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Les femmes journalistes veulent «prendre la Une»

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Des plateaux 100 % masculins, des plaisanteries douteuses, parfois un sexisme crasse, des inégalités de salaire dans la presse : les médias sont à l’image de la société, voire encore pire. C’est le constat fait par un collectif de femmes journalistes, qui a lancé lundi un manifeste signé par plus de 400 professionnels des médias (dont des journalistes de Mediapart - lire notre boîte noire).

Intitulé Prenons la Une, il dénonce « la trop grande invisibilité des femmes dans les médias ». « Nous, femmes journalistes, ne supportons plus les clichés sexistes qui s’étalent sur les Unes. Pourquoi réduire encore si souvent les femmes à des objets sexuels, des ménagères ou des hystériques ? Par ces déséquilibres, les médias participent à la diffusion de stéréotypes sexistes. Or ils devraient à l’inverse représenter la société dans toutes ses composantes », expliquent les signataires du manifeste, publié par Libération et consultable sur le Tumblr du collectif.

Dans le viseur du collectif : les Unes de certains hebdomadaires comme le désormais fameux « Ces femmes qui lui gâchent la vie » de l’Express, les récents commentaires des Jeux olympiques de Sotchi sur France Télévisions dont le « moi, je connais plus d'un anaconda qui aimerait venir l'embêter un petit peu cette jeune Cléopâtre canadienne » du patineur Philippe Candeloro, ou encore cette saillie samedi dernier de Thierry Ardisson dans Salut les terriens sur Canal Plus expliquant qu'« une femme qui présente une émission de rugby, c’est comme un homme qui met de la crème hydratante ».

Un journaliste du Point, Frédéric Lewino, a récemment lancé dans une vidéo postée par l’hebdomadaire : « Depuis la création du Point, nous avons toujours eu la chance d'avoir des journalistes politiques non seulement excellentes, mais canon ! » Quant à la Voix du Nord, le quotidien régional titrait en septembre dernier : « Elles n’ont pas fait le choix d’être violées et elles le crient. » Comme si cela pouvait être un choix…

Mediapart a également chroniqué deux exemples, celui d’un article sur les violences conjugales dans La Provence, ou bien celui, plus détaillé, de « la bataille des dames » opposant Nathalie Kosciusko-Morizet et Anne Hidalgo, et lancé le MachoScope qui recense le machisme en politique.

Mais au-delà de ces dérapages caricaturaux, c’est l’invisibilité des femmes dans les médias que dénonce le collectif Prenons la Une. « Dans les émissions de débat et les colonnes des journaux, les femmes ne représentent que 18 % des experts invités. Les autres femmes interviewées sont trop souvent présentées comme de simples témoins ou victimes, sans leur nom de famille ni leur profession », expliquent les signataires du manifeste.

Il suffit souvent d’allumer sa télévision pour s’en rendre compte. Ou bien de lire la presse. Par-delà le sentiment diffus d’une surreprésentation des hommes parmi les personnes interrogées par les médias, plusieurs études récentes sont parvenues à le quantifier.

L’an dernier, le CSA (conseil supérieur de l’audiovisuel) a par exemple publié deux rapports édifiants. « La part des femmes intervenant dans les éditions d’information analysées est inférieure à 20 % (contre un peu de plus de 80 % pour les hommes) quel que soit le type de média (chaînes généralistes, chaînes d’information, stations généralistes). Cette part se fixe encore en deçà concernant la radio (moins de 17 %) », a ainsi constaté le CSA à partir d’un comptage des éditions diffusées au cours du 1er trimestre 2013 sur les chaînes généralistes (TF1, France 2, France 3, Canal+, Arte et M6), les radios généralistes (RMC, RTL, France Info, France Inter) et les chaînes d’information en continu de la TNT (BFM TV, iTélé, LCI).

Même chose pour les émissions dites de plateau, comme le Grand Journal, Ce soir ou jamais, Mots croisés, On n’est pas couché ou C dans l’air. Selon le recensement du CSA entre le 18 mars et le 31 mars 2013, « dans l’ensemble des émissions analysées, le temps de parole des femmes (quel que soit leur rôle à l’antenne) ne représente que 30 % du temps de parole total ». Un blog a également analysé la seule matinale de France Inter pendant un an. Résultat : seulement 16,26 % des invités sont des femmes.

Il n’y a pas que la télé et la radio à être concernées. Depuis 2008, la Commission sur l’image des femmes dans les médias a produit plusieurs rapports précis couvrant l’ensemble du champ médiatique (Internet mis à part malheureusement !). Le constat est exactement le même : tous médias confondus, les auteurs ont compté 18 % d’expertes pour 82 % d’experts (notion par ailleurs contestable). Et quand elles interviennent, les femmes sont souvent là pour témoigner, ou dans le rôle de victimes. « La légitimité du savoir est masculine », rappelle l’étude publiée en 2011.

