Ce n'est pas encore une rébellion. Ni même une « fronde », terme récusé par Christian Paul, député proche de Martine Aubry. « Nous ne sommes pas des princes du XVIIe siècle contre Sa Majesté ! Nous sommes des parlementaires qui portons un message populaire après la sanction des municipales. »
À deux jours de la déclaration de politique générale de Manuel Valls, mardi 8 avril, discours qui sera suivi d'un vote, 90 députés socialistes issus de différents courants du PS (aile gauche, proches d'Arnaud Montebourg, aubrystes ou encore les très vallso-compatibles élus de la Gauche populaire, et « beaucoup de gens pas connus pour être des gueulards », dixit un signataire) ont en tout cas diffusé ce week-end un texte qui ressemble à un gros coup de pression envoyé au nouveau locataire de Matignon. Le rapporteur du budget, Christian Eckert et la présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, Catherine Lemorton, font aussi partie des signataires.
Intitulé "Les conditions de la confiance pour un contrat de majorité", il n'est pas tendre pour le pouvoir, à la hauteur de la déroute des municipales. « Depuis de longs mois, les élus locaux et les députés avaient alerté sur le fossé qui se creusait entre la gauche au pouvoir et son électorat, écrivent les signataires. Les Français n’ont pas changé depuis le 6 mai 2012, ils sont déçus (…) Les Français ont le sentiment que la politique qu’ils avaient choisie n’est pas assumée. Ils nous l’ont dit dans les urnes. Il faut maintenant passer des urnes aux choix et, pour nous, des mots aux actes. Les temps qui viennent sont pour tous, et pour chacun d’entre nous, une épreuve de vérité. »
Sans réclamer ouvertement un changement de cap politique (que François Hollande n'envisage pas, au grand dam des écologistes qui ont quitté le gouvernement), ils exigent une « réorientation européenne mettant fin aux politiques d’austérité » ; un « pacte national d’investissement » pour remplacer une partie des baisses de cotisations sociales attribuées sans condition aux entreprises dans le cadre du pacte de compétitivité ; des « mesures en faveur des bas salaires, la réforme fiscale et la CSG progressive, l’effort en faveur des retraites les plus modestes, que nous avons demandés depuis des mois » ; enfin, des décisions pour amplifier les choix et les engagements de 2012 : régulation bancaire, devoir de vigilance des multinationales, « bouclier » territorial, revitalisation de la démocratie, etc.
Dans un pays où le Parlement est bien souvent cantonné à exécuter la politique décidée à l'Élysée, les députés socialistes exigent un « dialogue » avec le gouvernement. « Le temps du Parlement est venu », écrivent-ils. « On ne peut pas continuer avec cette majorité-chamallow, tout miel et tout sucre, qui existe depuis 2012 », dit Philippe Baumel, un proche de Martine Aubry qui fait partie des signataires du texte. « Notre pays est dans un épuisement démocratique. Quand le Parlement s'affaiblit, c'est le pouvoir qui s'affaiblit. Nous ne voulons plus délibérer sous pression du gouvernement ou des technocrates », assure Christian Paul.
Cette tribune, dont l'idée a germé dès le soir du second tour désastreux des municipales, est un événement : depuis 2012, c'est la première fois qu'autant de députés socialistes signent un texte qui remet aussi clairement en cause l'ensemble de la politique menée. La première fois aussi que des députés socialistes engagent un vrai bras de fer avec l'exécutif en formulant des exigences nettes, en dehors des cénacles privés et de leurs discrets apéritifs du mardi avec François Hollande.
Le moment est évidemment propice. À l'Assemblée nationale, les écologistes ne sont plus au gouvernement (ils ne savent d'ailleurs toujours pas s'ils voteront la confiance mardi) et la majorité absolue socialiste ne tient plus qu'à une voix. Après la bérézina des municipales, les signataires menacent ni plus ni moins de ne pas voter la confiance à Manuel Valls si leurs protestations ne sont pas entendues. « La confiance, ça se mérite », répètent-ils depuis une semaine. « Nous sommes au virage du quinquennat. S'il n'y a pas de réaction du gouvernement, alors il n'y aura pas de potentialité de travailler ensemble et très vite, c'est le président de la République qui aura les doigts dans la prise », dramatise Philippe Baumel.
En réalité, bien peu songent à dégainer mardi l'arme nucléaire du vote "non": si la confiance à Manuel Valls n'était pas votée, François Hollande serait totalement désavoué et le premier ministre serait cerné par l'hypothèse d'une dissolution forcément catastrophique pour le pouvoir. « Voter non, c'est faire tomber le gouvernement. Ce n'est pas notre démarche. On veut tendre une main, pas donner une gifle », assure Arnaud Leroy, proche d'Arnaud Montebourg. Mais le résultat dramatique pour le PS des municipales leur donne enfin l'occasion de se faire entendre, eux qui depuis deux ans se voient sommés de voter les textes du gouvernement quasiment sans sourciller.
