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Les deux cagnottes de David Douillet

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Grâce à Hervé Lebreton, ce citoyen du Lot-et-Garonne qui vient d'obtenir le détail des 153 millions d'euros attribués en 2011 aux collectivités locales au titre de la fameuse « réserve parlementaire », toutes les aberrations de ce système opaque et discrétionnaire viennent d'apparaître au grand jour : dirigeants de la majorité outrageusement avantagés et qui arrosent leurs propres circonscriptions ; distribution clientéliste de subventions avant les élections ; inégalités flagrantes entre les parlementaires (et donc entre les territoires qu'ils représentent), etc.

Autant de manifestations d'un système aussi secret qu'archaïque de financement des collectivités locales. Qui a cours pourtant depuis des décennies.

Mais le secret, l'opacité et l'arbitraire concernent aussi certaines subventions aux associations. En 2011, 20 000 associations ont été financées par les ministères (et dans une petite proportion par la réserve parlementaire). Un document officiel et accessible en ligne, le “jaune budgétaire”, les recense scrupuleusement. Mais il n'est pas très précis. Et ne permet en aucun cas de prouver le caractère éventuellement clientéliste d'une partie des subventions versées.

Mediapart a cependant consulté une série de documents inédits qui l'attestent : sous Nicolas Sarkozy, des crédits ont bel et bien été utilisés pour subventionner des dossiers d'associations présentés par des proches du pouvoir. Ces documents prouvent aussi que l'Élysée gérait parfois lui-même la distribution de ces subventions, alors que c'est d'habitude la prérogative des ministres. 

Les documents dont Mediapart a eu connaissance concernent le ministère de la jeunesse et des sports, très gros pourvoyeur de subventions. Ils couvrent une période allant de la fin 2011 à l'été 2012, soit les derniers mois de la présidence Sarkozy. À l'époque, le ministre est l'ancien judoka David Douillet. Ces documents établissent l'existence de réserves cachées, utilisées de façon discrétionnaire par le ministère ou l'Élysée directement, pour récompenser les amis politiques du ministre ou du “Château”, dont beaucoup menaient campagne en vue des législatives de juin 2012.

Plus étonnant encore, une grosse partie de ces crédits a été attribuée par les services du ministère après la défaite de Nicolas Sarkozy, alors que l'équipe de Valérie Fourneyron, nommée ministre des sports de François Hollande, n'était pas encore installée.

Une note interne au cabinet du ministère des sports, datant d'octobre 2011 et que Mediapart s'est procurée, confirme l'existence de deux cagnottes secrètes, dotées de plusieurs centaines de milliers d'euros : une réserve “ministère” et une réserve dite “Élysée”.

Entre ces deux caisses, la différence réside dans la façon dont les subventions sont accordées, explique cette note. Les crédits de la réserve ministérielle sont attribués sur « décision du directeur de cabinet du ministre ». La réserve “Élysée”, elle, est gérée directement par le “Château”, et le ministère n'a qu'à s'exécuter. Dans ce cas, l'Élysée se fend même d'un courrier pour annoncer à l'élu concerné qu'il a gagné le gros lot, comme en témoignent des courriers que certaines associations nous ont transmis.

Sollicité par Mediapart, David Douillet confirme que certaines subventions de son ministère étaient directement attribuées par l'Élysée, sans qu'il ait son mot à dire. « Comme ministre, je n'avais pas le contrôle de la réserve “Élysée”. Un conseiller de l'Élysée nous appelait, nous disait qu'il y avait un sujet chez tel ou tel député. On procédait à une vérification de l'association et on validait. »

