Pour beaucoup, ce résultat constitue une surprise. Non, ils n’avaient pas remarqué qu’à niveau social égal, les enfants d’immigrés réussissaient moins bien à l’école. Oui, le résultat de l’étude Pisa (voir nos précédents articles) les interroge, les bouscule ; parfois les révolte, plus rarement les désespère.
Selon Pisa, « les élèves issus de l’immigration (1re et 2e génération) accusent des scores inférieurs de 37 points à ceux des élèves autochtones, soit presque l'équivalent d'une année d’études » (contre 21 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE).
Nous avons donc interrogé des professeurs, proviseurs, conseillers principaux d’éducation ou encore une assistante sociale pour qu’ils nous disent comment ils expliquent une telle différence. Parfois sous couvert d’anonymat, ils évoquent sans tabou le manque d’ambition de certaines familles immigrées, la ghettoïsation grandissante, l’impact de la crise, les assignations dans l’orientation, le poids des traditions, les zones de relégation. Plus rarement, d’éventuelles discriminations de l’institution.
Problèmes d’orientation, manque d’ambition
Le manque d’ambition pèse sur les résultats scolaires. Quand un élève sait qu’il ne postulera pas aux filières les plus élitistes, sa scolarité s’en ressent. Pisa teste le niveau des élèves de 15 ans. « Mais dès le début de la classe de 4e, il faut être honnête, tu sais qui ira en bac pro et qui ira vers une voie générale », témoigne Vincent, professeur d’anglais à Ivry, dans « un bahut qui compte environ 20 % d’élèves blancs ». Pour lui, la problématique ne concerne pas que les immigrés. « Plus personne ne croit en la progression sociale, la reproduction est entérinée. Mais c’est vrai que certaines familles immigrées trouvent fabuleux que leur enfant fasse un BTS alors que les parents français ne voudront pas que leurs enfants s’arrêtent avant le master. »
Pour Isabelle, assistante sociale depuis vingt-trois ans dans un établissement qui accueille à la fois des enfants de cités dures et des zones pavillonnaires de Seine-Saint-Denis, « les enfants d’immigrés vont plus qu’avant vers les filières professionnelles. Il y a dix ou quinze ans, je me souviens de parents qui poussaient vers le général. À présent, je dois convaincre des familles que leur enfant est capable d’y rester. Il y a une frilosité, une crainte de s’écrouler. Le bac pro paraît plus concret. Ils ne veulent plus d’études longues, aux débouchés lointains et incertains ».
À en croire Isabelle, la volonté d'indépendance serait également plus grande : « Je n’ai jamais vu autant de jeunes se marier aussi tôt. À 25 ans, il faut être marié. C'est vécu comme une ascension. Les études courtes vont le permettre. »
La sécurité de l’emploi orienterait clairement vers certains métiers : « Ils parlent souvent du médecin comme du métier inaccessible. À l’inverse, lors du carrefour des métiers, la salle “police-pompiers-armée” a rencontré un succès de folie. Que ce soient les filles, les garçons, toutes communautés confondues… Ce sont des métiers carrés. Ce n’est pas compliqué de rentrer. » Isabelle y voit aussi une forme de renoncement à se lancer dans un parcours plus exigeant : « Le très bon élève n’y arrive pas. Pourquoi je m’y mettrais ? »
Imane, professeur dans un lycée professionnel à Vitry, perçoit de son côté une orientation subie. Dans le collège du quartier où elle travaille, elle estime qu’il y a 70 % d’élèves issus de l’immigration. Et dans son lycée pro, 90 %. Comment expliquer ce décalage ? « Les enfants de l’immigration ne choisissent pas vraiment leur filière. Ils vont vers la vente, l’accueil, le commerce. Pour eux, la réussite passe forcément par le tertiaire. Le manuel ramène au vécu des parents : il ne faut plus se salir les mains. Travailler derrière un bureau est déjà vécu comme une ascension sociale. »
Problème selon Imane : par manque d’informations, les adolescents « s’imaginent qu’avec une filière pro, ils vont pouvoir faire du commerce international. Ils n’ont aucune conscience de la concurrence ». À titre d’exemple, elle cite l’ébénisterie. « C’est une filière assez élitiste, considérée comme l’aristocratie ouvrière, où il existe des débouchés. Les parents français le savent notamment grâce à une histoire familiale, des connaissances en province... On y trouve donc très majoritairement des Blancs. Pour les immigrés, l’ébénisterie renvoie à ce qui se passe au bled. »
Comment pousser ses élèves ? Clémence, professeur dans un lycée des Yvelines à la population socialement mixte (cités de Sartrouville, bourgeoisie de Maisons-Laffitte), se pose souvent la question. « Un de mes élèves brillants a préféré l’an passé la voie technologique pour rester avec ses potes. C’est du gâchis. Du coup, alors qu’il avait fait un excellent début d’année, il a arrêté de travailler. Ni les parents ni l’école ne se sont battus pour qu’il fasse mieux. »
Les parents immigrés seraient plus « fatalistes. Ils montent moins au créneau. À la fin de la classe de seconde, il y a la décision d’orientation du conseil de classe. Mais ce n’est pas définitif. Les parents français font le forcing dans les deux semaines qui suivent pour forcer le passage vers le général. Et souvent, ça marche ».
