Ce sont des clichés que les photographes ne pourront plus saisir dans les mois qui viennent. Lors du mouvement social qui a secoué la France à l’automne 2010, on y voyait les principaux responsables socialistes – Martine Aubry, Jean-Marc Ayrault, Ségolène Royal, Harlem Désir, Benoît Hamon, Claude Bartolone – défiler bras dessus, bras dessous, avec Jean-Luc Mélenchon ou Cécile Duflot, au milieu d’une marée de salariés.
C'était alors un non catégorique : non à la réforme des retraites du gouvernement Fillon, qui recule l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et l’âge pour une retraite à taux plein de 65 à 67 ans. C’était il y a trois ans, quand le parti socialiste montrait les crocs sur les bancs de l’assemblée et trouvait injuste de faire sauter la barrière symbolique des 60 ans, cet acquis social voulu par François Mitterrand et Pierre Mauroy en 1982 (entré en vigueur le 1er avril 1983).
La loi a été promulguée en novembre 2010. La crise économique et sociale s’est accélérée. François Hollande a été élu président de la République. Et il s’apprête à mener la “mère des batailles“ que la gauche n’a pas su engager sous Jospin : la réforme du système des retraites, la quatrième en vingt ans, sous la pression de la commission européenne et de son obsession des “réformes structurelles”.
Vendredi 14 juin, la commission Moreau, installée en février dernier par le premier ministre Jean-Marc Ayrault pour plancher sur l’avenir de nos retraites, doit présenter un catalogue de mesures pour sauver le système qu’un déficit de 20 à 25 milliards d’euros déstabiliserait à l’horizon 2020, selon les experts.
Puis on passera à “la concertation” entre partenaires sociaux dans la foulée de la conférence sociale prévue les 20 et 21 juin – formellement, les retraites ne relèvent pas de la négociation entre patronat et syndicats mais de la loi. Puis l’exécutif tranchera pour présenter un projet de loi le 20 septembre. Au vu des premières fuites, les préconisations de la commission Moreau seront très loin, pour la plupart, de ce que le parti socialiste prônait en 2010 en dénonçant la réforme « injuste, bâclée et non financée » de la droite comme ici Marisol Touraine, alors députée.
Le rapport pourrait ainsi préconiser : un allongement de la durée de cotisation jusqu’à 43 voire 44 ans ; un changement du calcul des retraites des fonctionnaires, basé non plus sur les six derniers mois mais les dix dernières années ; une mise à contribution des 15 millions de retraités avec la fin de l’indexation du niveau de leurs pensions sur l’inflation ; un alignement du taux de CSG (contribution sociale généralisée) des retraités imposables sur celui des actifs ; la fin de leur abattement fiscal de 10 % ; la fin du bonus fiscal de 10 % pour les ménages ayant eu trois enfants et plus ; la révision vers le bas du calcul du niveau des retraites pour les actifs...
À l’époque, le 18 mai 2010 très exactement, Martine Aubry, la première secrétaire du parti, désavouée par son bureau national quelques mois plus tôt pour avoir osé à la télévision envisager un recul de l'âge légal, dégainait, chiffres à l’appui, le contre-projet du PS pour une réforme « juste, efficace et durable des retraites » (à relire sous l'onglet Prolonger). L’accouchement s’était fait dans la douleur, presque au forceps, tant le sujet divise en interne une famille politique tiraillée entre son aile sociale-libérale et son aile gauche.
Depuis vingt ans, les socialistes cherchent comment réformer un système en crise perpétuelle sans trahir leurs idéaux et se déchirent autour de cet éternel débat : faut-il ou non tenir compte de l’argument démographique et donc de l’allongement continu de l’espérance de vie, justifiant un allongement de la durée de cotisation ?
Après moult revirements publics, la synthèse s’est faite, se révélant (plutôt) ancrée à gauche. En témoignent ces petites animations (ici et là) où le PS déroulait son projet, proclamant son attachement à la borne symbolique des 60 ans, martelant que « relever l’âge légal des retraites ne réglerait qu’une partie des problèmes ».
Les socialistes avaient finalement écarté un nouvel allongement de la durée de cotisation avant 2020. « Si un allongement de la durée de cotisation devait être envisagé, celui-ci ne devrait pas excéder la moitié des gains d'espérance de vie, alors qu'aujourd'hui, il représente deux tiers d'allongement d'activité, pour un tiers de temps de retraite », précisait le document.
