À chaque jour sa polémique autour du genre, savamment orchestrée par une extrême droite et une droite très mobilisées. Il y a eu l'affaire des SMS indiquant (faussement) que les enfants allaient devoir suivre des cours d'éducation sexuelle, puis le refus de groupes réactionnaires de voir le film Tomboy projeté dans certaines classes. Dimanche, le patron de l'UMP Jean-François Copé a même jugé bon de s'en prendre à un livre fort inoffensif, intitulé Tous à poil, publié en 2011, en affirmant (ce qui est faux) qu'il « fait partie de la liste des livres recommandés aux enseignants pour faire la classe aux enfants de primaire ». En réalité, il fait partie d'une liste d'une centaine d'ouvrages conseillés aux médiathèques qui veulent acquérir des livres luttant « contre les stéréotypes fille garçon » :
L'intervention inattendue de Copé, preuve d'une UMP perdue face à la radicalisation d'une partie de la droite, a suscité de nombreux sarcasmes sur les réseaux sociaux. Marc Daniau, l'auteur du livre, a d'ailleurs répondu que Jean-François Copé « n'a rien compris à son livre ».
Un autre livre jeunesse, Papa porte une robe, est depuis des mois la cible des milieux réactionnaires. Publié en 2004, il met en scène un boxeur, Jo, qui se travestit pour travailler dans un cabaret. Il fait partie des livres cités lors d'un colloque du syndicat SNUipp-FSU, qui avait été consacré, le 16 mai dernier, à la lutte contre l'homophobie à l'école primaire.
Sites d'extrême droite et voix influentes de la fachosphère assurent depuis des mois que ce livre fait désormais partie des programmes de CP. C'est faux... et d'ailleurs il est épuisé, confirment les Éditions du Seuil. Mais visiblement, l'idée qu'un papa puisse porter une robe ne passe pas auprès de nombreux responsables de la droite. Nadine Morano s'en est indignée lundi soir sur France 2 dans l'émission “Mots croisés”. Et le 2 février, sur BFMTV, Christine Boutin jouait l'outragée :
Lundi 10 février, Piotr Barsony, l'auteur de Papa porte une robe, livre-CD musical paru en 2004, a pris sa plume pour contacter les rédactions, étonné de voir son livre au cœur d'une telle polémique. Il dit à Mediapart ce qu'il a sur le cœur, non sans humour.
Pourquoi voulez-vous prendre la parole ?
Piotr Barsony.- Je trouve quand même très étonnant que tous ces responsables politiques parlent d'un livre qu'ils n'ont jamais ouvert ! Le titre du livre les fait fantasmer, mais à les entendre, c'est sûr qu'ils ne l'ont jamais ouvert ! Et ça fait des mois que ça dure. Il y a eu une première vague voilà un peu moins d'un an, avec cette rumeur disant que le livre était soi-disant au programme du CP. Tous ceux qui ont peur de la vie ont sauté dessus, les anti-mariage homo, les intégristes catholiques, les islamistes, les partisans d'Alain Soral... Je n'arrête pas de recevoir des emails. Là, ça a redémarré récemment. Évidemment, ce sont les mêmes. C'est un débat de vieux, franchement ! Et pourtant je ne suis plus tout jeune !
Que raconte votre livre ?
On fait dire à ce livre des choses qu'il ne dit pas ! L'histoire c'est celle de Jo, un boxeur qui vit avec son fils. Il ne peut plus boxer, il a eu un traumatisme à la tête et peut mourir s'il reprend la boxe. Il a un magnifique jeu de jambes. Un copain à lui, qui tient un cabaret, lui propose alors de remplacer sa danseuse, qui s'appelle Marie. Il se travestit, devient Marie-Jo. Quand il vient chercher son gosse à l'école, il oublie parfois d'enlever sa robe, du coup les enfants se moquent de lui.
Une nuit, l'ex-boxeur sauve un petit chat qui était tétanisé de peur au sommet d'un très grand arbre. Il laisse derrière lui un escarpin rouge, rouge carmin. La propriétaire du chat, une milliardaire, lance un avis de recherche, comme dans Cendrillon. Un pompier retrouve le propriétaire de la chaussure, en l'occurrence Jo, qui devient très riche. C'est une farce, une farce musicale ! On s'est bien amusé à faire ce livre d'ailleurs.
Quel message vouliez-vous faire passer ?
À quinze ans, j'ai eu les cheveux longs. J'étais le seul de ma ville. Tout le monde me traitait de « pédé » et voulait me casser la gueule, les ouvriers, les rugbymen, bref tout le monde. Mon père a trouvé un lycée à Paris qui m'accepte avec les cheveux longs, c'était en 1967. Ces cheveux longs m'ont ouvert la porte à tout, j'ai même connu Jim Morrison. Cinq ans plus tard, je suis revenu dans ma ville : ceux qui me frappaient avaient tous les cheveux longs ! Après il y a eu les filles à qui on a interdit de mettre les pantalons dans les lycées, les gens qui ont été contre la pilule et l'avortement, il y a eu ensuite ceux qui ont combattu les programmes de substitution à la drogue…
Ce sont toujours les mêmes ! Mais on n'empêche pas la vie de se faire ! L'identité sexuelle, elle est biologique, mais aussi culturelle, c'est évident. Et si habituer les enfants au fait qu'il peut y avoir des hommes féminins ou des femmes masculines, ça peut empêcher des suicides d'ados qui se sentent sexuellement marginaux, c'est quand même bien, non ? Pour les gens normaux, tout ça, c'est évident.
Votre livre a été publié en 2004, et il n'a pas déclenché cette polémique...
Mais pas du tout ! C'est l'histoire d'un papa courageux qui se travestit pour nourrir son fils. C'est un livre sur la différence, mais aussi sur le travail et la famille, c'est presque pétainiste (rires). Y a pas de quoi fouetter un chat ! C'est vraiment une rumeur fantasmatique de fachos qui le fait exister. Des gens qui d'ailleurs mettent du sexe là où il n'y en a pas, ce qui devrait conduire à se demander ce qu'ils ont vraiment dans la tête (rires). Tout ça, c'est un truc de complotistes qui se vautrent dans l'immonde. Est-ce la bête blessée qui n'arrête pas de mourir et rugit une dernière fois ? Ou la bête qui se réveille ? Je ne sais pas. Mais ce n'est pas rassurant.
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