Il arrive à Clémence de se heurter à un mur : « J’avais une élève brillante, mention TB au Bac, félicitations du jury. Tout pour être polytechnicienne. Elle a préféré la fac de maths. C’est troublant. Ce n’est pas toujours évident de faire comprendre l’intérêt de la prépa. Et c’est encore plus compliqué en lettres avec un discours très difficile à entendre du type : "Tu vas faire hypokhâgne, Khâgne, bon, tu ne seras sûrement pas prise à Normale Sup, mais ce ne sera pas grave." »
Reste une question taboue : l’école, inconsciemment, ne renvoie-t-elle pas elle-même les enfants d’immigrés vers des filières moins ambitieuses ? Ne les brime-t-elle pas dans leur scolarité et leurs ambitions ? « Parfois, je me demande si inconsciemment Ahmed n’est pas orienté vers une filière pro parce qu’il s’appelle Ahmed, avoue Clémence. Je ne sais pas. » Même interrogation, non tranchée, chez Imane : « Difficile de dire si on propose moins les classes de théâtre ou de musique aux immigrés. »
Interrogée il y a dix-huit mois dans un précédent reportage, Danièle Mingone, conseillère principale d'éducation (CPE) au lycée Mounier de Grenoble, tenait un discours plus tranché : « Disons qu'on n'a pas la même représentation d'un élève d’origine européenne, fils de cadre, qui fait l'option musique, que d'un enfant d’origine étrangère habitant une cité. Et il y a un préjugé qu’à résultats égaux, ils n'auront pas la même capacité à réussir. On anticipe qu’ils n’auront pas les moyens d’aller jusqu’au bout de leur cursus, notamment en S, la filière peut-être la plus scolaire. »
Questionnés dans le cadre de l’enquête Teo, 15 % des descendants d’immigrés ressentent d’ailleurs une injustice liée à leurs origines dans l’orientation (contre 8 % qui en ressentent une dans la notation, la discipline ou les sanctions).
Il n’en reste pas moins que dans l’éducation nationale, on ne voit pas les choses ainsi. « L’institution ne met pas à l’écart un certain type de population. Chacun a les moyens de réussir », assure par exemple Isabelle. Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, partage ce constat : « Peut-être que, parfois, on parie sur celui qui vient d’un milieu culturel plus élevé en se disant “il va s’y mettre”, alors qu’on dira d’un élève d’un milieu plus populaire qu’il travaille déjà beaucoup et qu’il ne pourra pas faire plus. Mais je ne crois pas que cela ait à voir avec la couleur de peau. J’ai même l’impression que dans l’orientation, les jeunes issus de l’immigration qui bossent bien sont survalorisés… »
L’éducation nationale n’est quoi qu'il en soit pas exempte de toute responsabilité. Les établissements qui ont le plus souffert des politiques publiques au cours des dernières années se trouvent en effet être ceux où l’on trouve le plus d’enfants d’immigrés, dans les quartiers sensibles.
