Le goût du pouvoir et de victoires programmatiques, même dans l’austérité, s’impose-t-il à celui de l’alternative, même incertaine ? A la veille de l’annonce du gouvernement du nouveau premier ministre Manuel Valls, les écologistes ont longuement hésité sur leur attitude. Une majorité de parlementaires et une partie du bureau exécutif d’Europe écologie-Les Verts (EELV) ont choisi dans un premier temps de ne pas suivre leurs ministres démissionnaires, Cécile Duflot et Pascal Canfin, dans leurs « décisions personnelles ». Agacés, sur la forme, de s’être retrouvés devant le fait accompli, et aussi davantage prêts, sur le fond, à toper avec Valls.
Raison de la tergiversation, six heures durant ce mardi après-midi : une « très belle proposition » de la part du nouveau chef de l’exécutif, qui avait déjà fait une offre similaire à Duflot (à qui il avait proposé d’être n°2 du gouvernement). Un grand ministère de l’écologie, des transports et de l’énergie, assortie de la fameuse loi sur la transition écologique (en attente depuis plus d’un an), mais aussi l’ouverture d’une discussion sur une dose de proportionnelle, et la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim (déjà prévue dans les promesses du candidat Hollande). Un deal susceptible de convaincre l’aile réaliste du mouvement écolo, du bien-fondé d’un maintien de la participation gouvernementale. Et notamment les parlementaires, se voyant volontiers ministres.
Pour autant, in fine, le choix de la non-participation l’a emporté, à une « majorité nette » des quinze membres du bureau, selon David Cormand, secrétaire nationale des élections à EELV. « On est passé par tous les stades, tout a été envisagé, mais on était aussi sous le feu de la base, résolument hostile à participer à un gouvernement Valls », explique un autre participant, selon qui « l’apparition sur l’écran de télé, au milieu de l’après-midi, de l'annonce d'une “discipline absolue” demandée par Valls, a fait basculer le débat ».
Durant la discussion, un texte de militants, cadres intermédiaires et eurodéputés du parti appelant à ne pas entrer de nouveau au gouvernement a aussi circulé, afin de peser sur les débats en cours. Façon de rappeler que le conseil fédéral d’EELV, ce samedi, dégagerait une large majorité en faveur de la non-participation du gouvernement. « Ce n’est pas une victoire, mais un choix largement réfléchi et débattu, estime Cormand. Pour nous, les promesses orales du premier ministre ne peuvent suffire. Dans une discussion plus concrète, avec plus de temps, on aurait peut-être pu aboutir à des convergences, dans un vrai contrat de gouvernement, à l’allemande. Mais le choix de Hollande a été de nous mettre devant le fait accompli… » « Notre souci, c’est de ne pas faire du Mélenchon et de l’opposition frontale, décrypte un cadre du parti. Donc de rester dans le soutien critique, sans servir de caution à Valls, mais ne pas s’interdire de voter et soutenir des mesures écolos, si elles sont effectivement mises en œuvre. »
Plus tôt dans la matinée, les sourires s’affichaient devant l’hôpital de l’Hôtel-Dieu (toujours mobilisé contre la fermeture de ses urgences), où s’étaient réunis les organisateurs de la marche contre l’austérité du samedi 12 avril prochain. Face à la cathédrale de Notre-Dame, représentants syndicaux, d’Attac et de la fondation Copernic, comme du PCF, du PG et du NPA, ont confirmé leur envie de retrouver le chemin de la convergence des luttes.
Et s’ils ne le disent pas comme cela, le choix du nouveau premier ministre fait les affaires de cette autre gauche qui, faute de concurrence, tendrait à devenir désormais la seule, maintenant que les écologistes sont sortis du gouvernement et que ça tangue en interne au PS (lire notre article). « Face au message des urnes, ce n’est même pas qu’ils ne bougent pas, ils s’acharnent !, dit Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF. Ça peut créer un électrochoc indispensable à gauche. Il va falloir entrer en opposition très ferme face aux décisions qui vont suivre. » Le secrétaire national communiste, Pierre Laurent, souhaite de son côté que « la majorité de gauche n’accorde pas sa confiance à un tel gouvernement » et voit dans la réponse de Hollande aux urnes « un abus de pouvoir » et « un coup de force ». Au micro, Laurent a lui aussi fait feu de tout bois contre le choix de Valls, interprété comme « un choix de désaveu et de mépris des électeurs déçus », avant d'appeler à « une relève de la gauche ».
Dans l’assistance, Jean-Luc Mélenchon ne peut s’empêcher de lâcher un reproche feint et malicieux : « N’est-ce pas trop excessif ? » L’ancien candidat à la présidentielle certifie qu’il ne s’attendait pas à la promotion du ministre de l’intérieur : « Hollande prend une décision dans la panique et nomme son gourou personnel, mais il se met dans une impasse en devenant la caricature de lui-même ». Il précise : « Pour que la stratégie de Hollande fonctionne, il lui faut faire disparaître la gauche, syndicale, associative et politique, afin de créer les conditions d’un blairisme à la française. »
A ses côtés, Olivier Besancenot ne cache pas non plus sa satisfaction de voir la rue de gauche se remobiliser sérieusement. « Ça va bouger ! Enfin… », sourit-il. Au micro, il éreinte à son tour le nouveau locataire de Matignon, dont la désignation aurait « un sens culturel, qui choque les militants de l’égalité, et même les militants anti-racistes », rappelant la plainte déposée par l'association La voix des Rroms, après ses propos sur les Roms ayant « vocation à vivre en Roumanie ou à y retourner » (une plainte pour laquelle il est cité à comparaître le 5 juin -lire ici-). Pour Besancenot, la marche du 12 avril « doit être un premier pas, pour nous redonner confiance ». Selon l’ancien héraut anticapitaliste, la manifestation aura « un caractère inédit, car tout le monde viendra avec ses propres protestations. C’est une force de pouvoir additionner les mécontentements, cela va permettre à tout le monde de prendre conscience du bras de fer à engager. Ce n'est pas une “gouvernement de combat”, mais un gouvernement à combattre ».
Espèrent-t-ils voir les écologistes les rejoindre ? Des contacts ont déjà été pris, avec l'aile gauche écolo, notamment les proches d'Eva Joly, et beaucoup espèrent voir s'élargir la participation à d'autres sensibilités. « C’est une affaire de patience, explique Mélenchon. Si les écologistes sortent du gouvernement, ils conservent une culture majoritaire d’exercice du pouvoir. Comme nous. Donc, peu à peu, on peut arriver à une culture commune de l’alternative ».
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