Jusqu’au bout, elle a fait mine d’y croire. Arrivée en tête des voix au premier tour, Nathalie Kosciusko-Morizet s'est finalement inclinée ce dimanche 30 mars face à son adversaire socialiste, Anne Hidalgo. Toute la semaine durant, la candidate UMP à la mairie de Paris avait fanfaronné sur les résultats obtenus dimanche dernier. « Désormais plus que jamais, l’alternance est possible, le changement est possible, il est tout proche », s'était-elle encore convaincue le 23 mars.
Ce dimanche soir, NKM a enfin reconnu s'être « engagée dans ce combat (parisien) en sachant que c'était difficile », se félicitant toutefois d'avoir gagné « un certain nombre de conseillers de Paris ». L'UMP peut en effet se réjouir d'avoir fait basculer à droite le IXe arrondissement, où Delphine Bürkli (50,36 %) l'emporte face à la socialiste Pauline Véron (49,64 %). Partout ailleurs, et malgré les déclarations officiellement optimistes des soutiens de Nathalie Kosciusko-Morizet, la défaite de la droite parisienne était annoncée depuis fort longtemps.
- Le mode de scrutin parisien
« Paris, ce n’est pas une élection, mais vingt », ne cesse de marteler Pierre Lellouche depuis le début de la campagne parisienne. Le député et conseiller UMP de Paris en a toujours été convaincu : la bataille de Paris était une « mission impossible » pour NKM. En cause : le mode de scrutin de la capitale où les arrondissements les plus peuplés sont ceux qui envoient le plus d'élus au conseil de Paris.
Un système qui avantageait d’avance la gauche, le PS étant mieux implanté dans les arrondissements les plus pourvoyeurs d’élus. La réforme des modes de scrutin locaux, adoptée en 2013, a accentué cet avantage, ajustant le nombre de conseillers à l'évolution de la population.
L’évolution de la population parisienne, c'est justement la problématique de la droite depuis près de vingt ans. Car depuis la fin des années 1990, Paris est en proie au phénomène de “gentrification” que la géographe Anne Clerval définit dans Paris sans peuple (Éd. La Découverte) comme « un embourgeoisement spécifique des quartiers populaires qui s’accompagne de la transformation du bâti et d’un quartier en général ». Or, comme le reconnaissait dès janvier à Mediapart le maire du Ier arrondissement et président du groupe UMP du conseil de Paris, Jean-François Legaret, « un décalage grandissant » s'est créé entre les propositions de la droite et le profil de ces « nouveaux Parisiens ».
Nathalie Kosciusko-Morizet a bien essayé de casser son « image papier glacé » pour séduire cette nouvelle population. Rien n'y a fait. « Ce n’est pas parce que vous vous sapez en Zadig & Voltaire que vous plaisez aux bobos », s'amusait déjà en février le député et ancien maire socialiste du XIVe arrondissement, Pascal Cherki.
- La défaite dans les arrondissements de « la reconquête »
Pour faire basculer la majorité parisienne, Nathalie Kosciusko-Morizet devait expressément gagner les deux arrondissements de « la reconquête » que sont le XIIe et le XIVe, qui figurent parmi les plus gros pourvoyeurs de conseillers de Paris. Mais les résultats obtenus au premier tour laissaient déjà présager la défaite de ce dimanche.
Jean-Pierre Raffarin l’avait d’ailleurs annoncé au Monde : NKM jouait « sa peau » dans le XIVe, un arrondissement « difficile », selon les propres mots de l’ancien premier ministre. « Mais si elle le gagne et qu'elle perd le global, l'honneur est sauf. » L’honneur n’est donc pas sauf ce soir. Car dans le XIVe arrondissement, la socialiste Carine Petit a largement devancé la candidate UMP à la mairie de Paris en engrangeant 53,09 % des voix (contre 46,91 % pour NKM).
