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Marchés truqués en Essonne: Xavier Dugoin, un revenant aux affaires

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« Je n’ai pas trahi mes amis devant les juges… Je sais beaucoup de choses, j’ai vu beaucoup de choses », avertissait en 2004 l’ancien président RPR du conseil général de l’Essonne Xavier Dugoin, dans le Parisien. Quatre fois condamné pour des malversations, puis tombé avec son fils Jean-Philippe pour le vol de la cave à vins du conseil général, l’élu qui en savait « beaucoup » a repris la mairie de Mennecy en mars 2008. Dans la foulée, il s'est emparé de la présidence d’un puissant syndicat intercommunal d’assainissement, le SIARCE, regroupant 33 communes du département.

Ce syndicat vit désormais sous la menace de l’ouverture d’une enquête après le départ d’au moins cinq responsables administratifs en deux ans, et la dénonciation de pressions et d’irrégularités dans la gestion des marchés publics. Selon des pièces obtenues par Mediapart, plusieurs appels d’offres y ont été falsifiés début 2013. Des témoignages signalent le grand intérêt que Xavier Dugoin porte aux marchés et « une liste d’opérations à réaliser ainsi que d'entreprises » qu’il consulte sans retenue devant ses visiteurs.

Les travaux restent sa priorité. En 2011, dans la perspective des sénatoriales – qu’il a perdues –, il a rendu son mandat de maire, laissant son fils Jean-Philippe lui succéder. Mais il a conservé un poste d’adjoint chargé des « travaux d’infrastructures et de super structures ». Le père et le fils ont rejoint l'UDI et ils se représentent en mars sous cette étiquette. Le vice-président de l'UDI, Yves Jégo, qui a été le collaborateur de Xavier Dugoin dans les années 1980, a désormais sous ses ordres Jean-Philippe Dugoin, directeur général des services de la mairie de Montereau.

Le jour du passage de relais entre Xavier Dugoin (à gauche) et son fils Jean-Philippe (prenant la parole)Le jour du passage de relais entre Xavier Dugoin (à gauche) et son fils Jean-Philippe (prenant la parole) © Dr

Sous l'impulsion de Xavier Dugoin, Mennecy a transféré toutes les compétences possibles au SIARCE qu’il préside, et le syndicat est chargé désormais de tous les travaux de réseaux sur la ville. Les architectes, qui opèrent dans la construction de certains ouvrages publics comme dans les opérations immobilières privées de Mennecy, se trouvent être ceux qui accompagnaient Xavier Dugoin à la grande époque des affaires du conseil général.

Michel Dupuis, ancien architecte du département et ancien membre du conseil national du RPR, condamné pour contrefaçon dans les années 1990, a ainsi signé tous les plans du promoteur France Pierre sur la commune : au total 387 logements aux abords de la gare de Mennecy. Omniprésent en Essonne, le patron de France Pierre, Antonio de Sousa, fait l’objet d’investigations de la police judicaire de Versailles pour les relations de proximité qu'il a nouées avec certains élus, notamment le maire de Vigneux. L’architecte Jacques Gering, autre vieil ami du département, a été retenu pour la rénovation d’un groupe scolaire – des Myrtilles – par un jury composé de… Michel Dupuis et Dominique Vayne, un troisième architecte ayant œuvré pour le conseil général.

Jean-Philippe Dugoin et Antonio de Sousa posent la première pierre d'un immeuble de Mennecy, sous l'oeil de Xavier DugoinJean-Philippe Dugoin et Antonio de Sousa posent la première pierre d'un immeuble de Mennecy, sous l'oeil de Xavier Dugoin © DR

Un réseau s'est reconstitué, ou bien maintenu, autour de Dugoin malgré ses ennuis judiciaires. À la mairie de Mennecy puis au SIARCE, il ainsi fait intervenir son ancien directeur général des services (DGS) au conseil général, Michel Vialatte. Devenu DGS de Nice, ce dernier a été condamné à cinq ans de prison, dont 18 mois avec sursis, dans l’affaire des marchés truqués de la ville de Nice aux côtés d’un patron de bureau d’études essonnien – qui l'accusait d'avoir réclamé 500 000 euros. L'ancien DGS, très proche d'Yves Jégo qui lui avait rendu visite à la prison de Nice, est resté un inconditionnel de Dugoin. En avril 2013, son cabinet, Arcet cotation, a ainsi attribué la note A++ à la société des eaux de l’Essonne (filiale de la Lyonnaise des eaux) pour sa gestion du système d’assainissement du SIARCE, en présence de Xavier Dugoin.