L’assouplissement de la carte scolaire est particulièrement pointé du doigt. « Depuis 2005, et surtout 2007, sous prétexte d’aider les méritants, il y a un tri gravement sélectif, juge Catherine Manciaux, secrétaire générale du SNUpden-FSU, proviseur en zone sensible depuis 1991. On donne moins et on extrait les meilleurs. Dans ces conditions, il est difficile de tirer vers le haut alors que parfois, il suffit d’un bon élève dans une classe. Mais voilà : on donne plus à quelques méritants, et moins à la plèbe. Dans ces conditions, comment faire pour garder une mixité scolaire et donner les moyens de réussir ? »
Le proviseur Philippe Tournier estime que « même dans des quartiers mixtes, on a de plus en plus de classes ethnicisées. La logique communautaire l’emporte sur la logique scolaire : les établissements se ghettoïsent socialement et sur base ethnique. Ce n’est ni mesuré ni mesurable, mais il suffit de se promener pour le voir. Cela a des conséquences sur la dynamique collective. Dans l’entre-soi, on n’avance pas ».
Pour Philippe Tournier, « l’école est dégradée, l’institution est "dégradatrice". Et le pire est à venir puisqu’il n’y a pas de mécanisme correcteur en place. L’assouplissement de la carte scolaire a attisé ces mécanismes, a polarisé les populations et déstabilisé les établissements du milieu. Dans une petite commune moyenne, à présent, on a un établissement qui va bien, et un établissement qui va mal. On a accentué les inégalités. Cette radicalisation des clivages scolaires touche forcément encore plus fortement les populations immigrées puisque les mieux intégrés sont partis. On a décapité des établissements ».
L’absence de mixité se diffuse parfois au sein des établissements, comme l’explique Imane : « Au sein d’un même collège, on peut trouver une classe avec 95 % de Blancs et les meilleurs élèves issus de l’immigration. Et dans une autre classe, 95 % d’élèves issus de l’immigration. L'élève blanc et médiocre a la chance d’être dans une classe d’élite. Cette façon de catégoriser les élèves ne se fait pas nécessairement consciemment. Et parfois, cela est dû au choix d’options : allemand, latin, etc. Il n’empêche : au final, l’école entérine la non-mixité. »
Un constat alarmant alors que, selon Olivier, professeur dans un collège historiquement bourgeois du centre d’Avignon accueillant depuis peu des populations très pauvres en raison de la fermeture d’un établissement voisin, le mélange fonctionne très bien. « C’est beaucoup plus efficace que de sommer les ZEP de s’adapter à leur public, comme on le fait depuis dix ans. »
Le suivi familial
Pour comprendre la réussite scolaire, impossible de ne pas s’intéresser à ce qui se passe à la maison. « Dans les familles immigrées, il y a parfois un décalage entre l’enfant et ses parents, analyse Imane. On a beaucoup de parents très jeunes. Mais aussi très âgés, quand l’adolescent est en fin de fratrie. Cela crée des problèmes. D’abord parce que quand le père a l’âge d’un grand-père, il n’a plus la force d’éduquer son fils. Ensuite, quand le père a été éboueur, homme de ménage, dans le bâtiment, ou en accident longue durée, les enfants ne veulent pas lui ressembler. De même, des filles narguent leurs propres mères parce qu’elles sont habillées en boubou. La honte, la rage, se répercutent dans la scolarité. »
À ce schéma, s’ajoutent d’autres difficultés. « Dans les familles d’origine subsaharienne, on a beaucoup de parents qui bossent de nuit ou qui ont des horaires décalés, notamment pour faire des ménages. Chez les Blancs de même niveau social, les mères sont plus souvent secrétaires dans une instance publique, une mairie, un dispensaire… Ce sont des lieux où on fréquente d’autres milieux, où l’on voit d’autres pratiques. Les horaires sont moins décalés, on a plus de temps pour le suivi des enfants… »
Selon Isabelle, assistante sociale, « les familles issues de l’immigration ont une grande confiance dans l’école française. Trop grande. Ça ne part pas d’une mauvaise intention, mais ils considèrent que le temps de l’école n’est pas le leur. Je reçois des parents illettrés, et je leur dis : “Ce n’est pas grave. Demandez-leur simplement ce qu’ils ont appris dans la journée.” Mais ils sont intimidés. Si on avait le temps, on ferait des ateliers avec des parents. On leur expliquerait qu’il faut prendre le carnet de correspondances, le cahier de texte, et parler. »
Isabelle explique avoir « plus de souci avec les familles subsahariennes. La polygamie fait par exemple beaucoup de dégâts. C’est un schéma familial compliqué à vivre. Les femmes partent plus, et les familles explosent. Les mères, très courageuses, se retrouvent sans rien. Les pères sont absents. Cela crée des situations très compliquées pour les enfants ».
