Mardi, dans la cour de Matignon, les caméras étaient toutes braquées sur Jean-Marc Ayrault laissant les clefs à Manuel Valls. Au même moment, en toute discrétion, une autre passation de pouvoir avait lieu au premier étage de l’hôtel particulier : celle entre le directeur de cabinet du partant, Christophe Chantepy, et sa remplaçante, Véronique Bédague-Hamilius. Et dans le sillage de Manuel Valls, plusieurs de ses proches venus de la place Beauvau prenaient déjà possession des lieux.
Leur profil traduit logiquement la feuille de route fixée par François Hollande à son premier ministre : mieux communiquer et mettre en œuvre le « pacte de responsabilité ». Vendredi, lors du premier conseil des ministres du gouvernement remanié, le président de la République a confirmé ses priorités. « Aller encore plus vite, il s’agit moins de légiférer que de répondre rapidement aux attentes des Français. De faire plus simple pour changer plus concrètement la vie de nos concitoyens. Plus simple et différemment », a expliqué Hollande à ses 16 ministres de plein exercice.
Quant à Valls, il a esquissé sa méthode de travail, avec davantage de discussions politiques au sein du gouvernement, et vanté les mérites d’une communication mieux huilée. « Les membres du gouvernement devront également veiller à la bonne intégration des contraintes de la communication dans la démarche de réforme », a-t-il dit, selon le compte-rendu officiel du conseil des ministres.
À Matignon, il s’appuiera d’abord sur sa directrice de cabinet, première femme nommée à ce poste à Matignon, Véronique Bédague-Hamilius. Elle n’est ni une “vallsiste” ni une proche du nouveau premier ministre. À 50 ans, elle est considérée comme une proche de Laurent Fabius, dont elle a été la conseillère à Bercy sous Lionel Jospin de 2000 à 2002, et qui venait de la nommer pour diriger la nouvelle agence du commerce extérieur français. Et, surtout, de Bertrand Delanoë, avec qui elle a travaillé 13 ans à la mairie de Paris. De 2002 à 2009, elle est directrice des finances, puis secrétaire générale (de 2009 à 2014) d’un mastodonte fort de 50 000 agents et d’un budget de 7 milliards d’euros.
C’est là qu’elle a noué une « forte relation », selon un témoin de l’époque, avec Nicolas Revel, directeur de cabinet de Delanoë à l’époque, devenu en 2012 secrétaire général adjoint de l’Élysée. Une proximité qui a joué un rôle important de la nomination de Véronique Bédague-Hamilius. Son profil très économique – en début de carrière, elle a été détachée de Bercy comme économiste au FMI – a également pesé puisqu’elle devra coordonner et impulser la mise en œuvre du « pacte de responsabilité » de François Hollande et du vaste plan d’économies de 50 milliards d’euros, dans un domaine qui n’a jamais été la spécialité de Manuel Valls.
« Techno mais politique », selon un ancien collaborateur à Paris, elle est réputée partager la ligne « très social-démocrate » de l’Élysée. « Elle est dans la cohérence parfaite. Elle pense qu’il faut réduire la dépense publique, elle n’est pas passée par le privé mais elle a une sensibilité très forte vis-à-vis des entreprises et une vision internationale », dit un autre ex de l’équipe Delanoë.
Un de ceux qui l’ont côtoyée auprès de Fabius juge aussi qu’elle est « une femme de gauche, même si elle vient du Budget et qu’elle compte ses sous », avec une « fibre sociale et de lutte contre les discriminations » mais que « ce n’est pas une idéologue avec une vision structurée de transformation de la société ». Ceux que Mediapart a interrogés décrivent tous une « femme bien » qui se tient « loin des intrigues », « bosseuse », parfois rétive à déléguer, et « qui ne tergiverse pas ». Les syndicats de la mairie de Paris sont bien plus critiques, dénonçant sa mise en œuvre de la RGPP (c’est la CGT) ou une « vision technocratique du monde » (c’est l’Unsa).
L’arrivée de Valls à Matignon, c’est aussi le grand retour d’Yves Colmou. Homme de l’ombre et de réseaux, expert de la carte électorale et ancien super-DRH du PS, il retrouve la rue de Varenne pour la troisième fois après avoir officié comme conseiller de Valls place Beauvau !
En quelques décennies, Yves Colmou a su se rendre incontournable, sorte de fil rouge entre la rocardie, la jospinie, et aujourd’hui Manuel Valls. « On n’est pas très nombreux, au PS, à connaître aussi bien le fonctionnement des cabinets, à avoir participé aux quatre législatures de la gauche », soufflait l’an dernier l’intéressé, ami revendiqué de Daniel Vaillant.
Les deux hommes se connaissent depuis trente ans. Pendant quinze ans, Yves Colmou a suivi Michel Rocard comme son ombre, d’abord aux ministères du plan et de l’agriculture au début des années 1980, puis à Matignon (1988-1991) comme chef de cabinet, puis à la tête du PS (1993-1994) comme directeur de cabinet. Valls, lui aussi, a été de l’aventure Rocard et, comme Colmou, il va ensuite choisir Lionel Jospin après la lourde défaite de leur mentor aux européennes de 1994.
Les deux hommes ont été conseillers de Jospin à Matignon à l’époque de la gauche plurielle. Et pendant la campagne présidentielle de 2002, Colmou gère la communication du premier ministre, Valls celle du candidat. Ils se sont retrouvés pendant la campagne de François Hollande en 2012.
Entretemps, Colmou a travaillé comme chasseur de têtes au service des collectivités locales de gauche, pour un cabinet de recrutement privé baptisé Progress. Son métier : fournir des cadres dirigeants aux communes, départements, intercommunalités... Un marché ultra-juteux, de plus en plus vaste au fur et à mesure des victoires remportées par la gauche aux élections locales, et parfois contesté. L’an dernier, une chambre régionale des comptes, celle d’Alsace, avait tiqué sur certains contrats entre Progress et la Ville de Strasbourg dirigée par l’ex-rocardien Roland Ries.
Au fil des ans, Yves Colmou s’est imposé comme l’un des meilleurs « DRH » du parti socialiste, au point d’avoir joué un rôle en mai 2012, lorsque les ministres de François Hollande ont dû constituer leurs cabinets. Discrètement, il a placé ses ouailles – « Sans doute pas plus de dix personnes au total ! » s’efforçait-il de relativiser quand Mediapart l’interrogeait l’an dernier. Colmou est également devenu l’un des meilleurs connaisseurs de la carte électorale, et c’est lui qui a préparé le dernier redécoupage des cantons. De quoi faire hurler la droite qui l’avait déjà attaqué en janvier 2013 sur sa nomination comme préfet « hors cadre ».
À Matignon, Manuel Valls sera entouré d’un autre ancien du cabinet de Lionel Jospin entre 1997 et 2002 : Gilles Gateau va être nommé conseiller social, poste qu’il occupait déjà sous la gauche plurielle. Depuis mai 2012, il était directeur de cabinet de Michel Sapin, ministre du travail.
Le premier ministre emmène également rue de Varenne sa garde rapprochée, à ses côtés depuis ses années en Essonne et à Évry, Sébastien Gros (chef de cabinet) et Harold Hauzy (chargé de la communication). Sa conseillère parlementaire Magali Alexandre est, quant à elle, coauteure d’un ouvrage avec Jean-Jacques Urvoas, « un pote de Manuel » selon son expression.
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