La fluidification du dialogue social à l’aide de grosses coupures est chose risquée. Lundi après-midi, après trois mois de délibéré, la XIe chambre correctionnelle de Paris a infligé des condamnations assez sévères aux anciens responsables de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), l’une des composantes importantes du Medef.
Le 21 octobre dernier, la représentante du parquet de Paris n’avait requis que des peines de prison avec sursis contre les prévenus, la peine la plus sévère (deux ans avec sursis et 250 000 euros d’amende) étant alors réclamée contre Denis Gautier-Sauvagnac (surnommé DGS), l’ancien patron de l’UIMM.
Les attendus du jugement rendu le 10 février par la XIe chambre correctionnelle (spécialisée dans les affaires financières), présidée par Agnès Quantin, sont implacables. La constitution d’une caisse noire de l’UIMM, tout comme les compléments de salaires en espèces, non déclarés, que se versaient les dirigeants du syndicat patronal, y sont décortiqués avec minutie.
Quant aux distributions d’enveloppes de liquide, pendant des décennies, à des destinataires non identifiés, elles sont analysées tout aussi méticuleusement (lire notre article ici).
De 2000 à 2007, plus de 16 millions d’euros se sont évaporés de la caisse noire de l’UIMM. « Il résulte de tout ce qui précède que les fonds remis à hauteur de 16.546.691 euros par l'UIMM à Denis Gautier-Sauvagnac ont été utilisés par ce dernier pour payer des compléments de rémunération en espèces à des salariés de l'UIMM », lit-on. Encore ne s'agissait-il que d'une petite partie des sommes disparues.
« Le tribunal a démontré que cette pratique était constitutive du délit de travail dissimulé ; l'utilisation de fonds d'un syndicat pour commettre une infraction intentionnelle est nécessairement contraire à la loi définissant l'activité syndicale de l'UIMM de telle sorte que l'élément matériel du détournement et la mauvaise foi de son auteur sont établis pour cette partie des faits ».
Patron tout puissant de ce syndicat, DGS en prend pour son grade. Ces fonds ont aussi été utilisés « pour un usage discrétionnaire qu'il était le seul à connaître précisément, dont il ne rendait utilement compte à quiconque au niveau interne, ce qui n'est conforme ni à la loi du 21 mars 1884 qui n'avait pas pour objet de permettre à une personne physique, dirigeant d'un syndicat ayant tous les pouvoirs, d'utiliser de manière discrétionnaire les fonds de ce syndicat, ni aux statuts de l'UIMM qui ne confiaient pas plus à un seul homme, fût-il le délégué général, d'utiliser les fonds de l'UIMM à sa guise », écrit le tribunal.
L’attitude mutique de l’ex-dirigeant de ce syndicat patronal, qui évoque la loi du silence, est également fustigée. « En effet, Denis Gautier-Sauvagnac a refusé, tant au cours de l'instruction préparatoire que durant l'audience correctionnelle, de justifier de la réalité des versements intervenus, de leurs montants, de l'identité des bénéficiaires des sommes dont s'agit ainsi que de la compatibilité des dits versements avec l'objet statutaire de l'UIMM », écrit le tribunal.
Le début d'explication sur le thème du « dialogue social », lâché du bout des lèvres par Gautier-Sauvagnac, ne prouve rien, et ne suffit pas à contenter le tribunal. « La seule concession à l'impérieuse exigence d'explications – dont le prévenu est évidemment débiteur au regard des fonctions éminentes qu'il a exercées au sein d'un syndicat professionnel qui représentait, en 2007, 45.000 entreprises de l'automobile, de la mécanique et de l'aéronautique employant au total deux millions de salariés et constituait un réseau de 120 syndicats professionnels et 93 chambres syndicales territoriales – a résidé dans l'allégation selon laquelle les fonds litigieux eussent été remis aux cinq syndicats de salariés représentatifs afin d'apporter un concours financier aux organismes participant à la vie sociale française », lit-on.
