C’est une « jolie maison » située au centre-ville de Tarbes, dotée de « très belles prestations » sur « 200 m2 habitables ». En 2012, quand la compagne du maire l’a revendue à plus de 400 000 euros, quelques années après l’avoir achetée à la ville pour une bouchée de pain, la petite annonce stipulait : « Curieux s’abstenir. » La justice est passée outre. Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « prise illégale d’intérêts et recel », une juge d’instruction de Pau décortique depuis septembre cette drôle d’affaire immobilière, en même temps qu’elle épluche une série d’opérations signées ces dernières années par le maire de Tarbes, l’ancien député Gérard Trémège. En cause : des ventes de parcelles municipales qui auraient profité à plusieurs de ses proches.
Candidat à sa réélection en mars, Gérard Trémège, également président du groupe UMP au conseil régional de Midi-Pyrénées et président de la communauté d’agglomération du Grand Tarbes, dénonce une « machination politique » ourdie par ses adversaires socialistes, notamment l’ancien ministre Jean Glavany. « Les Tarbais ont compris que cette enquête tombée du ciel vient d’en haut, a lancé Gérard Trémège lundi 17 février, lors de son dernier conseil municipal. Quand on ne peut pas battre un homme, on essaye de l’abattre ! » Ces jours-ci, en tout cas, les gendarmes de Toulouse, saisis du dossier, ont entendu plusieurs fonctionnaires du service urbanisme de la ville, après avoir perquisitionné la mairie.
D’après nos informations, le premier édile de Tarbes, dirigeant jusqu’en janvier 2010 d’une grosse entreprise d’expertise-comptable (la Sofec), ancien président des chambres de commerce et d’industrie françaises, s’est vu par ailleurs signifier en 2012 un redressement fiscal d’ampleur. « Qu’est-ce que cela a à voir avec mes fonctions électives ? s’insurge Gérard Trémège, quand on l’interroge sur le sujet. C’est une affaire privée ! »
Mais pourquoi ses administrés devraient-ils l’ignorer ? Après avoir revendu ses actions de la Sofec début 2010 à un prix dépassant les 3,3 millions d’euros, l’entrepreneur a gonflé, dans sa déclaration au fisc, le prix auquel il avait acquis ses actions au départ, minorant ainsi sa plus-value. Et par là-même, le montant de ses contributions sociales. Le fisc ne l’a pas laissé passer. Le 17 juillet 2012, c’est donc un chèque de 446 607 euros (dont une pénalité d'environ 130 000 euros) que le maire de Tarbes a dû signer à l’ordre du Trésor public.
Dans un document consulté par Mediapart, l’administration fiscale a pointé « l’importance des droits fraudés en matière de contributions sociales » et jugé la déclaration de l’élu « délibérément minorée ». « En ses qualités d’expert-comptable et de commissaire aux comptes, M. Trémège ne pouvait ignorer (…) les règles applicables en la matière », soulignait l’agent chargé du dossier.
Alors Gérard Trémège a-t-il pris, en tant que maire de Tarbes, d’autres "libertés" avec les règles, notamment en matière d’urbanisme ? Les gendarmes s’interrogent sur une ribambelle de cessions de parcelles opérées par la ville depuis le milieu des années 2000, notamment celles vendues aux sociétés d’Isabelle Bonis (la compagne de Gérard Trémège), de son fils, voire de son arrière-petit-cousin.
La première opération remonte à mars 2005. Par une délibération en conseil municipal, Gérard Trémège fait voter la vente d’une vieille bâtisse, propriété de la ville, à une SCI (société civile immobilière) baptisée L’Amandier, pour 15 000 euros seulement, soit deux fois moins que la valeur arrêtée par le service des Domaines. L’opposition regrette qu’on « brade ce bien municipal » mais ne tique pas sur le bénéficiaire. Et pour cause : le texte soumis au vote ce jour-là précise simplement qu’il s’agit d’une SCI « en cours de constitution ».
En réalité, d’après des documents récupérés par les enquêteurs, cette SCI est déjà constituée et appartient à Isabelle Bonis, sa compagne depuis plus d'un an, à hauteur de 50 %. Le maire le sait parfaitement. Dix jours avant le conseil municipal, les actes de création de la société ont d’ailleurs été déposés au tribunal de commerce par la Sofec, la société d’expertise-comptable de Gérard Trémège. Huit mois plus tard, c’est encore lui qui signe l’acte de vente définitif, comme représentant de la collectivité.
Isabelle Bonis, architecte, se lance alors dans la rénovation du bâtiment, avec une simple « déclaration de travaux ». D’après une source proche du dossier, l’agent qui instruit son dossier à la mairie juge pourtant que l’ampleur des modifications prévues nécessite la délivrance d’un permis de construire en bonne et due forme. Bizarrement, le service urbanisme ne réclame rien de tel à la compagne du maire – lequel visite régulièrement les lieux.
Pour comprendre si une faveur a été accordée, les gendarmes ont placé le responsable du service urbanisme en garde à vue le 12 février dernier. D’autant que les plans fournis lors de sa « déclaration de travaux » par Isabelle Bonis, pour décrire son futur aménagement de façade, semblent bien éloignés de la réalité finale (voir les documents ci-dessous).
« Je n’ai pas su qu’un fonctionnaire de la ville estimait un permis de construire nécessaire, réagit Isabelle Bonis, sollicitée par Mediapart. En tant qu’architecte, je ne vois pas pourquoi, il n’y avait pas d’augmentation de la surface habitable... » D'autres critères existent, cependant.
Surtout, les enquêteurs se penchent sur les factures de l’entreprise sollicitée pour les travaux, Gallego, bien connue pour contracter avec la mairie. Ils soupçonnent que des ristournes aient pu être accordées à Isabelle Bonis, alors salariée de la Semi-Tarbes, la société d’économie mixte financée par la ville pour construire du logement social – la compagne du maire en a pris la direction depuis. « Tout ceci est d'ordre privé, nous déclare l'intéressée. J’apporterai mes réponses au juge ou aux gendarmes. » En 2012, Isabelle Bonis a en tout cas réalisé une sacrée plus-value en revendant sa maison aux alentours de 450 000 euros.
Au gré de leurs investigations, les gendarmes se sont par ailleurs arrêtés sur d'autres opérations étonnantes, dont la vente d’une parcelle située dans le quartier de l’Arsenal, actée en juin 2010 sur délibération du conseil municipal. « La SARL le Flamingo souhaite (…) y installer une station de lavage », est-il alors indiqué aux élus. Fixé à 44 400 euros, le prix n’est pas inférieur à l’estimation des Domaines. Mais là encore, l’identité des deux associés du Flamingo n’est pas précisée : il s’agit de Benjamin Trémège, « fils de », et de Laurent Teixeira, conseiller municipal. « Celui-ci s’est abstenu lors du vote ! » nous fait savoir Gérard Trémège, tout en refusant de répondre à nos « questions manifestement orientées, extrapolées ». « Je répondrai devant le juge, quand le moment sera venu », balaye-t-il.
En juin 2011, enfin, la ville cède l'un de ses bâtiments du quartier de l’Arsenal à une SCI baptisée L’Hostellerie, qui « envisage » d'y relocaliser son restaurant, d'après la délibération présentée aux élus. Le co-gérant ? Un certain Ludovic Trémège. Aucun restaurant n’a été installé depuis, mais le 17 février dernier, lors de l’ultime conseil municipal, cette zone d'activité commerciale aurait été requalifiée en zone immédiatement habitable, d'après des élus d'opposition. Bien plus profitable.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN