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Les employés municipaux enrôlés par la «machine électorale» des Tabarot

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« Il y a deux principautés dans les Alpes-Maritimes : Monaco et Le Cannet. Si demain ils gagnent Cannes, la principauté s'agrandira. » Comme d’autres agents municipaux du Cannet, Serge*, ancien directeur d'un service de la ville, redoute que la numéro deux de l'UMP et son frère ne fassent coup double le 30 mars : un quatrième mandat au Cannet pour elle, la conquête de la ville voisine de Cannes pour lui.

À eux deux, Michèle et Philippe Tabarot cumulent déjà de nombreux postes et mandats : elle est secrétaire générale de l'UMP, secrétaire départementale de la fédération des Alpes-Maritimes, présidente de l'organisme de formation des élus du parti, députée et maire du Cannet ; il est secrétaire national de l'UMP, conseiller général et municipal de Cannes. 

Pour garder la main dans le sud-ouest du département, Michèle Tabarot a mis en place une véritable « machine de guerre électorale », d’après de nombreux témoignages d’agents municipaux et d’élus locaux recueillis par Mediapart (lire notre boîte noire). Plusieurs employés du Cannet détaillent les tâches politiques qu'ils effectuent, loin de leur mission de service public et de leur devoir de réserveIls décrivent un « système » dans lequel la carte UMP ouvre certaines portes, et où certains « récalcitrants » subissent « pressions » et « mises au placard ».

D'après nos informations, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Grasse après le dépôt de deux plaintes contre X d'une employée du Cannet pour « harcèlement moral » au travail et « violation du secret de la correspondance privée ». Une autre plainte pour « harcèlement moral » vise la mairie du Cannet. Cinq recours pour excès de pouvoir ont également été déposés à l'encontre de la commune au tribunal administratif de Nice.

Jean-François Copé avec Michèle et Philippe Tabarot, lors d'un meeting dans les Bouches-du-Rhône le 10 juillet 2011.Jean-François Copé avec Michèle et Philippe Tabarot, lors d'un meeting dans les Bouches-du-Rhône le 10 juillet 2011. © dr

Le « système » Tabarot repose sur deux piliers : un « clientélisme » puissant, notamment auprès des seniors, mais aussi un usage politique de la mairie et de ses quelque 800 employés. Ils sont nombreux à décrire la gestion « autoritaire » de Michèle Tabarot et le « fonctionnement pyramidal » de sa mairie. L'étage occupé par l'édile et son cabinet est d'ailleurs verrouillé par un code (lire nos enquêtes ici et là)« C'est une tour impénétrable où tout se décide, avec à sa tête Madame le maire », explique Jocelyne Mathieu, ex-responsable de la commande publique à la direction "action culturelle et fêtes", « évincée » des marchés publics et mutée à l'espace loisirs communal. 

Plusieurs élus UMP du département voient dans ce fonctionnement « l'héritage de Michel Mouillot »maire UDF-PR de Cannes de 1989 à 1997. Connu pour son clientélisme, condamné en 2005 à six ans de prison ferme pour « corruption, prise illégale d'intérêts, abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et emplois fictifs », Mouillot a favorisé l'implantation politique des Tabarot dans le département. 

« Michèle Tabarot n'a fait que reproduire le modèle MouillotUne organisation quasi scientifique de la politique, un marketing électoral poussé à l’extrême, un personnel municipal transformé en agents politiques, un recrutement clientéliste, un quadrillage très organisé appuyé sur les réseaux de taxis, de commerçants, de personnes âgées », détaille un élu UMP des Alpes-Maritimes. Selon lui, la numéro deux de Copé et son frère Philippe, qui a fait ses classes dans la majorité de Mouillot en 1989 à Cannes, ont « reconstitué ces réseaux » avec « un vrai savoir-faire ». Et une certaine efficacité : à chaque élection, Michèle Tabarot est réélue à plus de 60 % et sa circonscription compte plus de 1 200 adhérents UMP.

