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L'éducation prioritaire manifeste contre une baisse de moyens

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Un mois seulement après la présentation d’un grand plan de refondation de l’éducation prioritaire, des dizaines d’établissements d’Ile-de-France ont répondu à l’appel à la grève ce jeudi 13 novembre. « ZEP’ plus de moyens ! » ont scandé, bravant le vent et la grêle, des enseignants, accompagnés de quelques centaines d’élèves, sous les fenêtres du ministère. Pour sensibiliser les passants à leur cause, certains avaient choisi de multiplier les happening – cours en caleçon rue de Grenelle ou lavage de vitres pour récupérer « des sous pour nos élèves », à l'instar de ce collectif des profs en slip que nous avons rencontré.

Début janvier, le « plan Peillon » avait pourtant été quasi unanimement salué par les organisations syndicales. Il prévoit, dans le noyau dur de l’éducation prioritaire, des mesures pour améliorer le suivi des élèves mais aussi les conditions de travail, souvent très dégradées, des enseignants. Un plan qui, selon le ministère devrait coûter entre 300 et 400  millions d’euros, une somme obtenue par redéploiement au sein du budget de l’éducation nationale.

Et c’est précisément là que le bât blesse. À la rentrée prochaine, seule une centaine d’établissements, rebaptisés REP+, bénéficieront de ces mesures. Soit un tiers seulement de ceux déjà classés parmi les plus prioritaires de l’éducation prioritaire. En Seine-Saint-Denis, seuls six collèges ont été élus, laissant à tous les autres une grande amertume. La hausse démographique et les difficultés de recrutement dans le département n'arrangent rien. Dans certaines académies, comme les Hauts-de-Seine, les moyens dégagés pour ces zones d'éducation prioritaire (ZEP) améliorées l’ont été en retirant des heures à d’autres établissements de l’éducation prioritaire. Un contresens, comme l’expliquent les enseignants que nous avons interrogés. Dans 27 établissements sur 31 du département classés prioritaires, les moyens sont en baisse, un « coup de bambou », accuse David, prof de mathématiques à Colombes.

 

Le sociologue Choukri Ben Ayed, fin connaisseur de l'éducation prioritaire, décrypte pour Mediapart les raisons de cette désillusion.

Comment expliquer la fronde des enseignants de l’éducation prioritaire en Île-de-France, au moment où, précisément, Vincent Peillon annonce un « plan ambitieux » de relance de l’éducation prioritaire ?

Cette « fronde », ou contestation, est la conséquence d’une prise de conscience, déjà ancienne, d’un décalage considérable entre les professions de foi politiques sur l’éducation prioritaire et les réalités de terrain. En dépit du credo de « donner plus à ceux qui ont moins », l’école française continue à donner nettement plus à ceux qui ont plus et toujours moins à ceux qui ont moins. Cette réalité est pointée non seulement par les acteurs locaux, les recherches, mais aussi par les rapports officiels. Tous pointent le fossé entre les territoires et les écoles « riches » et ceux et celles les plus paupérisés. Le soi-disant « égalitarisme républicain » implose sous le poids des inégalités et des fragmentations scolaires qui s’aggravent inexorablement. Les annonces de la « refondation de l’éducation prioritaire », si elles semblent prendre en compte certains constats, arrivent fort tardivement, c’est-à-dire après des décennies d’absence de soutien, de pilotage efficace, voire de mépris – la fameuse expression de Nicolas Sarkozy : « Il faut déposer le bilan de l’éducation prioritaire. » Elles sont du reste floues quant au nombre d’établissements qui seront concernés et à l’ampleur des investissements réels. Beaucoup craignent donc une réduction de la voilure, dans un contexte où l’éducation prioritaire est déjà le parent pauvre de l’éducation nationale.

N’a-t-on pas fait, une fois de plus, l’économie du bilan de cette politique d’éducation prioritaire ?

Les bilans, les recherches, les rapports sur l’éducation prioritaire ne manquent pas, les constats ont été tirés, ce qu’il manque à présent ce sont des actes politiques et institutionnels forts. Si l’on dit que l’éducation prioritaire relève d’une forme de discrimination positive, il faudrait que ceci soit visible dans les règles de droit et dans les opérations de dotations financières. Si, par ce biais, les pouvoirs publics rétablissaient au moins une égalité de droit devant l’école, les écarts béants de conditions de scolarisation pourraient être considérablement réduits de fait.

Quels sont les angles morts de cette politique ? Les leviers jamais actionnés ?

Celui-ci précisément. Pourquoi a-t-il fallu attendre la publication d’un rapport de la Cour des comptes – qui reste toujours difficile d’accès–, en 2012 pour savoir enfin le « coût » d’un élève en éducation prioritaire ? Moins élevé qu’ailleurs et nettement moins que dans les quartiers « riches ». Pourquoi l’éducation nationale ne s’est-elle pas elle-même dotée d’une comptabilité de même nature et depuis longtemps pour établir ces constats et les rendre publics ? Je prône dès à présent la généralisation de ce type de comptabilité prenant réellement en compte les propriétés des élèves et des territoires, permettant de constituer ainsi des clés de répartition indexées sur les besoins réels et criants de nombreux espaces scolaires. Il ne suffit pas de dire « nous donnons 350 millions d’euros à l’éducation prioritaire », ce qu’il faut nous dire c’est : « Nous réduisons le différentiel de coût d’un élève en éducation prioritaire et hors éducation prioritaire », ou plus exactement, entre écoles et territoires les plus « riches » et les plus pauvres (au-delà même des découpages de l’éducation prioritaire).

On pointe souvent un échec de l'éducation prioritaire, ne fallait-il pas revoir bien plus en profondeur ses cadres, son périmètre ?

Le débat sur l’échec de l’éducation prioritaire est complexe, les recherches sur ce point sont nuancées. Elles montrent d’une part qu’il y a de très fortes variations entre les ZEP, d’autre part que certaines ZEP peuvent connaître des résultats variables dans le temps. Enfin, le constat le plus largement partagé est que l’existence des ZEP aurait permis d’éviter que ne s’aggravent les inégalités scolaires, les plus graves. Autant dire que, compte tenu de la complexité de la situation, il faut se garder de toute généralisation abusive, de tout jugement définitif et de jeter l’opprobre sur l’ensemble du dispositif ZEP et singulièrement sur les personnels qui y sont fortement impliqués.

En réalité, il faudrait sortir de cette opposition ZEP, non-ZEP ; c’est l’ensemble du système éducatif qui est marqué par des inégalités scolaires massives. Lutter contre les inégalités suppose donc des politiques éducatives d’ampleur. L’action par les territoires ZEP est un moindre mal et est bien évidemment insuffisant.

L’idéal serait que les territoires ZEP en sortent à terme, non pas par le biais d’une des modifications des catégorisations gestionnaires, mais par une élévation réelle des résultats scolaires en leur sein. Pour ce faire, la condition minimale d’action est celle d’une élévation très significative des dotations au sein de ces territoires pour mettre rapidement en conformité les actes en conformité avec les discours.

 

Lire aussi le blog Educateurs prioritaires qui fait le point sur la mobilisation.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN


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