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Stade de Lille: les arrangements d’Eiffage avec l’environnement

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Autorisation administrative non respectée, étude d’impact parcellaire, manque de contrôle sur des déchets pouvant contenir des éléments radioactifs : le géant du BTP Eiffage a construit le Grand Stade de Lille, baptisé stade Pierre-Mauroy, en prenant des libertés avec le droit de l’environnement. C’est ce que révèlent des documents exhumés par l’association Nord Écologie Conseil, dont Mediapart publie les principaux éléments. Ils éclairent les dessous défaillants d’un contrat de 440 millions d’euros, un partenariat public-privé (PPP) signé pour trente et un ans. Eiffage fait par ailleurs toujours l’objet d’une information judiciaire pour « faux », ouverte fin 2012 par le parquet de Lille, concernant les conditions d’attribution du chantier du Grand Stade.

Le stade Pierre-Mauroy, à Lille.Le stade Pierre-Mauroy, à Lille.

Alfred Leclercq, président de Nord Écologie Conseil, dit aujourd’hui ressentir « de la colère de découvrir à quel point les institutions républicaines ne font pas respecter la loi dans le cadre d’un PPP ». Son association bataille depuis plusieurs années pour obtenir plusieurs documents administratifs relatifs au chantier du stade, accès accordé par la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), mais non délivrés par la préfecture (voir notre précédent article à ce sujet). Son avocat, Patrick Drancourt, dépose ces jours-ci un nouveau recours devant le tribunal administratif pour obtenir la communication de ces pièces. De son côté, la préfecture considère que « l’essentiel des documents sollicités » a « déjà été transmis ».

De quoi s’agit-il ? Pendant la construction du stade, Elisa, la filiale d’Eiffage signataire du PPP, a dû combler des galeries souterraines artificielles se trouvant sous le chantier. Au départ, elle voulait utiliser de la craie extraite du sol sur place, mais elle a finalement eu recours à du limon et à des déchets industriels : des cendres, issues de la combustion du charbon sur une ancienne centrale thermique. Au total, environ 75 000 tonnes y ont été enfouies. Ce type de matériau est classé en « déchets à radioactivité naturelle renforcée », car il contient du thorium et de l’uranium. Une étude d’impact a bien été conduite, mais elle n’a pas pris en compte l’usage des cendres, car Eiffage n’avait alors pas déclaré vouloir en faire usage. Ce n’est pas une irrégularité à proprement parler, mais un premier arrangement avec les exigences administratives.

Mais il y en a d’autres. Ainsi, l’hydrogéologue mandaté pour expertiser cette méthode, Henri Maillot, a avalisé l’utilisation d’un « coulis » de cendres et d’un autre de limon, comme il l’explique dans son rapport hydrogéologique de septembre 2009, à lire ci-dessous :

Avis hydrogéologique sur les coulis, septembre 2009.Avis hydrogéologique sur les coulis, septembre 2009.
« Je donne un avis hydrogéologique favorable à l’utilisation de ces deux coulis (mélange limons-Sidmix et mélange cendres-volantes-ROC AS) pour combler les vides de carrières souterraines du site du projet de grand stade ». Le « Sidmix » est un liant hydraulique et le « Roc AS » un liant routier.

La préfecture du Nord confirme l’autorisation de deux coulis, et de deux coulis seulement, dans une lettre datée d’octobre 2013 : « Ce rapport a rendu un avis favorable à l'utilisation des deux coulis employés (mélange limon - SIDMIX et mélange cendres volantes - ROC AS) pour combler les vides des carrières souterraines du site du projet du Grand Stade Lille Métropole. » Les deux versions sont jusqu’ici parfaitement cohérentes. Le problème, c’est qu’Elisa a aussi utilisé un autre coulis, mélange cette fois-ci de cendres et de Sidmix. C’est ce que révèle la lecture de l’analyse chimique réalisée par un laboratoire d’Eiffage en juillet 2012, qui détaille la composition de deux échantillons prélevés sur place, comme on le voit ci-dessous :

Extrait de l'analyse chimique de deux échantillons de coulis de comblement, juillet 2012.Extrait de l'analyse chimique de deux échantillons de coulis de comblement, juillet 2012.

 
Pour Alfred Leclerc, de Nord Écologie Conseil, il s’agit bien d’un « troisième coulis » pour lequel le constructeur n’a pas reçu d’autorisation. C’est tout sauf anodin, car cette partie du chantier du Grand Stade était très strictement encadrée. Avant de débuter la construction du bâtiment du stade à proprement parler, Elisa a dû intervenir fortement dans les sous-sols du futur équipement. Ces travaux touchent à la nappe phréatique de la craie, qui alimente une partie de la Belgique et du nord de la France. Ils sont donc particulièrement surveillés et ont été placés sous le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Le document d’autorisation de cette ICPE exige formellement que « la technique choisie, les matériaux mis en œuvre, doit avoir reçu l’aval de l’hydrogéologue agréé en matière d’hygiène publique ». Cette contrainte n’a manifestement pas été respectée. Nord Écologie Conseil a déposé, jeudi 20 mars, un recours devant le tribunal administratif pour obtenir la copie des autorisations concernant le troisième coulis, ainsi que l'utilisation de deux centrales à coulis et le stockage à l’air libre pour des déchets industriels importés, classés à « radioactivité naturelle renforcée », constatés dans les faits, mais sans feu vert administratif connu.