D'après plusieurs agents, elle mettrait également cette « machine électorale » au service de son frère pour la conquête de Cannes. Ce que ne manquent pas de dénoncer leurs adversaires politiques. « À Cannes, on n’a pas la guerre Copé-Fillon mais la volonté d’un clan de prendre le pouvoir », dénonce le premier adjoint UMP David Lisnard. L'adversaire de Philippe Tabarot aux municipales en a appelé au ministre de l'intérieur pour surveiller les opérations de vote à Cannes : « Nous pouvons craindre que des manœuvres destinées à altérer la sincérité du scrutin ne se produisent », écrit-il dans un courrier adressé à Manuel Valls le 17 mars, en évoquant « l'utilisation réitérée par le passé de méthodes douteuses », « les menaces » et « intimidations » (lire la réponse de Philippe Tabarot).

« Michèle Tabarot a eu les moyens de Cannes pour conquérir le Cannet, en 1995. Elle fait la même chose au profit de son frère aujourd'hui », estime Laurent Toulet, son opposant divers droite, qui rappelle que « chaque année, lors de ses vœux à la population, elle annonce à la tribune ceux de son frère et elle salue ses colistiers ». En 2009, l'élu avait interpellé l'édile en conseil municipal sur des travaux de déblayage qu'auraient effectués des employés de la ville à la permanence de son frère, à Cannes, avec un véhicule communal.

« Leur technique pour faire campagne, c’est de faire travailler le frère à la mairie du Cannet (comme « conseiller technique » au cabinet, ndlr) pour avoir le temps et les moyens de faire campagne pendant six ans », nous avait expliqué Jean Martinez, rival divers droite de Philippe Tabarot en 2008. « Plusieurs personnes au cabinet s'occupent de Philippe : une secrétaire, un chargé de mission, un chauffeur. Cela s’élargit en période électorale », affirme Jean-Claude*, un ancien employé du cabinet.

Frank Mezzasoma lors d'un rassemblement de Philippe Tabarot, le 12 juillet 2013.Frank Mezzasoma lors d'un rassemblement de Philippe Tabarot, le 12 juillet 2013. © Mediapart / E.S.

Entre les campagnes des frère et sœur Tabarot, la frontière est floue. Frank Mezzasoma, plus proche collaborateur de la maire du Cannet, est souvent présent aux côtés de Philippe Tabarot (exemples ici ou encore là). À chaque municipale, on retrouve du personnel du Cannet sur la liste. Cette année y figure par exemple l'ex-directrice de cabinet de Michèle Tabarot, Dominique Blazy, l'un des agents les plus gradés de la mairie. 

« Tout est mélangé, politique et municipalité », témoigne Jean-Claude. Comme de nombreux agents, il a pris sa carte UMP à son arrivée à la mairie du Cannet. « La carte, tout le monde l’a là-haut. Au cabinet, une secrétaire regarde si les gens sont à jour, à la demande de Frank Mezzasoma. »« Les secrétaires du cabinet avaient la liste des agents encartés et les appelaient pour leur rappeler de renouveler leur cotisation », rapporte Sylvie*, partie de la mairie après plus de vingt ans de service. Ce que confirme Pascale*, une employée municipale qui s’est elle aussi encartée.

« Tous les moyens de la mairie sont mis à disposition de Mme Tabarot », relate Jocelyne Mathieu, qui évoque la mise à contribution du personnel municipal pour un « phoning massif », lors des événements de l'élue. C'est le cas pour les vœux de Michèle Tabarot, qui sont chaque année l’occasion de vanter son action devant plus de 2 000 personnes, administrés et élus locaux. Cannetans mais pas seulement : toute la circonscription est arrosée d’invitations. Pendant deux semaines, les employés de mairie démarchent la population par téléphone à partir d'un « listing ». C'est ce que montrent ces consignes internes – que Mediapart s'est procurées –, distribuées en amont des vœux 2012 et 2013.

Ce listing, que nous avons consulté, compte des habitants de toute la circonscription et recense leurs professions, adresses, numéros de téléphone, ainsi que certains commentaires. « On doit y reporter toutes les réponses des gens, y compris les commentaires négatifs du type "Qu'elle arrête de nous faire chier avec ça" ; "Non, je n'y vais pas, je ne suis pas UMP" », explique Catherine*, une agent qui participe à ce « phoning » depuis plusieurs années. Selon Jocelyne Mathieu, « après les vœux, le personnel absent est même rappelé. On leur demande “Pourquoi vous n’êtes pas venu ?” ».

