Dans une circulaire datée du 11 mars 2014 sur la « lutte contre l’immigration irrégulière » adressée aux préfets de département, le ministre de l’intérieur maintient la pression sur ses troupes en matière de reconduites à la frontière d'étrangers en situation irrégulière. À quelques jours des élections municipales, Manuel Valls met l'accent sur les demandeurs d’asile, alors que nombre de maires se disent débordés par l’afflux d’étrangers revendiquant le statut de réfugié.
Circulant dans les réseaux associatifs, ce texte réglementaire n'avait pas vocation à être rendu public. Il n'est pas paru au Journal officiel et le cabinet n'avait pas prévu de communiquer dessus. « Il s'agit d'une simple actualisation », minimise-t-on dans l'entourage du ministre. La circulaire, toutefois, révèle les leviers que les agents de l'État sont incités à activer pour accélérer et systématiser la mise en œuvre des mesures d'éloignements. Elle confirme que Manuel Valls, de crainte d’être taxé de laxisme par l’opposition, fait son maximum pour éviter que les courbes d'expulsions de sans-papiers ne chutent.
« Les éloignements forcés atteints (en 2013) sont au plus haut niveau depuis 2006 », se félicite le ministre, ajoutant les 4 676 retours contraints hors Union européenne aux 10 793 réadmissions et renvois au sein de l’UE dans le cadre des accords de Dublin. Le ministre insiste pour que soient privilégiées les expulsions hors UE, qui limitent les retours dans la foulée : « Je vous invite à solliciter de façon plus déterminée l’obtention de laissez-passer consulaires », ces documents étant indispensables, en l’absence de passeport, pour procéder à la reconduite à la frontière. Les préfets, de leur côté, ont tendance à préférer les réadmissions, plus rapides et sans recours suspensif.
Plusieurs fois reportée, une loi réformant l’asile doit être présentée en conseil des ministres en avril 2014. Dans la nouvelle circulaire, qui prend le relais d'une précédente instruction en date du 11 mars 2013, le ministre pose les jalons des évolutions à venir. Il s’étonne de l’écart entre le nombre de déboutés du droit d’asile, c’est-à-dire de personnes dont le dossier a été rejeté, et le nombre de mesures d’éloignements. Il cite un récent rapport parlementaire sur l’asile, remis le 28 novembre 2013, selon lequel, en 2012, 19 137 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prises, tandis qu’environ 36 000 décisions définitives de rejet de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ont été prononcées.
Le ministre attend de ses agents plus de réactivité. Il les « invite », selon la formule consacrée, à prendre des OQTF « dès le refus » connu. Il leur rappelle l’existence de « l’application TélémOfpra » qui leur « permet de connaître chaque semaine les listes des dernières décisions devenues définitives de l’Ofpra ainsi que des dernières décisions notifiées par la CNDA relatives à des demandeurs d’asile déboutés domiciliés dans votre département ». Autrement dit, il leur recommande de suivre les déboutés à la trace. La direction générale de l’Ofpra est appelée à davantage collaborer. Il lui est demandé de communiquer les documents d’état civil ou de voyage permettant d’établir la nationalité de la personne dont la demande d’asile a été refusée. Une réponse « aussi rapide que possible » est exigée afin de pouvoir mettre en œuvre la mesure d’éloignement. Inscrite dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers, cette disposition n'en était pas moins tombée en désuétude depuis 2008, date à laquelle le service ad hoc de fonctionnaires détachés du ministère de l'intérieur avait été supprimé.
Dès que le délai de départ volontaire est écoulé, les forces de l’ordre sont encouragées à privilégier les mesures d’assignation à résidence (à domicile, à l’hôtel ou en centre d’hébergement, avec pointage régulier), plutôt que l’enfermement en centres de rétention administrative (CRA). « En cas d’intervention dans un foyer ou dans un hôtel, je vous rappelle que la protection juridique du domicile s’applique aux espaces privatifs (chambres et appartements) et que les services interpellateurs ne peuvent y pénétrer sans l’accord de l’intéressé », précise la circulaire. Mais, quelles que soient les éventuelles précautions, les préfets ne doivent pas tarder à exécuter les décisions de retour forcé, selon les instructions qui leurs sont envoyées.
Tout est fait, par ailleurs, pour décourager les déboutés de rester en France. À partir du moment où leurs recours sont épuisés, ils se voient interdire l'accès à l'hébergement d'urgence, indique le texte, alors même que l'accueil dans ces lieux est en principe inconditionnel.
Tout à son intransigeance, le ministre n'évoque pas une question clef : que faire des personnes dont les dossiers ont été repoussés par l'Ofpra mais qui pour autant ne sont pas expulsables, par exemple parce qu'elles sont originaires de pays en guerre ou non reconnus ? Dans un récent rapport sur l'intégration, le conseiller d’État Thierry Tuot avait proposé de régulariser à moyen terme ces « ni-ni » afin qu'ils quittent les systèmes d'hébergement temporaire et entrent dans le droit commun. Une hypothèse aussitôt écartée par le ministre de l'intérieur, sans qu'il précise aujourd'hui comment procéder.
Les premières réactions à ce texte, dans le secteur associatif, sont négatives. Sur le blog Passeurs d'hospitalités, qui chronique la situation des exilés à Calais, Philippe Wannesson note avec regret que « la cible principale de ce texte sont les demandeurs d’asile déboutés, dont il s’agit de systématiser l’expulsion au terme de la procédure. Dans un contexte inéquitable, dans lequel la majorité des demandeurs d’asile sont laissés à la rue sans solution d’hébergement, où leur accompagnement est déficient, où les obstacles administratifs se multiplient devant eux, où l’institution chargée de statuer sur leur demande en première instance dépend elle-même du ministère de l’intérieur, il s’agit de terminer le travail en expulsant à chaque fois qu’il est possible vers le pays d’origine ou de condamner à la clandestinité ceux qui passeront au travers des mailles du filet policier ».
« Jusqu'où le président de la République laissera son ministre aller dans l'horreur ? » s'interroge de son côté RESF. Pour la Cimade, Gérard Sadik fustige une circulaire qui « durcit les mesures visant à accroître les expulsions hors UE », « barre l'accès de l'hébergement d'urgence aux déboutés » et, au bout du compte, « revient à mettre en œuvre une politique du chiffre qui ne dit pas son nom ».
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