Ce qui peut apparaître comme un détail est en réalité décisif, car la portée de cette obligation n’est pas que technique. Selon la Cour de cassation, en matière d’ICPE, la constatation de la violation d’une prescription légale en connaissance de cause implique une intention coupable. Si bien que pour Alfred Leclerc, cela ouvre d’autres possibilités de poursuites judiciaires.

Pour la préfecture du Nord, « la technique choisie pour les travaux du remblaiement des cavités souterraines et les matériaux mis en œuvre respectent les prescriptions de l’arrêté préfectoral et ont reçu l'aval d'un hydrogéologue agréé en matière d'hygiène publique ». Elle ne répond pas aux questions posées concernant le coulis non autorisé. Sollicitée (à trois reprises, par téléphone et par courriel), la société Eiffage n’a pas répondu.

Cartes des nappes d'eau souterraine dans la région.Cartes des nappes d'eau souterraine dans la région.

Quels sont les risques environnementaux encourus ? La pollution de la nappe phréatique, qui affleure les coulis. « Même si les activités sont terminées, un déplacement de terre ou une injection de coulis dans des cavités peuvent avoir des conséquences dans le temps », explique le constructeur lui-même, dans le dossier officiel de cessation d’ICPE : « Les fluctuations de la nappe de la craie au cours d’une année peuvent amener la nappe au niveau du coulis comblant les cavités souterraines. » Il existe ainsi un « risque potentiel de transfert d’éléments vers la nappe », peut-on y lire en toutes lettres.

Extrait du dossier de cessation d'ICPE.Extrait du dossier de cessation d'ICPE.

L’État lui aussi reconnaît l’existence de ce risque : « L’eau prélevée fait l’objet de mesures des substances susceptibles de caractériser une éventuelle pollution de la nappe », décrit un arrêté préfectoral du 15 octobre 2012, qui définit les obligations qui pèseraient sur l’exploitant « si les résultats mettent en évidence une pollution des eaux souterraines ».

Extrait de l'arrêté de fin d'ICPE, en octobre 2012.Extrait de l'arrêté de fin d'ICPE, en octobre 2012.


L’eau de la nappe de la craie est contrôlée grâce à l’implantation de cinq «piézomètres». Une cartographie de leurs relevés, en 2009, au tout début du comblement des galeries souterraines, indique la présence d’uranium, d’alpha et de bêta, trois éléments radioactifs, en quantités non négligeables. Et même des traces de polonium, un élément chimique cancérigène à haute dose, dans l’eau de ressuage du coulis – et donc hors de la nappe, pour ce cas précis. Cette phase du chantier s’est achevée en juin 2010. « Un réseau piézométrique a été implanté conformément aux préconisations de l'hydrogéologue agréé. Une surveillance trimestrielle des eaux souterraines est assurée. À ce jour, les rapports d’analyse d’eau souterraine du site concluent sur l’absence d’impact significatif sur la nappe de la craie », indique la préfecture du Nord.

Mais en juillet 2012, deux ans après la fin des travaux de comblement, l’analyse chimique de deux échantillons de coulis par Eiffage révèle d’importants relargages de métaux lourds : molybdène, antimoine et sélénium. Toutefois, ils n’atteignent pas une « quantité supérieure aux seuils préconisés », assure l’auteur de l’étude, commandée par le constructeur et exploitant. Depuis, plus rien. Aucun suivi des coulis n’a été assuré. Surtout, le protocole de suivi des coulis, requis par l’autorisation d’exploitation de l’ICPE (le temps du chantier du stade), d’août 2009, n’a jamais été mis en place. Une irrégularité de plus.

« Depuis quatre ans, soutient de son côté, Nord Écologie Conseil, nous n’avons eu de cesse de mettre en garde sur le risque inutile, voire illégal, du remplissage des galeries sous le Grand Stade par des déchets industriels. Des mesures effectuées par le constructeur dont nous avons eu connaissance, il y a peu, montrent des résultats préoccupants et pourtant, à notre connaissance, aucune mesure de contrôle faite dans les mêmes conditions n’a été effectuée. » Pour Alfred Leclercq, « les autorités républicaines ont défendu l’intérêt du constructeur, parfois même au prix de contrevérités ».

L’association envisage de déposer une plainte auprès du procureur de la République avec éventuellement constitution de partie civile pour non-respect du Code de l’environnement et des lois sur l’eau. Une première plainte contre X…, déposée en juillet 2012, pour « pollution de la nappe phréatique », a été rejetée.

À la fois constructeur, exploitant et propriétaire du Grand Stade de Lille, le groupe Eiffage a agi à sa guise dans la conduite de son chantier. Dans le cadre du partenariat public-privé, il est à la fois maître d’œuvre, maître d’ouvrage et client de ses propres travaux. Difficile dans ces conditions de faire prévaloir l’intérêt général sur ses intérêts particuliers.

BOITE NOIRECette enquête a été réalisée, essentiellement par téléphone, entre le 10 et le 19 mars. Sollicitée à plusieurs reprises par téléphone, la préfecture du Nord a finalement répondu à mes questions par un courriel envoyé le 19 mars. Le groupe Eiffage en revanche, sollicité à plusieurs reprises par téléphone, et à qui j'ai envoyé une série de questions par courriel, n'a jamais répondu à mes demandes.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Claude Guéant, un exemple de politicien français


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