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Dans les quartiers nord de Marseille, des électeurs désabusés

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 Marseille, de notre envoyée spéciale

À 11 heures au bureau de vote de Campagne-Levêque (15e arrondissement de Marseille), une immense barre où a grandi l’élue PS Samia Ghali, c’est le calme plat : 11 % de participation. « C’est le désert, est-ce qu’ils boudent ? », se demande un assesseur. « Il y avait trop de listes (neuf sur ce secteur, ndlr), le gens sont perdus », estime la présidente du bureau de vote. Alissia, une militante PS de 18 ans, passe quelques coups de fil pour inciter des familles à venir voter Samia Ghali, la sénatrice PS et maire de secteur sortante. « On espère qu’elle sera élue dès le premier tour, parce qu’elle est proche de nous. »

Dans les 15e et 16e, Samia Ghali a fait une campagne en solo, sans reprendre sur ses affiches le logo et les slogans de Patrick Mennucci, son rival à la primaire. Elle n’a pas fait de meeting, préférant démarcher les habitants lors de visites sur le terrain.

La cité de Campagne-LevêqueLa cité de Campagne-Levêque © LF

Sans forcément convaincre. « Les gens en ont marre de la politique ici, nous, si nous sommes élus, nous reverserons l’intégralité de notre salaire », dit Ali, un chauffeur de taxi de 43 ans, candidat sur une liste « citoyenne » montée par le boxeur Cyril Abidi. « C’est bidon ce que tu fais », lui lance un militant PS. « Mais arrête, on est potes, c’était pendant la campagne qu’il fallait discuter, là c’est fini », lui répond Ali. Les deux hommes partent à l’extérieur s’expliquer.

À la cité Consolat dans le 15e arrondissement, la participation est tout aussi faible à la mi-journée. On croise plusieurs employés municipaux qui habitent le quartier et ont tout naturellement voté Gaudin (Arlette Fructus est la tête de liste de la liste UMP-UDI dans ce secteur). « La ville s’est beaucoup embellie, même s’il y a plus de délinquance ici que dans les quartiers sud, explique un couple de 37 ans et 32 ans, tous deux employés à la mairie. Et c’est une personne charismatique qui aime vraiment sa ville. »

Corinne, 52 ans, employée municipale, a elle aussi voté pour son patron bien qu’elle eût préféré un candidat « plus jeune ». Elle estime qu’avec « Marseille Provence 2013, la ville a changé de visage », mais qu’on ne peut pas en demander trop à la municipalité Gaudin car la ville est très endettée. « Il faudrait que les entreprises et le travail reviennent dans nos quartiers, se lamente-t-elle. Car on est obligés de payer toujours plus en taxe d’habitation. Moi je passe mon temps à payer. »

Magali*, 31 ans et employée à la ville comme vacataire, a quant à elle voté pour la première fois. Pour le Front de gauche. « La politique, je pensais que ce n’était pas important », explique-t-elle. C’est un boulot dans un centre social des quartiers nord qui lui a « ouvert les yeux sur le fait qu’on a notre mot à dire ». Rachid, 45 ans, n’a, lui, qu’une préoccupation, le bidonville de Ruisseau Mirabeau où vivent une vingtaine de familles roms, juste en face de sa cité SNCF. « Ils ont enlevé les tuyaux de gaz de l’immeuble, ils chient partout, écoutent la radio jusqu’à 3 heures du matin et on ne peut plus dormir », raconte cet employé d’une société de sécurité. Il a voté Samia Ghali, car elle « est du quartier et comprend bien les gens ». Une troupe de jeunes filles ressort en riant. « Moi, je n’y comprends rien à la politique, c’est ma mère (qui tient le bureau de vote, ndlr) qui m’a dit : "Il faut voter pour untel" », lance une jeune fille de 22 ans.

Une retraitée de 68 ans ne veut pas dire pour qui elle a voté. Mais elle ne cache pas sa colère envers les élus, à qui elle n’a pas ouvert sa porte durant de la campagne. « Ce n’est pas huit jours avant les votes qu’on vient s’inquiéter de ce qui se passe chez les gens », balaie-t-elle. Son mari, 74 ans, un ex-routier issu d’une famille d’immigrés italiens, dit ne plus reconnaître son quartier. « Nos filles sont parties car elles ne s’y sentent pas bien. » « Ici, on n’a que du cosmétique, ils font un petit stade de foot en synthétique avant les élections, dit une jeune mère de famille. Mais pour les crèches, l’emploi des jeunes, le quotidien, les transports, on a l’impression qu’ils laissent dépérir et s’autogérer le quartier. » Technico-commercial dans l’industrie pharmaceutique, elle n’habite plus Consolat, mais revient y voter « pour revoir les copines ».

