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Le patron de La Poste perçoit une rémunération digne du CAC 40

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Le projet d’encadrement des rémunérations des grands patrons tourne décidément à la farce. Alors que le candidat François Hollande avait promis, durant la campagne présidentielle, que des dispositions législatives imposeraient une modération des rémunérations de tous les P-DG, ceux du public aussi bien que ceux du privé, le gouvernement n’a cessé de louvoyer et de multiplier les reculades. D’abord, le gouvernement a renoncé à tout encadrement dans le privé, n’instaurant un plafond de rémunération annuelle de 450 000 euros que pour les grands patrons du public.

Et voilà que l’on découvre aujourd’hui que le ministère des finances, chargé de l’application de ces dispositions légales, ne veille même pas à leur respect, et qui plus est à La Poste, l’entreprise en charge du plus emblématique des services publics français. Ou alors le ministre a une interprétation plutôt laxiste de la loi. Selon nos informations, le P-DG du groupe La Poste, Philippe Wahl, a en effet perçu des rémunérations fixes et variables de 736 490 euros en 2013, soit très au-delà de ces 450 000 euros autorisés. Le patron de l’entreprise publique a perçu cette année-là une rémunération presque équivalente à celle des oligarques du CAC 40 qui défraient périodiquement la chronique financière. S'il était intégré au hit-parade de ces rémunérations du CAC 40, Philippe Wahl se situerait entre Martin Bouygues, patron du groupe éponyme, qui a perçu pour 2012 une rémunération de 920 000 euros, et Jean-François Dubos, président du directoire de Vivendi, qui a reçu 594 000 euros.

Philippe WahlPhilippe Wahl

Durant cette année 2013, Phlippe Wahl a d’abord été le P-DG de La Banque postale, la principale filiale du groupe La Poste. Puis, à compter du 26 septembre 2013, à la suite de sa nomination prise par décret en conseil des ministres, il est devenu P-DG du groupe La Poste. Pour parvenir à retracer l’ensemble des rémunérations perçues par lui, il suffit donc de se reporter aux rapports annuels pour 2013 de La Banque postale et de sa maison mère, La Poste : le premier peut être téléchargé ici et le second là.

Pour La Banque postale, l'information se trouve à la page 58. On y découvre ces éléments d’information sur Philippe Wahl, dans un tableau que nous reproduisons ci-dessous :

(Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)

 

D'après ce tableau, le montant total des rémunérations effectivement versées à Philippe Wahl, en sa qualité de patron de La Banque postale, a atteint 617 218 euros en 2013, contre 765 455 euros en 2012.

Cette rémunération de 617 218 euros est déjà très supérieure aux 450 000 euros que la loi a fixés comme plafond. Sitôt après l’élection présidentielle, le gouvernement a en effet mis en œuvre ce premier volet de la promesse du candidat François Hollande, en instaurant ce plafonnement pour les rémunérations des principaux dirigeants des entreprises publiques. Un premier décret, en date du 26 juillet 2012 (il peut être consulté ici), est donc très vite paru au Journal officiel, déterminant les conditions de cet encadrement. Puis un second décret, en date du 15 octobre 2012 (il peut être téléchargé là), a précisé certaines des conditions d’application de la réforme, notamment dans le cas des filiales des entreprises publiques. En clair, dans le cas de La Banque postale, le dispositif d’encadrement a pris effet au plus tard le 15 octobre 2012 et valait donc pour l’année 2013.

Pour disposer de la rémunération de Philippe Wahl en tant que P-DG de La Poste, il faut ensuite se reporter à la page 197 du document de référence de La Poste, évoqué plus haut. On y découvre le tableau suivant :

Nommé président de La Poste le 26 octobre 2013, Philippe Wahl a perçu à ce titre une rémunération de 119 272 euros pour les trois derniers mois de l’année. Au prorata temporis, cette somme correspond donc au plafond des 450 000 euros fixé par le gouvernement. Mais si l’on additionne cette somme aux 617 218 euros effectivement perçus la même année par Philippe Wahl en qualité de président de La Banque postale, on arrive donc bel et bien à la somme globale que nous évoquions, à savoir 736 490 euros.

Le P-DG de La Poste est-il donc un patron hors-la-loi ? Dans l’entourage de l’intéressé, on le conteste avec énergie. On fait valoir que sa rémunération annuelle est bien de 450 000 euros brut. Si les sommes perçues dépassent provisoirement ce montant, c’est simplement parce qu’elles intègrent pour 2013, conformément à la réglementation bancaire, des versements étalés de sa rémunération variable obtenue au titre de président de La Banque postale. En effet, la réglementation bancaire prévoit depuis 2010 que les rémunérations variables des banquiers soient versées sur plusieurs années : elles sont dues les années concernées mais payées sur deux, voire trois ans. Ainsi, Philippe Wahl perçoit aujourd’hui, et ce sera encore le cas en 2014 pour la dernière fois, une partie de sa rémunération acquise avant même que les décrets ne soient pris pour encadrer la rémunération des patrons des entreprises publiques.

