorale !
Parmi les autres contestataires, très peu envisageaient de ne pas voter la confiance, parce qu’ils craignaient une crise politique majeure ou qu’ils caressent toujours l’idée d’être nommés secrétaires d’État ce mercredi – l’annonce a été habilement fixée à ce mercredi, après le vote, pour éviter une hémorragie d'abstentions.
Mais même ceux qui ont voté “oui” ne cachent pas leurs doutes. Comme Laurent Baumel, un des signataires, ex-strausskahnien pourtant très proche de la ligne Valls : « En responsabilité, nous n'allions pas provoquer une dissolution. Mais personne ne peut imaginer que ce discours réponde à notre texte. Nous votons. Notre pari reste d'infléchir la ligne. »
« Nous sommes solidaires de ceux qui se sont abstenus, renchérit l’aubryste Christian Paul. Manuel Valls n'a pas répondu suffisamment à nos attentes. il faut aller plus loin sur la réorientation de la politique européenne. Sur le pacte de responsabilité, on est dans le strict prolongement. Notre vote ne vaut pas approbation pour le pacte. Nous voulons toujours des contreparties sérieuses. » « Nous ne voterons pas le pacte de responsabilité dans le contexte actuel », insiste Baumel.
C’est qu’en relisant le discours, nombre de socialistes s'inquiètent. Sur les 50 milliards d’économies prévues entre 2015 à 2017, onze pourraient en partie provenir d’économies sur les « prestations ». « Ça me paraît très clair, il s’agit de baisser des prestations sociales », maugrée un pilier de l’Assemblée.
Les élus notent aussi le décalage entre les (désormais) 35 milliards d’euros accordés aux entreprises et les 5 milliards d’euros distribués aux ménages. Beaucoup s’inquiètent enfin des multiples allégements de cotisations patronales sur le travail, notamment au niveau du Smic, qui risquent d’être autant de trappes à bas salaires. « Je suis un peu réticent sur cette politique de déflation salariale », s’étonne Jean-Patrick Gille, spécialiste des questions d’emploi.
Sitôt la confiance votée, plusieurs des contestataires ont envoyé un communiqué aux rédactions. Leur message : « Cette démarche collective va se poursuivre et s’amplifier, avec la même détermination et les mêmes buts. Chaque semaine, nos votes en témoigneront. » La menace est à peine voilée : voilà Manuel Valls sous surveillance parlementaire.
Le prochain rendez-vous va arriver très vite : fin avril, les députés vont voter sur la trajectoire des finances publiques adressée à Bruxelles, qui comprend le pacte de responsabilité et les 50 milliards d’économie. Ce vote est une concession de dernière minute, octroyée aux parlementaires pour éviter que leur courroux ne s'aggrave. Et il donne déjà des sueurs froides au pouvoir : à quelques semaines des européennes du 25 mai, il devrait à nouveau virer au bras de fer entre le gouvernement et sa majorité.
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