Comme l’annonçait Mediapart mercredi, le contenu d'écoutes téléphoniques fait peser un sérieux risque judiciaire sur Nicolas Sarkozy, sur son avocat et ami Thierry Herzog, ainsi que sur le haut magistrat de la Cour de cassation Gilbert Azibert (lire notre article ici). La retranscription de ces écoutes a donné lieu, le 26 février, à l'ouverture d'une information judiciaire contre X pour « trafic d’influence » et « violation du secret de l’instruction », confiée aux juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut.
Elle a, le 4 mars, provoqué une série de perquisitions aux bureaux et domiciles de l’avocat et du magistrat, menées par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, et risque maintenant de déboucher sur des mises en examen. C'est un véritable séisme dans la classe politique mais aussi dans le milieu judiciaire.
De nouvelles informations sur cette affaire, initialement révélée par L’Express, ont été apportées par Le Monde ce vendredi. Tout démarre avec l’instruction sur le possible financement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par la Libye de Kadhafi, instruction menée par les juges parisiens Serge Tournaire et René Grouman depuis avril 2013. Les deux magistrats du pôle financier décident de placer l’ex-chef de l’État français, ainsi que ses anciens ministres Claude Guéant et Brice Hortefeux, sur écoute téléphonique, ce que permettent les textes.
Juges et enquêteurs découvrent à cette occasion que Nicolas Sarkozy, volontiers disert, devient beaucoup plus prudent au téléphone après l’épisode médiatisé, en décembre 2013, des conversations très amicales entre Brice Hortefeux, ex-ministre de l’intérieur, et Christian Flaesch, le patron de la PJ parisienne (ce dernier a depuis été limogé).
Les juges Tournaire et Grouman apprennent qu’en fait, Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog viennent de faire l’acquisition de téléphones qui ne sont pas à leur nom, pour pouvoir communiquer discrètement. Et selon les retranscriptions de leurs conversations, l’ancien président et son avocat sont renseignés officieusement sur l’évolution de deux autres procédures judiciaires par Gilbert Azibert, premier avocat général à la Cour de cassation, un hiérarque marqué à droite et qu’ils connaissent l’un et l’autre.
Gilbert Azibert les aurait informés, d’une part, de l’évolution de la procédure Bettencourt, dans laquelle Nicolas Sarkozy a obtenu un non-lieu et réclame maintenant la restitution de ses agendas en invoquant l'immunité présidentielle (l’affaire doit être tranchée le 11 mars). Mais il leur aurait aussi appris l'existence du vif intérêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) envers l'exploitation du contenu de ces agendas dans la procédure visant Christine Lagarde dans l’affaire de l’arbitrage Tapie.
Gilbert Azibert connaît tous les magistrats de la Cour de cassation, et a accès à leurs échanges de documents sur intranet pour préparer les audiences et mettre les dossiers en état. En échange de ces “tuyaux” donnés à Sarkozy, Gilbert Azibert aurait, toujours selon Le Monde, demandé un “piston” pour devenir conseiller d’État à Monaco après son départ en retraite de la magistrature, dont l'échéance approche. Une fin de carrière qui serait plus que confortable.
Que faire de ces écoutes ? Les juges Tournaire et Grouman ont transmis, courant février, les éléments potentiellement délictueux qu'elles révèlent au tout nouveau procureur financier, Éliane Houlette. Et celle-ci a ouvert sans trembler une information judiciaire dès le 26.
Les investigations menées actuellement par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut concernent les communications et échanges de courriers entre les trois personnalités visées. Les juges effectueraient également des vérifications sur la semaine de vacances passée, en février, dans un hôtel de Monaco par Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, afin d’explorer la piste du coup de pouce demandé par Gilbert Azibert.
Le haut magistrat, qui a fait carrière sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, est un ami de Thierry Herzog. Homme de réseaux, il avait été promu par Sarkozy secrétaire général du ministère de la justice en 2008, auprès de Rachida Dati.
Avec cette affaire, le tout nouveau procureur financier chargé d'incarner la lutte contre la corruption trouve à s'employer. Ces débuts en fanfare d’Éliane Houlette et de son équipe peuvent augurer de nouvelles mises en examen, qui hypothéqueraient grandement le retour politique de Nicolas Sarkozy. Quant aux dégâts collatéraux – à craindre surtout au sein de la magistrature, voire au barreau de Paris –, ils sont loin d’être négligeables. La Cour de cassation, plus haute juridiction française, chargée de faire respecter les règles de droit (et notamment d’examiner les requêtes en suspicion légitime), est aujourd'hui tétanisée, dans l’attente des probables auditions de plusieurs hauts magistrats.
L’affaire provoque des réactions aussi enflammées que symétriques. Le PS évoque une « affaire d’État » et une atteinte grave à l’indépendance de la justice (Harlem Désir), voire le spectre d'un « système mafieux » (Bruno Le Roux). À l’UMP, en revanche, on dénonce à hauts cris une « opération politique » et un « acharnement » contre Nicolas Sarkozy, Patrick Balkany parlant pour sa part d’une « déviance de la justice » (sic).
Quant à Thierry Herzog, l’avocat et ami de Nicolas Sarkozy, qui réfute les soupçons de « trafic d’influence » dont il est l’objet tout en pestant contre une affaire « montée artificiellement », il a déjà dévoilé un élément de sa ligne de défense : les écoutes téléphoniques entre un avocat et son client constituent selon lui une violation des droits de la défense, et ne pourraient motiver à elles seules l’ouverture de nouvelles poursuites. Cet argument préfigure à coup sûr le déclenchement d’une guérilla procédurale. D'autres juristes soutiennent, au contraire, que la révélation de délits nouveaux lors d'écoutes téléphoniques peut provoquer l'ouverture d'une autre procédure. Le feuilleton s'annonce mouvementé.
BOITE NOIRESollicité dès mercredi matin par Mediapart, Thierry Herzog n’a pas donné suite. Quant à Gilbert Azibert, il ne souhaite pas s’exprimer, et indique seulement ce vendredi qu’il va prendre un avocat.
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