Les proches de Philippe Wahl font donc valoir que l’intéressé respecte scrupuleusement la loi et qu’on ne peut lui reprocher aujourd’hui d’avoir appliqué la réglementation bancaire en étalant sa rémunération variable. Ils soulignent également que tous les éléments de sa rémunération sont évidemment transparents, publics, et ne sont complétés par aucun autre élément (ni jetons de présence, ni dispositif de retraite, ni parachute).

Il n’empêche ! Les syndicats de La Poste risquent de ne guère apprécier ces arguments, à l'instar de Nicolas Galepides, secrétaire général de la fédération SUD-PTT, qui a dit son étonnement à Mediapart : « Les dirigeants du groupe La Poste sont en général très discrets sur leur rémunération. Ils cumulent pour certains la double casquette de directeur d'un métier au sein de La Poste maison mère, Courrier, Services financiers et Colis et de P-DG d'une holding, Sofipost, La Banque Postale et Geopost. Le comité exécutif de La Poste a vu ainsi sa rémunération moyenne tripler en une dizaine d'années (5,8 millions d'euros pour 11 dirigeants en 2013), alors que les rémunérations moyennes des fonctionnaires et salarié-e-s augmentaient d'une vingtaine de % sur la même période. »

Et le syndicaliste d’ajouter : « Concernant la rémunération pour l'exercice 2013 de l'actuel P-DG de La Poste qui, jusqu'au 15 octobre 2013, était P-DG de La Banque postale, filiale à 100 % du groupe La Poste, on s'étonne de son niveau (plus de 730 000 euros) dans la mesure où il nous a déclaré lors d'une audience fin 2012 qu'il était un homme du service public et qu'il acceptait que sa rémunération soit réduite de 50 % comme l'entendait le président de la République avec le plafonnement à 450 000 euros par an. C'est d'autant plus difficile à accepter pour les postières et les postiers que le plan stratégique du groupe La Poste pour les années à venir se fera sous les auspices d'un "pacte social" où il est question d'agilité et de frugalité pour les personnels. À preuve, pour les 235 000 salariés et fonctionnaires de La Poste, la hausse des salaires a été fixée à seulement + 0,7 % pour 2014, tandis qu’en 2013 les effectifs ont diminué de 4 400 emplois. »

Et dans le débat public, il y a fort à parier que l’opinion ne s’arrête pas plus à ces subtilités et soit frappée par l’énormité de cette somme de 736 490 euros. C’est d’autant plus vraisemblable que le ministre des finances, Pierre Moscovici, n’a cessé de se ridiculiser avec ce dossier et est sans cesse apparu comme l'exécutant des sommations venues du Medef. Dès juillet 2012, il avait d'ailleurs promis, conformément à l’engagement du candidat socialiste, qu’un système d’encadrement serait trouvé pour les grands patrons du secteur privé, qui sont encore autrement plus boulimiques.

Mais on sait ce qu’il est advenu de cette promesse. Pierre Moscovici a finalement annoncé le 24 mai 2013 qu’il renonçait à légiférer dans le domaine des rémunérations des grands patrons du secteur privé (lire Rémunérations patronales : un enterrement de première classe). Et pour justifier sa décision, il a eu cette formule stupéfiante, qui risque de lui coller longtemps à la peau : il a dit que plutôt que de s’en remettre à une réforme de la loi, il préférait la solution d’une « régulation exigeante ».

Et sans grande surprise, on a eu, peu de temps après, la vérification in vivo de ce qu’était cette « régulation exigeante » : au mois de novembre suivant, on a appris que Philippe Varin, à l’époque P-DG de PSA, devait bénéficier d’une retraite chapeau de 21 millions d’euros, que lui avait généreusement accordée le comité de rémunération du groupe, comprenant en particulier un proche du gouvernement, Louis Gallois, mais aussi le numéro deux du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux. S’il n’y avait donc eu une très forte émotion de l’opinion, conduisant Philippe Varin à renoncer à son pactole, la « révolution exigeante » chère au Medef et à Pierre Moscovici se serait dénouée par une pantalonnade.

Et c’est un peu ce qui menace Philippe Wahl. Car quel que soit le bien-fondé des arguments juridiques qu’il peut faire valoir, l’opinion retiendra qu’il a perçu en 2013 bien plus que ce qu’avait annoncé le gouvernement. Et cela recommencera en 2014. Comme si, décidément, il y avait perpétuellement de nouveaux et irréfutables arguments pour ne surtout pas appliquer la promesse du candidat socialiste…

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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