Il s'agit d'un « phoning » « à l'occasion d’événements municipaux et non pas politiques », avait rétorqué Michèle Tabarot à Mediapart en juin, évoquant un « fichier du protocole comme dans toutes les communes ». Mais selon plusieurs agents, ce démarchage va bien au-delà des manifestations municipales.

Chantal*, employée au centre communal d'action sociale (CCAS), raconte l'usage particulier de cette structure « L'un de nos secteurs, chargé de communiquer sur nos services, prendre des nouvelles des personnes âgées, les inviter à nos animations, est très largement renforcé lorsqu’il y a un événement UMP, particulièrement en période électoraleOn demande à des employés de cesser leur activité pour renforcer le phoning pendant un jour ou deux, à temps plein. On téléphone aux gens, on leur demande si tout va bien, on les encourage à venir voter, on va les chercher quand il y a des élections. » Les personnes âgées sont le cœur de l'électorat de Michèle Tabarot. L'ex-directeur adjoint du CCAS, Dominique Lucas, explique d'ailleurs que « le cabinet du maire (lui) demandait de ramener des personnes âgées à certains événements, comme les vœux »

Philippe Tabarot, candidat à Cannes, lors d'une réunion en plein air, le 8 mars 2014.Philippe Tabarot, candidat à Cannes, lors d'une réunion en plein air, le 8 mars 2014. © Reuters

Serge*, ancien directeur d'un service de la ville aujourd'hui « placardisé », a de son côté constaté qu'« un grand nombre d'employés municipaux faisaient du phoning pendant les heures de travail pour des réunions politiques ». Lui-même a reçu plusieurs appels d'une secrétaire du cabinet se présentant comme « la permanence de Michèle Tabarot » et « (lui) rappelant d'aller voter pour l'élection Copé-Fillon », en novembre 2012. Plus cocasse : il a reçu des coups de fil d'employés de son propre service « passés depuis le numéro de la permanence UMP »« pour (lui) dire qu’il y avait une réunion publique ». « Des employés municipaux font du phoning de la permanence ou du cabinet », confirme Jean-Claude, l'ancien employé du cabinet.

Il n’est pas rare d’apercevoir des agents de mairie dans les permanences de Michèle ou Philippe Tabarot en journée. Chantal évoque cette collègue qui « recevait un coup de fil et expliquait qu’elle devait partir “à la permanence, pour Philippe (Tabarot, ndlr)” ». Ils sont aussi nombreux à venir grossir les rangs des réunions politiques des Tabarot. « On allait aux meetings, il y avait toujours beaucoup d’employés du Cannet, relate Jean-Claude. En 2008, quand Michèle Tabarot est passée au premier tour, tout le monde a basculé sur la campagne du frère. »

Jocelyne Mathieu se souvient s’être retrouvée « un après-midi avant le deuxième tour des municipales de 2008 à deux au bureau » car ses collègues étaient « tous partis aider pour la campagne de Philippe Tabarot ». « Certains ne respectent pas le devoir de neutralité, estime-t-elle. Pour l’élection interne de l’UMP (en 2012, ndlr), une de mes collègues m’a mis sous le nez sa carte UMP, elle recrutait au sein du service des parrainages pour la candidature de Copé ».

« En aucun cas les employés municipaux ne sont réquisitionnés pour des tâches politiques », s’était contenté de nous répondre Daniel Segatori, le directeur général des services à la mairie, dans un mail lapidaire, en juin. Les agents posent-ils des congés pour ces tâches politiques ? Certains fonctionnaires se mettent-ils en disponibilité ? À cette question, ni Michèle Tabarot ni ses services ne répondent.

La maire du Cannet s'appuye aussi sur les 90 agents de la police municipale, transformés en « arme électorale » selon plusieurs employés. « La police municipale est militante. C'est une technique de Michel Mouillot que Michèle Tabarot réutilise », explique un élu UMP du département. Au cœur de ce système, on trouve le « Monsieur sécurité » de Michèle Tabarot, Alain Cherqui. Chef de la police municipale, la maire l’a promu directeur adjoint des services en charge de la sécurité et directeur de la salle de spectacles de la ville.