Des difficultés différentes selon les origines
Bien sûr, il existe nombre de problématiques communes. « Le niveau de maîtrise et de compréhension de la langue est discriminant, explique Michel Richard, principal à Versailles. Des élèves arrivent au collège sans les fondamentaux : lire, écrire, parler. Qu’ils soient coréens, japonais ou portugais, tous les enfants d’immigrés ont la même difficulté. »
Bien sûr, chacun de nos interlocuteurs prend grand soin de ne pas tomber dans de trop grandes généralités. Il existe cependant des problématiques spécifiques qu’il serait absurde de nier si l’on en croit plusieurs de nos témoins : « Avec la communauté turque, ce n’est pas simple, explique Isabelle. Ce sont des gamins qui ne font pas de bruit. Mais il y a beaucoup d’absentéisme, de nombreux décrochages scolaires. On rencontre des mères turques qui sont là depuis vingt-cinq ans et qui ne parlent toujours pas un mot de français. »
À chaque nouvelle vague d'immigration ses spécificités : « En ce moment, on a plein de familles d’origine maghrébine mais qui vivaient en Espagne, qui arrivent chez nous, où elles pensent être mieux protégées, raconte Isabelle, assistante sociale. Je viens de recevoir quatre familles en quinze jours. »
Beaucoup de professeurs nous ont dit ne jamais avoir regardé leurs élèves en fonction de leur origine, et donc ne pas pouvoir faire de diagnostic. Certains refusent par principe d’y réfléchir. La proviseur Catherine Manciaux reste elle aussi prudente. « Ça m’embête de stigmatiser les Subsahariens ou les Sri Lankais.» À notre demande, elle ne s’interdit toutefois pas d’aborder le sujet. « Ça fait cliché, mais c’est vrai que les enfants chinois réussissent bien. La situation est plus difficile pour les Africains, les Kurdes, les Tchétchènes et les Européens de l’Est en général. Chez les enfants qui ont connu la guerre, le traumatisme est terrible, il n’est pas assez pris en compte. On ne leur donne pas assez le temps de souffler dans des classes d’accueil. Si on ajoute que certains ne savent pas où ils dormiront le soir, pour cause d’expulsion, ou de relogement... »
Catherine Manciaux s’attarde toutefois sur le regard porté par les parents sur l’école. « Tous les adolescents essaient de contourner les règles et mentent. Mais certaines familles immigrées font confiance à leurs enfants. Elles se laissent emberlificoter, les croient sur parole. Quand on rencontre ces familles, des pères me disent : “Pourquoi vous nous convoquez ? Vous ne voulez pas qu’on les tape, donc qu’est-ce qu’on peut faire ?” J’ai déjà vu des pères sortir des ceinturons devant moi ! Il y a une forte incompréhension. J’essaie de leur expliquer que chacun a sa place, et que si leurs enfants arrêtent de leur mentir, on aura déjà fait 50 % du travail. Mais c’est compliqué. »
Selon Catherine Manciaux, nombre de parents sont en perte de confiance : « Depuis des années, on leur renvoie une image d’eux-mêmes de nuls, de laxistes, on dit qu’ils ne font rien pour leurs enfants. Mais moi je n’ai jamais vu de parents démissionnaires. Seulement des parents qui ne savent pas quoi faire, à qui j’essaie de redonner confiance. »
Et s’il suffisait de laisser le temps faire son œuvre ? Car bien évidemment, plus l’arrivée est récente, plus les problèmes sont importants. Pisa ne manque pas de souligner que quand ils sont nés en France (2e génération), les enfants d'immigrés obtiennent déjà de bien meilleurs résultats que les enfants immigrés nés à l'étranger – arriver d'un pays non francophone ne pouvant qu'accentuer les difficultés de départ.
