Peu ou pas connus sur la scène nationale, ils ratissent leur ville depuis des semaines pour être élus maires, à coups de porte-à-porte, de réunions d'appartement et de meetings. Gérard Ségura, 66 ans, Jean-Pierre Guérin, 49 ans et Alde Harmand, 43 ans, sont trois candidats socialistes aux municipales. Dans leurs villes, le scrutin des 23 et 30 mars s'annonce serré. Même si leur liste rassemble au-delà du seul PS, l'étiquette socialiste n'est pas simple à porter alors que le gouvernement est très impopulaire. Pour gagner la ville qu'ils convoitent, ou ne pas perdre celles dont ils sont maires, ils ont donc choisi de faire campagne sur des enjeux très locaux. Quand les électeurs leur demandent leur avis, certains ne cachent pas leurs désaccords ou leurs réticences sur la politique gouvernementale. Ces dernières semaines, Mediapart a suivi trois candidats qui mènent campagne par vent contraire.
Gérard Ségura, maire d'Aulnay-sous-Bois (80 000 habitants, Seine-Saint-Denis)
« La dernière fois, on a gagné avec 200 voix. Si vous additionnez l'impopularité du gouvernement, les difficultés que nous avons eues et l'abstention, cette ville doit basculer. On va tout faire pour inverser cette arithmétique. Mais il faut que la population se lève pour voter. Sinon… » Depuis des mois, Gérard Ségura, maire et vice-président du conseil général de Seine-Saint-Denis, multiplie porte-à-porte et réunions d'appartement pour conserver Aulnay-sous-Bois, 80 000 habitants, troisième ville la plus peuplée du département. Principale cible : les quartiers très populaires du nord de la ville, la cité de l'Europe ou la Rose des vents, plus connue sous le nom de cité des 3 000 (lire ici notre reportage). Ces quartiers choisissent massivement la gauche. Quand ils votent.
Alors que les quartiers sud, immense zone pavillonnaire, penchent à droite, Gérard Ségura, ancien professeur d'espagnol qui a arraché de peu la ville à la droite en 2008, a donc concentré une grande partie de sa campagne sur le nord de celle-ci.
Samedi 15 mars, devant le Lidl de la cité de l'Europe, reconstruit à l'emplacement du garage Renault incendié lors des émeutes de 2005 – l'image avait fait le tour du monde – le maire distribue des tracts : rénovation urbaine, future gare métro du Grand Paris annoncée pour 2022, etc. « Maintenant l'avenir peut être rose », promet Ségura.
Mais les électeurs ont de gros doutes. La fermeture de l'usine PSA, mise sous le tapis pendant la campagne présidentielle, a beaucoup marqué. « Les gens mélangent la politique municipale et ce que fait le gouvernement, ils nous parlent des impôts qui ont augmenté depuis l'élection de François Hollande », s'inquiète Bahya Meliti, militante PS. « Certains choix économiques du gouvernement sont parfois difficiles à faire accepter. Parfois, on nous demande pourquoi on a fait le mariage homo avant le droit de vote des étrangers », raconte Latifa Bezzaouya, secrétaire de la section. « Le droit de vote des étrangers, c'est l'occasion ratée du quinquennat. Il fallait y aller, même si on perdait au Parlement ! On aurait au moins annoncé la couleur », dit Ségura.
Dans ces zones où le chômage touche un actif sur quatre, le maire est très questionné sur le chômage : « Les gens veulent savoir quand la courbe sera inversée, ils aimeraient que l'on n'en reste pas aux déclarations. » La situation politique nationale attise les revendications locales. À commencer par le manque cruel de logements : 13 000 demandes en attente, pour seulement « 50 à 60 disponibles par mois », selon le maire. Dans les porte-à-porte, c'est le sujet numéro un. Le maire doit aussi répondre aux « zones d'ombre » qui, de son propre aveu, entourent la gestion de la maison municipale de l'emploi et de la formation : après une plainte de Gérard Ségura, la structure fait l'objet d'une enquête préliminaire depuis deux ans.
En face, le candidat UMP, Bruno Beschizza, un proche de Nicolas Sarkozy, nationalise les enjeux et mène une campagne à droite toute. Ses mots d'ordre : sécurité, lutte contre le « bétonnage » de la commune – Aulnay compte 33 % de logements sociaux, bien au-delà de ce qu'exige la loi. Mais aussi la prétendue « théorie du genre » : dans cette ville où une grande partie de la population est musulmane, Beschizza fait campagne en montrant dans ses porte-à-porte un livre intitulé Mehdi met du rouge à lèvres…
À Aulnay, la gauche part divisée : les écologistes ont quitté la majorité en 2010. Ils présentent un candidat, Alain Amédro, soutenu par le parti de gauche. Celui-ci promet d'être « maire à temps plein sans cumul », la « fin des passe-droits » dans l'attribution de logements et de places en crèche et préconise un « urbanisme bien pensé ». L'ex-premier adjoint de Gérard Ségura s'est rallié au candidat UDI. Pour conjurer la dispersion des voix et l'abstention qui vient, « on ramène la campagne au local, on donne des exemples d'amélioration dans la ville », raconte Latifa Bezzaouya, la première secrétaire du PS. Gérard Ségura a également pris sur sa liste Tanja Sussest, syndicaliste chez PSA-Aulnay.
