Un bain de foule, trois sourires et puis s’en va. Lundi 10 février au soir, lors du premier grand meeting de Nathalie Kosciusko-Morizet, les militants UMP, réunis au gymnase Japy (Paris XIe), ont oublié pendant une heure la nature du rendez-vous organisé par la candidate à la mairie de Paris. Cette dernière a eu beau discourir sur les reniements des socialistes et aborder quelques-uns des axes de son programme (insécurité et propreté en tête), tous n’en avaient que pour Nicolas Sarkozy, qui apparaissait pour la première fois dans un meeting politique depuis sa défaite à la présidentielle de 2012.
Arrivé après l’intervention de la chef de file du MoDem, Marielle de Sarnez, l'ancien chef de l'État n’a pas pris la parole et s’est contenté de rester assis au premier rang, entre la copéiste Nathalie Fanfant et son ancien conseiller à l’Élysée, Jean-Baptiste de Froment. Aux nuées de caméras qui se pressaient autour de lui, il a simplement déclaré que sa venue n'avait qu'une « seule connotation : l'amitié et l'admiration » qu'il a pour son ancienne porte-parole de campagne. « Sa présence est un signe fort qui marque le début de la bataille de Paris », s’est réjoui Jean-François Legaret, maire du Ier arrondissement et président du groupe UMP du conseil de Paris, en marge du meeting.
Officiellement, les proches de Nathalie Kosciusko-Morizet interrogés par Mediapart ont unanimement salué le « geste d’amitié et de fidélité » adressé par l’ancien président. Mais en coulisses, ils étaient nombreux à reconnaître que Nicolas Sarkozy avait volé la vedette à une candidate déjà très en difficulté dans la capitale. En témoignent les « Nathalie ! Nathalie ! » des militants, qui se sont rapidement transformés en « Nicolas ! Nicolas ! » tant et si bien que la chauffeuse de salle s'est trouvée contrainte de rappeler que « nous (étions) le 10 février 2014 et (que) nous (allions) écouter Nathalie Kosciusko-Morizet ».
Quinze jours plus tôt, Nicolas Sarkozy avait déjà fendu la foule de Châtelaillon-Plage (Charente-Maritime), où il s’était rendu pour décorer de la légion d'honneur le maire UMP de la ville, Jean-Louis Léonard. Accompagné des centristes de l'UMP Jean-Pierre Raffarin et Dominique Bussereau, il avait alors profité de l'occasion pour appeler à l'unité en déclarant : « J'ai compris que le rassemblement de toutes les énergies était la seule voie possible dans un pays comme le nôtre. »
Pourtant, c’est bien de la division que l’ancien chef de l’État se nourrit depuis qu’il se sent « obligé d’y aller ». Car les fameux « petits cailloux », semés par ses soins et largement commentés dans les médias comme autant de signaux annonçant son retour, sont surtout destinés aux chaussures des ténors de l’UMP. Tout en continuant à critiquer l'action du gouvernement socialiste, Nicolas Sarkozy s'attaque désormais à son propre camp, en s'engouffrant dans la brèche des dissensions afin d'apparaître comme le seul recours possible en 2017.
« Aujourd’hui, personne n’a l’autorité qu’il avait sur notre parti, explique le sénateur UMP Roger Karoutchi. Plus on s’éloigne de la crise Fillon-Copé, plus chacun dit ce qu’il veut. Sarkozy bénéficie de cette dispersion. » En s’affichant lundi au meeting de Nathalie Kosciusko-Morizet, l’ex-chef de l’État ne s’est pas contenté d’éclipser son ancienne porte-parole. Il a également jeté un trouble supplémentaire sur un sujet déjà fort délicat pour le principal parti d’opposition : celui de la ligne à adopter sur les débats de société, face à la mobilisation de la droite ultraconservatrice.
Quand Jean-François Copé patine sur la prétendue « théorie du genre » en dégainant le livre Tous à poil ! sur le plateau du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro et que Nadine Morano s'indigne d'un autre livre de jeunesse (Papa porte une robe) dans l'émission de France 2 “Mots croisés”, il s’affiche aux côtés d’une des rares élues à s’être tenue à l’écart de la « Manif pour tous ».
