Face au Clemenceau de Valls, elle a choisi de citer Gambetta. Au moment d’entamer son discours devant le conseil fédéral d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Cécile Duflot a eu du mal à maîtriser l’émotion qui faisait chevroter sa voix. « Ma conscience me fait un devoir de résigner mes fonctions de membre du gouvernement avec lequel je ne suis plus en communion d'idées ni d'espérance », a-t-elle introduit, en référence à la démission de Gambetta lors de la guerre de 1871. Face à une salle pleine à craquer, la ministre du logement démissionnaire a, samedi 5 avril, convaincu le parlement du parti écologiste, emportant largement l’applaudimètre à l’issue d’une intervention tranchante et détaillée sur les raisons de sa décision, « mûrie, lourde et douloureuse ».
Ce discours d’une vingtaine de minutes (lire ici), écrit « en une heure et d’un jet » ce samedi au petit matin, a été peu remanié par les plumes de l’ex-ministre. Sa rupture avec le nouvel exécutif, Duflot l’a expliquée par son engagement post 21-avril. À ses yeux, l’« espoir patiemment reconstruit » depuis a été en partie « dilapidé », « enterré sous les cendres de la déception et des promesses non tenues ». « Quelque chose se désagrège sous nos yeux, sans que beaucoup ne soient capables d’en prendre la mesure réelle », lâche-t-elle devant un auditoire conquis, l’applaudissant à plusieurs reprises.
Continuer dans le gouvernement Valls, estime-t-elle, ce serait faire preuve de « surdité » face au message des urnes. Et ce, malgré la « solide proposition » du premier ministre, qui a tant ébranlé certains de ses camarades. Duflot, elle, a tenu à nuancer fortement les promesses de Manuel Valls, dans un document où ne figure en réalité aucune concession nouvelle, et auquel « il manque 18 pages » par rapport à l’accord législatif PS/EELV signé avec Martine Aubry en novembre 2011.
Quant au « fameux grand ministère » de l’écologie, des transports et de l’énergie, promis par Valls, elle le vide de son attrait politique en une sentence : « Disons-nous la vérité : il y a une vraie marge de manœuvre dans un ministère, mais elle n’existe réellement que si l’arbitrage se fait en votre faveur. » Aux yeux de la désormais députée, si le pacte fausto-vallsien pouvait « optiquement » être jugé digne d’intérêt, « politiquement », il n’apportait « aucune » garantie, assure-t-elle. « Puisque le président de la République a clairement indiqué que son cap ne varierait pas d’un pouce (…), j’ai payé pour savoir que, pour certains, les mots ont vocation à rester des mots. »
Refusant cette « politique où le verbe compte plus que les actes », elle conclut : « Sans changement de cap, sans davantage de fermeté face aux lobbies, sans bras de fer avec Bruxelles, sans faire le choix d’une politique de relance écologique, la transition restera un mot creux, une opération de communication destinée à être vidée de son sens comme le fut jadis le Grenelle de l’environnement. »
L’autre ministre écolo (délégué au développement), Pascal Canfin, a succédé à Duflot à la tribune, en axant son intervention sur la politique d’austérité à venir. « 50 milliards de réduction des dépenses publiques, ça ne peut pas se faire sans toucher aux allocations logement, chômage, prestations sociales, a-t-il expliqué. Nous avons assisté à un certain nombre de réunions pour en être convaincus. Jamais un gouvernement de droite n’a mis un tel programme en œuvre. » En coulisse, des proches de Duflot expliquent : « Rien que pour le ministère du logement, ce sont 4,5 milliards d’économie qui sont demandés. Le scénario de la disparition de certaines aides au logement paraît inéluctable. On ne peut pas assumer de faire ça. »
L’opposition interne a toutefois été plus importante qu’imaginée en début de semaine dernière, notamment chez les grands élus. « L’agitation des parlementaires et de Dany (Cohn-Bendit) a fait bouger des lignes », admet un dirigeant. Les deux coprésidents du groupe de députés EELV ont cependant rencontré un accueil mitigé, lors de leur plaidoirie pro-participation gouvernementale.