Son objectif : pousser le cœur de son électorat à aller aux urnes. Forte abstention oblige, il a calculé qu'il lui fallait sécuriser 8 000 voix (sur 41 000 inscrits) pour l'emporter. « Plutôt que du porte-à-porte, on a préféré faire 180 réunions d'appartement pour aller au bout des discussions », explique Ségura. Au total, 3 500 personnes ont participé à ces rencontres depuis l'automne. Ce « noyau » d'électeurs, qui s'agrandit au fur et à mesure que les militants récupèrent des adresses et des numéros de téléphone, est régulièrement recontacté, et incité à mobiliser autour de lui et à voter dès le premier tour.
Jean-Pierre Guérin, ancien chef de cabinet de Jean-Marc Ayrault, candidat au Mée-sur-Seine (21 000 habitants, Seine-et-Marne)
Se démarquer du pouvoir, Jean-Pierre Guérin peut difficilement se le permettre : jusqu'en novembre 2013, il était chef du cabinet de Jean-Marc Ayrault. Un très proche du premier ministre. Sur le terrain, pas question pour lui de déjuger son mentor : pas vraiment le genre de cet homme loyal, muet comme une carpe quand on lui pose quelques questions sur le chef du gouvernement, même anodines.
En campagne, Jean-Pierre Guérin, conseiller général de Seine-et-Marne et candidat au Mée-sur-Seine, à trois quarts d'heure du centre de Paris, joue donc une partition bien à lui. Sur le fond, rien que du local. Sur la forme, sérieux et rigueur. Allié aux écologistes et au parti radical de gauche, il compte ravir la ville au centre, qui la détient depuis des décennies. Son slogan : « Un nouveau départ pour Le Mée. »
Ce vendredi, lui et quelques colistiers ont enfilé leur coupe-vent blanc, leur signe de ralliement. « On va peut-être réveiller des gens qui ont des horaires décalés », prévient le candidat, en tournée dans un lotissement situé près de la gare RER. Ville-champignon, Le Mée est une de ces cités désertées les jours de semaine : les habitants y dorment et y passent leur week-end. Beaucoup passent chaque jour des heures dans les transports en commun. C'est aussi une ville très populaire, avec 45 % de logements sociaux. Le taux de chômage est à 15 %, bien au-delà de la moyenne en Seine-et-Marne.
Ici, François Hollande a fait 60 % au deuxième tour de la présidentielle. Un terreau favorable pour le candidat PS… s'il n'y avait pas l'impopularité du gouvernement. Lorsque les portes s'ouvrent, Guérin sert un discours bien rodé, centré sur l'action du maire sortant : « La ville s'est dégradée… que ce soit en matière de commerces… de petits trafics… le maire n'a pas toujours pris des décisions qui vont dans le sens de l'intérêt général… par exemple quand il s'est acheté une mairie à 3,5 millions d'euros. » Avec un ton un peu professoral, le candidat PS stigmatise la hausse de la dette, la gestion des ordures, etc. Une campagne en mode gris souris, avec des promesses ultrapragmatiques : le classement de la ville en zone de sécurité prioritaire, une pépinière d'entreprises, une réforme concertée des rythmes scolaires, etc.
Même si les logos des partis qui le soutiennent figurent en petit en bas de ses tracts, Jean-Pierre Guérin ne se présente jamais comme socialiste, ni même comme un candidat de gauche. On le lui fait remarquer. « Je ne cache pas qui je suis, rétorque-t-il. Les gens le savent. Par ailleurs, je suis candidat pour être maire, soutenu par des gens sans étiquette. » Connu dans la ville, il pense échapper au vote sanction. « Il jouera dans les communes où les candidats sont peu implantés. »
Pendant la tournée, l'accueil, parfois chaleureux ou poli, est souvent indifférent, voire polaire. « La ville se dégrade, oui, mais ce que vous dites ce n'est pas nouveau ! », s'énerve un habitant qui ne fera qu'entrouvrir sa porte. « Ça fait onze ans que j'habite là, c'est la première fois que je vous vois », lance Patrick, 39 ans, pâtissier et abstentionniste revendiqué. « Je ne sais pas s'il y a du monde pour voter, en tout cas le PS va se prendre une bonne branlée », dit-il. Au Mée-sur-Seine, l'abstention a atteint 45 % aux municipales de 2008, 50 % dans certains quartiers.
