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A Saint-Denis, le PCF n’en a pas fini avec les socialistes

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Fin de campagne épique à l’ombre de la Basilique. Au marché de Saint-Denis ce vendredi, communistes et socialistes achèvent enfin plus de huit mois de campagne à fond de train. Des jeunes militants du maire sortant, le PCF Didier Paillard, plient le matériel et déambulent autour des halles en chantant : « Adieu Mathieu, adieu Mathieu, adieuuuu ». Peu avant, ils s’étaient frottés avec des militants de Mathieu Hanotin, le jeune député PS qui, après la cantonale en 2010 et la législative de 2012, poursuit sa blitzkrieg contre le bastion communiste. Sans heurts, les violences constatées entre les deux camps en 2012 n'ont pas resurgi, aux dires des deux camps. Mais la campagne, lancée dès septembre dernier (lire notre reportage à l'époque), n'en fut pas moins active pour autant.

« Je n’avais jamais vu une campagne aussi intense, juge Dominique Sanchez, responsable du Journal de Saint-Denis (municipal mais indépendant). Hanotin a durci son discours et a clivé les débats contre la municipalité sortante. Il y a eu 200, 300 mecs mobilisés de chaque côté, les uns avec des écharpes roses, les autres avec des K-way… Et beaucoup, beaucoup de tracts, de meetings, de porte-à-porte. Les affiches ont été collées et recollées sans cesse… »

Sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014Sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

Pour autant, la participation n’a pas suivi, et comme régulièrement depuis une trentaine d’années, Saint-Denis fait partie des villes les plus abstentionnistes d’Île-de-France (58,16 %). Mais à l’inverse du reste du « 9-3 », la droite s’effondre (deux candidats en dessous de 10 %) et le candidat PS n’a pas perdu dès le premier tour face à un maire communiste. Et il se dit même « confiant » dans la réussite de sa conquête.

Avec six points de retard sur Didier Paillard (34,3 % contre 40,2 %), Hanotin aurait pourtant de quoi s’inquiéter. D’autant que l’ancien socialiste Georges Sali (opposant historique, ayant fondé le Parti socialiste de gauche – PSG –, après son exclusion du PS, pour dissidence face à Hanotin) a choisi de fusionner sa liste qui a recueilli 7,7 % avec celle des communistes. Pourtant, Sali a été un « opposant résolu » pendant cinq ans, après avoir été adjoint de Braouezec et Paillard. « L’accord avec le PCF était le souhait très largement majoritaire des membres de la liste », justifie-t-il, avant de confier : « Je passe mon temps à argumenter depuis. » Sur le marché de Saint-Denis, à l’abri des halles, on le croise en train de s'y exercer, dix minutes durant, avec une de ses électrices, désorientée. Avec succès.

« Il n’y a aucune illusion à se faire sur Mathieu Hanotin, je ne crois pas du tout à la sincérité de son engagement », explique-t-il. Il lui reproche tout autant de soutenir la politique gouvernementale et de n’être qu’un récent habitant de la ville. Le candidat socialiste a eu beau lui proposer un siège de plus que Paillard (8 au lieu de 7), rien n’y a fait. « Quand la rancœur domine, on ne fait que des conneries », déplore Hanotin, conscient que « s’il y avait eu alliance, on gagnait à coup sûr ». Un point de vue que partage Georges Sali, sourire en coin.

Il tient toutefois à préciser : « Les communistes ont accepté de faire des efforts pour améliorer la ville, tout en conservant son caractère populaire. Plus de sécurité, plus de propreté, plus de rationalisation des services publics municipaux. » Et surtout, ajoute-t-il, « ils ont compris qu’il fallait arrêter de se barricader dans leur mairie. De toute façon, ils n’ont plus le choix. Sinon, les prochaines fois, ça ne passera pas… »

Dans son bureau au quatrième étage de l’hôtel de ville, Didier Paillard a « tiré plusieurs leçons de sa campagne », et notamment de sa soixantaine de réunions d’appartement. Il dit avoir pris conscience que le communisme municipal est devenu « trop distant ». « Les gens veulent plus voir le maire, mais le village est grand », sourit-il. Il dit vouloir désormais « davantage d'élus en lien avec des quartiers, plutôt qu’avec des délégations », ou « faire émerger des coopérateurs de quartier, pour construire une meilleure disponibilité vis-à-vis des habitants ».

