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L'université de Versailles Saint-Quentin a sombré dans l'affairisme

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L’ancienne présidente de l’Université de Versailles Saint-Quentin est une femme dynamique. Tous les gens qui l’ont côtoyée – et même ceux qui ont eu à souffrir des méthodes autoritaires de celle qui dirigea l’établissement pendant dix ans –  s’accordent au moins sur ce point. Mais le rapport très sévère de la Cour des comptes sur la gestion de l’université aujourd’hui sous tutelle rectorale, et qui attend d'être fixée mardi 25 mars sur son budget, n’a sans doute pas suffisamment examiné l’esprit entrepreneurial de Sylvie Faucheux.

Sylvie Faucheux ne faisait pas que présider la fondation Fondaterra. Créée et financée par GDF Suez, Vinci et EDF, cette fondation a fortement appuyé le partenariat public-privé (PPP) énergétique passé par l’université en 2011 avec… GDF Suez. Sylvie Faucheux animait aussi le think-tank dédié aux partenariats publics-privés universitaires, au sein du Club PPP – un lobby pro-PPP comme nous le révélions récemment. Celle qui fut candidate aux législatives en 2007 pour le PS est une femme pleine de ressources.

Sylvie Faucheux, lors d'une présentation à la chaire PPP de la SorbonneSylvie Faucheux, lors d'une présentation à la chaire PPP de la Sorbonne

Manifestement, mener toutes ces activités tout en présidant une université de plus de 15 000 étudiants ne lui suffisait pas. Mediapart a ainsi découvert que Sylvie Faucheux et certains membres de la direction de l'université s’étaient aussi lancés, en toute discrétion, dans l'activité de conseil.

Dans un document siglé « confidentiel » de septembre 2009, que s’est procuré Mediapart (à lire en intégralité ici), l’entreprise encore à l’état de projet s’appelle alors « Cabinet Faucheux – de Ligondés et Associés ». Il s’agit d’un cabinet de conseil pensé pour faire l’interface entre les établissements du supérieur (université, écoles), les collectivités locales et les entreprises, notamment dans le cadre de la signature de PPP. La chronologie n’est pas anodine puisque ce document est daté de septembre 2009, soit très exactement un mois avant la signature définitive du PPP avec la société Origo, filiale de Bouygues, pour un montant final de près de 113 millions d’euros, et alors que le projet d’un PPP énergétique commence lui aussi à faire son chemin.

Qu’une présidente d’une université publique prodigue ses conseils à des entreprises privées dans le cadre de PPP universitaires pose a minima la question du conflit d’intérêts. D’autant que, comme nous l’ont rapporté certains salariés mis dans la confidence, la présidente préparait la création de son cabinet de conseil privé au sein même de l’établissement. Hormis ces quelques initiés, tout le monde ignorait ces activités parallèles au sein de l’université. D’ailleurs, le rectorat de Versailles contacté par Mediapart a assuré n’avoir été « aucunement informé » alors même qu’une autorisation expresse doit être demandée par tout enseignant-chercheur qui souhaite exercer des activités dans le privé, le tout étant bien entendu très strictement encadré.

La présentation générale du projet rappelle le contexte politique favorable : « En février 2008, l’opération Campus en faveur de l’immobilier universitaire en généralisant la possibilité de recourir aux partenariats publics-privés (PPP) accélère encore les possibilités de synergie territoriale entre universités, collectivités et entreprises. » Ce document préparatoire affirme ainsi que « l’université du XXIe siècle est bien en cours de construction. C’est de sa réussite et des partenariats entre secteur public et privé qu’elle permet, dont dépend la compétitivité des entreprises et des territoires de demain ».

Face à cela, est-il écrit, les universités vont avoir des besoins de compétences nouvelles comme « la promotion de l’esprit de création d’entreprise et d’entrepreneuriat », l’« intégration du développement durable dans les stratégies universitaires » ou le « montage de PPP ». On ne saurait être plus clair.

Sylvie Faucheux, qui s’apprêtait à signer un colossal PPP avec Bouygues, avait donc décidé de tirer le maximum de profit de son expertise sur le sujet. Dans le document que publie Mediapart, l’ancienne présidente qui a quitté ses fonctions en 2012, pour être nommée rectrice de Dijon, affirme qu’« il existe donc une fenêtre d’opportunité stratégique pour construire un projet entrepreneurial viable et profitable ».

Le "business model", tout comme la forme juridique du cabinet, sont soigneusement détaillés. « Cible de client du cabinet : les présidents et SG (secrétaires généraux, ndlr) des universités », « les dirigeants de groupes industriels de PME et de TPE, les responsables PPP des grandes entreprises », est-il précisé. Le cabinet en cours d’élaboration serait une « SAS au capital de 8000 euros ». Pour les modalités de rémunération, tout est prévu : « Rémunération de SF (Sylvie Faucheux, ndlr) par facturation d’honoraires et dividendes pour FdeL (Frédéric de Ligondés, ndlr). »

Pour proposer cette offre très complète, le cabinet entend s’appuyer sur une « équipe d’experts spécialisés ». Cela permettra, affirme le document, « de recruter, rémunérer, impliquer et motiver les meilleurs experts actuellement en poste ». Suit une liste de huit personnalités présentées comme ayant « donné leur accord pour ce mécanisme », parmi lesquels Nicolas Mignan, le directeur général des services de l’université, qui occupe aujourd’hui cette fonction à l’université Paris-Descartes,  mais aussi de façon assez surprenante l’actuel président Jean-Luc Vayssière, spécialiste de biologie cellulaire.