David Douillet, en 2011David Douillet, en 2011© Reuters

Quant à la réserve “ministère”, son directeur de cabinet, Gérald Darmanin, admet qu'il s'agit d'une « enveloppe discrétionnaire » à disposition du ministre. « Notre philosophie a toujours été d'aider les projets des gens qu'on connaît. Je ne vous dis pas que c'est transparent ni égalitaire. Mais c'est ce qu'on faisait », admet Darmanin. Il ne cache pas l'usage électoraliste d'une telle cagnotte. « Cette réserve a toujours été utilisée pour aider des amis politiques à financer de vrais projets, contexte électoral ou pas. Après, soyons francs, cela permet, dans un contexte électoral, d'aider certains parlementaires, notamment ceux qui restaient le jeudi soir au Parlement pour voter nos textes. »

Pour l'année 2012, l'enveloppe à disposition du ministère pour les associations sportives était de 475 000 euros. Une toute petite somme au regard de ce que distribuent chaque année les ministères, mais qui permet tout de même de contenter beaucoup d'amis. Avant les élections de 2012, cette cagnotte a été siphonnée : selon nos informations, 60 % de l'enveloppe (soit 294 000 euros) ont été dépensés entre janvier et mai 2012, en cinq mois seulement.

Les bénéficiaires ? Quatre-vingts associations sportives sans doute dans le besoin, mais qui ont surtout la particularité d'être situées dans des circonscriptions détenues par l'ancien ministre Éric Woerth (Oise), par des proches de David Douillet (Édouard Courtial ou Damien Meslot), ou encore par Jean Castex, maire de Prades (Pyrénées-Orientales), alors secrétaire général adjoint de l'Élysée et candidat aux législatives.

Le mieux servi par le ministre Douillet est sans conteste… le député Douillet : du 13 mars au 7 mai 2012, sept associations sportives de Beynes, Plaisir ou Poissy, villes de la circonscription des Yvelines où il mène campagne comme député sortant, obtiennent ainsi 24 000 euros. Sollicité par Mediapart, David Douillet « assume » : « C'est le petit plus d'un ministre qui connaît son territoire et veut l'aider. » Selon lui, c'est un moyen de « compenser » ce que la région Île-de-France, tenue par la gauche, « ne donne pas ».

L'ex-judoka sait aussi entretenir sa propre gloire : le 11 mai, cinq jours après la défaite de Nicolas Sarkozy, le dojo normand de Neufchâtel-en-Bray (Seine-Maritime), où le champion olympique a exécuté ses tout premiers ippons se voit attribuer une généreuse subvention de 15 000 euros. Voilà qui tombe bien : depuis 1994, le dojo porte son nom ! 



Nommé “dircab” de Douillet en janvier 2012, Gérald Darmanin déclarait alors vouloir faire la promotion du sport à Tourcoing (Nord). À ce titre, son passage éclair à la tête du cabinet aura été un succès : du 10 avril au 16 mai 2012, neuf associations situées à Tourcoing et dans la ville voisine de Roubaix reçoivent 30 000 euros. « Bien sûr que j'ai aidé des dossiers du Nord, dit-il. C'est un département où les élus de droite n'arrivent pas à avoir des subventions de la gauche qui a tous les pouvoirs. » Darmanin, 30 ans, a été élu député de Tourcoing en juin 2012.

D'autres pointures de l'UMP bénéficient des largesses du ministère. Le 29 mars, 17 000 euros sont débloqués en un seul jour pour trois associations de Saint-Quentin (Aisne), dont le maire est l'ancien secrétaire général de l'UMP, Xavier Bertrand. Entre le 19 avril et le 20 mai, douze associations de Haute-Loire se voient attribuer un total de 18 000 euros. Presque toutes sont situées au Puy-en-Velay, la ville dont Laurent Wauquiez est maire. Toutefois, un grand nombre de ces demandes n'ont pas été honorées, n'ayant pas fait l'objet d'un dossier en bonne et due forme.

