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Tentative de putsch chez Veolia, saison 3

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Cela a commencé par une rumeur dans le petit monde parisien des affaires, comme d’habitude : les jours d’Antoine Frérot, P-DG de Veolia, seraient comptés, répétait-on d’un air de conspirateur. « Cela fait une dizaine de jours que le bruit circule. Son départ a l’air d’être considéré comme acquis, tout comme celui de Luc Oursel chez Areva d’ailleurs », commente un des habitués du microcosme parisien. Jeudi, Le Point rendait publique la rumeur, en révélant le projet d’évincer le P-DG de Veolia pour le remplacer par David Azéma, qui dirige aujourd’hui l’agence des participations de l’État (APE).

C’est presque une question d’habitude pour Veolia. Depuis qu’Antoine Frérot, numéro deux d’Henri Proglio pendant plus de dix ans, lui a succédé à la tête du groupe de services aux collectivités locales, quand ce dernier a pris la direction d’EDF, il fait régulièrement l’objet d’un procès en illégitimité. Ne faisant pas vraiment partie du club, il n’a pas, de l’avis du petit monde du CAC 40, la stature pour diriger un groupe dont l’influence fait fantasmer le monde des affaires et politique depuis que son dirigeant historique, Guy Dejounay, l’a érigé en puissance tutélaire et mystérieuse.

© Reuters

Son ancien président, Henri Proglio, a lui-même intenté le procès d’Antoine Frérot lorsque celui-ci, héritant d’un groupe croulant sous les dettes, a commencé à remettre en cause la stratégie passée. Les deux amis d’hier sont alors devenus les pires ennemis. Le P-DG d’EDF a tenté de le débarquer par un putsch éclair, en faisant nommer à sa place l’ancien ministre de l’environnement, Jean-Louis Borloo. Échec (lire notre article : « Alain Minc m’a tué »). Par la suite, des discussions sur un éventuel rapprochement entre Suez environnement et Veolia ont fuité dans la presse. Le président de Veolia y a vu une nouvelle tentative de déstabilisation de son prédécesseur (lire À Veolia, la guerre Frérot-Proglio repart de plus belle).

Cette fois, de l’avis des connaisseurs du dossier qui ont été interrogés, ce n’est pas lui qui est à la manœuvre même si, en coulisses, il a pu donner quelque avis. « Il a essayé de renverser Antoine Frérot, il n’y est pas parvenu. Depuis, il a décidé de se tenir à l’écart, même s’il n’en pense pas moins », dit un de ces connaisseurs du dossier. « Henri Proglio veut obtenir son renouvellement à la présidence d’EDF en octobre. Il sait que s’il se mêle à nouveau des affaires de son ancien groupe, cela ne peut que lui être défavorable », explique un de ses proches.

Mais la famille Dassault a pris le relais et est passée à l’attaque. Troisième saison de tentative de putsch chez Veolia. Entrée au capital de Veolia en 2008 à l’invitation d’Henri Proglio, elle est devenue l'un des premiers actionnaires du groupe avec 6,3 % du capital. La famille, cependant, n’est pas contente de son investissement : la valeur de sa participation – de 600 millions d’euros environ – a fondu comme neige au soleil : le cours de Veolia était à 22 euros quand la famille Dassault est entrée, il n’est plus qu’à 12. Même si elle a reçu, chaque année, entre 25 et 35 millions de dividendes, le compte n’y est pas du tout pour elle. 

S’il y a une chose que la famille Dassault déteste, c’est perdre de l’argent. Mais elle ne plaisante plus du tout quand il s’agit de l’argent de la famille. Car la participation dans Veolia est portée directement par le groupe industriel Marcel Dassault (GIMD), la holding familiale de tête qui contrôle l’empire. Déçue, elle voudrait bien maintenant sortir de Veolia. Mais à une condition : ne pas perdre d’argent, voire en gagner si possible. Ce qui pourrait prendre encore du temps. Et la famille, alors que Serge Dassault vieillit, que les difficultés judiciaires s’accumulent autour de lui, sans parler d’une succession qui n’est toujours pas réglée, est pressée. Elle a donc décidé de prendre les choses en main.

Même si la famille Dassault n’est qu’un actionnaire minoritaire chez Veolia, elle se considère un peu comme propriétaire en titre, comme à chaque fois où elle siège dans un conseil. Comme elle l’a fait chez Thalès, où elle a imposé par deux fois un nouveau dirigeant, elle pense qu’un nouveau président, plus attentif à ses intérêts et à ses vues, serait le bienvenu.

D’autant qu’une occasion rêvée se présente, qui peut permettre un changement naturel : le mandat d’Antoine Frérot arrive à expiration lors de la prochaine assemblée générale du groupe en avril. Un conseil d’administration est prévu le 12 mars sur la gouvernance du groupe. À cette date, les administrateurs doivent se prononcer sur le renouvellement ou non d’Antoine Frérot, ou sur le nom d’un autre candidat à présenter lors de l’assemblée générale. Il serait dommage de rater une telle occasion.

