Marseille, de notre envoyée spéciale
Pape Diouf n’ira finalement pas au combat du second tour des municipales marseillaises. Par peur des « compromissions », de « discréditer » l’image de son mouvement « Changer la donne », qui a su fédérer simples citoyens, écolos et socialistes en rupture de ban autour de lui. Parti très tard en campagne après s'être fait longtemps prier, l’ancien président de l’OM, dont les listes ont réalisé 5,6 % sur l’ensemble de la ville, refuse de fusionner ses listes et laisse ses électeurs voter « selon leur conscience », même dans les 13e et 14e arrondissements où le FN peut l’emporter. Sa position, qui renvoie l’alliance de gauche (PS-EELV-FDG), l’UMP et le FN dos à dos, fait débat au sein même de ses troupes réunies lundi soir dans une salle d’ordinaire utilisée pour des réceptions dans le 15e arrondissement.
« On nous propose de fusionner avec les listes du Parti socialiste, a déclaré Pape Diouf face à quelque 200 personnes. C’est-à-dire qu’on nous demande de nous allier pour perdre. C’est-à-dire qu’il nous faudrait accepter de renoncer à nos principes, ceux du non-cumul ou ceux du refus du clientélisme et de la corruption, pourquoi ? Pour gagner un ou deux sièges de conseiller municipal ? »
Pas question de le faire culpabiliser sur la question du Front national arrivé en deuxième position sur l'ensemble de la ville. « Ce n’est pas nous qui avons créé le Front national, balaie l’ancien journaliste, chaleureusement applaudi par les militants. Ce n’est pas nous qui avons fait naître le monstre. Ce sont eux. Ceux qui depuis des années agitent les peurs des gens et se servent du Front national pour être élus ou réélus. » Pas de consigne de vote non plus : les électeurs des listes « Changer la donne » sont « adultes » et « voteront selon leur conscience ».
Le discours fait mouche auprès des militants des quartiers nord, dégoûtés du PS par des décennies de clientélisme et de communautarisme. « Par rapport aux gens qui ont voté pour nous, ce n’était pas possible de se rallier au PS pour gratter un ou deux mandats ! lance un jeune homme de 35 ans, éducateur dans une association des 13e et 14e arrondissements. Nous aurions perdu toute crédibilité. » Pour lui, comme pour de nombreux militants « l’UMP et le PS, c’est pareil, c’est les mêmes, ils se tirent dans les pattes puis ils bouffent ensemble ! ». Le jeune homme votera blanc dimanche.
Colistière de Pape Diouf, Haouria Hadj-Chik, élue front de gauche dans ce secteur, tente de rassurer des militants un peu perdus. « Beaucoup de personnes sont venues nous dire, on votera blanc, donc on est en train de leur expliquer qu’ils vont faire monter le FN », dit-elle. « La fracture se fait entre les militants du centre-ville qui restent dans une culture traditionnelle de rapport de force gauche-droite, et ceux des quartiers nord qui nous disent : "Qu’est-ce que le FN peut faire de pire que le PS dans nos mairies ?"», constate l’élue régionale écologiste Sophie Camard, candidate « Changer la donne » dans les 4e et 5e arrondissements. « Les gens n’en peuvent plus. Quand vous distribuez des tracts, l’ennemi, ce n’est pas la droite ou la gauche, c’est le politique en général. »
Ce relativisme politique ne passe pas du tout auprès du conseiller municipal écologiste Sébastien Barles, qui avait convaincu Pape Diouf d’incarner ce mouvement citoyen, fruit d'une réflexion et d'assemblées citoyennes menées depuis deux ans par le collectif des Gabians, puis celui du Sursaut. « Ce qui me gêne, c’est le relativisme, dire que le PS et l’UMP c’est pareil, dit Sébastien Barles. Le syndrome du "tous pourris", c’est le pire. Nous avions réussi un mouvement qui faisait résonance aussi bien dans le centre-ville que dans les quartiers nord, et là on redevient spectateurs… »
Comme plusieurs de ses colistiers du centre-ville, il rêvait d’un accord avec « les copains du Front de gauche » et la liste PS-EELV dans les 13e et 14e arrondissements, où Pape Diouf a réuni 8,10 % des voix. L’hypothèse que ce dernier devienne maire de secteur a même un temps été agitée, même si l'intéressé, qui visait l'Hôtel de ville sur le Vieux-Port, ne s'y voyait pas du tout. « Nous avions la possibilité d’en faire un laboratoire, dit Sébastien Barles. Nous pouvions aussi faire front dans les 2e et 3e arrondissements (dans lesquels Jean-Claude Gaudin a annoncé mardi matin un accord avec la maire sortante guériniste Lisette Narducci, ndlr) contre le guérinisme. » « On était en position de faire un geste politique immense », regrette à ses côtés Alain Carassio, ex-président de l’association Cours Julien, dans le centre-ville.
La décision a été prise sans vote, après une réunion des têtes de liste en début d’après-midi, et annoncée comme évidente lors de l’assemblée citoyenne du lundi soir. Interpellé par une participante sur ce paradoxe dans un mouvement qui entend « inventer une nouvelle façon de faire de la politique », Pape Diouf a répondu avec son style inimitable que « certains principes ont déjà été suffisamment énoncés ici pour que certaines décisions qui sont prises ne confinent pas à l’étonnement ». « Pape Diouf préfère une ligne plus nette pour remettre tout à plat, explique son colistier Tahar Rahmani, ancienne figure du PS marseillais. Il veut qu’on reparte à zéro, que le PS meure de sa belle mort. »
Quitte à prendre le risque de laisser une mairie de secteur au FN ? « Oui, répond l’élu. Le FN doit cesser d’être l’excuse suprême, ce joker qu’on nous ressort à chaque fois pour forcer les électeurs à voter d’un côté ou de l’autre. » La tête de liste PS dans les 13e et 14e, Garo Hovsepian, 76 ans, maire de secteur depuis 1998 qui a toujours soutenu la députée PS Sylvie Andrieux, condamnée en 2013 pour détournement de fonds publics (le procès en appel aura lieu en juin 2014), a aussi fait figure de repoussoir.
« On assiste quand même à une crise du clientélisme socialiste, constate Sophie Camard. La discussion, c’est : faut-il les laisser se crasher et perdre six ans ou continuer à leur donner des béquilles ?» Lundi soir, après mûre réflexion, les élus écologistes Sébastien Barles, Michèle Rubirola et Sophie Camard ont finalement appelé à voter pour les candidats PS-EELV-FDG pour « faire barrage au Front national, et pour sortir de l'immobilisme de la droite incarné par Jean-Claude Gaudin ». L’amertume au cœur.
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