Jean-Luc Vayssière, que Mediapart a longuement rencontré, assure que s’il a bien été contacté pour participer à ce cabinet, il n’a finalement « pas donné suite ». Peu disert sur la question, l’actuel président assure qu’il « préfère parler de l’avenir de l’université que du passé ».

Brièvement joint par téléphone, Frédéric de Ligondés, présenté dans ce document comme l’associé de Sylvie Faucheux et qui exerçait aussi comme professeur associé en marketing au sein de la faculté, nous a répondu que pour des raisons personnelles touchant à sa santé, il ne souhaitait pas s’exprimer sur le sujet. « Tout cela est terminé, c’est du passé », nous a-t-il simplement répondu. Ni Sylvie Faucheux, ni Nicolas Mignan, en poste à l'université Paris-Descartes n’ont accepté de répondre à nos nombreuses sollicitations.

Une personne figurant sur la liste, et qui souhaite rester anonyme, nous a affirmé que ce cabinet n’avait finalement pas vu le jour sous cette forme. Ayant senti les risques potentiels de cette opération, elle a préféré se retirer. De fait, aucun cabinet « Faucheux – de Ligondés et associés » n’a été créé. En revanche, Sylvie Faucheux a bien créé un cabinet de « conseil pour les affaires » baptisé Aeracura et dont les statuts ont été déposés en novembre 2010. Cette structure discrète ne possède aucun site internet et est domiciliée chez elle, à Dampierre.

De son côté, le directeur général des services de l’université, Nicolas Mignan, a lui aussi créé sa société de conseil pour les affaires en juillet 2010. L’adresse de création, là aussi, est celle du domicile de Sylvie Faucheux... Le cumul d’une activité de conseil de cette nature avec son poste stratégique ne laisse pourtant pas d’étonner parmi ses anciens collègues. « Je ne vois pas comment le directeur financier d’une université publique, qui doit contrôler les comptes et passer des contrats, pourrait en même temps conseiller des entreprises privées surtout si elles sont amenées à contracter avec l’université », affirme un juriste de l’université qui assure également n’avoir jamais entendu parler de ces activités.

Plus étonnant encore, le DGS Nicolas Mignan échangeait parfois – dans un absolu mélanges de genres – des e-mail avec le personnel de l’université en utilisant l’adresse professionnelle d’un autre cabinet de conseil en affaires, baptisé lui « Antheos partners » (voir notre document).

Ce cabinet, très discret lui aussi, a été créé en avril 2010 par François Guichot-Pérère, ancien de chez Lazard et recruté la même année par la nouvelle structure de Jean-Marie Messier selon Le Monde, et a été liquidé en 2013. Parmi les membres fondateurs, on trouve une certaine Nour El Houda Ben Jannet, qui préside aussi le think-tank sur l'énergie au Maghreb, l'observatoire méditerranéen de l'énergie. Une vieille connaissance de Samir Allal, le président de l'IUT de Mantes au sein de l'UVSQ avec qui elle cosignait un article en 1991 et qu'elle retrouvait récemment lors des petits-déjeuners de l'énergie en Méditerranée. Or Samir Allal, qui lui non plus n'a pas donné suite à nos appels, figurait parmi les personnalités ayant accepté de faire partie des experts du cabinet de Sylvie Faucheux.

Et que penser, au même moment, alors que le cabinet Faucheux de Ligondés et Associés commence à se monter – à l'automne  2009 – de l’embauche de Pierre Bédier ? L’ancien président UMP du conseil général des Yvelines vient alors d’être condamné pour faits de corruption quand la présidence de l’université lui propose un opportun contrat de « chargé de mission » pour développer une fondation méditerranéenne sur l'énergie et le développement durable au Maroc ! Pierre Bédier n'aura guère le temps de démontrer ses talents puisqu'à la suite d'une fuite dans L'Express sur cette embauche pour le moins controversée, l'ancien secrétaire d'État a été contraint de démissionner.

Pierre BédierPierre Bédier

Le document préparatoire à la création du « cabinet Faucheux  de Ligondés et Associés » précisait justement que les réformes en cours à l’université, qui permettaient l’essor de projets de PPP, était également en cours au Maghreb et offrait donc de prometteuses perspectives de « conseil ». D’importants PPP universitaires ont en effet été signés ces dernières années au Maroc et l’université Versailles Saint-Quentin a multiplié les partenariats dans ce pays.

Face à tous ces éléments, il est évidemment dommage que les dirigeants de l’époque aient refusé de répondre à nos interrogations, alors que ceux actuellement en poste semblent bien pressés de tourner la page.

Pourquoi le cabinet Faucheux de Ligondés et Associés n’a-t-il pas vu le jour ? Tout n’était-il pas bouclé ? À la ligne « Nos valeurs/nos motivations », le document préparatoire, si prolixe sur les aspects juridiques et financiers, répondait ainsi par un perplexe «  ??? ». La réponse n'était sans doute pas très avouable.

BOITE NOIRECette enquête a été menée au cours des dernières semaines. Sylvie Faucheux, contactée à plusieurs reprises sur son mail, son portable et même à son domicile n'a jamais répondu. Nicolas Mignan, aujourd'hui secrétaire général des services à l'université Paris-Descartes, que nous avons cherché à joindre à plusieurs reprises, nous a fait répondre par le service de presse de l'université qu'il ne souhaitait pas s'exprimer sur le sujet.

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