Selon nos informations, la famille Dassault a passé plusieurs semaines à consulter amis et proches pour trouver le candidat idéal. Ils ont finalement jeté leur dévolu sur David Azéma. À plusieurs occasions, notamment lors de la deuxième succession chez Thales justement et lors de la renégociation du pacte d’actionnaire chez EADS – Dassault était indirectement partie prenante puisque EADS détient 48 % du groupe, en place de l’État français –, ils ont pu apprécier les qualités du dirigeant de l’APE. Il n’a rien fait qui puisse les gêner. Au contraire, il a veillé à ce que l’État continue à se porter garant de la stabilité du groupe Dassault.

L’ancien directeur financier de la SNCF, nommé à ce poste par la gauche dès l’élection présidentielle, fait de toute façon l’unanimité chez les patrons. Tous félicitent ce haut fonctionnaire pour son pragmatisme et sa compréhension du monde des affaires. « Il comprend les problèmes. Il sait parler au marché », disent-ils. Ce qui dans la bouche des dirigeants n’est pas un mince compliment, bien que sa fonction première, en tant que représentant de l’État actionnaire, ne soit peut-être pas de savoir parler au marché.

Le choix de David Azéma est aussi présenté comme une politesse faite au gouvernement de gauche par la famille Dassault. « Alors qu’il n’y a plus beaucoup de postes disponibles. À part la RATP, car Pierre Mongin ne va pas être reconduit, il ne reste quasiment rien. Choisir un haut fonctionnaire, marqué à gauche, est une façon d’envoyer un signal amical à l’Élysée », explique un connaisseur du dossier. Mais qu’aurait donc de plus à demander la famille Dassault, elle qui vit en concubinage notoire avec l’État depuis des décennies ? Une clémence judiciaire alors que le dossier de Corbeil-Essonnes devient de plus en plus explosif pour Serge ? (Voir notre dossier : le scandale Dassault.)

Courant janvier, David Azéma a été approché pour se voir proposer le poste de P-DG de Veolia en remplacement d’Antoine Frérot. Après avoir refusé, il aurait finalement accepté il y a une dizaine de jours, selon nos informations. La présidence de Veolia ne se refuse pas. Nous avons tenté de vérifier ces informations auprès de lui. Il n’a pas répondu.

Selon nos informations, l’Élysée aurait aussi été informée du possible départ du président de l’APE et n’aurait pas fait d’objection à ce qu’un membre de son équipe parte aussi rapidement. Interrogé, Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui est présenté comme celui qui aurait supervisé cette affaire, répond : « L’Élysée n’a pas à donner de feu vert sur ce sujet. L’État n’est pas actionnaire de Veolia. »

Le fait qu’un haut fonctionnaire navigue entre public et privé ne semble poser de problème à personne : le pantouflage fait désormais partie des usages bien établis de notre oligarchie républicaine. La commission de déontologie, selon les défenseurs de sa candidature, ne devrait mettre aucune objection à ce départ de Veolia. David Azéma n’a jamais eu à traiter un dossier concernant l’entreprise privée.

Charles Edelstenne et Serge Dassault Charles Edelstenne et Serge Dassault © Reuters

Pourtant, en dépit des assurances des uns et des autres, la situation est un peu plus complexe. David Azéma siège au conseil d’administration d’EDF en tant que représentant de l’État. À ce titre, il a eu à se prononcer sur le partage de Dalkia, la société commune entre EDF et Veolia dans la gestion de l’énergie. À l’issue de négociations compliquées, les deux groupes ont entériné leur divorce : EDF a récupéré les activités de la société en France, Veolia celles à l’international. De même, difficile de croire qu’il ait été complètement exclu des dossiers de la SNCM (transports maritimes entre la Corse et le continent), dont Veolia est actionnaire ou de Transdev, la filiale commune de transports entre le groupe privé et la Caisse des dépôts. Sans parler de la gestion des participations conjointes entre l’État et la famille Dassault dans l’industrie de défense.

Mais tout cela n'est que broutilles, à entendre les uns et les autres. Il n’y a que les suspicieux qui voient des conflits d’intérêts partout.

Dès l’accord de David Azéma, les administrateurs représentant la famille Dassault – Thierry Dassault et surtout Olivier Costa de Beauregard – se sont mis en action pour fomenter leur coup d’État au sein du conseil. Mais cela s’est fait de façon si voyante et si bruyante que tout Paris l’a su. Comme le raconte Le Point, un déjeuner, censé être secret, a été organisé avec certains membres du conseil dans un grand restaurant parisien. Des démarches ont aussi été entreprises auprès des administrateurs les plus influents afin de les convaincre de débarquer Antoine Frérot et du bien-fondé de la candidature de David Azéma.