Même chose dans le XIIe arrondissement, où l’UMP Valérie Montandon (46,96 %) est battue par la socialiste Catherine Baratti-Elbaz (53,04 %).
- Dissidences et couacs de campagne
Souhaitant rompre avec les vieux démons de la droite parisienne qui se déchire depuis près de vingt ans, Nathalie Kosciusko-Morizet misait énormément sur l’union de la droite et du centre. Durant sa campagne, la candidate UMP n’a d’ailleurs cessé de mettre en avant son alliance avec le MoDem et l'UDI dès le premier tour, oubliant au passage le nombre considérable de dissidences surgies dans chaque arrondissement de la capitale, incarnées par les listes « Paris Libéré » de Charles Beigbeder.
En débarquant sur la scène parisienne, NKM avait annoncé son intention de faire le ménage en retirant de ses listes toute personne qui serait sous le coup de condamnations importantes et en écartant des personnalités comme François Lebel, maire du VIIIe arrondissement depuis 1983 et conseiller de Paris depuis 1977, en raison de son âge, mais aussi parce qu'il avait tenu des propos homophobes en octobre 2012. Ce dernier figurait finalement en dixième position sur la liste constituée par la chef de file UMP-UDI-MoDem de cet arrondissement, Jeanne d'Hauteserre.
Dans l'entre-deux tours, la candidate UMP à la mairie de Paris s'est assise sur ses derniers principes en faisant alliance avec ses ennemis d'hier : Marie-Claire Carrère-Gée dans le XIVe, mais aussi et surtout, Dominique Tiberi dans le Ve, contre lequel elle s'était pourtant farouchement opposée, mais dont les 19,43 % de suffrages réunis au premier tour ont fini par la convaincre.
La campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet a également été marquée par bon nombre d'erreurs de communication, comme les « moments de grâce » du métro parisien ou encore les cigarettes fumées en compagnie de SDF. Mais au-delà de ces quelques ratés, la candidate UMP à la mairie de Paris s’est surtout retrouvée confrontée à des couacs de dernière minute. Ce fut notamment le cas dans le IIe arrondissement, où NKM a été contrainte de changer sa tête de liste à quelques jours du premier tour, après le dépôt d'une liste qui ne respectait pas l’accord passé entre son parti et les centristes.
Le XIIe arrondissement de Paris a également été, entre les deux tours, la scène d’un incroyablement retournement de situation. Au moment clé des alliances, Nathalie Kosciusko-Morizet avait décidé d’écarter de sa liste l’un de ses anciens adversaires à la primaire, Franck Margain, vice-président du parti chrétien démocrate (PCD) et opposant au mariage pour tous, au profit d'une fusion avec le candidat de centre-droit, Benoît Pernin. Mais la nouvelle liste du XIIe ayant été déposée avec 45 minutes de retard, Franck Margain est finalement resté de la partie.
- Une candidate lâchée par les barons parisiens
Au sein de la droite parisienne où rien n’est simple, la candidature de NKM n’a jamais vraiment fait l’unanimité. Au départ pourtant, une poignée de barons parisiens, menée par l’ancien premier ministre François Fillon, avait signé une tribune dans Le Figaro pour soutenir la candidate à la primaire de Paris. « Nombreux sont les Parisiens qui espèrent désormais un changement, écrivaient-ils en mai 2013. Une personne a créé les conditions de ce déclic. C’est Nathalie Kosciusko-Morizet. En faisant le choix de s’engager durablement pour Paris, elle a crédibilisé l’alternance en lui donnant du sens et un visage. »
Mais la lune de miel entre Nathalie Kosciusko-Morizet et les barons parisiens a fait long feu. Rapidement, ses premiers soutiens lui ont mis des bâtons dans les roues, à commencer par le député et maire UMP Claude Goasguen, réélu dès le premier tour dans le XVIe arrondissement (63,05 %). « Je suis un baron qui soutient totalement Nathalie », affirmait-il encore au Parisien début mars, ajoutant toutefois que la candidate UMP posait « problème sur un certain électorat qui la tient pour pas assez à droite », d’où sa volonté de ne pas apparaître avec elle sur ses affiches de campagne.