La politisation de la police municipale a déjà été pointée du doigt par Le Point et Bakchich. En novembre, Nice-Matin avait également rapporté les témoignages de candidats assurant que des agents leur avaient expliqué « qu'il était interdit de tracter sur le marché ». En mars, Mediapart révélait qu'Alain Cherqui avait bidonné de nombreux reportages, notamment sur TF1, pour vanter l'action de la ville en matière de sécurité.

Plusieurs membres de la police municipale détaillent à Mediapart les tâches politiques qui leur sont demandées par leur chef : présence dans les réunions militantes pour grossir les rangs, distribution du magazine municipal mais surtout de tracts pendant la campagne. « On ne sert quasiment qu’à des fins politiques », affirme Thierry*, policier municipal, qui invoque « l’impact énorme sur la population de l’uniforme ». Au cœur de cette organisation pendant plusieurs années, il relate « des journées entières passées à récolter des adhésions UMP dans la circonscription et auprès des policiers municipaux » à l’aide d’un « listing ».

« J’expliquais aux gens que la meilleure façon d’aider Mme Tabarot dans son action, c’était de prendre sa carte UMP. Les proies faciles, c’étaient les futurs policiers municipaux. » Il recrutait aussi en amont des meetings : « Je disais aux gens: “on viendra vous chercher, vous agiterez les drapeaux”. On n’imposait pas, mais ils savaient qu’il valait mieux y aller ». Il raconte également avoir « organisé la venue de Philippe Tabarot dans une maison de retraite avec Alain Cherqui ».

Bernard*, brigadier-chef principal, rapporte comment « à chaque élection », les policiers municipaux sont sollicités : « On arrive en tenue, les adjoints de M. Cherqui nous demandent de nous changer en civil pour faire du boîtage, pendant ou juste après les heures de service. On nous donne des tracts en faveur de Michèle ou Philippe Tabarot, on fait un secteur, au Cannet ou à Mougins pour elle, à Cannes pour lui, avec des véhicules municipaux. La moitié du poste le fait. » Même chose pour les « vœux » et « meetings » des Tabarot, selon lui. « Le maximum d’effectifs est convié pour aller faire le nombre, surtout à l’approche d’élections importantes. Ils applaudissent fort, ils sifflent, ils font de l’encadrement et de la protection. »

Patrick*, autre policier municipal, se souvient lui de « tractages politiques et de boîtages pendant les heures sup’ », notamment lors de la législative de 2002, année où Michèle Tabarot a remporté son siège de députée. Il raconte avoir assuré, « à la demande de M. Cherqui », « la protection rapprochée d'Alain Madelin (alors président de Démocratie libérale, parti dont est issue Michèle Tabarot, ndlr) à Nice, lors d’un meeting pour la présidentielle de 2002 ». Il explique aussi avoir eu la surprise de « recevoir une carte UMP », alors qu'il était « encarté au PS ». « Je n’ai pas compris. On m’a dit “laisse tomber, c’est bien pour toi”. »

Ce « système » est rendu possible par la précarité du personnel municipal du Cannet : jusqu’aux observations de la Chambre régionale des comptes en 2013, un tiers des agents n’étaient pas titularisés – dont 90 % en catégorie C. Et ce malgré une ancienneté d'une dizaine d'années pour certains. « Maintenir ces agents contractuels est aussi une manière de les tenir. Personne n'ose rien dire, ni entamer une procédure, explique Jocelyne Mathieu. S’ils parlent, leur carrière est bloquée. S’ils veulent avancer, il faut rentrer dans le giron. »

Dans ce contexte, « prendre la carte UMP, ça aide », assure Chantal. C’est ce qu’a fait il y a quelques années Bernard, qui « n’arrivai(t) pas à passer au grade supérieur »« M. Cherqui m'avait assuré que lui vivant, jamais je ne passerais au grade supérieur. Quand un supérieur m’a dit “ce serait bien que tu prennes ta carte, on t’emmerdera moins”, je l’ai prise. Il est revenu me voir en disant : “(Frank) Mezzasoma est très content, il s’inquiétait depuis le temps que tu es là. Il m’a dit “enfin, il s’est décidé!”". Il m’a fait comprendre qu’il y aurait un petit retour. Six mois plus tard, à la commission administrative paritaire, je passais au grade supérieur. »

C’est aussi ce que décrit Pascale. « Placardisée », elle explique avoir obtenu, quelques mois après avoir pris sa carte UMP et milité pour Philippe Tabarot, « un changement de poste »« un grade supérieur inenvisageable auparavant » et un salaire plus élevé. « Si vous avez la carte bleue UMP, vous avez plus de chances d’obtenir une réponse positive pour une place en foyer ou en maison médicalisée », a constaté de son côté Dominique Lucas, l'ex-directeur adjoint du CCAS, qui déplore une « politique d’aide sociale clientéliste », « à la carte ».