Sollicités par Mediapart, les services de Valérie Fourneyron ne démentent pas nos chiffres. Ils confirment par ailleurs que la “ réserve ministérielle ” existe encore malgré l'alternance, mais qu'elle a diminué en 2013. Le ministère assure enfin que les règles d'attribution, jusqu'ici floues, ont été définies. « Nous n'avons pas perpétué les usages des cabinets précédents. Nous avons imposé des règles pour en avoir une utilisation plus républicaine, comme par exemple la consultation des préfectures concernées. Nous avons détaché les dossiers des considérations partisanes : nous nous intéressons désormais uniquement au projet de l'association. »

Le ministère n'a pas souhaité nous transmettre la liste des associations aidées en 2013 au titre de la réserve du ministère. Mais selon nos informations, il s'agit d'associations de boxe et de taekwondo, de la structure d'aide aux jeunes gays et lesbiennes Le Refuge, de deux associations rouennaises (la ville dont Valérie Fourneyron était maire jusqu'en mai 2012). Ou encore du salaire du coach sportif de l'Assemblée nationale, dont le traitement annuel de 31 700 euros est curieusement payé par le ministère !

Mais les documents consultés par Mediapart prouvent aussi que sous Nicolas Sarkozy, l'Élysée a attribué directement des centaines de milliers d'euros aux associations sportives. Ce fut à coup sûr le cas en 2012 (on en trouve même la trace sous la forme d'une ligne de crédits d'un million d'euros discrètement votée lors de l'examen du budget).

Ainsi, entre décembre 2011 et mai 2012, 64 subventions ont été accordées par le ministère à des associations sportives sur ordre express de l'Élysée. Montant total des subventions versées : 602 200 euros.

Nicolas Sarkozy et Xavier Musca, janvier 2012Nicolas Sarkozy et Xavier Musca, janvier 2012© Reuters

Signe de la mainmise de l'Élysée sur le processus, seize dossiers, soit un quart du total, ont été défendus en personne par le secrétaire général de l'Élysée, Xavier Musca : parmi elles, 6 000 euros attribués au club de basket de Sablé-sur-Sarthe, le fief électoral de François Fillon.

Les montants de cette “réserve Élysée” sont en général bien plus importants que ceux de la réserve “ministère”. Et sans surprise, ce sont bien les amis du pouvoir qui en ont bénéficié : Xavier Bertrand obtient 10 000 euros pour le club de volley de Saint-Quentin (Aisne) ; Éric Diard, député UMP des Bouches-du-Rhône, grappille 15 500 euros pour le club de judo de Vitrolles et le club d'haltérophilie de Marignane ; Jean Castex, candidat aux législatives à Prades (Pyrénées-Orientales), ville dont il est maire, se voit attribuer 25 000 euros pour le tennis club ; l'ancien ministre UMP Georges Tron, candidat aux législatives, arrache 20 000 euros pour le Yacht Club de Draveil (Essonne), ville dont il est maire ; l'ancienne ministre Michèle Alliot-Marie touche le gros lot : 100 000 euros pour Issarak, une association du Pays basque.

David Douillet a aussi su mettre ses dossiers en haut de la pile et a encore grappillé 14 500 euros pour des associations de sa circonscription.

Mais le plus grand bénéficiaire de la “cagnotte Élysée” est le député UMP Damien Meslot. Entre décembre 2011 et mai 2012, ce proche de Xavier Bertrand (comme Douillet) a récolté 190 500 euros de subventions pour 26 associations du territoire de Belfort.

« Oui, j'étais un bénéficiaire important des réserves de toutes sortes, et sur beaucoup de ministères : l'intérieur, la jeunesse et les sports, la culture, etc, assure Meslot. Ça passait par l'Élysée ou les ministères directement. À l'Élysée, je passais par des collaborateurs du président : Olivier Biancarelli (conseiller parlementaire – ndlr), Éric Schahl (conseiller technique – ndlr), Xavier Musca (le secrétaire général de l'Élysée – ndlr). Mon ami Darmanin m'en a passé un certain nombre. Et puis avant, Sarko m'en passait quand il était à l'intérieur. Villepin et Michèle Alliot-Marie m'en ont passé aussi. » Meslot affirme avoir ainsi récolté « plusieurs millions d'euros » depuis son élection en 2002. Pourquoi une telle sollicitude ? « J'ai beaucoup d'amis, répond-il. Ce n'est pas de l'argent volé : j'ai présenté beaucoup de dossiers, je les ai bien montés, je ne me suis pas mal débrouillé. »

