Le gouvernement s’y est engagé : le maïs OGM de Monsanto ne pénétrera pas sur le territoire national. D’où un branle-bas de combat parlementaire contre les maïs transgéniques, du fait que la période des semis approche et que l’interdiction du MON 810 a été annulée par le Conseil d’État en août dernier. Qui plus est, la Commission européenne devrait autoriser prochainement un autre maïs génétiquement modifié, le TC 1507 de Pioneer. Ce dernier, comme le MON 810, est doté d’un gène qui le rend résistant aux deux principaux insectes ravageurs du maïs, la pyrale et la sésamie.
Le 17 février, le socialiste Alain Fauconnier a déposé au Sénat une proposition de loi, soutenue par le gouvernement, qui a été rejetée. Le texte a aussitôt été de nouveau déposé, cette fois à l’Assemblée nationale, par le député Bruno Le Roux, chef du groupe socialiste. Comme deux précautions valent mieux qu’une, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a préparé un arrêté qui pourrait être pris en urgence si la loi n’était pas examinée assez tôt.
Les Verts ne sont pas en reste : les députés Europe Écologie-Les Verts (EELV) viennent à leur tour de déposer une proposition de loi anti-OGM. Elle ne cible pas seulement les maïs MON 810 et TC 1507, mais vise à interdire toutes les plantes modifiées génétiquement pour « délivrer un ou des insecticides ou résister à un ou des herbicides ». Une formulation assez large pour inclure l’ensemble des OGM commercialisés aujourd’hui (mais pas tous ceux qui sont étudiés en laboratoire).
Les deux textes doivent être discutés dès le 25 février. Si les socialistes et les Verts sont d’accord sur l’objectif, leurs analyses sont opposées : en résumé, les socialistes estiment que des publications récentes confirment un « risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement » ; les Verts, eux, jugent qu’il n’y a pas « de nouvelles données scientifiques sur les effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé et l’environnement », et mettent en avant des arguments plus politiques.
Selon le parti écologiste, la légitimité de l’interdiction tient à ce qu’une « écrasante majorité des citoyens européens reste opposée à la mise en culture des plantes génétiquement modifiées ». Cette affirmation repose essentiellement sur des enquêtes d’opinion qui montrent que les Européens ont en majorité une image négative des OGM (voir par exemple ici). Mais il faut aussi observer que certains pays européens, principalement l’Espagne, cultivent des OGM et n’ont pas manifesté l’intention d’y renoncer.
D’autre part, les Verts souhaitent une réforme du système européen et un cadre renforcé des procédures d’autorisation. Ils déplorent que le système actuel puisse conduire à l’autorisation du TC 1507, alors que dix-neuf États membres, dont la France, ont voté contre (ils n’ont rassemblé que 210 voix alors que la majorité qualifiée était de 260). Pour les Verts, un État membre devrait pouvoir « décider souverainement » de ses préférences en matière de culture d’OGM, alors que la France est « obligée de faire preuve de désobéissance en interdisant le MON 810 ».
En réalité, cette situation n’est pas nouvelle et la France n’y est « obligée » que parce que ses gouvernements ont choisi avec constance de s’opposer aux décisions européennes. Autorisé pour la première fois au niveau européen en 1998, le maïs MON 810 a été banni de manière récurrente par les gouvernements de droite ou de gauche, qui ont pris des mesures d’interdiction régulièrement annulées par le Conseil d’État, faute de fondement juridique, et régulièrement reconduites jusqu’à l’annulation suivante.
Cette impasse juridique vient de ce que le danger du maïs MON 810, et des OGM en général, n’a pas été établi de manière probante. Les cultures d’OGM représentent environ un dixième du total des surfaces cultivées dans le monde et couvrent 175 millions d’hectares. Elles concernent essentiellement quatre plantes : 79 % de la production mondiale de soja, 70 % du coton, 32 % du maïs et 24 % du colza sont des variétés OGM. Or, si ces cultures ont pu avoir localement des effets tels que l’apparition d’insectes résistants aux pesticides ou de mauvaises herbes résistantes aux herbicides, elles n’ont pas provoqué de catastrophe sanitaire ou environnementale, contrairement à d’autres technologies comme le nucléaire ou la chimie. Le MON 810 est cultivé aux États-Unis depuis 1996. Des millions de tonnes de ce maïs sont récoltées et consommées chaque année, sans causer plus de nuisances qu’une culture intensive conventionnelle.
Les données scientifiques ne s’accordent donc pas avec l’image négative, sinon catastrophiste, associée aux OGM. Or, dans le système européen actuel, l’expertise scientifique joue un rôle central. Selon la jurisprudence européenne, une mesure d’interdiction ne peut être prise qu’en raison d’éléments nouveaux démontrant un risque important sur la base d’éléments scientifiques fiables. C’est en s’appuyant sur cette jurisprudence que le Conseil d’État a invalidé l’interdiction du MON 810 en août dernier, jugeant que les preuves d’un danger pour l’environnement faisaient défaut. L’arrêté cassé datait de 2012 et faisait suite à un précédent arrêté similaire et lui aussi annulé.