La mairie du Cannet.La mairie du Cannet. © Marine Turchi

Cette distribution de services, d’emplois et de promotions à la mairie est un véritable levier pour Michèle Tabarot. Plusieurs employés ont noté « les mises au placard » d’agents « récalcitrants » et l’arrivée de « beaucoup de gens de Cannes, qui travaillaient à la mairie ». « En remerciement du soutien apporté pendant la campagne de Philippe Tabarot », affirme Jocelyne Mathieu, qui décrit un « système donnant-donnant » : « La base de leur électorat, ce sont les petites gens qu’ils tiennent avec des emplois, des services, des promotions, des primes ou des places de stages pour leurs enfants. Ils rendent des services aux employés municipaux pour qu’ils soient redevables et prennent leur carte UMP. »

« Ils font comprendre qu’un service leur a été rendu, et qu’il faut rendre la monnaie de la pièce en faisant du phoning, de la mise sous pli, du collage d’affiches, confirme Sylvie. C’est formulé implicitement, je l’ai entendu dans mon service. Les gens se sentent redevables, et le font. » Chantal parle elle aussi d'« échange de bons services » et note que « quand on est dans les petits papiers de la mairie, qu'on ne fait pas d'objection », on peut bénéficier d'« une promotion plus rapide » mais aussi d'« un coefficient plus élevé » dans « l'attribution des primes ».

Ce « système » a été mis en place dès l’arrivée dans le fauteuil de maire de Michèle Tabarot, en 1995, détaille Sylvie : « Elle a tout bouclé, les élus se sont immiscés de plus en plus dans notre travail, elle a remplacé du personnel par des gens de confiance ». « Les promotions sont soumises à l’avis des commissions administratives paritaires (CAP). Aucune nomination n’est intervenue à l’encontre de leur avis », nous avait affirmé la maire. Mais selon Sylvie, qui a assisté à des CAP, « les postes étaient négociés en amont avec les représentants du personnel. Il fallait faire passer des proches du cabinet et des gens qui avaient la carte UMP ».

D’après plusieurs agents, il serait difficile de refuser ce « système ». « On a une épée de Damoclès au-dessus de la tête : si l'on bouge, on nous bascule à l’îlotage, on perd nos heures supplémentaires et on gagne autour de 600 euros en moins. Donc on se tait », explique Bernard. Le policier municipal raconte, documents à l’appui, comment il a été « mis au placard » malgré de très bonnes notations lorsqu'il a « traîné des pieds pour prendre (sa) carte UMP, participer aux boîtages et meetings » en disant « qu’un policier ne faisait pas de politique »« Les gens ont peur, ils ne disent rien. On a tous des familles, une maison à payer. Celui qui parle, il est fichu, personnellement et professionnellement », soutient Thierry.

« Il faut s’investir politiquement, sinon vous êtes mal vu », confirme Brigitte Goujon, la femme d’un policier municipal aujourd'hui décédé et qui a lui aussi effectué « des boîtages lors des élections ». Pendant des années, son mari a attendu sa titularisation. « Il a subi des pressions pas possibles, c’était devenu infernal. » Tous deux ont pris leur carte à l’UMP pour « être dociles » : « Il fallait aller aux vœux du maire, aux réunions politiques, des gens de la mairie nous le disaient. C’est le roi et sa cour : il y a des bus ; vous faites acte de présence, vous allez boire, applaudir et vous repartez. »

Le cas de Bruno Mercier, 40 ans, est symptomatique. Chef de brigade adjoint aux bonnes notations, il explique avoir vu sa vie « brisée » après avoir refusé de s'encarter. « Un supérieur m’a dit : “Ce serait bien que tu prennes ta carte UMP, le maire te protégera si tu en as besoin.” J’ai répondu que j’étais un policier intègre, que je ne faisais pas de politique. » Après cet échange, il raconte être devenu la « bête noire de la brigade » et avoir subi des « brimades quotidiennes ». « Tous les matins, j’allais dans la gueule du loup », dit-il. Tombé en dépression, il a demandé sa mutation en Ile-de-France.

