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FagorBrandt: 3000 salariés français menacés par une filiale irlandaise

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C’est une amère parabole qui dit beaucoup des réalités de la mondialisation industrielle et financière : le sort des 1 800 salariés (et du gros millier d'employés sous-traitants) français de FagorBrandt se joue loin de l’Hexagone, quelque part entre l’Algérie, l’Espagne et l’Irlande. L’entreprise française est en redressement judiciaire depuis le mois de novembre, suite à l’effondrement de sa maison-mère Fagor, propriété du conglomérat basque espagnol Mondragón, étranglé par les dettes.

Le seul repreneur déclaré des emplois français est le groupe algérien Cevital. Mais ce dernier se heurte à une décision de justice espagnole, qui veut l’obliger à débourser plus qu’il ne le veut pour racheter les marques du groupe, très connues des consommateurs français mais détenues par une filiale irlandaise du groupe basque.

Jusqu’au 14 mars, le poids lourd de l'électroménager français paraissait sauvé, ou presque. Il pourrait en fait être mis en liquidation judiciaire dès la prochaine audience du tribunal de commerce de Nanterre, ce jeudi 27 mars. Un baisser de rideau juste avant le second tour des élections municipales serait catastrophique pour le gouvernement. « C’est compliqué, reconnaît-on à Bercy, mais on n’a pas l’habitude de baisser les bras. » Pourtant, l’exécutif n’a plus vraiment la main, tant les éléments clés du dossier sont hors de sa portée. À commencer par le portefeuille de marques localisé en Irlande, dont Mediapart parlait dès novembre.

Manifestation à Lyon, novembre 2013Manifestation à Lyon, novembre 2013 © Robert Pratta - Reuters

FagorBrandt fabrique et vend les appareils siglés De Dietrich, Brandt, Vedette et Thomson, quatre marques regroupées en 1995 sous le nom Brandt. En 2000, Brandt fusionne avec Moulinex, puis fait faillite. Le groupe est racheté par le financier israélien Elco en 2002, puis par Fagor en 2005. Et au détour de ce parcours accidenté, l’entreprise française a perdu la maîtrise de ses marques, qui sont pourtant « le nerf de la guerre », selon les termes de Laurent Prévost, le délégué central CFDT de l’usine de Vendôme (Loir-et-Cher), une des quatre présentes en France. À des fins purement fiscales, Elco avait en effet logé les quatre marques dans une filiale irlandaise.

Le raisonnement est un des classiques de l’optimisation fiscale des grandes entreprises : si la filiale irlandaise, dont l’existence n’est guère justifiée sur le plan industriel, est propriétaire des marques, elle peut faire payer aux filiales françaises une redevance annuelle pour avoir le droit d’exploiter ces marques. L’argent versé à l’Irlande permet de faire baisser les bénéfices déclarés au fisc français. Et de l’autre côté, l’Irlande ne taxe quasiment pas les bénéfices réalisés au titre de la propriété intellectuelle…

Après s’être désolidarisé de son portefeuille de marques, Brandt a ensuite accepté de le céder à sa nouvelle maison-mère espagnole, Fagor, « en contrepartie du financement dont l’entreprise avait besoin », rappelle Christian Legay, représentant du syndicat CFE-CGC. Un financement qui se chiffrait en millions d’euros à l’époque. Résultat, tout repreneur sérieux de l’entreprise devra non seulement investir dans les salaires, les usines, les dettes, mais aussi racheter les marques à la maison-mère espagnole, elle-même en liquidation. Comment imaginer la reprise de l’appareil industriel, si les appareils électroménagers qu’il produit ne peuvent pas être ornés des marques si connues du grand public (et qui représentaient 14 % du marché français fin 2013) ?

C’est ce qu’a bien compris Cevital, le holding industriel d’Issad Rebrab, une des plus grandes fortunes algériennes. Le groupe, fort de 12 000 salariés, propose de reprendre 1 200 salariés français (dans les usines d’Orléans et de Vendôme, au siège de Rueil et au service après-vente de Cergy), mais aussi 350 postes en Pologne et 300 en Espagne. Issad Rebrab a aussi promis la création à terme de 7 500 emplois en Algérie. Son offre est regardée d’un bon œil par le ministère du redressement productif, d’autant que les Algériens ont déjà repris en mai 2013 l’entreprise Oxxo, basée en Saône-et-Loire, dont Arnaud Montebourg fut député et président du conseil général jusqu’en 2012. « C’est un projet industriel sérieux, indique un conseiller ministériel. Sur ce dossier, on s’est battus, en se pendant aux lustres quand il le fallait, pour dégager le terrain en faveur de projets de ce type. »