Les pièces obtenues par Mediapart sur les marchés truqués du SIARCE sont imparables.

Le 21 février 2013, trois entreprises remettent leurs offres de fourniture de véhicules citadins en location longue durée au SIARCE. Selon les récépissés de dépôt en notre possession, l’une remet son offre à 10h05, la seconde à 12h04, et la troisième à 17h45. L’heure limite de dépôt des dossiers ayant été fixée à 12 heures, quelle offre a bien pu être retenue par le SIARCE ? Eh bien celle de 17h45 ! SAML, filiale du groupe de BTP Fayat, obtient le marché alors qu’elle a remis son offre hors délais. Mais le rapport d’analyse peut difficilement mettre noir sur blanc cette irrégularité manifeste : le directeur général du SIARCE indique donc que les « 3 plis ont été remis dans les délais », et il commet en plus un faux en écriture publique au mois d’avril. Le tout est validé par Xavier Dugoin lui-même par l’attribution du marché en juin 2013.

Autre exemple, tout aussi documenté, l’attribution du marché de rénovation d’un réseau d’assainissement à Corbeil-Essonnes, rue de la Montagne des Glaises. La première analyse des offres ne donne pas le résultat escompté : une erreur matérielle a été mystérieusement recopiée par les entreprises. Consultée, la cellule des marchés publics du ministère des finances recommande le rejet de tous les candidats sauf un, l’entreprise Grands travaux de l’Orge (GTO). Le service des marchés en prend acte dans un rapport d’analyse des offres du 15 février 2013 et, suivant les recommandations du ministère, donne l'entreprise GTO pour gagnante.

Mais dix jours plus tard, le 26 février, un nouveau rapport est rédigé, et c’est l’entreprise Alpha TP qui l’emporte. Entre-temps, le SIARCE a demandé aux entreprises de modifier leurs bordereaux de prix. Et un cadre s’est chargé, en toute illégalité, de mettre ces nouveaux documents dans les plis déjà reçus.

Le siège du SIARCE à Corbeil- Essonne.Le siège du SIARCE à Corbeil- Essonne. © DR

Questionné par Mediapart, Xavier Dugoin répond simplement que les procédures en question ont été « validées par les services du contrôle de légalité », c'est-à-dire qu'elles ont fait l’objet d’un dépôt en préfecture.

À Mennecy comme au SIARCE, les entreprises attributaires sont aussi priées de contribuer financièrement aux projets des Dugoin. Chacun sa marotte. Xavier demande des contributions sur les chantiers citoyens. Jean-Philippe, lui, personnellement passionné de musique Metal – comme Les Inrocks l'ont souligné ici –, a demandé aux entreprises de financer son Mennecy Metal Fest : les Grands travaux de l'Orge, l'Urbaine de travaux, le promoteur France Pierre et le cabinet d'architecte Dupuis ont signé sans barguigner des conventions de mécénat. Le risque juridique d'une mise en cause pour concussion a éte évoqué par l'administration du SIARCE.

Jean-Philippe Dugoin et son père lors de la livraison des premiers immeubles France PierreJean-Philippe Dugoin et son père lors de la livraison des premiers immeubles France Pierre © DR

Interrogé en 2004 sur l’affaire des emplois fictifs du conseil général de l’Essonne, Xavier Dugoin répondait qu’on ne l’y reprendrait pas. Son nom reste associé à celui de Xavière Tiberi qu'il avait rémunérée pour un faux rapport sur la francophonie. « On m’avait demandé d’embaucher ces gens. Je l’ai fait. (…) Si c’était à refaire, une chose est sûre, je n’aurais plus de “cabinet”, ou il serait constitué différemment. »

À la mairie de Mennecy pourtant, Xavier Dugoin s’est empressé d’embaucher sa compagne dans son cabinet. Et au SIARCE, de faire recruter sa fille, Marie-Christine. Cette dernière embauche hors cabinet a fait l’objet de vérifications du parquet.

Xavier Dugoin ne pouvait embaucher sa fille en qualité d’agent sans risquer des poursuites pour « prise illégale d’intérêt ». Le poste n’avait pas fait l’objet d’une ouverture de candidature, la rétribution était élevée et les compétences de l’agent discutables. Marie-Christine Dugoin-Clément a finalement quitté ses fonctions avant que des poursuites ne soient engagées. Parallèlement, une enquête est ouverte sur l'usage personnel, et irrégulier, des voitures de service par les dirigeants, ce qui a contraint le président du SIARCE et son directeur général à renoncer à leurs véhicules. 