Didier Paillard, le 28 mars 2014, à Saint-DenisDidier Paillard, le 28 mars 2014, à Saint-Denis © Nicolas Serve

Durant la campagne, le municipalisme communiste a su renouer avec ses réseaux dans les quartiers les plus populaires, où il avait perdu beaucoup d’audience lors des derniers scrutins, au profit de Hanotin. Au premier tour, avec une très faible participation, Paillard est repassé en tête dans ces bureaux de vote. « On a retrouvé nos voix. Pas lui », résume Stéphane Peu. Selon l’adjoint de Paillard, et président de l’office HLM de l’agglo Plaine-commune, le contexte national n’y serait pas étranger. « J’ai été frappé dans les porte-à-porte par les inquiétudes des gens liées à l’austérité. Le gel des APL (aides pour le logement - ndlr) est revenu très souvent dans les discussions. »

Ce jeudi en fin de journée, le maire vient à la rencontre d’une association de femmes du quartier des Francs-Moisins. Face à un public plutôt conquis, mais qu’il convient de mobiliser, Paillard promet de « construire une nouvelle complicité » avec la population, et appelle son auditoire à « être intransigeant pour que nous ne nous enfermions pas dans une tour d’ivoire ».

Son adversaire, il l’évoque à travers Hollande ou le Grand-Paris, quand il remarque que « rien n’a changé depuis l’élection du président et du député », autrement nommés « les deux H ». Il évoque aussi son « combat » pour que « les populations ne soient pas rejetées plus loin », ce qui serait la marque de « la métropole voulue par Claude Bartolone », à laquelle il oppose son ambition de construire 1 200 logements sociaux par an désormais (contre 1 000 actuellement). Quand un habitant se plaint de « TF1 et M6, à cause de qui nous serons toujours considérés par les employeurs comme des brigands », une co-listière de Paillard rebondit : « C’est aussi ce que disent les socialistes dans leur propagande… Pensez à ce qui va se passer si Hanotin passe. » 

Militant du PCF, le 28 mars 2014, à Saint-DenisMilitant du PCF, le 28 mars 2014, à Saint-Denis © Nicolas Serve

Le ralliement de Georges Sali a rassuré Paillard et les siens. Même si celui-ci a toutefois préféré ne pas figurer sur la liste communiste (« pour ne pas donner le sentiment d’aller à la soupe, et puis au bout de 25 ans, je commence à en avoir marre d’être élu municipal »), et que la fusion a entraîné un léger accroc avec la mise à l’écart des candidats du parti de gauche (PG), dont le poids est faible dans la ville mais qui ont appelé à voter blanc. « Ils ont voulu jouer au bras de fer, alors qu’il ne restait que quelques minutes pour déposer la liste, soupire un cadre communiste. Ils ont joué aux cons… mais la fédération du PG 93 nous soutient. » « Et puis, ici, c’est nous qui occupons le terrain idéologique du PG », fait remarquer Sali.

Désormais, les communistes peuvent espérer compter sur ses 7,7 %, et plus seulement sur les 3 % des listes d’extrême gauche. De quoi atténuer l’inquiétude de se retrouver dans un duel, et non plus une triangulaire avec la droite, où les voix de l’UMP et du centre se reporteraient massivement sur Hanotin.

Même si le poids de la droite ne représente plus que 13 % cette fois-ci, un score bien plus bas que les 20-22 % habituels aux précédents scrutins, cela pourrait permettre au challenger socialiste de créer la surprise. « Il en a déjà siphonné le maximum dès le premier tour, veut croire Stéphane Peu, adjoint de Paillard. Ceux qui ont quand même voté UMP ne sont pas prêts à voter PS cette fois-ci… » Lui non plus n’a pas goûté la « campagne droitière de Hanotin » : « L’insécurité, la drogue, la saleté, les Roms… On ne fait pas campagne sur le dénigrement d’une ville. »

La mairie de Saint-DenisLa mairie de Saint-Denis © Nicolas Serve

« Pour gagner, j’ai besoin de 50 % des voix de la droite. Plus d’une majorité de celles des électeurs de Sali, qui sont fondamentalement pour un changement de majorité municipale. » Au pied d’un immeuble dans le quartier Pleyel, Mathieu Hanotin justifie le bien-fondé de son optimisme à toute épreuve. Et assume sa rupture avec la municipalité sortante. Désormais, il est le moins amoché des « Barto boys » en pleine déconfiture séquano-dionysienne (lire notre article).