Or « une telle affirmation, à la supposer conforme à la réalité des faits, est d'autant plus inacceptable qu'il ne saurait être sérieusement nié que le versement, sous forme d'espèces, de fortes sommes d'argent à des organisations syndicales dont la mission première est la défense de l'intérêt collectif des salariés qu'elles représentent est de nature à altérer gravement la sincérité de la négociation syndicale et à instiller, dans l'esprit tant des employés ayant accordé leur confiance à l'organisation de leur choix que d'une opinion publique déjà largement éprouvée par les nombreux exemples de pénalisation des comportements individuels des décideurs sociaux et économiques, que ladite négociation est entachée d'une irréductible connivence portant lourdement atteinte à l'équilibre de la démocratie sociale et à la loyauté des relations économiques », assène le tribunal.
« En tout état de cause, en l'absence de preuve de conformité de l'usage des sommes ainsi prélevées sur les fonds syndicaux à l'objet statutaire de l'UIMM, celui-ci doit par suite être regardé comme s'étant opéré à des fins étrangères au dit objet ou dans le dessein de satisfaire l'intérêt personnel de son auteur », lit-on encore.
Le tribunal note, pour finir, que ces agissements ont fait du tort au syndicat patronal lui-même.
« Ce préjudice pour l'UIMM résulte de sa condamnation pour travail dissimulé. Il est également un préjudice de réputation. En effet, il résulte de la lecture du dossier et des débats à l'audience qu'une utilisation occulte des fonds en espèces de l'UIMM entraîne nécessairement des soupçons de financement occulte de partis politiques, d'achat de parlementaires, d'achat de la paix sociale, de corruption, d'enrichissement personnel », estime la XIe chambre.
Reconnu coupable de « travail dissimulé » et « d'abus de confiance », DGS voit son sort personnel jugé à l’aune du « montant du détournement », de sa « participation centrale (…) pendant de très nombreuses années, en toute connaissance de cause, au fonctionnement d'un système occulte de distribution d'importants fonds en espèces alors même qu'il disposait de tous les pouvoirs pour mettre un terme à ces pratiques frauduleuses ».
Mais aussi, ajoutent les juges, « des conséquences de ces pratiques qui contrairement à ce que soutient Denis Gautier-Sauvagnac, ne concourent pas à une meilleure régulation de la vie sociale mais concourent à alimenter les soupçons de financements occultes des partis politiques, d'achat de parlementaires, d'achat de la paix sociale, d'enrichissement personnel, à jeter le discrédit sur tous les décideurs publics et privés de la vie politique et économique du pays, de telle sorte qu'elles sont extrêmement négatives pour l'intérêt général ».
En conséquence, Denis Gautier-Sauvagnac est condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement dont deux ans assortis du sursis, et une peine d'amende de 375 000 euros. Aucun mandat de dépôt n'a été prononcé, et DGS reste libre.
Un brin vachard, le tribunal « constate qu'il ne dispose d'aucune pièce figurant au dossier, d'aucun élément versé aux débats lui permettant d'aménager la partie de la peine d'emprisonnement prononcée non assortie du sursis ».
Pour ce qui est des autres ex-dirigeants de l'UIMM, Dominique de Calan écope d'un an de prison avec sursis et d'une amende de 150 000 euros, Dominique Renaud de huit mois de prison avec sursis, Bernard Adam de deux mois de prison avec sursis, Jacques Gagliardi de six mois de prison avec sursis, et l’UIMM elle-même (en tant que personne morale) d’une amende de 150 000 euros.
« Il n'y a pas de détournement », a réagi avec aplomb Jean-Yves Le Borgne, l’avocat de Gautier-Sauvagnac, après l’annonce de la condamnation de son client. « Il y a tout simplement des distributions qui, certes, participent d'activités et d'habitudes anciennes, mais qui ne sauraient être qualifiées, à nos yeux, d'une manière pénale », a-t-il ajouté, en annonçant aussitôt son intention de faire appel du jugement.
Rien ne dit que la Cour d'appel se montrera plus compréhensive.
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