Alde Harmand, maire de Toul (Meurthe-et-Moselle, 16 000 habitants)
Alde Harmand est un homme placide. « Catho de gauche » (il n'aime pas l'expression), archiviste de formation (il est spécialiste de l'« orfèvrerie religieuse en Lorraine après la Révolution »), il n'a pas vraiment le profil type de l'apparatchik socialiste. Il n'est d'ailleurs entré au PS qu'il y a deux ans, quand il est devenu vice-président du conseil général de Meurthe-et-Moselle.
Alde Harmand est devenu maire de Toul en 2013. Il a alors succédé à Nicole Feidt, une socialiste qui dirigeait la ville depuis 2001, après trente ans de gestion RPR. Toul reste divisée : au deuxième tour, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient à 50/50.
Ancienne cité de garnison, commune ouvrière qui a connu des déboires industriels mais renaît grâce à sa proximité avec Nancy, Toul est une ville modérée. Ça tombe bien : Alde Harmand aussi. Tandis que la liste UMP, menée par Pascal Matteudi, mène campagne sur l'insécurité, les impôts et les ordures, le sortant affiche la sérénité du vieil édile confiant dans le vote des électeurs. La droite s'est divisée cet automne : fâchés avec Nadine Morano, la responsable de l'UMP dans le département, des élus Modem ont fait sécession.
À la tête d'une liste mêlant des socialistes, des centristes, des écologistes, et beaucoup de non-encartés, Alde Harmand, conseiller général depuis 2004 (« J'ai gagné un canton à droite depuis 60 ans »), joue la carte de la « proximité ». Ici, tout le monde le connaît : pendant sa jeunesse, il faisait visiter la cathédrale l'été. Sur ses tracts, le mot PS ne figure nulle part. Même pas le logo. « Si je mettais le poing et la rose, je frustrerais 28 personnes sur 33, il ne faut pas rigoler. » En regardant de près, on distingue juste un tout petit « Union de la gauche et du centre et des forces vives de la cité ». La seule référence politique sur ses documents de campagne.
« J'ai commencé le porte-à-porte il y a un mois, personne ne parle du national », justifie Alde Harmand, qui confirme l'aspect « morne » de la campagne. « C'est vrai que les gens ne nous parlent pas beaucoup. Mais quand ils se prononcent sur Hollande, ce n'est pas en bien », dit Patrick Bretenoux, un responsable du PCF qui fait les porte-à-porte avec le maire. « C'est d'ailleurs pour ça qu'on mène une campagne très locale », avoue sa femme Catherine, communiste elle aussi et colistière d'Harmand.
« Je n'ai qu'une seule ambition : mon projet local », martèle Harmand. Il met en avant son bilan : les cantines à 3 euros, les fournitures scolaires gratuites, la réfection du centre-ville historique, une salle de spectacles, la vidéosurveillance mobile qui coûte moins cher et « permet de suivre la délinquance ».
Il fait campagne sur la culture et le tourisme, le développement économique, la création de maisons de quartier, etc. Mais aussi des projets plus originaux : une résidence intergénérationnelle, une mutuelle qui serait accessible à l'ensemble des habitants ou bien un système d'épargne au taux du livret A pour accompagner la naissance de nouveaux commerces en centre-ville. Alde Harmand n'oublie pas non plus d'aller voir les personnes âgées dans les maisons de retraite : ce sont elles qui votent le plus.
Voix calme, dégaine bonhomme (et costume trop grand), Harmand, né en 1970, incarne peut-être la nouvelle génération du socialisme municipal : une gestion hyperlocale, « pas clivante », ultrapragmatique. « Je ne suis pas un homme de parti. Les partis, c'est un bloc d'idées et vous ne pouvez pas sortir du bloc. Je ne vais à aucune réunion du parti socialiste, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est de gérer cette ville », répète-t-il.
« D'ailleurs, je peux critiquer le gouvernement, on ne me la fera pas boucler : si l'on nous baisse trop lourdement les dotations aux communes, comme sous Sarkozy, alors je monterai sur le bureau pour dire non. » Il dit que « le gouvernement est allé sur des champs sociétaux où l'on ne l'attendait pas et pas sur les champs où on l'attendait, l'économique, le social ».
Pour le reste, Alde Harmand assure ne pas avoir d'ambition nationale. « L'échelon le plus haut où j'irai, c'est le départemental. Le national ne m'intéresse pas. Faut jamais se couper de la base. » Cette campagne dépolitisée lui va très bien.
BOITE NOIRECet article a été l'occasion d'un court échange sur le marché de Toul avec Nadine Morano, ex-ministre de Nicolas Sarkozy, battue à Toul aux législatives 2012. Vendredi 14 mars, vers midi, je m'approche de quelques militantes UMP pour les interroger. Nadine Morano fait partie du lot. Quand je me présente comme journaliste à Mediapart, elle me fustige du regard, me retire le tract qu'une des militantes m'avait donné, le déchire. « Tu sais qui c'est Mediapart ? C'est Edwy Plenel ! Ce n'est pas du journalisme à Mediapart. » « Je ne lui parle pas », dit-elle en s'éloignant. Elle entraîne avec elle les militantes. Il n'y aura pas d'entretien.
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