Commission sur l’image des femmes dans les médiasCommission sur l’image des femmes dans les médias

Surtout, les chercheurs qui ont travaillé sur ces questions décrivent fort bien les effets pervers de cette invisibilité des femmes dans les médias : elle contribue à renforcer les inégalités existant dans la société. Bien sûr, la faible présence de femmes sur les plateaux ou dans les articles est en grande partie due à la réalité sociale. En politique par exemple, malgré les avancées provoquées par la loi sur la parité, elles sont bien moins nombreuses que les hommes – le travail des journalistes, y compris le nôtre à Mediapart, le reflète (lire par exemple cet article sans aucune femme citée).

Il arrive aussi souvent  – les journalistes peuvent en témoigner – que les femmes, y compris des élues ou des chercheuses chevronnées, refusent de répondre à la presse en mettant en doute leur légitimité (un homme, c’est rare) ou en excluant de parler sur une autre question que leur champ de compétence précis (bis). Les femmes effectuant encore l’écrasante majorité des tâches domestiques, elles sont aussi parfois moins disponibles le soir.

« Certains invités masculins, forts de leur notoriété, sont devenus coutumiers des plateaux de télévision. Ils parviennent sans doute plus facilement à prendre la parole, et à la conserver, face à des femmes moins habituées aux plateaux de télévision et qui éprouveraient donc plus de difficultés à s’imposer dans le débat », écrivait l’an dernier le CSA.

Mais les médias ne se contentent pas de refléter une réalité sur laquelle ils ne pourraient rien. Ils la renforcent, par réflexe, par habitude ou par machisme du quotidien. Il existe ainsi un guide des expertes, qui reste peu utilisé. « Le miroir du monde offert par les news est comme un miroir de cirque. Il déforme la réalité. Il gonfle l’importance de certains groupes et en repousse d’autres dans les marges. Quand il vient à refléter les femmes, leurs points de vue et leurs perspectives sur le monde, le miroir présente une très grande et persistante zone noire », écrivait dès 1995 le Projet mondial de monitorage des médias (GMPP).

Tumblr du collectif Prenons la Une Tumblr du collectif Prenons la Une © http://prenons-la-une.tumblr.com/

Pour le collectif Prenons la Une, ces inégalités dans le traitement médiatique sont également alimentées par les inégalités au sein des rédactions. « Ces stéréotypes sont à la fois la cause et le résultat des inégalités professionnelles, des propos et attitudes sexistes au sein des rédactions, mais aussi du manque de sensibilisation des journalistes à ces sujets », affirme le manifeste publié lundi.

Avant d’ajouter : « Plus de 7 directeurs de rédaction sur 10 sont des hommes. Quant aux salaires, ceux des femmes journalistes restent inférieurs de 12 % en moyenne à ceux de leurs confrères. Ces inégalités se reflètent mécaniquement dans les contenus de l’information. Comment accorder de la crédibilité à la parole d’expertes quand on peine à reconnaître les capacités des femmes journalistes à diriger des rédactions ? »

Selon les données de la Commission de la carte professionnelle des journalistes, les femmes représentent plus de 40 % des journalistes. Comme dans d’autres branches professionnelles, elles sont aussi plus nombreuses parmi les précaires : en 2012, selon une étude de l’Observatoire des métiers de la presse, elles représentaient 58 % des CDD et 53 % des pigistes (les journalistes rémunérés à l’article).

La Scam a également publié l’an dernier un rapport intitulé « De quoi vivent les journalistes ? », d’après un questionnaire auquel plus de 3 400 journalistes ont répondu. « Alors que leur poids dans l’enquête est équivalent, les femmes représentent 62 % des plus bas revenus
 (– de 20 000 €/an) et seulement 16 % des plus hauts (supérieurs à 100 000 €/an) », précise le compte-rendu.

L’an dernier, une grève inédite a d’ailleurs éclaté dans un quotidien français : la grève des signatures des femmes journalistes des Échos durant une journée pour protester contre la composition exclusivement masculine de la hiérarchie. Et ce, malgré une rédaction quasi paritaire. Elles ont depuis obtenu l’organisation d’un audit interne indépendant.

BOITE NOIREJe suis membre du collectif Prenons la Une, avec une vingtaine d’autres femmes journalistes.

Je suis donc également signataire du manifeste cité, comme de nombreux journalistes de Mediapart, et deux de ses cofondateurs Edwy Plenel et François Bonnet (la liste est consultable ici). Il peut être également signé par des citoyen-ne-s.

Je suis donc complètement juge et partie mais c’est assumé – nous en avons discuté collectivement.

Nous avons décidé d'en faire un article parce que l'appel a été signé par de très nombreux journalistes (plus de 400 lundi à 19 heures) et parce que le traitement des médias légitime, et parfois renforce, les inégalités dans le reste de la société.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : GooglePlay Downloader 0.5


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