Répondant implicitement au Conseil d’État, le nouveau projet de loi socialiste fait référence à des publications scientifiques récentes qui démontreraient un risque important du maïs transgénique. En fait, la seule publication citée est une étude de 2013 qui montre qu’un insecte ravageur exposé au MON 810 a développé une résistance… mais cet insecte vit en Afrique du Sud et n’attaque pas le maïs en France. Plus généralement, les auteurs du projet de loi font état de « risques d’impact sur la biodiversité et sur les insectes non-cibles », sans l’étayer. Selon le biologiste Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, « aucune autorité scientifique n’a conclu pour cet OGM à un risque avéré pour la biodiversité, ni pour les insectes non-cibles » (voir son analyse ici ; on peut aussi consulter son livre OGM, la question politique, PUG).
En résumé, le texte de loi socialiste paraît motivé par des raisons politiques plus que par de nouveaux arguments scientifiques, même s’il n’est pas présenté comme tel. François Hollande avait d'ailleurs annoncé dès août dernier, juste après la décision du conseil d’État, que le moratoire serait prolongé. Il ne semble pas qu’il s’était plongé dans la littérature scientifique avant de se prononcer.
Au demeurant, ce choix politique n’a rien de nouveau, comme on l’a vu, et il n’est pas réservé à la gauche. Lors du Grenelle de l’environnement en 2007, le gouvernement Sarkozy avait aussi pris position contre les OGM. François Fillon a confirmé plus tard que cette position n’avait pas grand-chose à voir avec le souci de l’environnement : « Nous avons pris des positions très fermées via le Grenelle dans une sorte de deal de Nicolas Sarkozy avec les écologistes : le nucléaire contre les OGM », déclarait l’ancien premier ministre au journal Les Échos, le 26 juin 2013.
On ne fera pas au pouvoir actuel le procès d’intention d’un calcul similaire. Mais il semble assez clair que la mobilisation actuelle autour des OGM est essentiellement politique et ne repose pas sur de nouvelles découvertes. La position des Verts a le mérite d’assumer ce caractère politique, puisqu’ils reconnaissent sans ambiguïté qu’« aucune nouvelle donnée scientifique permettant de faire évoluer la position de l’Union européenne sur la culture des organismes génétiquement modifiés (n’a) été produite ».
Au demeurant, les Verts avancent, pour justifier le refus des OGM, des arguments qui relèvent de l’économie et de la politique plus que de la science. Ils appellent à une mutation du modèle agricole passant par des pratiques nouvelles « productives et respectueuses de l’environnement et des dynamiques humaines territoriales ». Cela s’oppose-t-il radicalement à l’usage des OGM ? Le texte des Verts le laisse entendre, sans l’affirmer de manière explicite : « La perspective de voir autoriser le recours à des modes de production potentiellement dévastateurs pour la biodiversité et les sols s’inscrivant dans une logique agro-industrielle peu pourvoyeuse d’emplois et peu valorisante pour les savoir-faire agricoles serait contradictoire » avec cette mutation.
Les Verts estiment aussi que les risques des OGM ne sont pas suffisamment connus, et réaffirment « le besoin d’évaluations scientifiques indépendantes à court, moyen et longs termes ». Selon Marcel Kuntz, 5 000 nouvelles études sur les plantes génétiquement modifiées sont publiées chaque année, et il en existe aujourd’hui environ 30 000, dont plus de 3 000 sur le seul maïs. Finira-t-on un jour d'évaluer les OGM ?
Au total, le débat français sur les OGM apparaît traversé par une contradiction majeure : d’un côté, là où ils sont utilisés, ils ne sont pas apparus plus agressifs pour l’environnement que l’agriculture intensive conventionnelle, qui reste le modèle dominant en France, et qui rencontre les mêmes problèmes de résistance aux herbicides et pesticides ; pourtant, ils font l’objet d’une opposition militante, minoritaire mais très virulente, qui a abouti à interdire leur culture sur le territoire national, à détruire les expérimentations en plein champ, et à paralyser une grande partie de la recherche publique sur le sujet.
Bien sûr, refuser une technologie, qu’il s’agisse des OGM ou d’une autre, relève d’une liberté démocratique. Mais la technique qui est à la base des plantes génétiquement modifiée, la transgenèse, est utilisée quotidiennement pour faire produire par des bactéries de l’insuline destinée aux diabétiques, ou des facteurs anti-hémophiliques ; elle est aussi à la base des essais de thérapie génique. Pourquoi, lorsqu’elle est appliquée aux plantes, devient-elle le synonyme d’une menace catastrophique ? L’enjeu du combat contre les OGM est-il concret ou symbolique ? Dix-sept ans après la première destruction d’un champ d’OGM, il serait temps de trouver la réponse.
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