En parallèle, la PME vendéenne Variance Technologies pourrait reprendre les deux sites de La Roche-sur-Yon et d’Aizenay, en conservant 200 postes sur 440. Mais elle maintiendra son offre seulement si Cevital s’engage à lui fournir un contrat de sous-traitance. Or, Cevital ne maintiendra son offre que si elle peut racheter les marques. Et c’est sur ce point que tout l’édifice pourrait s’effondrer. Le 26 février, le groupe algérien avait conclu un accord avec Fagor pour reprendre le portefeuille de marques au prix de 25 millions d'euros. C’était une amélioration importante de son offre initiale de 7 millions.

Tout semblait en voie de se conclure sereinement. Mais le 14 mars, coup de tonnerre. Le tribunal de commerce de San Sebastian, en Espagne, refuse de valider la cession des marques. Suite au recours de la banque publique espagnole Cofidès, créancière de Fagor qui souhaite récupérer plus d'argent, le juge demande à Cevital de relever son offre à 35 millions d'euros. Lors de débats, il a été argué que les marques valaient en fait plus de 70 millions d’euros, et que Cevital n’avait apporté aucune garantie sur la création d’emplois en Espagne.

Ces deux arguments passent difficilement côté français. « Lorsque Brandt a été vendue à Fagor, la filiale irlandaise était valorisée à 5,6 millions d’euros », assure un bon connaisseur du dossier. « Et Cevital n’a pas parlé d’emploi dans sa proposition au tribunal parce qu’on lui avait indiqué que la procédure serait plus rapide s'ils ne parlaient dans un premier temps que du rachat des marques ! » pointe le syndicaliste CFDT Laurent Prévost. Depuis, les négociations sont au point mort.

Cevital a fait savoir qu’il ne pouvait pas mettre plus d’argent sur la table, lui qui a déjà prévu d’engager 200 millions d’euros, en incluant le passif de l’entreprise. Et le groupe algérien a assuré ne pas vouloir maintenir son offre plus tard que le 30 mars. Or, le tribunal de commerce se réunit le 27, et pourrait donc en théorie prononcer la liquidation. « Il a déjà accepté de reporter sa décision quatre fois, souligne Christian Legay, de la CFE-CGC. Mais nous espérons que le juge repoussera encore sa décision de huit jours, le temps de savoir si oui ou non Cevital aura jeté l’éponge. Mais tout le monde est évidemment dans l’expectative, nous sommes inquiets. »

Le scénario catastrophe serait qu’un autre repreneur en profite pour racheter uniquement les marques, sans aucun salarié… Selon nos informations, une offre en ce sens a déjà été avancée, avant d’être balayée par le gouvernement français. « Il est évident que d’autres opérateurs peuvent mettre le paquet pour accaparer les marques, l’occasion est trop belle », s’inquiète Jean-Luc Poiraud, délégué Force ouvrière de l’usine de La Roche-sur-Yon, l’un des premiers à soulever le problème de la filiale irlandaise.

De toute façon, l’entreprise sera à court de trésorerie début avril. En décembre, l’État avait prêté 10 millions d’euros et les banques 5 millions pour faire repartir la production. Mais faute d’argent, les commandes aux fournisseurs ont à nouveau cessé, et toutes les usines sont arrêtées depuis une dizaine de jours.

Pour débloquer la situation, Arnaud Montebourg a envoyé un émissaire en Espagne et a dialogué plusieurs fois avec son homologue espagnol. Le sujet a aussi été abordé au Conseil européen du 20 mars par François Hollande et l’exécutif espagnol. Sur le papier, tout le monde convient que la décision du tribunal de San Sebastian pose problème. Mais la justice est indépendante, et le juge n’a pas souhaité revoir sa position. Du côté français, on espère que Cevital fera finalement appel et restera dans la course, quelle que soit la durée de la procédure. « Ils sont très sérieux, ils ont envie de faire quelque chose avec nous, assure Laurent Prévost. Sinon, ils seraient déjà partis depuis longtemps tellement la situation est compliquée. Mais en vérité, aujourd’hui personne ne sait ce que nous allons devenir. »

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