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Centrafrique : l'écran de fumée du gouvernement français

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Le vote, mardi 25 février à l’Assemblée nationale et au Sénat, de la prolongation de l’opération Sangaris a été l’occasion d’un remarquable théâtre d’ombre : le gouvernement et le Parti socialiste ont défendu avec des arguments émotionnels et anachroniques la poursuite de l’opération militaire en Centrafrique, pendant que l’opposition en critiquait les impasses et les non-dits, souvent avec des arguments fondés, mais pour finir par l’approuver d’un même élan que la majorité de gauche (seuls quatorze députés ont voté contre : 12 de droite et 2 communistes)…

Les votes sur les opérations extérieures de la France sont toujours l’occasion de déclarations grandiloquentes, ce qui est de « bonne guerre », mais ils sont aussi souvent le terrain de la mauvaise foi et des décisions mal assumées. Tous les orateurs socialistes, de même que les députés de la majorité qui faisaient le tour des émissions de télévision durant la journée de ce vote, n’ont cessé de marteler un double argument qu’ils jugent imparables. Primo, la France est intervenu parce que la situation catastrophique l’exigeait. Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée, a développé la rhétorique la plus alarmiste. Sur la Chaîne parlementaire, elle a déclaré : « Nous avons eu raison d’aller là-bas parce que nous avons évité un génocide ! », puis dans son discours devant ses pairs elle a expliqué que « si le chaos s’était installé en Centrafrique, ce pays aurait pu devenir un sanctuaire pour des groupes terroristes tels que Boko Haram ».

Le deuxième argument déployé, relayé également par l’opposition, a consisté à se lamenter sur l’absence d’État et d’institutions en Centrafrique. « Il n’y avait plus ni armée, ni police, ni justice. Les écoles et les hôpitaux avaient cessé de fonctionner. À la tête d’un État failli, l’équipe de transition avait perdu tout contrôle », a insisté le premier ministre Jean-Marc Ayrault. Comme en écho, Christian Jacob, le président du groupe UMP, a renchéri : « (La Centrafrique est) un État qui n’existe plus, un État qu’il faudra rebâtir de A à Z. »

Aucun de ces deux arguments – la situation de péril pour le pays et la disparition de l’État – n’est faux en soi. Ils peuvent être exagérés pour des raisons politiciennes, mais ils décrivent assez bien la situation présente… ainsi que celles des années précédentes. C’est la première faille du raisonnement de l’exécutif français : cela fait de nombreuses années, voire deux décennies, que la Centrafrique n’est plus qu’un État de façade et que les tensions entre communautés chrétiennes et musulmanes sont attisées par des politiciens sans scrupules, dont l’ex-président François Bozizé, soutenu jusqu’en 2013 par la France.

Un soldat de la force Sangaris en mission dans la ville de Noala le 16 février 2014.Un soldat de la force Sangaris en mission dans la ville de Noala le 16 février 2014. © EMA/ECPAD

Il ne s’agit pas – critique certes juste mais facile – d’accuser le gouvernement français d’agir aujourd’hui quand il aurait dû le faire bien avant, mais de se demander pourquoi cette déliquescence dans le « pré carré » de la France n’a pas été mieux analysée et disséquée afin d’y chercher des remèdes. « Quand la Séléka (l’alliance de milice à majorité musulmane qui a pris le contrôle du pays en mars 2013, ndlr) a commencé à marcher sur Bangui, personne à l’ambassade de France ni au Quai d’Orsay ne croyait qu’elle pouvait prendre le pouvoir, alors que pour la majorité des Centrafricains, c’était une évidence que le gouvernement précédent était un fruit mûr qui ne demandait qu’à tomber », confiait, en octobre dernier, un diplomate français sur place, qui affirme qu’il avait anticipé la chute de Bozizé mais qu’il n’a pas été entendu par sa hiérarchie. Cela faisait également des années que plusieurs ONG avaient alerté sur le trou noir dans lequel la Centrafrique s’enfonçait inexorablement (voir les rapports de l’International Crisis Group en 2007, de Human Rights Watch en 2007, ou de Médecins sans Frontières en 2011).

Le vrai problème de ce défaut d’analyse sur la Centrafrique est qu’il aboutit directement à la deuxième faille du raisonnement de l’exécutif français : une sous-évaluation des besoins nécessaires pour ramener le calme et entamer le redressement du pays. En intervenant en direct à la télévision le 5 décembre 2013 pour signifier le début de l’opération Sangaris, François Hollande annonçait : « Cette intervention sera rapide, elle n'a pas vocation à durer. » Aujourd’hui, il est évident que cette déclaration était chimérique, à la limite de l’absurde. Alors pourquoi l’avoir prononcée ? Il y a l’analyse insuffisante de la situation dans le pays : on l’a vu dès le premier jour de l’intervention française quand plus de mille personnes ont été tuées en 24 heures dans l’étincelle de violence que tout le monde redoutait.