Détruire la tour Montparnasse, vendre le Parc des Princes, piétonniser le centre de Paris… Les annonces intempestives formulées par NKM au cours de la campagne n’ont guère été au goût des barons parisiens, qui ont fini par lâcher définitivement cette candidate qui n’en faisait qu’à sa tête.
Un scénario classique, selon la conseillère régionale Géraldine Poirault-Gauvin, qui fut candidate dissidente dans le XVe arrondissement.
« Ce sont toujours les mêmes personnes qui tirent les ficelles et qui nous mènent dans le ravin, confiait-elle à Mediapart en janvier. Ces espèces de barons qui sont présents dans plusieurs arrondissements de l’Ouest et qui ne veulent pas que la droite gagne. Ils veulent garder leur pouvoir pour eux seuls et tout ce qui va avec : les cabinets, les chauffeurs… Tout ce qui donne des moyens d’exister. Ils prennent en général des femmes – Lagarde, Jouanno, Dati, NKM… –, s’entichent d’elles, les font désigner et finissent par leur savonner la planche pour qu’elles perdent, ajoutait-elle. Cette année, ils sont derrière NKM, tout en organisant en sous-main des listes dissidentes. »
- Le tremplin de Paris
Le véritable enjeu de la candidature de Nathalie Kosciusko-Morizet était un secret de polichinelle : gagner Paris, pourquoi pas, mais à condition que la capitale soit un tremplin pour des ambitions plus larges. NKM a d'ailleurs commencé à évoquer son avenir, dès ce dimanche soir : « D'autres batailles s'annoncent, a-t-elle déclaré. Des batailles pour Paris, des batailles pour la France. Et ce que nous avons construit dans cette campagne, ce renouvellement que nous avons commencé, cette union que nous avons réalisée, cette dynamique que nous avons créée, c'est la base des victoires de demain. »
À l’UMP, NKM peut désormais se prévaloir d'avoir une place de choix au sein de cette jeune génération qui souhaite relever le parti de l’opposition. Mais face au duel Fillon-Copé et aux candidats à la primaire de 2016 déjà déclarés, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy aura bien du mal à s’imposer.
Une autre issue s’offre désormais à elle : le Grand Paris. Car même si la capitale est restée à gauche, la métropole du Grand Paris, qui verra le jour au 1er janvier 2016, a toutes les chances de passer à droite. Les villes de Bobigny, Aulnay-sous-Bois, Le Blanc-Mesnil, Villepinte, Saint-Ouen ou Livry-Gargan ayant basculé à droite, la gauche perd de fait la majorité au futur conseil métropolitain.
Dimanche soir, il était encore trop tôt pour crier victoire. Prévenant qu’il faut « encore faire les comptes », le maire du Ier arrondissement et président du groupe UMP du conseil de Paris, Jean-François Legaret, reconnaît toutefois que les socialistes d’Ile-de-France ont « largement du plomb dans l’aile ». « Il se sont donné beaucoup de mal pour changer la loi, mais les grandes stratégies du PS sont perturbées par les résultats du second tour », se réjouit-il.
« Ce qui est train de se passer en Ile-de-France est un séisme pour la majorité !, renchérit le sénateur et maire UMP de Pavillons-sous-Bois, Philippe Dallier. On n’aurait jamais imaginé reprendre tant de villes, il se passe vraiment quelque chose. » Quant à savoir si Nathalie Kosiusko-Morizet pourrait prendre ce que d’aucuns présentent déjà comme « le plus beau poste d’opposition en France », nul ne souhaite encore se prononcer. « L’élection est prévue pour 2016. D’ici là, tout le monde peut faire acte de candidature », glisse seulement Dallier.
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