Curieusement, 80 % des subventions aux associations sportives octroyées par l'Élysée (soit 488 700 euros) ont même été accordées après le 6 mai 2012, c'est-à-dire après la défaite de Nicolas Sarkozy ! Pour la seule journée du lundi 7 mai, journée suivant la victoire de François Hollande, 71 000 euros sont distribués à onze associations. La subvention la plus tardive sera accordée par les services le 25 mai, alors que Valérie Fourneyron, la ministre des sports nommée par François Hollande, s'installe à peine.

Gérald Darmanin, le dircab’ de Douillet, jure « s'être interdit » de donner des instructions aux services du ministère après la défaite de Nicolas Sarkozy. Il admet en revanche avoir « donné avant le 6 mai, lors d'une réunion dans (son) bureau, une instruction générale aux services pour que les dossiers complets soient traités ». « Nous avons notamment veillé à ce que les demandes du président de la République soient accomplies. » Alors même que Nicolas Sarkozy avait été battu, la direction des sports du ministère a scrupuleusement suivi les instructions. Avec un zèle incontestable, puisque le directeur des sports, Richard Monnereau, est alors l'ancien directeur de cabinet de David Douillet. Il sera démis de ses fonctions en juillet 2012.

Aujourd'hui, aucune subvention aux associations sportives n'est plus attribuée par l'Élysée, assure le cabinet de l'actuelle ministre des sports. Qui a d'ailleurs bloqué en arrivant un certain nombre des subventions élyséennes. « Nous avons payé celles que le ministère avait déjà notifiées, affirme le ministère. Mais quand la notification venait de la présidence de la République, nous n'avons pas suivi. »

De quoi susciter la colère de l'UMP Damien Meslot : « La plupart de mes dossiers sont passés avant que les cosaques n'arrivent (les socialistes – ndlr). Mais il en reste deux ou trois que le ministère refuse de payer. Au nom de la continuité de l'État, ils doivent payer. Sinon j'irai au tribunal ! » menace le député. 

Ainsi, les 20 000 euros promis au Yacht Club de Draveil n'ont pas été versés. C'est le député PS Thierry Mandon, “tombeur” de Georges Tron en juin 2012, qui a réglé l'ardoise sur sa propre réserve de député, comme il le confirme à Mediapart. Le tennis club de Prades attend toujours ses 25 000 euros. Et les 100 000 euros (le record !) pour l'association Issarak, dossier défendu par Michèle Alliot-Marie, ont été bloqués.

Ce système de distribution massive de crédits aux amis politiques pose plusieurs questions. S'est-il répété dans d'autres ministères, en 2012 et les années précédentes ? Quels ministères disposent ainsi de telles cagnottes cachées ? Et pour quel montant ? Enfin, l'Élysée bénéficiait-il d'un droit de tirage sur d'autres ministères, et si oui lesquels ? Un ancien conseiller du président de la République nous a par exemple assuré récemment que c'était aussi le cas à la culture.

Alors que cet article était prêt à être publié, Mediapart a envoyé un questionnaire aux ministères pour en savoir plus sur d'éventuelles cagnottes cachées, aujourd'hui ou dans le passé. Réponse attendue dans les prochains jours.

BOITE NOIREMediapart travaille sur cette enquête depuis plusieurs mois. Le cabinet de l'actuelle ministre des sports Valérie Fourneyron, l'ancien ministre David Douillet et son ex-dircab’ Gérald Darmamin ont été contactés au cours des dernières semaines.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le PC est il mort?


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