Mais il y a également deux autres facteurs qui ont poussé le président de la République à faire cette annonce. Tout d’abord la politique de l’opinion : il est évident que les Français sont tout sauf mobilisés sur la question centrafricaine et que, moins d’un an après l’intervention au Mali, et au moment où les derniers soldats tricolores reviennent d’Afghanistan, il n’y a guère d’appétence pour une nouvelle « OpEx ». Hollande n’a clairement pas voulu forcer la main de ses concitoyens. « Dans leur préparation, les militaires ont sûrement demandé plus d’hommes, mais c’est l’Élysée qui a limité leur nombre », estime Jean-Claude Allard, un ancien général français spécialiste des questions de défense à l’IRIS. « La sous-estimation de la mission ne vient pas des militaires, mais des politiques qui, pour des raisons de difficulté à “vendre” l’opération dans l’opinion publique, ont préféré la minorer. »  Ensuite, politique d’austérité oblige, l’évaluation budgétaire d’une mission rentre désormais en ligne de compte. Un haut responsable du Quai d’Orsay se souvient : « Au début des années 2000, je travaillais au ministère de la défense et j’avais validé l’envoi de 6 000 soldats français au Kosovo d’une simple signature après accord du ministre. Personne n’avait évoqué le coût. Aujourd’hui, ce genre de chose est impensable ! On parle budget sans arrêt ! »

Mauvaise appréhension de la situation en Centrafrique, pusillanimité politique, souci budgétaire, voilà les trois raisons qui aboutissent à la configuration actuelle : des troupes en nombre insuffisant sur le terrain, qui n’ont pas pu arrêter un nettoyage ethnique et qui vont avoir le plus grand mal à remettre sur pieds des institutions fonctionnelles. Et c’est là que l’exécutif et les députés socialistes se retrouvent au mieux à jouer à l’autruche, au pire à mentir. Plutôt que d’admettre, et sans nécessairement recourir à un discours churchillien sur le sang et les larmes, que rétablir un semblant de calme, de paix et d’institutions en Centrafrique va prendre du temps et de l’argent, ils préfèrent dissimuler la réalité. Il est absolument illusoire de faire croire que 2.000 à 2.500 soldats tricolores, épaulés par quelques milliers de soldats africains – dont le niveau de compétence est très inégal – vont pouvoir à la fois mener des opérations de désarmement, de sécurisation des populations et de reconstruction de l’État.

Un ancien colonel français, qui a étudié à Fort Leavenworth, le bastion intellectuel de l’armée américaine, juge négativement le discours de l’exécutif : « Tout ce que j’entends depuis quelques jours sur l’absence d’État en Centrafrique et la nécessité d’y remédier me conduit à penser que nous ne sommes plus dans le cas d’une intervention militaire « coup de poing » comme l’avait décrite le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, mais dans ce que les anglo-saxons appellent du "nation building". Or, ce n’est pas du tout la même chose, ni militairement ni politiquement. »

Durant les années 2000, un certain nombre de chercheurs se sont penchés sur la question du maintien de la paix et du « nation building » (construction d’une nation), en examinant les tentatives passées (voir ici ou  deux études de la Rand Corporation). Il en ressort, entre autres facteurs, que le nombre de soldats déployés est un élément capital, et notamment qu’un ratio de 20 soldats pour 1000 habitants est souhaitable pour réussir (ratio qui fût atteint et dépassé dans les cas de la Bosnie et du Kosovo et approché dans celui du Timor oriental). Autrement dit, pour un pays de 4 à 5 millions d’habitants comme la Centrafrique, il faudrait déployer de 80.000 à 100.000 soldats de maintien de la paix. Et on n’évoque même pas ici la durée ou le coût de ces missions…

Le stade de Bangui, construit et financé par le Chinois, en octobre 2013Le stade de Bangui, construit et financé par le Chinois, en octobre 2013 © Thomas Cantaloube

Certes la France n’a jamais proclamé qu’elle entendait rétablir seule la paix et la sécurité en Centrafrique mais, en attendant que l’Union Européenne ou les Nations Unies ne s’impliquent sérieusement dans le dossier, elle a choisi d’en être le fer de lance. Choisi, mais pas assumé. « Nous sommes partis pour de nombreuses années en Centrafrique », poursuit l’ex-colonel français. « Même si l’Europe et l’ONU envoient des troupes, les soldats français seront toujours au premier plan et en grand nombre pendant trois ou quatre ans. Et si personne ne se mobilise, alors nous sommes partis pour sept ou huit ans minimum d’une situation instable et dangereuse qui risque de mal finir. »

La question aujourd’hui n’est plus de justifier l’intervention, comme l’a fait Jean-Marc Ayrault devant l’Assemblée nationale, mais d’être sincère quant à ce qu’elle implique en termes de coût financier, de moyens militaires et d’engagement sur le long terme. L’ancien chef d’Etat-major américain Colin Powell, devenu par la suite secrétaire d’État de George W. Bush, avait défini les conditions nécessaires à une intervention armée réussie : des objectifs clairs et atteignables, le soutien de la population du pays intervenant et de ses alliés internationaux, et une stratégie de sortie pour éviter l’enlisement.

À l’heure actuelle, aucune de ces conditions ne sont rassemblées. Et, au lieu d’œuvrer pour y parvenir, Holland, Ayrault et Le Drian préfèrent se contenter de demi-mesures et d’écrans de fumée. Le débat devant les parlementaires sur la prolongation de Sangaris aurait pu être l’occasion de mettre honnêtement les cartes sur la table et de laisser la représentation nationale décider et assumer. Il ne fût malheureusement qu’une mise en scène sans ambition consistant à balayer sous le tapis ce que l’on ne veut pas voir. 

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