Sur les questions économiques et sociales – « priorités » de l’UMP qui devraient pourtant faire consensus après avoir été adoptées en conseil national le 24 janvier –, les choses coincent aussi. La ligne ultra-libérale, revendiquée par Copé, inquiète fortement les chiraquiens François Baroin et Alain Juppé, comme le rapporte Le Monde. Fin janvier, quelques jours avant le conseil national, le député des Yvelines Henri Guaino, sarkozyste historique, a quant à lui adressé une lettre très critique au patron de l'UMP.
Parmi les griefs de l'ex-plume de Nicolas Sarkozy : un programme économique jugé trop libéral et qui n'a «fait l’objet d’aucun grand débat dans les fédérations, d’aucun processus de maturation intellectuelle et politique ». Selon France Inter, l’ancien chef de l’État lui-même ferait « fuiter » qu’il désapprouve ce projet qui propose, entre autres choses, de réaliser 130 milliards d'économie en cinq ans.
S'ils s'affrontent depuis plus d'un an pour le leadership de l'UMP, Jean-François Copé et François Fillon sont au moins d'accord sur un point : pour espérer un jour s'imposer comme chef de file, ils devront d'abord se dégager de l'ombre tutélaire de Nicolas Sarkozy. « Copé et Fillon sont concurrents pour l'avenir, mais ils font très attention à ne pas se contredire, rapporte un parlementaire copéiste. Ce sont leurs lieutenants qui continuent à entretenir la guéguerre. » Une guéguerre dont profite l'ex-chef de l'État, qui se garde bien d'apaiser les tensions, par crainte de perdre son statut d'« homme providentiel ».
Mais François Fillon n'en démord pas : primaire ou pas, il se dit prêt à affronter Nicolas Sarkozy pour 2017. Il y a un an déjà, l'ancien premier ministre estimait que « tous » les compétiteurs étaient « désormais au même niveau ». Une déclaration qui lui aura même valu un nouveau sobriquet, imaginé par l'ex-chef de l'État : « M. Égal. » Inimitié entre les deux hommes oblige, Nathalie Kosciusko-Morizet a pris soin de ne pas inviter François Fillon, pourtant député de Paris, à son premier grand meeting.
La question de la primaire de 2016 est au cœur de la stratégie de la discorde élaborée par l'ancien chef de l'État. En se plaçant au-dessus des partis et en refusant de se soumettre à cette procédure de présélection, pourtant inscrite dans les statuts de l’UMP, Nicolas Sarkozy crée un nouveau clivage au sein de son propre camp. Déjà divisés sur les sujets de société et de politique économique, les ténors de l'UMP se déchirent désormais autour de la nécessité de maintenir cette primaire.
D'un côté, les fidèles sarkozystes qui, à l'instar du député européen et président de l'association des amis de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, estiment que le retour de leur champion est « inévitable » et que, dans ce cas de figure, la primaire n'aurait pas « de sens ». De l'autre, les ambitieux de 2017, qui ne voient pas d’un bon œil l’idée d’un candidat désigné d’office.
« S'il veut revenir sur son engagement de ne plus être candidat, c'est son droit, et dans ces conditions-là, il y aura un débat dans le cadre des primaires », indiquait Xavier Bertrand, mi-décembre. Pour contraindre Nicolas Sarkozy à participer à la primaire, le député de l'Aisne s’est associé à Bruno Le Maire et Alain Juppé afin de verrouiller le dispositif en amont, en s'assurant une présence non négligeable au sein du nouveau bureau politique statutaire.
« Si quelqu’un s’impose et écrase tout le monde dans les sondages, même les pro-primaire se retireront, commente le sénateur UMP Roger Karoutchi. Je suis prêt à parier qu'il y aura alors des appels à l’unité. » En attendant, Nicolas Sarkozy continue de prendre le pouls de sa popularité et d'attiser les clivages de son propre camp, à coups d'apparitions furtives, de “off” millimétrés et de rencontres informelles, mais symboliques.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été interrogées le lundi 10 février.
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