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Nucléaire : allonger la durée de vie des réacteurs va coûter très cher

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Allonger la durée de vie des réacteurs nucléaires : c’est la volonté d’EDF, qui déploie un intense lobbying en ce sens depuis au moins la fin des années 2000. C’est aussi la décision implicite que pourrait être en train de prendre l’exécutif, à force de non-décision sur ce sujet hautement sensible. Construit en un temps record entre la fin des années 1970 et 1980, le parc nucléaire français est aujourd’hui confronté à un « effet falaise » : 80 % de ses tranches ont été mises en service entre 1977 et 1987. Elles atteindront donc leur 40e année entre 2017 et 2027, c’est-à-dire demain. Cela concerne près des deux tiers de nos besoins actuels en électricité. Ainsi, quatre réacteurs vont atteindre leurs 40 ans de fonctionnement d’ici 2018, 23 l’atteindront au cours des cinq années suivantes.

La centrale nucléaire de Fessenheim (Wikicommons).La centrale nucléaire de Fessenheim (Wikicommons).

En janvier 2012, la Cour des comptes sonnait l’alarme (voir ici) : « Compte tenu du délai en matière de politique énergétique entre la prise de décision et ses effets, ne pas prendre de décision revient à faire un choix, celui de faire durer le parc actuel au-delà des 40 ans. » L’alerte porte sur l’opacité des conditions de cette prise de décision. Car la voie de l’allongement de la vie des centrales s’ouvre « sans que ces orientations stratégiques n’aient fait l’objet d’une décision explicite, connue du grand public, alors qu’elles nécessitent des actions de court terme et des investissements importants », ajoute encore la Cour. Or la promesse de campagne de François Hollande de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité (contre 75 % aujourd’hui) ne résout absolument pas le problème, comme le montre le schéma ci-dessous :

Production du parc existant jusqu'à 40 ans et trajectoire nucléaire (©Wise-Paris, 2014).Production du parc existant jusqu'à 40 ans et trajectoire nucléaire (©Wise-Paris, 2014).

Si 25 % des réacteurs ferment d’ici 2025, que deviennent tous les autres qui auront passé la quarantaine ou seront en passe de le faire ? Que l’on décide de les fermer également, de les prolonger ou de les remplacer par la nouvelle génération des EPR (dont une tranche est actuellement en construction à Flamanville, dans la Manche), leur vieillissement va devenir un enjeu de plus en plus important.  

A-t-on vraiment les moyens financiers, techniques et réglementaires de faire tourner ces équipements au-delà de leurs 40 ans de vie initialement prévus ? Contre toute attente, en pleine préparation du projet de loi sur la transition énergétique, et six mois après la fin d’un vaste débat national sur le sujet, il est toujours très difficile de répondre à cette question. EDF distille les informations au compte-gouttes, l’autorité de sûreté du nucléaire (ASN) n’a de compétences que sur la sûreté du parc, et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ne peut expertiser que les coûts et les prix de l’électricité. L’état public des savoirs est à la fois insuffisant et parcellaire.  

Pour la première fois, un ambitieux rapport d’étude tente de mettre à plat l’ensemble des connaissances sur ce sujet très sensible. Commandité par Greenpeace, ONG qui milite ouvertement pour la sortie du nucléaire, il a été réalisé par un bureau d’études proche des opposants à l'atome et réputé pour son expertise, Wise-Paris. Il est publié mardi 25 février et disponible en cliquant ici.

En voici les principaux enseignements :

  • Une facture potentiellement très lourde

Le coût financier de l’allongement de la durée de vie pourrait s’avérer très élevé, beaucoup plus que les chiffres aujourd’hui mis sur la table par EDF. Le renforcement d’un réacteur de 40 ans pour le hisser à un niveau de sûreté renforcé, comparable à celui d’un EPR, pourrait coûter entre 2,5 milliards et 6,2 milliards d’euros par tête, estime Wise-Paris. « Il y a très peu de chiffrages suffisamment détaillés, on ne peut que donner des ordres de grandeur, et réaliser des projections », met en garde, prudent, Yves Marignac, son directeur. Selon ses estimations, au pire, la facture des investissements à fournir serait quatre fois plus élevée que les moyens envisagés aujourd’hui par EDF. L’électricien annonce prévoir 55 milliards d’euros pour son « grand carénage », une remise à niveau général de son parc, montant auquel s’ajoutent les travaux occasionnés par les évaluations complémentaires de sûreté (ECS) exigées par l’ASN après la catastrophe de Fukushima.

Wise-Paris a élaboré trois scénarios de sûreté (dégradée, préservée, renforcée) et tenté d’estimer les coûts financiers potentiels de chacun d’entre eux. L’enjeu majeur en gain de sûreté et en coût financier, c’est la « bunkerisation » des piscines de combustibles, c’est-à-dire leur couverture pour les protéger contre des événements extérieurs. Cette seule opération pourrait coûter 1 milliard d’euros par piscine, avait estimé l’ASN en 2011. Ce type de travaux pourrait entraîner l’arrêt de chaque réacteur concerné pendant deux ou trois ans. Au coût financier s’ajouterait alors le manque à gagner du non-fonctionnement de la tranche (en général évalué à un million d’euros par jour).