Malheureusement, l'étude Pisa ne s'intéresse pas spécifiquement aux 3e et 4e générations. La réussite grandissante des enfants d’origine maghrébine laisse cependant à penser que ce facteur temps est déterminant : « Ils sont nés en France, leurs parents sont nés en France. Une partie a déjà trouvé sa place, explique Philippe Tournier. La population d’origine subsaharienne est arrivée beaucoup plus récemment. et dans une situation économique beaucoup plus mauvaise, dans une précarité beaucoup plus marquée. » Il poursuit : « Aujourd’hui, les Maghrébins font d'ailleurs des pieds et des mains pour être en centre-ville ou dans le privé. Ne restent sur place que ceux qui ne croient plus que l’école va permettre de changer de situation. »
Vincent constate les mêmes différences à Ivry. « En quelques années, il y a une amélioration spectaculaire de la situation des jeunes d’origine maghrébine. Leurs parents ont été scolarisés en France, on n’a donc pas besoin de leur expliquer les problématiques d’orientation. »
Vincent note lui aussi que les parents subsahariens rencontre des difficultés : précarité, surpopulation, plus faible présence à l’école, illettrisme, parfois polygamie. Mais il se méfie des généralités : « Les Congolais et les Camerounais qui viennent, dont les parents sont issus de la classe moyenne, réussissent super bien ! Et on a aussi notre lot de “white trash” ("quart monde" blanc). Le facteur d’explication no1, c’est toujours le social. »
Aymeric, principal à Amiens, voit dans les difficultés de certains le fruit de l'isolement. « Les immigrés de l’Est (Géorgie, Biélorussie, etc.) qui échappent à des conflits ethniques sont cassés psychologiquement. Ils ont tout quitté. Ici, ils n’ont pas de famille, pas de réseaux. Ils n’arrivent pas d’un pays francophone. C’est très dur pour les enfants. »
Enfin, peu évoquée, la question religieuse se pose. Car si certains soulignent la grande réussite des filles par rapport aux garçons, d’autres, comme Imane, rappellent que la religion peut enfermer. « Pour les filles, passé 16 ans, il est parfois difficile de poursuivre les études, difficile de se projeter dans autre chose que l’éducation des enfants. Dès qu’elles ont le bac, elles deviennent des “madames”. Se voilent. Sont fières d’avoir leur diplôme et s’en contentent, même si ça ne débouche sur rien. C’est fréquent et un peu flippant. »
La crise économique
« Par manque de place, les enfants issus de l’immigration ne travaillent pas chez eux, explique l’assistante sociale Isabelle. Les parents rament. En vingt-trois ans, je n’en ai jamais vu autant au chômage et en fin de droits. Et je n’ai jamais vu non plus autant de gamins à l’aide aux devoirs le soir à l’école. Mais nous aussi, on manque de moyens pour les aider. »
Isabelle fait partie d’une commission qui tente de débloquer des fonds pour les familles qui ne parviennent plus à payer la cantine ou à participer au voyage scolaire de leur enfant. « J’entends beaucoup “Papa ne travaille plus”. Les pères sont souvent âgés, et quand ils travaillaient dans le bâtiment, ils ne retrouvent pas facilement d'emploi. Cela ne va pas sans déclencher de la morosité chez leurs enfants, quand ce n’est pas de la déprime. » Pour Isabelle, c’est une évidence, « les familles immigrées sont plus touchées par le chômage ».
La crise frappe cependant partout, y compris dans les zones rurales où l’on ne compte quasiment pas d’immigrés. Olivier, principal dans un collège de Picardie, perçoit les conséquences des suppressions de poste dans le flaconnage de verre et la serrurerie. « Avant, on n’entendait pas d’enfants dire "maman doit attendre la fin du mois pour m’acheter un nouveau cahier" ». Lui aussi a donc, alors qu’elles ne sont pas issues de l’immigration, des « familles du "quart monde", qui pensent avant tout à se nourrir, qui sont en rébellion par rapport aux institutions ». Mais « nous en avons relativement peu, peut-être 20 % des effectifs. La concentration de pauvreté n’est pas aussi forte que dans les zones urbaines sensibles. On a donc plus de temps pour elles. » Les résultats s’en ressentiraient.
Aymeric, également chef d’établissement en Picardie mais à Amiens où il fréquente une population bien plus mixte dans ses origines, note un changement profond au cours des dernières années : « Il y a dix ans, on entendait dire des enfants d’immigrés que c’était une population vivante, bruyante, pénible, mais qui en voulait plus qu’en territoire rural. Aujourd’hui, c'est fini. Leurs aînés sont au chômage. Les classes laborieuses ne s’imaginent plus devenir profs. C’est l’ancrage du :"On n’y arrivera pas". » Comme ses collègues, il en revient au point central. « C’est plus lié à l’origine sociale que culturelle. »
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