« C’est un conseil qui ne ressemble à rien, tiraillé entre diverses parties. Chacun a son agenda, son candidat », résume un grand connaisseur du dossier, pour expliquer les querelles et les tentatives de débarquement à répétition de son président. « L’ennui pour ceux qui veulent renvoyer Antoine Frérot – et ils ne semblent pas être la majorité –, est qu’ils ne savent pas comment justifier ce débarquement. Antoine Frérot a rempli tous les objectifs que le conseil lui avait fixés », poursuit-il.

En moins de trois ans, Veolia a divisé par deux son endettement pour le ramener autour de 8 milliards d'euros. Il a abandonné des métiers comme le transport, cédant progressivement sa participation dans Transdev à la Caisse des dépôts. Dans les autres activités, Antoine Frérot a mis un terme à la vieille culture du groupe, cultivant l’expansion tous azimuts et les baronnies locales. Conscient que la rente de l’eau est en voie d’épuisement, il a imposé un nouvel modèle économique : le groupe s’internationalise et vise désormais les marchés de services à l’environnement (eau, gestion des déchets, gestion énergétique) auprès de grands groupes industriels. Avec un certain succès. Veolia vient de remporter plusieurs grands contrats auprès de Shell ou Novartis. C’est exactement ce que le conseil réclamait.

Tout ceci ne se fait pas sans heurt, ni sans sacrifice. Pour la première fois de son histoire, Veolia a réduit son expansion en France, réduit ses coûts et supprimé des effectifs. Un plan social de 1 600 personnes, dont 700 départs volontaires et départs naturels, a été imposé à la filiale eau française. Un choc. En décembre, l’intersyndicale du groupe (CFDT, CFE-CGC, CGT et FO) a violemment contesté la gestion du groupe. « Sachez qu'il nous faudra bien plus que des mots, mais bien des éléments économiques chiffrés, étayés et vérifiables, pour nous démontrer que l'entreprise est contrainte d'en passer par là pour garantir sa pérennité », avaient-ils écrit dans une déclaration commune. Ils demandaient à la direction de privilégier la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois « avant d’envisager tout licenciement », avant de réclamer la démission d’Antoine Frérot.

Aujourd’hui, les administrateurs représentant la famille Dassault s’appuient sur cette contestation sociale pour justifier le remplacement d’Antoine Frérot. « Si les salariés savaient ce que demandait Serge Dassault ! Il réclamait 4 000 suppressions d’emplois en France. "Moi, je supprime 10 % des effectifs au Figaro chaque année, Veolia peut bien en faire autant", expliquait-il », selon un membre du conseil.

De même, les partisans du remplacement d’Antoine Frérot mettent en avant sa gestion du dossier SNCM, la société qui assure la liaison entre la Corse et le continent. Matignon, expliquent-ils, n’aurait pas apprécié les rapports orageux avec le patron de Veolia dans la gestion du dossier. Et ce serait lui qui aurait demandé son remplacement. Matignon a démenti toute intervention dans Veolia. « Antoine Frérot a hérité d’un dossier pourri. Henri Proglio n’aurait jamais dû répondre à la demande de Dominique de Villepin (alors premier ministre) et engager Veolia dans cette aventure. Maintenant, il essaie de s’en sortir le moins mal possible. Mais si l'on avait écouté les représentants de Dassault, Veolia déposait le bilan de la SNCM en juin brutalement, sans mesure d’accompagnement. Vous imaginez le désastre », poursuit cet administrateur.

Au bout du compte, si les représentants de Dassault ont un reproche à faire à Antoine Frérot, c’est de ne pas aller assez vite, assez fort dans la restructuration du groupe. Des économies partout, des plans sociaux importants sont des signaux appréciés en Bourse. Cela fait remonter le cours.

À cela s’ajoute un autre grief, plus difficile à exprimer à haute voix : certains administrateurs critiquent la gestion des relations avec les collectivités locales de la nouvelle direction. Veolia n’aurait plus la même intimité, le même rapport d’influence avec les maires. Antoine Frérot ne saurait pas y faire avec les élus, expliquent-ils à voix basse. Bref, Veolia serait en train de changer d’ADN et de se dépolitiser. Il y a encore du chemin à faire dans ce sens (voir Marseille : les 350 millions de cadeau de Gaudin à Veolia). Mais ils y voient un grand risque pour le groupe de perdre de sa valeur et de son influence.

La nomination de David Azéma permettrait de rattraper cette dérive. Lui sait ce que sont les relations avec les collectivités locales : il a été dirigeant de la SNCF. Il connaît le monde politique. Ainsi, tout pourrait redevenir comme au bon vieux temps.

BOITE NOIRELe monde des affaires, guère courageux, fait un usage abusif du "off". Une fois de plus, tous les témoignages que nous avons pu obtenir l'ont été sous la stricte condition de l'anonymat. Nous regrettons, une nouvelle fois, cette pratique.

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