Ses propositions s’articulaient sur deux piliers. D’un côté, les socialistes innovaient en proposant une réforme systémique autour d’une retraite choisie avec un compte-temps individuel. « À titre d'exemple, si l'âge effectif de départ est repoussé d'un an par ces choix individuels, l'économie pour les régimes de retraite est de 10 milliards d'euros », affirmait le PS. De l’autre côté, ils proposaient de nouvelles sources de financement pour répartir les efforts de « façon juste ». Outre une légère augmentation des cotisations, cela passait par la taxation des revenus du capital, des bonus, des stocks-options, des plus-values, et la taxation des banques.
Avec cette contre-réforme, le PS tournait une page. Notamment celle de la loi Raffarin-Fillon de 2003, qui avait harmonisé à 40 ans les durées de cotisations pour le public et le privé, et que le PS a un temps appelé à abroger. En 2003, le Parti socialiste avait fermement défendu le « principe de la retraite à 60 ans à taux plein en fonction de la durée légale de cotisations, acquis social de la gauche au service d'une vraie qualité de vie ». Lors du congrès de Dijon, le premier secrétaire de l’époque, un certain François Hollande, décide même d’inviter le leader de la CGT, Bernard Thibault, ovationné par les socialistes. Favorable à la réforme, François Chérèque, à la CFDT, décline l’invitation.
« Le projet du gouvernement appelle un refus majeur de la part des socialistes », lance Hollande aux congressistes, refusant cette « philosophie qui consiste à demander aux salariés de travailler plus longtemps pour gagner moins ». Et de lâcher : « L’allongement de la durée de cotisations – 40, 41, 42 ans et davantage encore si c’est nécessaire – était la position du Medef, c’est la solution du gouvernement Raffarin ! »
En dix ans, François Hollande a eu le temps de changer d’avis. Surtout, dès 2003, il a maintenu l’ambiguïté sur la barrière des 60 ans. 60 ans pour tout le monde ? Ou bien seulement pour ceux ayant atteint la durée de cotisations ? Hollande a toujours privilégié la seconde option. Ses écrits le confirment : l’ex-premier secrétaire du PS a systématiquement soutenu l’idée que l’allongement de l’espérance de vie justifiait un allongement de la durée de cotisations.
« Afin de tenir compte de l’allongement de la durée de la vie, il est logique d’augmenter la durée de cotisation au fur et à mesure que l’espérance de vie augmente. Enfin il faudra augmenter les cotisations sociales, celles qui pèsent sur les employeurs comme celles qui pèsent sur les salariés », expliquait-il dans son livre-programme Parlons de la France, avec François Hollande, publié en 2010.
À la même époque, le PS planche sur son programme présidentiel. Mais c’est Martine Aubry qui est aux commandes du parti et qui reprend les grands axes de la contre-réforme proposée un an plus tôt. Le candidat qui sort vainqueur de la primaire refuse, lui, de reprendre l’intégralité du projet à son compte.
Les retraites feront l’objet d’une passe d’armes entre Aubry et Hollande durant la primaire. « Quand l’espérance de vie s’allonge, il faudra allonger aussi la durée de cotisations », dit encore Hollande, qui promet déjà une « réforme générale des retraites » en 2013. Il est surtout embarrassé par les déclarations tonitruantes de son “M. retraites”, le député Pascal Terrasse, piégé par l’enregistrement de propos polémiques en pleine campagne. « Il y a à la fois ce que les gens ont compris, ce que dit le PS, et ce qu'on fera. C'est trois choses différentes... », dit alors Terrasse.
Durant la campagne, François Hollande reste flou sur la grande réforme qu’il promet. Dans son programme, l’engagement 18 stipule un rétablissement du départ à la retraite à 60 ans pour ceux qui ont assez cotisé (une décision confirmée par un décret dans la foulée de son élection). Pour le reste, le candidat se réfugie derrière la concertation avec les syndicats. Jamais il n’a semblé envisager le système novateur du compte-temps ni même de taxer la finance pour payer les retraites.
Dans les discours, un seul principe ne varie pas : l’allongement de la durée de cotisations. « C’est vrai qu’avec François Hollande, nous pensons que faire de la durée de cotisation la variable-clef est plus juste que d’autres variables de référence. (...) Il me paraît difficile d’avoir d’un côté une vie qui s’allonge, un système de protection sociale arrimé au travail et, de l’autre, une durée de travail qui diminuerait. Je ne crois pas à ce modèle-là », explique alors à Mediapart Marisol Touraine. C’est elle qui, devenue ministre des affaires sociales, pilote aujourd’hui la réforme des retraites.
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