En prenant Saint-Denis, troisième ville d’Île-de-France avec 106 000 habitants, il est le seul à pouvoir atténuer l'échec de l’offensive rose sur la banlieue rouge du président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, parrain-baron du « 9-3 ». Seul face à tous les autres partis de gauche, qui soutiennent Paillard, ce membre du courant Hamon n’a pas franchement réalisé une campagne façon “gauche du PS”.

Mathieu Hanotin, à Saint-Denis, le 28 mars 2014Mathieu Hanotin, à Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

« J’assume de parler à tout le monde, rétorque-t-il. Je ne me cache pas, j’affiche le logo PS, mais je ne vais pas avoir honte de parler aux électeurs de droite. Ils font partie des 60 % qui n’ont pas voté Paillard au premier tour, parce qu’ils veulent que ça change. L’élection municipale déploie des ressorts différents des législatives. C’est du local, c’est un programme. » Il balaye critiques et reproches ayant suivi ses accusations d’inscriptions frauduleuses de 80 Roms par la municipalité. « J’ai écrit un seul texte là-dessus, où je ne stigmatise absolument pas les Roms, mais où je parle de la fraude électorale, évacue-t-il. Cette polémique a duré une semaine, sur six mois de campagne… » Son « Saint-Denis bashing », dont le taxent les communistes, n’est à ses yeux qu’un diagnostic. « Le scandale, est-ce de dénoncer la situation déplorable de la ville, ou d’avoir créé cette situation ? »

Si Hanotin n’est plus en tête dans les quartiers populaires des Francs-Moisins et Floréal, par rapport à la législative de 2012, il confirme son implantation dans le centre-ville, le quartier Gare et dans le quartier résidentiel de Pleyel. Sa campagne a impressionné localement. « C’était “à l’américaine”, souffle le journaliste Dominique Sanchez. Il tape dans les mains en arrivant dans un meeting, les militants ont des panneaux, des boudins pour applaudir… » « En campagne, il faut bien faire les choses, avec de belles lumières, une ambiance sympathique, assume Hanotin. Mais ça permet de parler politique et d’être écouté. Ce n’est pas le meeting du maire, où certes la bouffe est gratos et la buvette bon marché, mais où seuls les deux premiers rangs sont attentifs… »

Militant PS, sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014Militant PS, sur le marché de Saint-Denis, le 28 mars 2014 © Nicolas Serve

Malgré ses airs de jeune loup et ses certitudes, le candidat socialiste semble avoir convaincu quant à l’épaisseur de son cuir. « Il se la donne », glisse ainsi Didier Paillard, au volant, quand il croise son adversaire en train de tracter en plein milieu des Francs-Moisins, seul. Cyril, un militant socialiste dionysien, avoue être bluffé par « Mathieu » : « Il a créé une dynamique. De son proche entourage des débuts, il a su fédérer énormément de militants de tous milieux sociaux, de toutes couleurs, de tous âges… » Dominique Sanchez opine : « Qu’il gagne ou qu’il perde, Hanotin a vraiment installé le PS dans la ville. »

En porte-à-porte dans le quartier Pleyel, au milieu des “appartements pour classes moyennes”, le député de 35 ans s’adapte à tous les publics, et cite souvent les rapports de la Cour des comptes critiquant la gestion municipale. Il prend le temps pour convaincre, puis charge chaque convaincu de convaincre les voisins absents. En l’espace de dix minutes, il parvient à retourner deux électeurs hostiles, l’un de l’UMP, l’autre sympathisant socialiste ulcéré.

Au premier, « frustré de ne pas avoir de candidat au second tour », il emporte la mise en ne lâchant jamais le morceau (« Voter blanc, c’est voter Paillard »), et en promettant de « mettre le nez dans les comptes ». Au second, « homme de gauche » désireux « de punir les socialistes », il emporte la mise en ne lâchant jamais le morceau (« Vous en faites pas, la claque, on l’a bien reçue, mais si vous voulez en remettre une, il y a les européennes »), et en promettant « de faire passer ce message de mécontentement en interne au PS ». Il ajoute : « Mais si vous m’élisez, vous me renforcerez pour être entendu. »

BOITE NOIREToutes les personnes citées dans ce reportage ont été rencontrées à Saint-Denis, les 27 et 28 mars.

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