À la suite d'une plainte de l’ex-ministre de l’intérieur Manuel Valls, Amal Bentounsi, 38 ans, sera jugée lundi 7 avril 2014 au tribunal correctionnel de Paris pour « diffamation publique envers une administration ». Son tort ? Avoir posté sur son site Urgence-notre-police-assassine.fr un clip vidéo dénonçant l’impunité des forces de l’ordre auteurs de bavures.
Le frère d’Amal Bentounsi, Amine (qui avait fait franciser son prénom en Jean-Pierre), a été tué d’une balle dans le dos par un gardien de la paix de 33 ans, le 21 avril 2012, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). L'enquête sur les circonstances de sa mort est toujours en cours. Amine Bentounsi était armé. Le policier, qui a tiré à quatre reprises, crie à la légitime défense, une version remise en cause par plusieurs témoignages et l'autopsie.
Père d’une petite fille de six ans, le jeune homme, multirécidiviste, avait 29 ans et était en cavale depuis juin 2010 (lire son portrait dans Libération). Il lui restait 18 mois à purger d’une condamnation pour le braquage à main armée d’un supermarché avec séquestration des employés. « C’était sa troisième permission, je l’ai raccompagné à la gare du Nord le 26 juin 2010 pour qu’il retourne à la maison d’arrêt de Châteaudun (Eure-et-Loir), et puis je ne l’ai plus jamais revu, raconte sa sœur. Il s’était mis au vert et avait refait sa vie à Noisy-le-Sec. »
Le 25 avril 2012, le juge d’instruction de Bobigny chargé du dossier met le policier tireur en examen pour « homicide volontaire ». Colère des policiers qui défilent en uniforme sur les Champs-Élysées, gyrophares allumés et sirènes hurlantes. En toute illégalité, mais sans aucune réaction du ministre de l’intérieur Claude Guéant, qui déclare au contraire espérer « de tout cœur que le parquet voudra bien faire appel de cette qualification ». Comme promis par Claude Guéant dans l’entre-deux-tours, le gardien de la paix continue de percevoir son traitement et a simplement été muté à des tâches administratives dans sa région d’origine, l’Isère, le temps de l’instruction. L’affaire s’invite dans la campagne présidentielle. Le lendemain, Nicolas Sarkozy embraie et réclame une « présomption de légitime défense » pour les forces de l'ordre, reprenant une vieille antienne du Front national.
« Comment est-ce possible que des policiers manifestent contre une décision de justice prise par un juge indépendant, au vu des éléments dont lui seul dispose ?, s’interroge encore aujourd’hui Amal Bentounsi. Comment un ministre de l’intérieur peut-il dire qu’il comprend ces policiers ? Où est la justice impartiale quand le politique s’en mêle ? »
Quelques heures après sa prise de fonction place Beauvau le 17 mai 2012, la première sortie du nouveau ministre, Manuel Valls, est pour le commissariat de Noisy-le-Sec où travaillait le policier mis en examen. « Il n’a pas eu un mot pour la famille de la victime, dit Amal Bentounsi. J’y étais, je voulais lui parler, la sécurité a fait barrage, ils ont pris mon numéro de téléphone en me promettant que le cabinet de Valls me rappellerait. Depuis, pas de nouvelles. »
Si ce n’est, donc, cette plainte pour « diffamation publique envers une administration » déposée par le ministre de l’intérieur le 21 janvier 2013. « C’est le deuxième bras d’honneur que m’a fait Manuel Valls », dit-elle. En novembre 2012, elle avait réalisé un clip vidéo parodiant les campagnes de recrutement de la police nationale en y mêlant des images de violence policière.
Dans cette vidéo, qui a depuis été remplacée par un clip « plus professionnel », elle affirmait notamment : « Vous voulez commettre des violences et crimes en toute impunité sans jamais être inquiété par la police ? Vous êtes violent, insultant, ne respectez pas le code de déontologie ? (…) Prêt à tuer sans être en état de légitime défense ? En argent de poche en fin du mois coller des outrages à agents (…)? Ne vous inquiétez pas, même si vous êtes coupable, on s’arrangera pour que vous ne le soyez plus. Alors n’attendez plus, la police est le meilleur des métiers pour être au-dessus des lois. » Le site évoquait également « l'omerta de la part du ministère de l'intérieur et de la justice qui visent à protéger ces policiers ». C’est notamment pour ces propos qu’elle est poursuivie. Son avocat, qui fut aussi celui de son frère, Me Michel Konitz, ne comprend pas non plus : « Je trouve insensé que le ministre de l’intérieur ait déposé plainte. À ce compte, pourquoi ne pas aussi poursuivre Nicolas Sarkozy pour ses propos comparant la justice française à la Stasi ? »
En 2002, le ministre de l'intérieur, un certain Nicolas Sarkozy, avait déposé plainte pour « diffamation, atteinte à l’honneur et à la considération de la police nationale » contre Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, pour des propos similaires dans un article publié dans un fanzine. Après huit ans de procédure, la Cour de cassation avait fini le 25 juin 2010 par donner raison au rappeur estimant que « les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire » et n'étaient donc pas diffamatoires même s'ils « revêtaient un caractère injurieux ».
Amal Bentounsi dit avoir réalisé ce clip sur une « impulsion » un soir. « Je venais d’avoir le dossier d’instruction, je suis tombée sur les photos d’autopsie de mon frère, cela m’a traumatisée », explique-t-elle. Depuis, la jeune mère de famille ne vit que pour ça : réhabiliter son frère, présenté à l’époque comme un dangereux braqueur en fuite.
« C'est assez récurrent que les victimes de violences policières soient transformées en coupables, comme si on les rendait responsables de leur mort », dit-elle. Amal Bentounsi a déménagé de Meaux, la ville où elle et ses cinq frères et sœurs ont grandi et où elle tenait une sandwicherie en centre-ville. « Ça marchait très bien, je voulais créer une franchise, mais je ne supportais plus les policiers qui passaient avec un sourire narquois », explique-t-elle.
Cette ex-commerçante espère faire de ce procès en diffamation une tribune pour les autres familles de victimes de violences policières qu’elle a rencontrées. Elle a notamment sympathisé avec Farid El Yamni, qui se bat depuis deux ans pour connaître la vérité sur la mort de son frère Wissam, tombé dans le coma après avoir été interpellé la nuit de la Saint-Sylvestre de 2012. « Mais la plupart des familles ont peur et ne savent pas comment faire face à la justice, dit Amal Bentounsi. La France a l'une des polices qui ont été le plus condamnées par les instances européennes (sept condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme depuis 1992, ndlr) et notre gouvernement demeure sourd et aveugle. »
Alors elle a fait le choix assumé de la provocation, en interpellant par exemple Manuel Valls, mégaphone à la main, lors du congrès annuel de l’Union syndicale des magistrats en octobre 2012 à Colmar. « Ça a créé un peu de confusion, car je m'étais trompée de place, j’étais sur les bancs des magistrats, juste à côté des syndicats de flics, se souvient-elle. Je voudrais vraiment qu’on me réponde : la justice française peut-elle faire son travail concernant la police ou est-ce une utopie dans laquelle on entretient les familles ? » Amal Bentounsi attend toujours la réponse…
BOITE NOIREJ'ai rencontré Amal Bentounsi le 3 avril, au lendemain de sa conférence de presse. Une marche de « commémoration nationale des victimes de la police » doit partir samedi 5 avril à 15 heures du métro Anvers à Paris. « Nous voulions aller du ministère de l'intérieur à celui de la justice, dit Amal Bentounsi. Mais le trajet a été refusé par la préfecture de police de Paris. »
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