L'augmentation du nombre de vice-présidents, porté à dix-neuf élus, a aussi été pointée du doigt. Une décision prise à l'initiative de Xavier Dugoin. « C'était exhorbitant, et l'on peut dire que l'attribution de délégations à ces vice-présidents, ce qui leur octroyait des indemnités, à l'approche des sénatoriales, s'apparentait à des achats de voix de grands électeurs », estime une cadre qui a quitté le syndicat.

Des élus de Mennecy et de Corbeil sont également recrutés. Jean Féret, adjoint au maire à Mennecy, obtient opportunément une mission « ponctuelle » au SIARCE, très contestée par les cadres, qui soulignent en outre l’incompatibilité juridique pour un élu d’être l’agent d’une collectivité dont il dépend – en l’occurrence le syndicat intercommunal. L’embauche de Sylvain Dantu, adjoint au maire de Corbeil, moins contestée techniquement, n’en reste pas moins un geste politique.

L'affiche de campagne de Xavier Dugoin en 2009 à CorbeilL'affiche de campagne de Xavier Dugoin en 2009 à Corbeil © DR

Récemment, l’ancien président du conseil général est d'ailleurs devenu involontairement témoin dans l’affaire des achats de voix à Corbeil, ville où le SIARCE a son siège social. Dans un film diffusé sur Canal +, visiblement piégé par un vidéaste amateur, Dugoin parle sans détours de Serge Dassault : « C’est un voyou en cravate, c’est tout, décrète-t-il. C’est un puits sans fond, quoi. C’est un merdier. C’est complètement pourri. (…) Il peut foutre 8, 10, 12 millions dans la campagne électorale, et le pognon ça attire, hein, tout le monde ! » Les Dugoin eux-mêmes ne font pourtant pas la fine bouche : Serge Dassault a en effet été le témoin de mariage de la fille de Xavier Dugoin, Marie-Christine, en juin 2013.

L’élu de Mennecy a plusieurs fois rêvé de ravir Corbeil à Dassault. En 2004, après être passé par la case prison ferme à Fleury-Mérogis, puis en semi-liberté à Corbeil, il annonce qu’il s’est acheté un appartement dans la cité des Tarterêts pour « revenir » en politique, alors qu’il devait encore rembourser 460 000 euros de peine d’amendes. Il échoue aux sénatoriales de 2004, malgré les voix de 156 élus.

En juin 2009, au lendemain de l’annulation des élections de Corbeil, Dugoin, redevenu depuis peu maire de Mennecy, décide de se porter candidat chez Dassault. Dans les jours qui suivent, un cocktail Molotov est lancé sur la mairie de Mennecy, provoquant l’incendie du bureau de sa femme, secrétaire au cabinet du maire. Mais des pourparlers sur de possibles compensations le conduisent à se retirer un mois et demi plus tard – ce que ne conteste pas formellement M. Dugoin dans sa réponse à Mediapart.

Situé à quelques minutes de la mairie, le SIARCE offre à l’élu de Mennecy la possibilité d’accueillir les bannis du système Dassault. L’un d’eux, responsable associatif, s’est vu confier l’organisation de chantiers citoyens du syndicat intercommunal. Cet automne, la voiture de Dugoin a été la cible d’un cocktail Molotov, lancé au petit matin dans la cour de son pavillon. Impossible de savoir d’où venait le coup, mais Xavier Dugoin circule désormais dans Corbeil accompagné de gardes du corps.

Le pavillon de Xavier Dugoin touché par l'incendie de sa voitureLe pavillon de Xavier Dugoin touché par l'incendie de sa voiture

Contacté par Mediapart, le directeur général du SIARCE, Daniel Arnaud, a indiqué qu'à ses yeux tout était « complètement régulier ». « Vous avez peut être des documents dont je n'ai pas connaissance, a-t-il ajouté. Il n'y a pas ce type de pratique normalement dans mon environnement immédiat. » Par mail, Jean-Philippe Dugoin s'est déclaré « particulièrement marqué par les souffrances endurées par (sa) famille et (ses) proches par le passé », en s'interrogeant sur les motivations de « ceux qui cherchent au travers d'informations fausses et/ou déformées à instrumentaliser la presse et /ou la justice ».

BOITE NOIRESollicités à de nombreuses reprises depuis le mois de novembre, Xavier Dugoin et Jean-Philippe Dugoin ne se sont pas rendus disponibles pour nous rencontrer. Ils ont répondu tous deux à nos questions par mail. M. Jean-Philippe Dugoin, le 14 janvier et M. Xavier Dugoin, le 17 janvier.

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