« Les Français sont trop déprimés, fatigués. Ils ne croient plus en rien ni en personne pour descendre manifester par millions, encore plus avec cette gauche au pouvoir. » Véronique Tozzi, 52 ans, et pour moitié de sa carrière au contact des demandeurs d’emploi, ne s’attendait pas à « un raz-de-marée de salariés, précaires et chômeurs », ce mardi 18 mars, contre le pacte de responsabilité : la pierre philosophale de la nouvelle politique pour l'emploi de François Hollande, « l'économie zombie et la politique de l'offrande », comme l'analyse ici Christian Salmon sur Mediapart. Encore moins à cinq jours du premier tour des élections municipales.
Elle est venue en train de Moselle, de la vallée de la Fensch, ce fief de la sidérurgie à genoux, avec les copains de la CGT-Pôle emploi Lorraine pour dire « non au plan Hollande-Gattaz qui ne créera pas d’emplois, même la CGPME le dit » et dénoncer « le chômage des jeunes, la misère, mais aussi la souffrance au travail dans les Pôle emploi ». Elle avait parié sur une forte mobilisation à Paris. « Mais le social, qui concerne tout le monde, ne mobilise pas les foules, même dans la capitale. Nous vivons une période très triste où on laisse détricoter les acquis pour lesquels nos parents, nos grands-parents se sont battus », constate, « bien déçue », cette fille d'ouvriers.
Elle discute d’un autre chantier majeur devant l’hôtel des Invalides : la négociation de l’assurance-chômage qui doit se terminer ce jeudi 20 mars. Dans ce dossier brûlant, le patronat joue aussi au plus fort, prône le pire, la suppression des annexes 8 et 10 de la convention d'assurance-chômage qui régissent les intermittents du spectacle, la diminution des droits des chômeurs si l'économie ne s'améliore pas… Intraitable comme pour le pacte de responsabilité où syndicats se divisent entre “club des oui” (CFDT, CGC-CFE, CFTC) et “club des non” (CGT, FO). « Si on était plus nombreux, on le ferait reculer, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’on va lancer un avertissement. Ils doivent être contents, tout là-haut », se désole Véronique.
À l’image de toutes les mobilisations depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, contre l’accord sur l’emploi (ANI) ou la réforme des retraites, les grèves et les manifestations de ce mardi dans 140 villes de France « pour les salaires, l’emploi, la protection sociale, les services publics » n’ont pas constitué « une menace ». « Le président du Medef, Pierre Gattaz, peut enjoindre le gouvernement de “passer de l'ordonnance à la thérapie”, le président de poursuivre sa politique », rage un vieux routier des luttes sociales, retraité des Télécoms. Aussi rarissime soit cette mobilisation interprofessionnelle en période électorale, initiée par Force ouvrière (la dernière remonte à 2010 et préfigurait la contestation de la réforme des retraites de Sarkozy), elle n'a pas mobilisé largement.
À Paris, le cortège, parti de Montparnasse pour rejoindre les Invalides, était clairsemé dès le départ. Sous le regard des passants, il a rassemblé 10 000 manifestants selon la police, 60 000 selon les syndicats, avec en tête les dirigeants des centrales, Thierry Lepaon (CGT), Jean-Claude Mailly (FO), Annick Coupé (Solidaires) et Bernadette Groison (FSU). Dans les rangs, très peu de salariés du privé, beaucoup de fonctionnaires remontés contre « les conséquences désastreuses » pour le service public des 50 milliards d'euros d'économies prévues d'ici 2017 notamment pour financer le pacte, des bastions syndicaux et un bataillon des caisses de Sécurité sociale vent debout contre de nouvelles baisses d'effectifs, à l'appel de tous leurs syndicats, y compris la CFDT et la CFE-CGC.
C’est sur cette journée d’action des caisses de Sécurité sociale (qui escomptaient 10 000 manifestants) que Force ouvrière, la CGT, FSU et Solidaires ont choisi de se greffer pour dénoncer, selon les mots de Jean-Claude Mailly, le numéro un de FO, « le pacte de complaisance », « une feuille blanche », dont « on ne sait comment il sera financé » et qui ne prévoit « rien » en termes d'emploi en contrepartie des 30 milliards d'euros de baisses de charges concédées aux entreprises. Un « pacte d'irresponsabilité », pour Thierry Lepaon (CGT). « Il s'inscrit dans les politiques antérieures, y compris celles menées par Nicolas Sarkozy en son temps, d'abaissement du coût du travail », « où le patronat est assisté par ce gouvernement, et c'est un comble pour ceux qui ont voté pour François Hollande ! » a-t-il déclaré en marge des cortèges de ce mardi, soulignant toutefois que ce n'était pas des « manifestations anti-Hollande ».
Mais le « Hollande bashing » a bien fonctionné. Ils étaient nombreux les électeurs de gauche, dont une majorité très à gauche, dans le cortège à fustiger la politique menée depuis bientôt deux ans par le président socialiste, « le président des patrons, qui fait tout ce que Sarko rêvait », hissant haut les banderoles. D’autres ont sifflé les réformistes – CFDT, CFTC, CFE-CGC –, qui ont paraphé le 5 mars un accord avec le patronat sur les contreparties du pacte, mettant le projet sur les rails. « Surtout la CFDT, courroie de transmission du gouvernement », lâche Véronique Tozzi.
Avant d’être à la CGT, cette agent Pôle emploi, dont le fils étudiant va migrer à l'étranger, car en France, il n'y a plus d'avenir, était à la CFDT. Elle a claqué la porte en 2003 au moment de « la trahison de Chérèque sur les retraites ». Elle a voté Mélenchon au premier tour, puis blanc au second tour de la présidentielle en 2012, se présente sur une liste de gauche, « la vraie », contre un baron, maire depuis 35 ans, dans sa petite commune de Moselle, pour les municipales. Et elle a « l'impression que tout le monde se fout de ces échéances » : « Il va y avoir de l'abstention et des pertes à gauche. »
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