Le coup de semonce a déjà eu une première conséquence. Dimanche soir, le premier ministre a reçu cinq d'entre eux à 18 heures, pendant une heure : les aubrystes Jean-Marc Germain et Christian Paul, les députés de l'aile gauche Pouria Amirshahi et Jérôme Guedj, et Laurent Baumel de la Gauche populaire. « On venait délivrer un message. Manuel Valls est conscient des problèmes et de nos doutes. Il sait aussi qu'il est au cœur de contraintes contradictoires et qu'il doit arriver à les déminer. Mais à ce stade, nous n'avons pas de réponses précises à nos questions », explique Christian Paul.
« Le premier ministre a écouté ce que nous avons dit. Nous attendons désormais ce qu'il va dire d'ici mardi », ajoute Pouria Amirshahi, un des députés les plus critiques de la majorité depuis des mois. Lundi, les consultations vont continuer. Mardi matin, lors de la réunion du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, Manuel Valls devrait livrer la teneur de son discours de l'après-midi. Ce sera sa première réunion de groupe en tant que premier ministre : il risque de devoir affronter les récriminations de parlementaires chauffés à blanc par les résultats calamiteux dans leurs circonscriptions.
C'est à ce moment-là que les députés sauront si leur lobbying a fonctionné. Et notamment si une de leurs exigences majeures est entendue : un vrai débat sur le fameux « pacte de responsabilité » annoncé par François Hollande lors de ses vœux – une baisse de 30 milliards du coût du travail, en échange d'objectifs d'emplois très flous, pour l'instant non définis. À l'origine, François Hollande entendait engager la confiance du gouvernement sur ce texte. Les députés n'auraient eu qu'à se prononcer par un "oui" ou un "non" (ce dernier choix étant synonyme de mise à l'écart de la majorité).
Désormais, la centaine de signataires entend bien peser sur le contenu de ce pacte, dans lequel ils voient surtout des cadeaux fiscaux aux entreprises sans contreparties. Ils estiment aussi que le vote de confiance de mardi ne vaudra pas acceptation automatique du pacte – qui doit être assorti (Hollande l'a promis lundi dernier) d'un « pacte de solidarité » dont les contours ne sont eux non plus pas connus.
« Au minimum, le premier ministre doit dire explicitement mardi qu'il soumettra le pacte à la délibération, aux amendements et au vote des députés pour pouvoir le réécrire et le réviser », affirme Pouria Amirshahi. « Si le premier ministre s'engage explicitement dans cette voie, alors nous pourrions considérer que c'est une base pour un pacte majoritaire. » Dans le cas contraire ? « Si voter la confiance, c'est voter le pacte de responsabilité, alors je ne donnerai pas de chèque en blanc par mon vote », dit-il. « Nous ne votons pas le pacte mardi ! » martèle Christian Paul. « Le pacte sera annoncé le 15 avril, on ne l'a pas encore vu. Moi, je ne suis pas Garcimore, je ne peux pas deviner ce qu'il y a dedans », estime Arnaud Leroy, proche du ministre de l'économie Arnaud Montebourg. Henri Emmanuelli, figure de l'aile gauche du PS, estime lui aussi que le gouvernement doit « soumettre au Parlement ce pacte dans la totalité de sa cohérence ». « Ce sera pour moi le prix de la confiance. Confiance, oui, chèque en blanc non. En l’absence de cet engagement précis, ce sera l'abstention », menace-t-il.
« À partir de mardi s'oriente un processus de réorientation politique », espère Laurent Baumel, ex-strausskahnien de la Gauche populaire. « Réorientation », mais vers quoi ? Depuis plusieurs jours les conseillers de Manuel Valls s'emploient à déminer auprès des parlementaires cette image de social-libéral qui colle à Valls, une des figures les plus centristes du PS qui fut dans le passé pourfendeur des 35 heures et partisan de la TVA sociale. Leur credo : « Valls n'est pas un Blair à la française. » « J'attends qu'il me surprenne ! » dit un des signataires, encore dubitatif. « Manuel Valls n'a pas d'autre choix que de démentir cette image, car notre majorité n'est pas sociale-libérale. Et elle entend jouer son rôle », prévient Christian Paul.
BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été interrogées dimanche soir. Pouria Amirshahi a réagi par SMS.
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