La cité Consolat qui domine la rade de Marseille.La cité Consolat qui domine la rade de Marseille. © LF

Un groupe de travailleurs, la cinquantaine, bottes blanches aux pieds, ressort au pas de course de l’école primaire où on vote. « On a voté sur les questions de sécurité et de délinquance, Marseille n’est plus Marseille », lance une femme, pressée de retourner à la maison de retraite où elle travaille. « Quand on fait du social et que toutes les règles de savoir-vivre qu’on avait enfants sont foutues en l’air… Si le FN peut apporter des réponses, pourquoi pas ? » explique son collègue.

Un certain nombre d'électeurs refusent de nous répondre, traçant vite leur chemin vers leur voiture. Cette jeune fille de 33 ans, qui travaille pour une caisse de retraite complémentaire, elle, ne s’en cache pas : elle a voté pour Bernard Marandat, le candidat FN (et seul élu FN au conseil municipal depuis 2008) car « ils aideront à ce que le quartier n’empire pas ». « J’aime bien mon cadre de vie, je veux rester dans la cité, mais j’ai peur de sortir seule », dit-elle. Avant d’assurer que « sur l’immigration, on leur prête de fausses idées, basées sur le passé, mais ce ne sont pas des racistes ».

Ils sont aussi plusieurs à affirmer avoir voté pour Samia Ghali « pour du boulot, un logement ». « Ça fait la deuxième fois que je vote pour elle, mais je n’ai jamais rien eu, pourtant je suis un peu cousin avec elle », regrette Jamel, 54 ans, travailleur handicapé.

Les habitants des cités ont moins voté que ceux des noyaux villageois (ici à La Castellane)Les habitants des cités ont moins voté que ceux des noyaux villageois (ici à La Castellane) © LF

À la cité La Castellane, qui abrite un des plus gros trafics de cannabis de la région, un guetteur indique poliment les bureaux de vote installés dans l’école maternelle en contrebas de la cité. Il n’y a pas non plus foule. « Le désarroi des gens est encore plus grand dans les cités », estime Marc Poggiale, élu et candidat Front de gauche. Georges Chahine, candidat FDG et chauffeur de bus sur la ligne 53 qui dessert L’Estaque, le constate tous les jours dans son bus. « Samia Ghalia a tellement fait de promesses à tout le monde à des fins électoralistes en 2008 que la déception est immense, dit-il. Le PS continue à écrabouiller les gens. » « L’électorat de François Hollande s’est senti trahi, explique la tête de liste (FDG) Jean-Marc Coppola. Beaucoup nous disent "ne comptez pas sur nous pour aller voter PS au second tour", ce qui pose problème pour battre Gaudin. » 

Marie*, une femme de 37 ans, agent d’entretien, fait, elle, partie des 31,71 % d’électeurs qui ont voté pour la sénatrice PS. Elle habite La Castellane depuis une dizaine d’années, mais voudrait changer de cité à cause de ses plus jeunes enfants (8 et 12 ans) qui « ont un peu peur des chiens qui sont arrivés dans notre bloc ». « Si ça pouvait appuyer ma demande, même si je n’ai jamais rencontré Samia Ghali… », dit doucement cette mère de famille.

Christelle, 31 ans, au RSA, a elle aussi opté pour « Samia » qui a récemment tenu une réunion avec les parents d’élèves de La Castellane. « Elle a refait la route pour l’école et à chaque fois qu’on l’appelle pour des voitures brûlées, c’est elle qui s’en occupe et pas la mairie centrale dont c’est pourtant le rôle », apprécie cette mère de trois enfants. Avant de secouer la tête : « Ma petite de deux ans, elle crie "wé, wé, wé" comme les guetteurs quand ils voient arriver la police. »

Mamadou, 38 ans, salarié dans une entreprise de travaux acrobatiques, a fait une infidélité au PS pour voter Pape Diouf. Mais il n’est pas non plus très convaincu : «Je vote par devoir car je ne crois en personne, pas plus en Pape Diouf qu’en Samia Ghali. Pour trouver un emploi ici, il faut être pistonné. » En ressortant, on entend des adolescents en vélo crier « Arha, arha, ils sont là » au passage d’une Peugeot. Un grand sur son scooter vient jeter un œil. La voiture banalisée passe doucement avant de s’éloigner. Fausse alerte, pour cette fois. 

BOITE NOIRELes prénoms marqués d'un * ont été modifiés à la demande des intéressés qui souhaitaient demeurer anonymes.

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