François de Rugy a critiqué le processus de décision, regrettant que ce soit le bureau exécutif qui ait fait le choix, « à sept voix contre trois », d’un revirement stratégique aussi important. Conscient que les militants d’EELV étaient largement en faveur d’une non-participation, il a rappelé le doute plus grand qui traversait l’électorat écolo. « Il n’y a pas de parti sans militants, mais il n’y a pas non plus d’élus sans électeurs », dit-il, sous de timides applaudissements. Sa collègue Barbara Pompili, au début chahutée par le conseil fédéral, a insisté : « En étant dehors, nous prenons un risque par rapport à la loi de transition écologique. Si c’est un bon texte, les socialistes diront qu’ils n’ont pas besoin de nous. Si c’est une loi pourrie, ils diront que c’est de notre faute et à cause de notre sortie du gouvernement. »
De son côté, la secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse, a soutenu son amie Duflot. Mais du bout des lèvres, elle-même partagée sur la décision de quitter le gouvernement. Dans la séquence, son rôle a été salué par tous, notamment le fait qu’elle associe un maximum de personnes à la discussion, et qu’elle tente de concilier au mieux les avis contraires. Alors, dans le même temps qu’elle assure que « un jour, les écologistes reviendront au gouvernement » (comme Duflot après elle), Cosse regrette que « le président de la République n’ait jamais cherché à construire durablement une alliance avec nous ». Et achève son discours en appelant à la responsabilité : « Le pire dans ce contexte compliqué serait de se diviser et de perdre son temps dans des débats stériles. »
Quant au vote de confiance à Manuel Valls, prévu mardi à l'Assemblée, le premier ministre a prévenu les écologistes, dans le Journal du dimanche : « S'ils restent dans la majorité en votant la confiance, ils seront associés. » Un avertissement qui n'a pas refroidi le conseil fédéral d'EELV.
Dimanche matin, à huis clos, le débat sur le sujet s'est conclu par une prise de position en faveur de l'abstention, à 102 voix pour, 10 contre et 11 blanc. « La confiance dans le gouvernement ne peut être accordée tant qu'une réorientation de la politique économique, sociale et environnementale n'aura pas été amorcée. » Dans les faits, aucun mandat impératif non plus du parti aux députés, celui-ci n'étant pas dans la tradition écolo. « La logique, c'est l'abstention, explique David Cormand, secrétaire national aux élections. Mais les parlementaires auront la marge d'appréciation utile pour en discuter », mardi, une fois le discours de Valls prononcé (le vote intervient un quart d'heure après).
Pourtant, les “pro-participation” ne cessent d’agiter un sondage pronostiquant « 85 % de sympathisants EELV mécontents » de la sortie du gouvernement. Dans la notice de l’institut BVA (lire ici), on peut toutefois constater que ce chiffre est issu d’un sous-échantillon inconnu, lui-même issu d’un panel de 1 000 sondés. Soit, au mieux, une centaine de personnes… Cécile Duflot n’use même pas de l’argument : « Sarkozy a gouverné durant cinq ans avec des enquêtes d’opinion, et ça a mal fini. De temps en temps, les convictions doivent s’imposer sur les sondages. »
Désormais, elle dit « ne plus avoir aucun doute » sur le bien-fondé de son choix. Quand on lui demande si elle goûte de pouvoir “refaire de la politique” de façon offensive, et non plus justifier son action gouvernementale par la seule défense d’acquis écolos (comme les gaz de schiste ou Notre-Dame-des-Landes), elle lâche : « Ça fait immensément de bien. »
« La politique est un combat collectif qui passe par la sagesse du compromis et la patience de la modération, s’est-elle lyriquement exclamée à la tribune du conseil fédéral. Mais la politique provoque aussi ces moments de cristal où l’on est face à soi-même, seule, où il faut une réponse simple : oui ou non. » Devant quelques journalistes, elle explique qu’« accepter d’être numéro deux du gouvernement, c’est fermer définitivement la porte entrouverte d’une alternative, qui ne soit pas la seule révolution éco-socialiste », qui ne correspondrait pas à la « modération du pays ».