La permanence de Philippe Tabarot, en plein centre-ville de Cannes.La permanence de Philippe Tabarot, en plein centre-ville de Cannes. © Marine Turchi

Ces témoignages ont été confirmés par de nombreux employés de mairie et élus. Plusieurs agents ont interpellé Michèle Tabarot et ses services sur cette situation, dans des courriers recommandés que Mediapart a consultés. Sans obtenir de réponse. Questionnée en juin, la maire avait évoqué « quelques employés aigris » et « des jalousies au sein de la police municipale ». Les agents bénéficient « d’un service de médecine professionnelle indépendant » et de « réunions régulières » organisées « avec les différents partenaires sociaux de la Ville et notamment avec les représentants syndicaux », avait-elle précisé.

Mais les 800 employés municipaux ne peuvent pas compter sur un véritable syndicat pour défendre leurs droits. « La CGT a essayé de s’implanter, elle s’est fait éjecter. Il y a un syndicat autonome, à la botte de la mairie, qui n'a pas réagi malgré les nombreux problèmes signalés », rapporte Jocelyne Mathieu. Contacté, Serge Martinez, secrétaire général de ce syndicat autonome (FAFPT), explique qu'il ne préfère pas s'exprimer sur son « téléphone professionnel » et nous fixe un rendez-vous qu'il n'honorera finalement pas, malgré nos nombreuses relances.

« Je suis un fonctionnaire, pas un politique. Nous sommes des agents au service des administrés. Il n’y aucun souci », affirme de son côté Alain Cherqui, joint lundi par Mediapart. Comment expliquer les tâches politiques de ses troupes ? « Ces gens-là ont fait ce qu’ils ont fait, ils doivent le savoir ce qu’ils ont fait. Je ne suis ni le père ni la mère de tout le monde, je ne suis personne moi, je suis un employé communal. Je ne sais pas ce qui se passe », a-t-il assuré, en nous questionnant à plusieurs reprises sur nos sources : « Qui vous renseigne aussi bien depuis longtemps ? » Puis le chef de la police municipale est sorti de ses gonds : « J’ai des enfants qui ont reçu des textos de menaces à cause de vous ! N’oublie pas ce que j'te dis, n'oublie pas ! Tu as bien compris ? Tu as bien compris ma belle, OK ! », a-t-il crié en raccrochant.

« Le système est verrouillé de l’intérieur, sans aucun contre-pouvoir. Leur stratégie est de laisser les employés s’user. C’est le pot de fer contre le pot de terre », explique Jocelyne Mathieu. Mais plusieurs agents l'affirment : depuis quelques mois, « les langues se délient » au Cannet.

BOITE NOIREPrénoms modifiés à la demande des intéressés.

Cet article découle d’une enquête débutée en janvier 2013, pour laquelle nous avions rencontré Michèle et Philippe Tabarot (lire notre dossier). Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises dans les Alpes-Maritimes. Nous avons recueilli de nombreux témoignages d’employés municipaux et d'élus, dont une partie apparaît dans l'article. Certains n'ont accepté de témoigner qu’à la condition que leur anonymat soit préservé, parce qu'ils travaillent encore pour la ville. Ils nous ont expliqué être prêts à détailler leurs propos devant la justice.

En juin, nous avions contacté la maire du Cannet et son directeur général des services, Daniel Segatori, sur ces tâches politiques du personnel municipal, et obtenu de simples réponses écrites. Sollicités à plusieurs reprises en mars avec de nouveaux éléments, ils n'ont pas répondu à nos questions, non plus que Philippe Tabarot.

Sollicité en janvier pour un entretien au Cannet, Alain Cherqui, le chef de la police municipale, n'avait pas donné suite. Il a été joint par téléphone le 17 mars. Contacté, Serge Martinez, secrétaire général du syndicat autonome (FAFPT), n'a pas donné suite à nos demandes.

Article mis à jour vendredi après-midi avec la réponse de Philippe Tabarot à la lettre de David Lisnard.

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