Les principaux enjeux de sûreté sont aussi les principaux enjeux de coûts, explique Yves Marignac : la couverture des piscines de combustibles, la sécurisation du système de contrôle-commande, la protection des éléments constitutifs de « noyaux durs » (comme les moteurs diesels ultimes, destinés à pallier une perte d’alimentation en électricité). Conclusion de Wise-Paris : l’enveloppe de 55 milliards d’euros prévue par EDF préempte les niveaux de sûreté du parc. L’exploitant ne semble pas prendre en compte la marche gigantesque à franchir que représente le tournant des 40 ans de ses réacteurs.

  • Aucune garantie de faisabilité technique

L’incertitude sur la faisabilité des travaux nécessaires à l’amélioration de la sûreté du parc est grande, signale le rapport. Les centrales nucléaires françaises se caractérisent par leur homogénéité : sorties de terre en très peu de temps, elles utilisent la même technologie (les réacteurs à eau pressurisée, les « REP ») à l’exception de la nouvelle génération des EPR, opérée par l’unique exploitant qu’est EDF. L’enjeu technique du prolongement se pose donc en terme générique, avec des avantages et des inconvénients : ce qui pose problème pour une installation, peut se retrouver sur toutes les autres.

Les difficultés techniques sont potentiellement de plusieurs ordres : usure, obsolescence, plus grande fragilité à des événements extérieurs, maintenance insuffisante… Certains équipements peuvent être changés facilement, d’autres avec beaucoup plus de difficultés : tuyauteries enterrées, gaines de câbles électriques, couvercle des cuves de réacteurs, éléments du circuit primaire. Mais certains sont irréparables, car hors d’atteinte : cuves et enceintes des réacteurs. 

Autre problème, déjà soulevé par l’ASN : le pic de charges. L’autorité a déjà prévenu qu’à moyens constants, elle ne parviendrait pas à traiter tous les dossiers de sûreté qui s’accumulent avec les années, et les nouvelles exigences post-Fukushima. Pierre-Franck Chevet, son président, a aussi publiquement déploré qu’EDF ne soit pas en état de gérer sa maintenance courante. Que se passera-t-il si le volume des travaux croît de manière considérable ? 

L’ASN doit rendre en 2015 un premier avis sur le « post 40 ans », et annonce une prise de position générique en 2018 ou 2019. Viendra ensuite l’étude au cas par cas des tranches nucléaires. En juin 2013 (18 juin), elle a conditionné ses futurs avis à la réalisation des travaux exigés pour le passage à 40 ans. 

Investissements passés et projetés d'EDF dans le parc nucléaire, en 2008 (©Wise-Paris)Investissements passés et projetés d'EDF dans le parc nucléaire, en 2008 (©Wise-Paris)

 

  • Quel débat démocratique ?

« Il n’y a aucune visibilité sur ce processus de décision, c’est pourtant un enjeu majeur », regrette Yves Marignac, selon qui les données techniques et industrielles ne peuvent plus être considérées comme privées par l’exploitant.

Le cadre réglementaire est à la fois flou et peu respecté. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la procédure de datation des centrales nucléaires n’est pas claire. Quel est le bon jour anniversaire : 40 ans après le coulage du premier béton, le début de la mise en service, la première divergence, le raccordement au réseau ? Rien ne l’indique. Autre exemple d’ambiguïté : censées se produire tous les dix ans, les visites décennales de contrôle conduites par l’ASN glissent dans le temps. Si bien que sur les 27 réacteurs qui aujourd’hui ont franchi le cap de leurs trente années d’exploitation, seuls cinq ont reçu le feu vert réglementaire pour voguer a priori vers leurs 40 ans. 

Pour Wise-Paris, l’effort technique et de sûreté à fournir pour passer l’étape des 40 ans est tel qu’il nécessite le déclenchement de nouvelles logiques de consultation et d’approbation par la puissance publique. Et s’il fallait ouvrir une enquête publique, lancer un débat public pour chaque réacteur concerné ? Selon la loi, la saisine de la commission nationale du débat public (CNDP) est de droit pour les investissements supérieurs à 300 millions d’euros dans le nucléaire.  

Conclusion du rapport : face à l’énormité de ces enjeux, il y a besoin d’une politique énergétique claire. Pour Greenpeace, qui a commandité l’étude, il faut que la future loi de transition énergétique limite à 40 ans la durée de vie des réacteurs et qu’elle se fixe un objectif de 45 % de renouvelables en 2030 (contre 27 % à l’étude aujourd’hui dans le cadre d’une directive européenne en discussion, voir ici). Un rendez-vous a été demandé à l’Élysée pour y présenter cette étude. Pour l’instant, pas de réponse.

BOITE NOIRECet article a été écrit sur la base de la lecture du rapport et d'un entretien avec Yves Marignac, son auteur, ainsi qu'avec Sébastien Blavier, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. EDF n'a pas été sollicité compte-tenu de la confidentialité de l'étude jusqu'à son jour et heure de publication, le 25 février à la mi-journée.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 25/02/14


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