Les tentations d’alliance avec le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon, bien que très minoritaires à l’intérieur d’EELV, ont été au centre des interventions des “pro-participation gouvernementale”. Façon épouvantail de circonstance, après l'adresse du PG à EELV (lire ici). Jean-Vincent Placé a même intimé au porte-parole du parti, Julien Bayou, de ne pas aller manifester le 12 avril prochain, lors de la marche anti-austérité annoncée par Attac, le Front de gauche, le NPA et plusieurs syndicats. Proche, comme Bayou, d’Eva Joly et de l’aile gauche du parti, le député Sergio Coronado annonce pourtant qu’« il y a aura un cortège écolo le 12 avril ». « Pas énorme, sourit-il. Mais ils ne le sont jamais vraiment, quelles que soient les manifs. »
Cécile Duflot a elle tenu à rassurer ses opposants sur le sujet. « Jean-Luc Mélenchon et ses amis, qui hier n’avaient pas de mots assez durs pour nous stigmatiser – et avaient violemment attaqué la loi Alur par exemple – semblent soudain touchés par la grâce et veulent nous embrasser comme du bon pain, a-t-elle balayé à la tribune. Mais je veux dire ici une chose bien claire : je ne crois pas à la guerre des gauches. Et l’écologie politique ne servira jamais de variable d’ajustement ou d’idiot utile dans les règlements de comptes entre les forces déclinantes du productivisme. » Pour Sergio Coronado, « Cécile a tort de réagir comme cela. Si Hollande est sorti de l’ambiguïté à ses dépens, en nommant Valls, Cécile aussi. Et elle se retrouve contestée par ses proches ». Selon le député, « son acte n’a de sens que si elle joue un rôle de leader d’alternative à gauche. Et pour cela, elle doit être rassembleuse ».
À ce stade, il semble trop tôt pour connaître les plans de Duflot en matière de « construction d’alternative ». Celle qui a dit lors de son discours de départ du ministère du logement, qu’elle souhaitait « être utile à la gauche », va d’abord prendre des vacances, avant de retrouver son siège de député de Belleville (comme Gambetta), quartier “bobo-populaire” de la capitale. Au groupe EELV, elle ne tient visiblement pas à conquérir la présidence, n’ayant guère envie de mener bataille face à ses nouveaux adversaires internes, François de Rugy et Barbara Pompili, ainsi que la majorité des autres députés.
Mais ce samedi après-midi a montré que Duflot restait incontournable à EELV et dans le paysage politique à gauche. Elle ne le dit pas en public, mais elle regrette de se retrouver seule à avoir franchi le Rubicon, alors que ses anciens « copains » Christiane Taubira et Benoît Hamon ont été l'une maintenue, l'autre promu. Interrogée sur sa proximité avec Martine Aubry, elle ne se fait pas prier pour confier qu’elle a été en contact avec la maire de Lille « avant, pendant, et après » sa démission. Elle souligne aussi qu’avec Marie-George Buffet, elles avaient réalisé l’union de la gauche lors des régionales de mars 2010. Et elle note qu’aucune des trois n’est aujourd’hui satisfaite de l’orientation de François Hollande…
Désormais, pour achever de valider la réussite de son pari démissionnaire, Cécile Duflot espère un bon score des écologistes aux prochaines européennes, façon de valider dans les urnes son choix stratégique. Si tel était le cas, elle entend bien faire prospérer son « utilité » à gauche. Avec ou sans les parlementaires, davantage désireux de gouverner avec Manuel Valls.
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